Défenses légitimes
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Défenses légitimes

  1. 206 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Défenses légitimes

À propos de ce livre

Reesor Siding, Nord de l'Ontario, nuit du 10 au 11 février 1963. Un affrontement en forêt fait trois morts.Quelques semaines avant la nuit du drame, les travailleurs de la Spruce Falls Power and Paper Company déclenchent une grève. Or, les cultivateurs des environs, qui possèdent des droits de coupe, continuent de vendre leur bois à la papetière, au grand dam des ouvriers. Pierre Ménard est l'un de ceux-là. Il fréquente Madeleine, dont le père, Hermas, est en grève. Pris dans ce climat de tension, les deux hommes se retrouvent dans des camps opposés.Dans Défenses légitimes, Doric Germain met en lumière, avec humanité et sens de l'histoire, le contexte de la tuerie. Car en filigrane du drame se joue le destin de deux groupes dans un monde en transformation: celui des cultivateurs attachés à un mode de vie en voie de disparition, et celui d'une classe de travailleurs syndiqués aspirant à une nouvelle forme de modernité.

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Informations

Chapitre VII

Pendant la première semaine de grève, rien ne parut changé au chantier coopératif. Le temps se maintenait au beau fixe et le froid restait vif. En fait, les conditions étaient excellentes pour l’exploitation forestière, comme elles le sont généralement en janvier. Il y avait environ deux pieds de neige au sol, assez pour aplanir les chemins mais pas assez pour vraiment nuire à l’abattage. On en profitait au maximum et, chaque jour, une douzaine de wagons étaient chargés, qu’une locomotive du Canadien National venait enlever à intervalle régulier pour les remplacer par des wagons vides. Pourtant, des problèmes d’un autre type se profilaient à l’horizon.
Le mardi 22 janvier, une voiture arriva au camp à l’heure du souper. Quatre hommes en descendirent et suscitèrent une vive curiosité en pénétrant dans la « cookerie ». Toutes les conversations s’étaient arrêtées. Pierre reconnut parmi les quatre visiteurs un certain Plamondon, bûcheron à la Spruce Falls. Ils demandèrent à voir le gérant ou le responsable du camp, ne sachant trop quel titre lui donner. Roland Ladouceur s’avança et ils lui remirent une lettre de la part du président du local 2995 du Syndicat des bûcherons et employés de scieries. Puis ils sortirent sans adresser la parole à qui que ce soit, manifestement mal à l’aise et surtout contents de s’en aller.
Ladouceur décacheta l’enveloppe et lut d’abord pour lui-même pendant que tous attendaient, en oubliant même de manger. Il s’éclaircit la gorge et n’eut pas besoin de demander le silence, qui s’était établi d’emblée. Il commença :
« C’est signé par Yves Labrecque, le président de l’union, pis c’est écrit en anglais. »
Quelques protestations s’élevèrent dans le genre :
« Laisse faire les détails pis dis-nous ce qui est écrit! »
Mais pour plusieurs, le détail avait son importance.
« À force de travailler pour des blokes, y sont rendus blokes eux autres aussi! » s’indigna le père Lambert.
On le fit taire pour que Ladouceur puisse lire.
« …in the interest of all workers in the industry, we firmly urge you to stop hauling pulpwood from the bush and loading it on wagons until this labour conflict is resolved. We have no objections to the continuation of felling, delimbering and stacking operations… »
Il leva les yeux et résuma en français :
« En gros, y veulent qu’on arrête le charroyage. Pour le bûchage, y’a pas de problème, c’est ben indiqué. Ça ressemble plus à un ordre qu’à une demande. »
Les protestations fusaient.
« Y’auraient pu le demander poliment au moins!
– Ç’a pas d’allure. Bûcher du bois pis le laisser dans le bois, ça donne rien, ça!
– C’est le seul temps de l’année où ce qu’on peut le rendre à’ track. C’est aussi ben de toute arrêter ça là si on peut pas charrier.
– Y disent-tu ce qu’y vont faire si on arrête pas? »
Le silence se fit. La question était d’autant plus pertinente que tous avaient bien l’intention de continuer à travailler.
« C’est pas clair, clair. Mais oui, y disent quelque chose là-dessus. »
Ladouceur ajusta ses lunettes sur son nez et reprit la lettre. D’un geste machinal, il déboutonna le col de sa chemise à carreaux et abaissa ses bretelles. Il avait chaud et ce n’était pas uniquement à cause de ses culottes d’étoffe et de ses combinaisons de laine. Il cita avec un accent français gros comme le bras :
« …No more pulpwood must get to the mill. Otherwise, we will have to take appropriate measures. »
Pierre, peut-être parce qu’il comprenait mieux l’anglais que la plupart, ne put résister :
« Tabarnak! Pour moi, c’est assez clair. Si on arrête pas de notre bon gré, y vont nous arrêter de force. »
Jean-François, qui n’avait rien compris à la lecture du texte anglais, demanda qu’on le traduise. On continuait à regimber, les plus jeunes surtout.
« Je voudrais ben les voir essayer de m’arrêter.
– Ç’a pas d’allure. On perdrait notre hiver pour leu’ maudite grève. En plus de ce qu’on a dépensé jusqu’icitte. »
Ladouceur essayait de les calmer.
« Faut pas exagérer quand même. On a déjà à peu près 2 000 cordes de rendues au moulin. On a même déjà reçu un chèque pour les 68 chars qu’on avait envoyés au 10 janvier. Un peu plus que 35 000 piasses. Ça paierait quand même les dépenses.
– C’est quoi notre contrat avec la Spruce? Combien de cordes?
– 12 000 cordes pour l’hiver. On est payés au char, à mesure que le bois arrive au moulin. »
Le jeune Mitron, gringalet trop faible pour bûcher qu’on embauchait comme « choboy » et qui aimait cacher sa faiblesse derrière la force du groupe, proposa pour faire le faraud :
« On continue! On est capable de se défendre, à’ gang, non? »
Ladouceur répliqua avec un peu de mépris.
« Les grévistes sont 1 150 à ce qu’y paraît. On est pas tout à fait 100. Pis toué, tu veux partir en guerre contre eux autres? »
Le jeune, rabroué, rentra la tête dans les épaules. On était dans une impasse. Les interventions se faisaient moins nombreuses, comme si tout le monde réfléchissait mais que personne n’arrivait à une conclusion digne de mention. Derrière les tables, les « cookies » commençaient à s’agiter. Le souper s’éternisait et elles auraient bien voulu commencer à desservir les tables pour laver la vaisselle.
Jean-François Bernard leva la main pour demander la parole, ce que personne jusque-là n’avait fait et qui donna à ce qu’il allait dire un sérieux que les autres interventions n’avaient pas. On l’écouta attentivement.
« Y’a une phrase dans leur lettre qui me donne une idée. Y disent qu’y’a pus une pitoune qui doit se rendre au moulin. Pis nous autres, on veut sortir le bois avant que ça dégèle. Qu’est-ce que ça ferait si on sortait le bois des strips pis qu’on le charriait jusqu’à’ track? On le pile là, on le met pas sur les chars. Les grévistes ont rien à dire, le bois se rend pas au moulin. Aussitôt que la grève est finie, on charge not’ bois, y s’en va au moulin pis on est payés. On a pas perdu notre hiver, pis tout le monde est content.
« Même si chacun reçoit son salaire un mois ou deux en retard, je pense pas que ça empêche personne de manger. Du moment qu’on a notre argent à temps pour faire les semences au printemps… Si y’en a qui sont trop serrés pour attendre, on pourrait garder en réserve le prochain chèque de la Spruce comme fonds de dépannage. »
L’intérêt pour la proposition était palpable. Ladouceur remit ses bretelles. Même les objections qu’on souleva par la suite eurent plutôt l’air de détails à régler que d’empêchements à sa mise en œuvre. Tout sembla tomber en place comme les pièces d’un casse-tête qu’on achève.
« Oui, mais not’ contrat avec la Spruce? Le bois est supposé être rendu au moulin. »
Ladouceur était presque joyeux.
« Cassez-vous pas la tête pour la Spruce. Y doivent ben comprendre dans quelle situation on est. Peut-être même qu’y accepteraient de nous faire une avance pour le bois stockpilé. Y’ont intérêt à ce qu’on arrête pas de bûcher.
– Oui, mais ça va prendre de la place en maudit, ça, piler 9 ou 10 000 cordes de bois.
– Le père Champagne nous louerait ben sa terre juste à côté d’la siding pour l’hiver. Pour 100 piasses, le bonhomme pourrait aller virer une bonne brosse! »
On rit. La tension baissait.
« Pendant qu’on est à ça, pourquoi est-ce qu’on louerait pas sa cabane aussi? Y reste pus dedans l’hiver, y se prend une chambre en ville. Pis, si y faut, on pourrait s’en servir pour surveiller nos affaires de plus proche pis à’ chaleur.
– O.K. Deux brosses pour le père Champagne. »
On rit encore plus fort. Mais il restait encore des objections.
« Ça empêche pas qu’on va être obligés de décharger le bois par terre pis de le reprendre de là pour le mettre su’ les chars. Un autre taponnage de plus. Comme si on le manœuvrait pas déjà assez, c’te maudit bois-là.
– On pourra louer une pelle à câbles de Pat Boutin. Ça charge vite en maudit, ces agrès-là! »
À demi convaincu, Pierre maugréa.
« Ouais! La ristourne sera pas forte au printemps! »
Jean-François acheva de le persuader.
« C’est peut-être mieux de perdre la ristourne que de perdre l’hiver complet.
– Mais en attendant que tout ça soye arrangé, on fait quoi? »
Ladouceur avait retrouvé toute son autorité.
« On travaille la broue dans le toupet, comme d’habitude. Même si y se rendait un char ou deux de plus au moulin, les grévistes, y’en mourront pas. Pis j’vas leur envoyer une lettre pour leu’ dire qu’on enverra pus de bois à Kapuskasing à partir de… quand on pourra faire des arrangements. »
Jean-François avait gardé une petite dent contre le président du syndicat pour sa lettre en anglais.
« J’espère au moins, monsieur Ladouceur, que vous allez leur répondre en français.
– Compte su’ moué, mon gars, compte su’ moué. »
Tout heureux du résultat de la réunion et reconnaissant envers Jean-François pour le rôle crucial qu’il avait joué, jamais il ne lui aurait avoué que, pour lui, la langue de la lettre était très, très secondaire. Mais il eut le temps d’y réfléchir par la suite et de se dire qu’il ne fallait surtout pas avoir l’air de critiquer pour des broutilles. Quand la lettre fut livrée au bureau du syndicat le lendemain vers 10 h 30, elle était écrite à la main, dans l’anglais boiteux de Roland Ladouceur.
« …I have receive your word and I write to you to tell you that we understand your position and promise that as soon as we can make other arrangements, no more wood will be put on the cars, but, as it has to be remove from the wood before the defrost, it will be pile beside the track.
Yours truly,
Roland Ladouceur, président
Chantier coopératif de Val Rita. »
Leur optimisme à tous aurait sans doute été considérablement tempéré s’ils avaient suivi leurs quatre visiteurs après leur départ du camp. En passant près de la voie d’évitement par où il fallait inévitablement passer pour rejoindre la route 11, le leader du groupe, Jim O’Donnell, avait demandé au conducteur de s’arrêter près des wagons chargés qui attendaient sagement au clair de lune la locomotive qui les tirerait vers Kapuskasing.
« Me semble que la lettre d’Yves serait plus claire si on faisait une petite démonstration pour aller avec. »
Henri Lemay, choisi par Jim pour ses gros bras et son manque total de discernement, demanda innocemment :
« Qu’est-c’est que vous avez dans l’idée, boss? »
Le lendemain matin, soit le mercredi 23 janvier, Pierre et Jean-François arrivaient au chemin principal avec le premier de leurs quatre chargements quotidiens quand ils virent venir à eux le contremaître. Il faisait encore beau mais moins froid. On n’avait pas eu de problèmes avec le tracteur. Aujourd’hui, Pierre en était convaincu, on dépasserait l’objectif. Il pensait à Madeleine qui l’attendrait bientôt dans une bonne maison chaude avec un bon souper. Et, après souper… Mais il dut vite déchanter.
« Le truck viendra pas à matin. Ladouceur vous fait dire de laisser toute ça là, pis d’aller aider Hamel pis Tanguay à recharger un char.
– Comment ça, recharger? Y’en a-tu un qui a déraillé?
– Ben non, le char est encore su’a track. C’est les pitounes qui sont pus dessus. Le char a été vidé pendant la nuite. »
Pierre explosa.
« Faut-tu être enfants de chienne! Juste comme on leur donne toute ce qu’y veulent, y viennent nous écœurer. Ça restera pas là certain, ça! »
Comme d’habitude, Jean-François s’efforça de le calmer.
« C’est correct, boss, on va aller voir ça. Viens-t’en, Pierre. »
Ils durent remiser le tracteur et prendre la camionnette de Jean-François pour se rendre à Reesor. L’humeur de Pierre, déjà massacrante, ne fit que s’aggraver en voyant les dégâts qu’on s’affairait déjà à réparer.
« Sacrament. J’aurais jamais pensé qu’y avait autant de bois su’ un char. »
Jean-François se fit encourageant.
« Ç’a l’air pire que c’est. Dans une heure ou deux, ça paraîtra pus. »
En fait, c’était pire que « ça en avait l’air ». La voie d’évitement avait été remblayée pour permettre le passage des camions, qui se trouvaient de ce fait à peu près à égalité avec les wagons pour le transbordement. Mais au-delà de cet espace d’une vingtaine de pieds se trouvait un fossé où l’on avait poussé la neige pour déblayer le chemin. Les maraudeurs avaient pris soin de lancer les bûches assez loin pour qu’elles y tombent. Le fossé était profond et les « pitounes » y étaient enfoncées dans la neige molle. À chaque bûche que Pierre parvenait à arracher à la neige ou à hisser sur le wagon, sa rage augmentait, à tel point que, bientôt, son compagnon de travail renonça à le calmer par des paroles qui semblaient avoir l’effet inverse.
Ce n’est qu’au milieu de l’après-midi qu’on parvint à terminer la besogne. Les deux jeunes gens étaient harassés et décidèrent de rentrer au camp pour attendre le souper en se reposant. Pierre fulminait toujours.
« Une journée complète su’ l’yabe. Pas de ristourne au printemps. Moué qui travaille comme un défoncé pour marier sa fille pis la faire vivre comme une princesse! »
Il n’était pas loin de rendre Hermas Latulipe personnellement responsable de ses déboires. De là à en vouloir à Madeleine elle-même, il n’y avait qu’un pas, qu’il faisait tous les efforts possibles pour ne pas franchir.
Quand ils arrivèrent au camp, peu habitués à ce désœuvrement en plein jour, le problème se posa d’occuper leur temps en attendant le retour des autres. Jean-François s’étendit sur son « bunk » pour faire un somme et Pierre entreprit de faire un peu de lavage. Il remplit une cuve de neige qu’il ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Prise de parole
  3. Du même auteur
  4. Titre
  5. Crédits
  6. Préface à la deuxième édition
  7. Avant-propos
  8. Chapitre I
  9. Chapitre II
  10. Chapitre III
  11. Chapitre IV
  12. Chapitre V
  13. Chapitre VI
  14. Chapitre VII
  15. Chapitre VIII
  16. Chapitre IX
  17. Chapitre X
  18. Chapitre XI
  19. Chapitre XII
  20. Chapitre XIII
  21. Chapitre XIV
  22. Chapitre XV
  23. Épilogue
  24. Choix de jugements
  25. Biographie
  26. Bibliographie
  27. Table des matières
  28. 4e de couverture