Rendez-vous lakay
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La présente version de Rendez-vous lakay est le fruit d’une tournée scolaire en français et en anglais produite par le Black Theatre Workshop, à Montréal, en 2018.
Sous le titre Rendez-vous with Home, une version précédente de la pièce a été créée en anglais au festival SummerWorks en août 2008, puis en français au Théâtre français de Toronto en décembre 2009.
Équipe de création
Texte et interprétation : | Djennie Laguerre |
Mise en scène : | Rhoma Spencer et Dayane Kamana Ntibarikure |
Percussionniste : | Karl-Henry Brézault |
Chorégraphie : | Sara Rénélik |
Décors et costumes : | Jorge Sandoval et Nalo Soyini Bruce |
Couturiers : | Matt Donelly, Mélanie Michaud et Nalo Soyini Bruce |
Distribution
La Conteuse : Djennie Laguerre
Percussionniste : Karl-Henry Brézault
Personnages
La Conteuse : Joséphine, jeune adulte.
Percussionniste qui joue des rythmes traditionnels de tambour haïtiens.
Décor
Une ou deux grandes peintures inspirées de l’art naïf haïtien.
Une chaise pour le musicien.
Une grosse valise ou une caisse qui peut devenir plusieurs choses et servir de meuble.
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Intro
Musique de tambour traditionnel haïtien. La Conteuse entre en dansant.
Mesyedam, lasosyete bonswa! Chita, prenez une chaise. Les paroles que je vais vous dire vous obligent à vous s’asseoir… Elles font de ce théâtre ma cour, elles font de moi votre conteuse. Je me présente, je m’appelle Joséphine, et ce soir, je vais revivre avec vous mon premier voyage en Haïti. Ne soyez pas surpris si une larme ou un sourire effleure votre joue, car je vais peindre des images d’un Haïti passé. Passé, mais jamais oublié. Alors, comme la tradition le demande, si la cour ne dort pas, qu’elle m’accompagne dans mon voyage en répondant Krak lorsque je dis Krak. Krik? Et si je dis Ye krik? Ye misti krak? An nou ale!
Les préparatifs – Les consignes de maman
C’est un beau dimanche ensoleillé dans la douce vallée d’Ottawa quand maman, la reine du foyer, interrompt notre repas avec cette annonce :
— Votre père est mort. (Pause) Joséphine, mets de côté tout sentiment d’abandon et de rancune et va en Haïti avec ta sœur afin d’honorer vos obligations.
— Honorer nos obligations? C’est la première fois qu’on voit notre père en vingt ans pis il est mort!
— Pardon, ne me faites pas honte. Après toutes mes années de lutte, à titre de mère monoparentale, je veux leur montrer mes deux plus belles réussites.
Pendant que Suzette et moi ne savons pas quoi répondre, maman fait nos valises.
— Saluez les gens avec un bonjour, bonsoir! Et on les embrasse sur la joue. Une fois, c’est assez. Deux fois, c’est français. Avant d’aller vous coucher, souhaitez à tous une bonne nuit, faites de beaux rêves. Au lever, brossez vos dents, lavez votre visage et faites une petite toilette du bas avant de souhaiter à tous un bon matin. Aussi, c’est très important de demander aux gens s’ils ont bien dormi. E tanpri souple, écoutez la réponse, même si c’est un long récit qui annonce la venue d’un ouragan ou d’un enfant illégitime. Lorsque vous vous adressez à vos tantes et vos oncles, vous dites « ma tante » une telle, « mon oncle » un tel. Remerciez toujours les bonnes, les serviteurs pour leurs travaux et à la fin de votre séjour… Bay on ti bagay. (Elle fait signe avec les doigts de donner de l’argent.) S’il vous plaît, ne jugez pas les coutumes haïtiennes que vous ne comprenez pas et, surtout, n’abusez pas de celles qui font votre affaire.
À peine maman a-t-elle fini ses recommandations que Suzette demande :
— Comment ça s’fait que la première république noire à s’libérer de l’esclavage a encore des bonnes?
— Wololoy… Ce genre de questions amène toujours maman à raconter la glorieuse mais turbulente histoire d’Haïti.
Les préparatifs – Éclats patriotiques de maman
La Conteuse interprète la mère.
— Timoun, Chita! Honneur…? Lorsque quelqu’un vous dit « honneur? », vous devez répondre « respect! ». Honneur? (La Conteuse invite le public à répondre.) Je commence par les nèg mawon, ensuite boukman… sans oublier la femme au centre du bwa kayiman qui évoque l’esprit des ancêtres pour transformer des millions d’esclaves en une incroyable armée menée par Toussaint Louverture!
Tambour.
Grenadye alaso!
Sa ki mouri – zafè a yo
Zafè a yo – (La Conteuse invite le public à répondre.) Zafè a yo… Hé, hé… les oppresseurs, les conquérants, blan yo ne veulent pas que les autres colonies entendent cet écho de liberté. Trop tard, les esclaves de la Nouvelle-Orléans sont déjà au courant.
Ce qui suit est chanté sur l’air de l’hymne « America, the Beautiful ».
Here comes America. Propaganda times…
Let’s name them Haitians voodoo practitioners, Human flesh eaters, disease carriers…
Arrêt du tambour.
Shit hole country
Woooy… Papa Doc empereur à vie
Yeee… Baby Doc banni à vie
Peau claire contre peau foncée, les riches contre les pauvres
Titide, lavalas… tornade, tremblement de terre? Ede nou Jezi!
Quand est-ce que ce peuple connaîtra la paix?
Un peuple qui s’est battu pour la liberté avec bout bwa! Des bâtons contre des canons… (La Conteuse redevient Joséphine.) Canon, je laisse maman continuer et je m’évade dans mes pensées.
Les préparatifs – Les souvenirs
Pourquoi, maintenant qu’il est mort, seuls les bons souvenirs de mon père surgissent-ils dans ma mémoire? Pourtant, il nous a laissé plus de mauvais souvenirs que de bons.
Mais en ce moment, seuls les bons dansent dans ma tête.
Rythme de kompa au tambour; de l’ancienne génération.
Je revois papa qui dérange maman dans la cuisine pour qu’elle danse avec lui parce que…
— Mizik la bon! (Improvisation de paroles en créole dans le style de ce qui suit.) Cheri vin danse non… non monchè map travay… cheri vin danse.
Maman se fait prier… mais finit par danser sur de la musique kompa; la Conteuse personnifie ses parents qui dansent dans la cuisine.
Pourquoi ce n’est pas notre fuite en pleine nuit vers une maison d’accueil pour femmes battues que je revois? Pourquoi ce n’est pas son absence à nos anniversaires, nos graduations et nos nuits passées à l’hôpital? Pourquoi ces images ne sont-elles pas les premières à envahir ma tête? M’pa konprann!
Dans l’avion
Je reviens à la réalité une fois que Suzette et moi sommes dans l’avion en route vers la perle des Antilles. Je jette un coup d’œil à ma sœurette. J’observe son élégant tailleur blanc, ses cheveux remontés dans un somptueux chignon. Ses lèvres d’un rouge diva, ses ongles peints à la française… Oh, oh! Elle est habillée pour un mariage!
— Chérie d’amour… on va à des funérailles, pas à des fiançailles.
— Écoute la grande, on va aux funérailles d’un homme que j’ne reconnaîtrais même pas si j’y tombais sur l’nez dans rue. J’vais pas laisser la mort de c’t’homme-là ruiner ma première ...