Diangombé, l'Immortel
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Diangombé, l'Immortel

Melchior Mbonimpa

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  1. 278 pages
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Diangombé, l'Immortel

Melchior Mbonimpa

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À propos de ce livre

Au XVe siÚcle, dans l'Afrique des Grands Lacs, une multitude de royaumes se font la guerre. Les habitants, sous la gouverne impitoyable de leurs rois et devins, meurent sans espoir de rédemption sur les champs de bataille, car la vie aprÚs la mort à laquelle ils ont droit, courte et faite de misÚre, ne les mÚne qu'au néant.Survient alors un homme insoumis, esprit libre et rebelle, dont la pensée et les actions feront trembler les puissants. Diangombé, fondateur de la secte secrÚte des Immortels, conduira ses adeptes à rejeter la guerre, les tabous sexuels et les bonnes maniÚres. Il leur offrira surtout cette idée inédite: l'espérance de l'immortalité individuelle et d'une vie heureuse outre-tombe.Roman basé sur des faits historiques (la secte des Immortels existe toujours aujourd'hui), conte initiatique également, baigné par le mystÚre, «Diangombé, l'Immortel» donne successivement la parole aux acteurs d'une révolution en marche.

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Informations

Année
2014
ISBN
9782897440183

TroisiĂšme partie

Le grand périple

12. Gahaya

Je suis immortelle et je tiens Ă  l’immortalitĂ©. Je ne saurais dire exactement le jour oĂč mes doutes se sont estompĂ©s. C’est peut-ĂȘtre quand j’ai cessĂ© d’espĂ©rer que BinĂ©go reviendrait et serait Ă  moi. Je n’ai pas rĂ©vĂ©lĂ© Ă  KabĂ©ja que, petit Ă  petit, la certitude de le revoir s’était effritĂ©e jusqu’à disparaĂźtre. Et je n’ai pas osĂ© lui demander si elle y croyait toujours ou si elle avait aussi laissĂ© tomber ce qui m’apparaĂźt aujourd’hui comme une illusion. Je regrette de n’avoir pas saisi l’occasion de me marier quand le jeune ObscĂšne me l’a proposĂ©. Mais je ne suis pas amĂšre. Je suis immortelle, et j’ai payĂ© cher pour le devenir.
J’ai dĂ» me laisser prendre par DiangombĂ©, ce vieux vilain, pendant la saison de l’initiation. C’est vrai, il n’a pas Ă©tĂ© le seul, mais il a Ă©tĂ© le premier, et c’est avec lui que j’ai cĂ©lĂ©brĂ© les rites obscĂšnes lors de l’intronisation. Je suis mĂȘme Ă  l’origine d’un rĂŽle important au sein des Immortels : celui de la Vierge de DiangombĂ©, celle qui, lors de la liturgie d’intronisation, s’accouple avec l’ofïŹciant principal. Vierge, je ne l’étais plus et il s’agissait plutĂŽt de la virginitĂ© magique. Pour ce rĂŽle, on dĂ©signe une jeune femme qui n’a jamais enfantĂ©. J’ai Ă©tĂ© la premiĂšre et j’ai jurĂ© que, de mon vivant, je resterais la principale Vierge de DiangombĂ©, que je dĂ©fendrais mon droit d’aĂźnesse. Dans le groupe des Gardiens du Berceau, j’ai exigĂ© qu’à titre de premiĂšre vierge, je ne m’unirais Ă  personne d’autre que le Grand-MaĂźtre lors des noces obscĂšnes qui concluent l’intronisation des novices.
Le Grand-MaĂźtre lui-mĂȘme, alors qu’il Ă©tait en route vers le royaume du sud, s’est arrĂȘtĂ© chez nous pendant trois jours. Il a tentĂ© en vain de s’immiscer dans mon intimitĂ© alors qu’il n’y avait pas de noces obscĂšnes Ă  cĂ©lĂ©brer. Je lui ai fermement dit « NON » et il n’a pas insistĂ©. Mais il Ă©tait un peu vexĂ© et surpris, et m’a demandĂ© ce qui se passait.
– Tu le sais trĂšs bien, Grand-MaĂźtre. BinĂ©go est le seul homme Ă  qui je me serais donnĂ©e de plein grĂ© et avec plaisir. Je me suis soumise aux rĂšgles de l’initiation, mais aprĂšs, j’ai jurĂ© que je ne m’offrirais plus jamais Ă  un homme, mĂȘme pas Ă  un ofïŹciant principal autre que toi. Pendant les rites, je m’abstiens et je regarde les autres faire leur devoir.
– Est-ce qu’il y a d’autres rebelles comme toi parmi les Gardiens du Berceau?
– Non, je suis la seule qui ne respecte pas cet aspect de nos rites. Les autres initiateurs donnent l’exemple.
– Et pourquoi « les autres », comme tu dis, te laissent-ils n’en faire qu’à ta tĂȘte?
– Tu nous as appris que les Immortels sont libres, et je t’ai pris au mot.
– Vous ĂȘtes libres par rapport au pouvoir d’autres rois que moi. Tu n’es pas libre de te considĂ©rer comme supĂ©rieure aux autres ObscĂšnes.
– Je ne me considĂšre comme supĂ©rieure Ă  personne. Mes compagnons comprennent que, dans tout groupe, les membres ne sont pas semblables. Et ils n’y voient aucun problĂšme. Tu as toi-mĂȘme acceptĂ© des exceptions aux rĂšgles que tu voulais imposer Ă  tous. Tiens, par exemple, ta mĂšre a exigĂ© de rester habillĂ©e pendant les rites. Dans la premiĂšre gĂ©nĂ©ration des ObscĂšnes, personne n’a oubliĂ© ça. Et ce traitement de faveur n’a vexĂ© personne. En fait, c’était plutĂŽt amusant de voir une personne qui te dĂ©sobĂ©issait.
DiangombĂ© m’a laissĂ©e tranquille. Je ne sais pas s’il m’a crue quand je lui ai dĂ©clarĂ© que je ne coucherai plus jamais avec un homme. Bien sĂ»r, j’ai menti, car je n’avais pas pris une telle dĂ©cision. Je ne suis pas une vieille femme Ă©teinte, mĂȘme si je ne suis plus la jeune ïŹlle que BinĂ©go a aimĂ©e, ou encore celle que le jeune ObscĂšne a courtisĂ©e assidĂ»ment, mais en vain. La vĂ©ritĂ©, c’est que depuis que je n’espĂšre plus le retour de BinĂ©go, aucun autre homme n’a proposĂ© de m’épouser. Et le vieux DiangombĂ© ne voulait que proïŹter de moi. Quand je l’ai repoussĂ©, il s’est contentĂ© des faveurs de KabĂ©ja.
Lors de son passage, DiangombĂ© ne nous a rien appris de nouveau, sauf que le titre de Grand-MaĂźtre des ObscĂšnes ne reviendrait Ă  personne aprĂšs lui! Il est le premier et le dernier Grand-MaĂźtre, et il a promis de nous en dire davantage quand il reviendra aprĂšs avoir visitĂ© les autres royaumes. J’ai hĂąte de savoir comment il aura rĂ©agi aux changements qui ont Ă©tĂ© apportĂ©s aux rĂšgles initiales. Ce qui s’est passĂ© au Berceau s’est probablement produit partout ailleurs. Nous avons Ă©tĂ© incapables de suivre les rĂšgles originelles sans rien y ajouter. Ainsi, pendant les trois jours qu’il s’est arrĂȘtĂ© ici, DiangombĂ© a dĂ» approuver que nous recrutions de plus en plus, non pas parmi ceux qui ne veulent plus ĂȘtre enrĂŽlĂ©s dans les armĂ©es du roi, mais parmi d’anciens malades qui nous rejoignent pour Ă©viter des rechutes.
Tout cela a commencĂ© quand une femme s’est prĂ©sentĂ©e Ă  notre hutte et nous a suppliĂ©es de sauver son mari tourmentĂ© par les esprits. Il s’agissait d’un cas difïŹcile, les esprits ne s’étant pas identiïŹĂ©s et n’ayant pas indiquĂ© Ă  la famille du malade les gestes Ă  poser, les offrandes Ă  faire et les rites Ă  accomplir. Les esprits arrivaient de nuit et provoquaient un tremblement de terre qui secouait leur hutte comme un fĂ©tu de paille. Dans les huttes voisines, personne ne percevait ce sĂ©isme. Puis le mari se mettait Ă  gĂ©mir, comme si des mains invisibles le ïŹ‚agellaient sans pitiĂ© et le laissaient hĂ©bĂ©tĂ© pendant des jours. Ne sachant pas comment aider cette pauvre femme, nous lui avons demandĂ© de revenir le surlendemain, le temps d’y rĂ©ïŹ‚Ă©chir. Quand nous en avons parlĂ© ce jour-lĂ , KabĂ©ja et moi, j’étais convaincue que rĂ©soudre ce genre de problĂšmes ne faisait pas partie de notre mission :
– MĂšre, pourquoi est-ce que cette femme s’est adressĂ©e Ă  nous? Les Immortels ne sont pas des devins ou des guĂ©risseurs. Et d’ailleurs, comment est-ce qu’elle nous connaĂźt? Il nous est interdit de parler de notre groupe Ă  ceux qui n’en font pas partie.
– Oui, mais on parle de nous Ă  ceux qu’on invite Ă  nous rejoindre. Il arrive parfois qu’une personne que l’on considĂ©rait une excellente recrue refuse notre invitation. Rien ne l’empĂȘche de divulguer notre existence sans avoir peur d’en subir les consĂ©quences. Elle ne dĂ©voile aucun secret sur nous puisque nous n’apprenons les mystĂšres qu’à ceux qui acceptent l’initiation, mais ce qu’elle raconte peut alimenter les rumeurs Ă  notre sujet.
– Je n’aime pas que cette femme nous ait identiïŹĂ©es, toi et moi.
– Elle a Ă©tĂ© mal informĂ©e, ou bien elle a compris de travers, puisqu’elle nous prend pour des guĂ©risseuses. Ce n’est pas grave. Je ne crois pas que ça va nous causer des ennuis. Elle est venue nous voir parce qu’elle pensait qu’entre femmes ce serait plus facile. On devrait l’envoyer chez un vrai devin aïŹn de savoir de quels esprits son mari est possĂ©dĂ©.
– Qu’est-ce que c’est un vrai devin pour toi? Tu ne crois pas que la plupart sont des tricheurs?
– Oui, mais certains d’entre eux sont respectables. Par exemple, ceux qui ne rĂ©clament pas leur salaire avant que leurs oracles leur donnent raison.
– Oui, mais il se pourrait que cette femme n’ait pas les moyens de payer les services d’un devin.
– Dans ce cas, on va l’aider. Tu sais bien que notre drĂŽle de mĂ©nage n’est pas pauvre. On travaille dur, toutes les deux, et la terre est gĂ©nĂ©reuse envers nous. Mais puisqu’on n’a ni mari ni enfant, on n’a que deux bouches Ă  nourrir. Notre grenier est toujours plein, et on n’est pas capables de manger tout ce que nos champs produisent, mĂȘme aprĂšs avoir Ă©changĂ© une partie des rĂ©coltes contre des houes pour cultiver, des haches pour fendre le bois, des cruches en terre cuite pour puiser de l’eau Ă  la riviĂšre ou pour faire fermenter la biĂšre. Il faut des hommes pour dĂ©fricher les terrains qu’on laboure et qu’on ensemence. Mais aprĂšs avoir payĂ© tous les services que nos voisins nous rendent, on a encore des surplus.
– Tu as raison! On a les moyens de l’aider.
La femme est revenue deux jours plus tard. Nous lui avons suggĂ©rĂ© de consulter un devin que nous connaissions, et que nous avions contactĂ© la veille pour l’assurer que nous Ă©tions prĂȘtes Ă  payer si la femme et sa famille n’étaient pas en mesure de le faire. Le devin a dĂ©couvert qu’un mauvais esprit Ă©tait la cause du malheur : celui de l’arriĂšre-grand-pĂšre du malade. L’esprit malveillant Ă©tait devenu de plus en plus impitoyable au fur et Ă  mesure qu’approchait le temps oĂč les vivants n’auraient plus Ă  le craindre. Les esprits des morts n’ont plus de crĂ©ance Ă  recouvrer sur Terre aprĂšs trois gĂ©nĂ©rations. Ils perdent alors leur capacitĂ© de nuisance, dont ils usent le plus souvent.
N’étant pas lui-mĂȘme guĂ©risseur, le devin a indiquĂ© Ă  la femme un connaisseur des herbes qui calment et des rites qui neutralisent les esprits nuisibles. Le malade a Ă©tĂ© soignĂ© et, comme il s’est avĂ©rĂ© que sa famille vivait dans l’indigence, nous avons payĂ© le prix des traitements : des cruches de biĂšre de sorgho, des mesures de sel, des corbeilles de grains et d’autres produits vivriers, des pagnes en ïŹbre de ïŹcus et en peaux de vache, des houes et des serpettes.
Une fois l’homme guĂ©ri, nous pensions que le problĂšme Ă©tait rĂ©glĂ©. Mais il est venu vers nous accompagnĂ© de sa femme, pas seulement pour nous remercier du fond du cƓur, mais aussi pour demander l’admission dans le groupe des ObscĂšnes. Nous avons dĂ» rĂ©unir le groupe des Gardiens du Berceau pour en dĂ©libĂ©rer, puisque la situation du couple ne correspondait pas du tout Ă  celle de nos recrues habituelles. Mais DiangombĂ© ne nous avait jamais dit que seuls les dĂ©serteurs et les renĂ©gats pouvaient devenir Immortels. Aucune rĂšgle ne nous interdisait d’accueillir parmi nous ce couple reconnaissant. Nous avons donc dĂ©cidĂ© de faire exception, sans savoir que des cas semblables se multiplieraient rapidement. DĂ©sormais, parmi ceux qui cherchent Ă  devenir Immortels, les personnes dĂ©sirant Ă©chapper Ă  la possession par les esprits malveillants deviendront les plus nombreux dans notre groupe.
Mis au courant de cette situation, DiangombĂ© nous a autorisĂ©s sans hĂ©siter Ă  accueillir dans nos rangs ces malheureux qui veulent ĂȘtre possĂ©dĂ©s par lui seul : une possession heureuse, qui protĂšge des esprits malveillants. Habituellement, on ne devient esprit qu’aprĂšs la mort. Mais DiangombĂ© est, de son vivant, un esprit supĂ©rieur, un esprit dĂ©fenseur qui s’empare de ceux qui ont recours Ă  lui et les met Ă  l’abri des ïŹ‚Ăšches empoisonnĂ©es. Nos recrues ne sont plus seulement ceux qui s’insurgent contre la loi du monarque terrestre, souvent oppressive et meurtriĂšre, mais aussi ceux qui sont fatiguĂ©s par le pouvoir des esprits mauvais qui provoquent la maladie, la folie, la stĂ©rilitĂ©, et d’autres inïŹrmitĂ©s dont les mortels sont afïŹ‚igĂ©s.

13. Gahizi

Parmi les ObscĂšnes, il n’y a pas de hiĂ©rarchie terrestre, mais lors de la premiĂšre dispersion, DiangombĂ© a dĂ©signĂ© un responsable pour chacun des groupes de missionnaires envoyĂ©s dans les royaumes du plateau des vaches. Le Grand-MaĂźtre s’est chargĂ© lui-mĂȘme du plus petit des groupes, qui est allĂ© recruter des Immortels dans le royaume du KaragwĂ©. KabĂ©ja a pris la tĂȘte des Gardiens du Berceau qui sont restĂ©s lĂ  oĂč tout a commencĂ©. Gahizi a conduit, en tant que premier d’entre eux, les missionnaires envoyĂ©s au Burundi, le royaume du sud oĂč BinĂ©go a disparu sans laisser de traces.
Pour implanter la secte des Immortels dans ce royaume, DiangombĂ© a choisi le meilleur des adeptes de la premiĂšre dispersion, le plus rusĂ©, le plus Ă©loquent, le plus convaincu et le plus convainquant. À la tĂȘte des pionniers envoyĂ©s au royaume de Kiambaranta, Gahizi n’a pas eu la vie facile, mais il n’a pas déçu. Il a mĂȘme honorĂ© DiangombĂ© d’un nouveau titre : au Burundi, le Grand-MaĂźtre des ObscĂšnes s’appelle aussi Kiranga, l’Éclaireur, celui qui montre le chemin. Gahizi serait probablement devenu le successeur de Kiranga, si ce dernier n’avait pas dĂ©cidĂ© que l’ùre post-missionnaire ne connaĂźtrait ni Grand-MaĂźtre, ni responsables locaux des ObscĂšnes. Gahizi le savait et n’avait qu’une ambition : mener Ă  bien sa mission. Et, quand le doute l’assaillait, il travaillait encore plus dur pour prendre soin de celles et ceux que DiangombĂ© lui avait conïŹĂ©s, pour assurer, dans le royaume du sud, un long avenir Ă  la secte des Immortels.
Lors de la premiĂšre dispersion, DiangombĂ© m’a nommĂ© chef du groupe qui allait introduire la fraternitĂ© des ObscĂšnes dans le royaume du sud. J’ai fait de mon mieux pour ĂȘtre digne de la charge qu’il m’avait conïŹĂ©e, mais il m’est arrivĂ© de douter, surtout au dĂ©but, quand tout a failli mal tourner. Parmi les premiers candidats Ă  l’initiation que nous avons recrutĂ©s au Burundi, certains ont trahi la loi du silence et ont mĂȘme donnĂ© les noms de leurs compagnons. Le groupe aurait Ă©tĂ© dĂ©cimĂ© si Kiambaranta, monarque du pays, n’était pas intervenu. Ayant appris que les adeptes de DiangombĂ© Ă©taient mal vus au Rwanda, mais qu’on n’osait pas s’attaquer Ă  eux, il a imposĂ© la cessation de toute tracasserie contre les ObscĂšnes. Il voulait cependant en savoir davantage sur nous et il a ordonnĂ© que je sois saisi et conduit Ă  la cour pour interrogatoire. J’y suis arrivĂ© les mains liĂ©es derriĂšre le dos, comme un malfaiteur comparaissant au tribunal. DĂšs qu’il m’a vu, Kiambaranta m’a lui-mĂȘme dĂ©tachĂ© les mains, m’a fait asseoir dans une hutte et a demandĂ© qu’on me serve Ă  manger et Ă  boire. AprĂšs ce repas bienfaisant, il a enjoint aux serviteurs de quitter les lieux et, entourĂ© de deux notables, il s’est mis Ă  m’interroger :
– On m’a dit que tu t’appelles Gahizi et que tu viens du royaume de mon ennemi, Ruganzu.
– C’est vrai, roi du Burundi.
– On m’a dit que tu diriges une secte secrĂšte et que, lors de vos rites d’initiation, vous vous livrez Ă  des danses lascives, indĂ©centes, qui aboutissent Ă  des orgies sexuelles et que vous vous exprimez dans un langage vulgaire.
– Roi du Burundi, tu5 n’aurais jamais dĂ» ĂȘtre mis au courant de ce qui se passe dans nos rites secrets. Des inïŹltrĂ©s tĂ©mĂ©raires nous ont trompĂ©s en nous faisant croire qu’ils voulaient devenir disciples de DiangombĂ©. MalgrĂ© nos avertissements sur les consĂ©quences d’une Ă©ventuelle trahison, ils ont brisĂ© la loi du silence. Mais aucun d’eux n’a survĂ©cu plus d’une lune aprĂšs le forfait. Ils sont morts misĂ©rablement, sans qu’aucun ObscĂšne ne pose un geste ou ne prononce une incantation pour les punir. Nos membres ne sont pas des meurtriers. Ces traĂźtres ont pris le chemin du Nyiragongo, le volcan a dĂ©vorĂ© leur Ăąme et ils ne recevront des vivants ni priĂšres ni sacriïŹces. Notre tĂąche consiste plutĂŽt Ă  repĂ©rer les Ă©lus dont la vie sera plus forte que la mort pour toujours. Grand roi, consulte le collĂšge de tes devins : ils vont conïŹrmer mes propos.
– Je veux savoir si ceux que vous accusez de trahison ont dit la vĂ©ritĂ© Ă  votre sujet.
– Nous nous appelons les ObscĂšnes, mais nos rites n’ont pas lieu au grand jour. Tout se passe de nuit, au fond des bois, entre nous, sans spectateurs. Et quand nous revenons Ă  la vie normale aprĂšs les rites, notre conduite est irrĂ©prochable : nous respectons les mƓurs et les rĂšgles de la modestie, comme tout le monde.
– Et qu’est-ce que tu rĂ©ponds Ă  l’accusation de vol qui pĂšse contre les tiens? Il semble que vous n’hĂ©sitez pas Ă  rĂ©colter lĂ  oĂč vous n’avez ni dĂ©frichĂ© ni cultivĂ©. LĂ  oĂč vous n’avez ni plantĂ©, ni binĂ©, ni sarclé  On me dit aussi que vous volez le petit bĂ©tail de mes sujets quand vous avez besoin de viande.
– Roi du Burundi, nous ne sommes pas des bandits. Nous ne pratiquons pas la razzia. En temps normal, nous mangeons ce que nous produisons, comme tout le monde. Mais quand nous sommes en voyage, puisqu’il nous est interdit d’emporter des provisions, nous nous servons sur le chemin pour calmer notre faim. Nous ne prenons jamais de vos vaches pour nous nourrir. Et nous ne ruinons personne en prenant une poule, un cabri, un rĂ©gime de banane, quelques colocases ou patates douces. Les oiseaux, les taupes, les hippopotames, les lions, les renards et les lĂ©opards font bien plus de ravages que nous dans les champs et dans les troupeaux de ton royaume.
– Dans mon royaume, comme partout ailleurs, le voyage...

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