1. 1972 Ă 1978 :
UN CRI DE TERRE EN ACADIE
INTRODUCTION
Les années 1960 et 1970 sont celles des transformations sociales en Acadie comme partout au Canada et dans le monde.
Au Nouveau-Brunswick, le changement commence avec lâĂ©lection, en 1960, du Parti libĂ©ral dirigĂ© par Louis Joseph Robichaud. Celui-ci lance le programme « Chances Ă©gales pour tous » destinĂ© Ă corriger lâĂ©cart entre les riches et les pauvres, quâils soient anglophones ou francophones. DĂ©terminĂ© Ă favoriser lâĂ©galitĂ© linguistique entre les anglophones et la minoritĂ© acadienne â qui reprĂ©sente plus de 30% de la population â, il fait adopter la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, qui fait de celle-ci la seule province bilingue du Canada. Pour les Acadiens, le point culminant de sa rĂ©forme du systĂšme dâĂ©ducation est la crĂ©ation de lâUniversitĂ© de Moncton en 1963. Robichaud transforme aussi le systĂšme de santĂ© et met en place une vĂ©ritable administration provinciale.
Les manifestations Ă©tudiantes qui ont secouĂ© lâUniversitĂ© de Moncton en 1968 et 1969, et sont relatĂ©es dans le documentaire de Michel Brault et Pierre Perrault LâAcadie, lâAcadie?!?, sont porteuses des revendications dâune certaine jeunesse acadienne. Ces revendications peuvent ĂȘtre factuelles (gel des frais de scolaritĂ©, investissement accru dans lâĂ©ducation supĂ©rieure, exigence de services en français et reconnaissance par les anglophones du fait français) et le discours dĂ©cousu, mais la volontĂ© de sâaffirmer comme Acadien et dâinscrire lâAcadie dans les mouvements sociaux, politiques et culturels contemporains est claire. Les manifestations dĂ©bordent de lâuniversitĂ© et se cristallisent autour de la contestation du maire xĂ©nophobe de Moncton, Leonard Jones. Un petit groupe dâĂ©tudiants va mĂȘme jusquâĂ dĂ©poser une tĂȘte de cochon devant lâentrĂ©e de sa maison. ParallĂšlement, les Acadiens demandent la division du systĂšme scolaire, jusquâalors bilingue, selon la langue.
Le Parti progressiste-conservateur de Richard Hatfield, qui prend le pouvoir en 1970, continue les rĂ©formes de Robichaud. Ainsi, en 1972, il cĂšde aux pressions des Acadiens et sĂ©pare le systĂšme scolaire (aux niveaux primaire et secondaire) en deux entitĂ©s linguistiques dans la rĂ©gion de Moncton. Deux ans plus tard, cette division est appliquĂ©e Ă lâensemble de la province.
Lâeffervescence nationaliste culmine avec la fondation du Parti acadien en novembre 1972, calquĂ© sur le modĂšle du Parti quĂ©bĂ©cois, mais qui revendique, plutĂŽt que lâindĂ©pendance, la crĂ©ation dâune province acadienne. Quelques mois plus tĂŽt, le CongrĂšs des francophones du Nouveau-Brunswick â 15e convention nationale depuis la premiĂšre en 1881 â avait eu lieu Ă Fredericton. Ce congrĂšs, qui rĂ©unissait prĂšs de 1 000 Acadiennes et Acadiens, avait posĂ© les jalons qui ont menĂ©, en juin 1973 Ă Shippagan, Ă la crĂ©ation de la SociĂ©tĂ© des Acadiens du Nouveau-Brunswick (SANB), dont le mandat est de dĂ©fendre les droits des Acadiens de la province, ce qui entraĂźne une modification de la SociĂ©tĂ© nationale des Acadiens (SNA), qui devient une fĂ©dĂ©ration supraprovinciale regroupant entre autres les associations acadiennes des quatre provinces de lâAtlantique. Les temps changeant (il faut rendre compte des deux sexes dans le nom dâun organisme), la SANB deviendra la SociĂ©tĂ© des Acadiens et des Acadiennes du Nouveau-Brunswick puis, en 2008, la SociĂ©tĂ© de lâAcadie du Nouveau-Brunswick. La SNA, elle, deviendra en 1992 la SociĂ©tĂ© nationale de lâAcadie (SNA). Quant au Parti acadien, il ne rĂ©ussira jamais Ă sâimposer : il rĂ©alise sa meilleure performance Ă lâĂ©lection de 1978 alors quâil recueille 8% du vote dans les 23 comtĂ©s oĂč il prĂ©sente des candidats, soit 4% du suffrage total. Hatfield, qui, lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, avait obtenu du fĂ©dĂ©ral que la province ait le statut de gouvernement participant au sein de lâAgence de coopĂ©ration culturelle et technique (aujourdâhui lâOrganisation internationale de la francophonie), profite de lâĂ©lection pour annoncer quâil complĂštera la Loi sur les langues officielles et crĂ©era un premier collĂšge communautaire francophone. Le Parti acadien finira par disparaĂźtre dans lâindiffĂ©rence en 1986.
Culture
Ă la fin des annĂ©es 1960, lâAcadie voit Ă©merger des Ă©crivains qui veulent faire Ćuvre en Acadie, mais qui nâont alors dâautre choix que dâĂȘtre publiĂ©s au QuĂ©bec, comme le sont Ronald DesprĂ©s et Antonine Maillet. Ceux-ci serviront de points de repĂšre Ă la gĂ©nĂ©ration des annĂ©es 1970. Certains Ă©crivains ont dâailleurs publiĂ© en 1969 dans le numĂ©ro de LibertĂ© â la plus importante revue littĂ©raire quĂ©bĂ©coise de lâĂ©poque â, consacrĂ© Ă lâAcadie. Mais ils sont rĂ©ticents Ă soumettre leurs manuscrits aux maisons dâĂ©dition quĂ©bĂ©coises.
Durant lâannĂ©e 1972-1973, plusieurs Ă©vĂ©nements marquent le paysage culturel acadien : fondation, Ă lâUniversitĂ© de Moncton, du dĂ©partement dâarts visuels (ceux de musique et de thĂ©Ăątre suivront rapidement) et crĂ©ation du premier cours en littĂ©rature canadienne-française (donc autre que quĂ©bĂ©coise) donnĂ© par Marguerite Maillet; lancement du premier 45 tours dâĂdith Butler; dĂ©but de la carriĂšre nationale de la Sagouine telle quâincarnĂ©e par Viola LĂ©ger; construction du Village historique acadien dans la PĂ©ninsule acadienne; prix du Gouverneur gĂ©nĂ©ral remis Ă Antonine Maillet pour son roman Don lâOrignal; crĂ©ation de la revue gauchiste LâAcayen; et, Ă lâĂ©tĂ© 1973, organisation du premier frolic acadien Ă Memramcook, une grande fĂȘte centrĂ©e principalement autour de la musique et qui marquera lâimaginaire populaire.
Le cinĂ©ma lui-mĂȘme sert de stimulant avec la diffusion du documentaire controversĂ© de LĂ©onard Forest â qui vit Ă MontrĂ©al et travaille pour lâOffice national du film â, Un soleil pas comme ailleurs (1972). Le film traite de la difficile situation Ă©conomique de la PĂ©ninsule acadienne sous la forme du cinĂ©mavĂ©ritĂ©; il met lâaccent sur les manifestations populaires et est ponctuĂ© de chansons militantes de Calixte Duguay, un des premiers chansonniers acadiens. Il sâoffre comme un complĂ©ment Ă LâAcadie, lâAcadie?!? : ce ne sont plus les Ă©tudiants, mais les travailleurs, en particulier les travailleurs saisonniers, qui sont au centre de lâaction, avec lâemblĂ©matique Mathilda Blanchard en porte-Ă©tendard de la cause.
Ă la mĂȘme Ă©poque, la publication de Lâanti-livre aux Ă©ditions appelĂ©es, Ă juste titre, « lâĂtoile magannĂ©e », est en soi symbolique de la situation de lâĂ©dition et du dĂ©sir de publier des jeunes crĂ©ateurs acadiens. LancĂ© le 11 septembre 1972 Ă lâUniversitĂ© de Moncton, « lâobjet », rĂ©alisĂ© par HermĂ©nĂ©gilde Chiasson (dessins, graphisme) et par les frĂšres Jacques (poĂšmes) et Gilles Savoie (photos), est intrigant : une boĂźte en gros carton illustrĂ©e remplie de foin (constat dĂ©risoire sur lâĂ©tat de la « culture » en Acadie) et, emballĂ©s dans de la Cellophane, des textes, illustrations et photographies sur des feuilles mobiles, un mĂ©lange de photocopies, de gravures et de tirages argentiques. Les poĂšmes, montĂ©s comme des affiches ou calligraphiĂ©s, traitent de lâamour, du temps et des valeurs changeantes. Les photos reprĂ©sentent surtout de jeunes adultes et des enfants, et expriment le plaisir de vivre. Livre dâartiste vendu Ă un prix variant entre 10 et 15 dollars selon les circonstances, mais surtout symbole dâune situation qui ne peut plus durer, cette « Ă©toile magannĂ©e » symbolise aussi la perception quâont les artistes dâune Acadie quâils veulent transformer.
Les Ăditions dâAcadie
On pourrait affirmer que lâinstitution littĂ©raire acadienne est nĂ©e en 1972 en mĂȘme temps que lâĂ©dition en Acadie. De fait, entre 1972 et 2000, les Ă©crivains acadiens ont presque toujours Ă©tĂ© publiĂ©s par des Ă©diteurs acadiens, et durant cette pĂ©riode aucun Ă©crivain acadien majeur ne lâa Ă©tĂ© en premier Ă lâextĂ©rieur de lâAcadie, Ă lâexception de Ronald DesprĂ©s et dâAntonine Maillet, qui ont commencĂ© Ă ĂȘtre publiĂ©s en 1958, bien avant que lâĂ©dition acadienne nâexiste.
CrĂ©Ă©es en 1972 par des professeurs de lâUniversitĂ© de Moncton regroupĂ©s autour de Melvin Gallant, les Ăditions dâAcadie deviennent le catalyseur dâune prise de parole qui avait dĂ©butĂ© quelques annĂ©es auparavant, mais qui ne bĂ©nĂ©ficiait pas de vĂ©ritable diffusion, autre que dans des dossiers de revues (en particulier ceux de LibertĂ© en 1969 et de la Revue de lâUniversitĂ© de Moncton en 1972) et lors de soirĂ©es de poĂ©sie. La premiĂšre gĂ©nĂ©ration de poĂštes sây retrouvera au complet.
Les fondateurs cherchent Ă se doter dâune structure lĂ©gale moderne qui faciliterait lâimplication des membres. La sociĂ©tĂ© Ă capital-actions sâimpose dâautant plus rapidement quâelle permet de constituer un petit capital de dĂ©part : en aoĂ»t 1973, ce sont 17 actionnaires qui auront achetĂ© 244 actions Ă 10 dollars chacune. Durant lâautomne, on dĂ©finit ainsi le mandat de la maison, tel quâĂ©noncĂ© dans le premier catalogue paru en 1978 : « Promouvoir la crĂ©ation littĂ©raire en Acadie et rĂ©pondre aux besoins du milieu dans tous les domaines oĂč le livre doit jouer un rĂŽle indispensable : histoire et civilisation acadiennes, rĂ©alitĂ©s sociales et politiques, Ă©ducation, recherche » et, pour sâassurer que lâon nâexclut rien, on ajoute un « etc. », en prĂ©cisant que « les Ăditions dâAcadie publient en prioritĂ© du matĂ©riel acadien, sans exclure la publication dâauteurs et dâĆuvres non acadiens ». La maison se construit lentement Ă partir du bĂ©nĂ©volat des premiers actionnaires.
Les quatre premiers recueils de poĂ©sie que publient les Ăditions dâAcadie forment le quatuor fondamental de la poĂ©sie acadienne : Cri de terre (1972) de Raymond Guy LeBlanc, Saisons antĂ©rieures (1973) de LĂ©onard Forest, Acadie Rock (1973) de Guy Arsenault et Mourir Ă Scoudouc (1974) dâHermĂ©nĂ©gilde Chiasson. Câest Ă travers eux quâon regardera le passĂ©, câest Ă partir dâeux que lâon inventera lâavenir.
Si les formes sont diffĂ©rentes, les premiers recueils de ces auteurs ont en commun de nommer lâAcadie et de chercher Ă en prĂ©ciser la rĂ©alitĂ© et les contours gĂ©ographiques, culturels, sociaux et politiques. On est face Ă une poĂ©sie dâun pays incertain qui sâapparente Ă la poĂ©sie quĂ©bĂ©coise des annĂ©es 1960. De plus, ces quatre poĂštes apportaient quelque chose de fondamentalement nouveau : il Ă©tait maintenant possible dâĂ©crire, de publier et dâĂȘtre lu Ă partir de lâAcadie et de rayonner dans un QuĂ©bec qui demeure le principal bastion de la francophonie au Canada.
REGARD SUR RONALD DESPRĂS ET ANTONINE MAILLET
Ronald Després
Ronald DesprĂ©s sâinscrit dâemblĂ©e dans la poĂ©sie contemporaine avec Silences Ă nourrir de sang (Ăditions dâOrphĂ©e, 1958). Sa poĂ©sie nâest pas sans rappeler Verlaine et Ăluard. HabitĂ©e par la mer, sombre dans ses thĂšmes, elle exprime la difficultĂ© de vivre du poĂšte. Il est nĂ© le 7 novembre 1935 Ă Lewisville, communautĂ© maintenant intĂ©grĂ©e Ă Moncton. AprĂšs des Ă©tudes en humanitĂ©s classiques aux collĂšges Saint-Joseph de Memramcook, lâAssomption de Moncton et Sainte-Anne de Pointe-de-lâĂglise (Nouvelle-Ăcosse), il Ă©tudie la musique et la philosophie Ă Paris, oĂč il obtient une licence en philosophie (1956). Il travaille ensuite pendant un an comme journaliste au quotidien LâĂvangĂ©line. Il entre comme traducteur des dĂ©bats Ă la Chambre des communes, puis devient interprĂšte. Occupant diverses responsabilitĂ©s liĂ©es Ă la traduction, il fait toute sa carriĂšre dans la fonction publique fĂ©dĂ©rale Ă Ottawa, oĂč il demeure toujours.
PoĂšte lyrique, il est aussi poĂšte social. Il traite de lâamour, du sens de la vie, des abus et, peut-ĂȘtre plus que tout, de lâĂȘtre. Ses images naissent de la mer, mais celle-ci nâest pas le centre du poĂšme : elle en est atmosphĂšre, en nourrit le vocabulaire, elle est mĂ©taphore. Musicien, il place la recherche de la musicalitĂ© des vers au cĆur mĂȘme de sa dĂ©marche dâĂ©criture. En 1962, il publie Le scalpel ininterrompu (Ăditions Ă la page), un roman quâil qualifie de « sotie », ce qui donne une clĂ© pour dĂ©coder ce qui est prĂ©sentĂ© comme le journal du docteur Jan von Fries, qui se propose de « purifier le monde par la vivisection » et qui rĂ©ussira Ă faire disparaĂźtre, avec son accord enthousiaste, toute lâhumanitĂ©. La mĂȘme annĂ©e, il publie le recueil Les cloisons en vertige (Ăditions Beauchemin) â dont plusieurs poĂšmes Ă©taient parus en 1961 dans le quotidien LâĂvangĂ©line â, et qui, comme le roman, propose une vision pessimiste du monde.
Bien accueillis au QuĂ©bec, ces deux ouvrages suscitent une controverse en Acadie; ceux qui critiquent voire condamnent ces Ćuvres rĂ©ussissent Ă dominer le dĂ©bat. DesprĂ©s en sera blessĂ©. Son dernier recueil, Le balcon des dieux inachevĂ©s (Ăditions Garneau, 1968) semble indiquer un espoir. Les poĂšmes sont clairs, Ă la fois plus simples, plus limpides, plus sobres aussi. Vivant Ă lâextĂ©rieur de lâAcadie, ressentant profondĂ©ment lâexil et ce quâil perçoit ĂȘtre le rejet de son milieu face Ă ses textes, il demeure Ă lâĂ©cart de la mouvance littĂ©raire acadienne, bien que les jeunes poĂštes le considĂ©reront comme un pionnier. Les Ăditions dâAcadie reconnaĂźtront son apport en publiant Paysages en contrebande (1974), qui regroupe un choix de poĂšmes de ses trois recueils, deux poĂšmes inĂ©dits et une Ă©tude de son Ćuvre.
Antonine Maillet
Ă lâopposĂ© de la rĂ©ception difficile quâa connu Ronald DesprĂ©s, celle rĂ©servĂ©e Ă Antonine Maillet en fait immĂ©diatement la porte-parole de lâAcadie. Sâinspirant systĂ©matiquement de son vĂ©cu, lâauteure crĂ©e une Ćuvre profondĂ©ment originale, enracinĂ©e dans son milieu natal et, en mĂȘme temps, universelle.
NĂ©e le 10 mai 1929 Ă Bouctouche, Antonine Maillet obtient un baccalaurĂ©at du CollĂšge Notre-Dame dâAcadie en 1950, une maĂźtrise en arts de lâUniversitĂ© de Moncton en 1959, une licence en lettres de lâUniversitĂ© de MontrĂ©al en 1962 et un doctorat en lettres de lâUniversitĂ© Laval en 1970 pour Rabelais et les traditions populaires en Acadie (Presses de lâUniversitĂ© Laval), quâelle publie en 1971. AprĂšs son baccalaurĂ©at, elle entre chez les religieuses de la congrĂ©gation Notre-Dame-du-SacrĂ©CĆur et prend le nom de sĆur Marie-GrĂ©goire; elle quittera la congrĂ©gation au dĂ©but des annĂ©es 1960. AprĂšs avoir Ă©tĂ© institutrice une annĂ©e Ă Richibouctou-Village, elle enseigne les lettres au CollĂšge Notre-Dame dâAcadie (1954-1960), Ă lâUniversitĂ© de Moncton aprĂšs la fermeture du collĂšge (1965-1967), au CollĂšge des JĂ©suites de QuĂ©bec (1968-1969), Ă lâUniversitĂ© Laval (1971-1974) et Ă lâUniversitĂ© de MontrĂ©al (1974-1975). Elle choisit de se consacrer principalement Ă lâĂ©criture au dĂ©but des annĂ©es 1970.
Elle Ă©crit ses premiĂšres piĂšces pour les Ă©lĂšves du CollĂšge Notre-Dame dâAcadie, oĂč elle enseigne. Entrâacte (1957) raconte lâhistoire de six enfants (de 12 Ă 23 ans), dont le pĂšre est paralysĂ©, et qui cherchent Ă sauver la maison familiale. Gentille, un peu fleur bleue, Ă©crite en français standard, la piĂšce permet surtout Ă Maillet dâaborder le dialogue, vivant et amusant. PoireĂcre (1958) annonce les principaux thĂšmes de son Ćuvre, quâelle explore en mĂȘme temps dans son premier roman, Pointe-aux-Coques, paru la mĂȘme annĂ©e. Dans la piĂšce, dont lâaction se situe en 1900, la langue est encore standard alors que dans le roman, les dialogues font appel Ă cette langue qui sâimposera dans Les Crasseux, dix ans plus tard. Poire-Ăcre, une adolescente, nâest pas sans Ă©voquer Radi, que lâon rencontrera dans On a mangĂ© la dune (Ăditions Beauchemin, 1962). Elle sâoppose Ă son pĂšre, Camilien Maurice, marchand et maire du village de Pointe-Ă -Pierrot, qui tente de se faire rĂ©Ă©lire. Son adversaire, AndrĂ© Jean, cherche Ă mettre sur pied une union des cultivateurs, ce qui rĂ©duirait lâemprise de Maurice sur le village. Sâapercevant quâil risque de perdre lâĂ©lection et dĂ©couvrant que Poire-Ăcre et AndrĂ© Jean sâaiment, Maurice dĂ©cide dâoffrir Poire-Ăcre Ă Jean, Ă la condition que celui-ci abandonne la mairie. Jean accepte, mais Poire-Ăcre refuse ce marchĂ© de dupes et rompt avec Jean.
Pointe-aux-Coques (Fides, 1958, prix Champlain) met en scĂšne une jeune institutrice, Mlle Cormier â patronyme de la mĂšre de Maillet â, venue des « Ătats » mais dont le pĂšre est originaire du village. Lâaction se dĂ©roule durant une annĂ©e scolaire et est lâoccasion de dĂ©couvrir les habitants du village et de les accompagner dans leur quotidien et leur vĂ©cu. La jeune institutrice, narratrice du rĂ©cit et dont on ne connaĂźtra pas le prĂ©nom, tombe amoureuse de Jean, un jeune pĂȘcheur qui veut crĂ©er une coopĂ©rative. La fin semble annoncer leurs fiançailles alors que Jean vainc les obstacles et rĂ©ussit Ă convaincre les pĂȘcheurs de crĂ©er la coopĂ©rative. Avec ce roman, qui nâa rien perdu de sa fraĂźcheur, apparaĂźt le pays dâAcadie et son peuple, qui seront au cĆur de lâĆuvre de Maillet.
Son deuxiĂšme roman, On a mangĂ© la dune, lui permet dâĂ©voquer de façon originale son enfance. Le lecteur accompagne Radi, une enfant dâune dizaine dâannĂ©es â alter ego de Maillet quâon retrouvera dans plusieurs de ses romans â, dans sa vie, ses rĂȘves, ses inquiĂ©tudes et son imaginaire. Le roman prĂ©sente pour la premiĂšre fois ce qui deviendra le monde de Maillet : Bouctouche, lâĂle-aux-Puces, la Dune, mais aussi les personnages Citrouille et la Catoune. Plus que lâhistoire, somme toute Ă©lĂ©mentaire (18 mois dans la vie de Radi), le roman vaut pour lâatmosphĂšre quâil crĂ©e, mi-rĂ©aliste, mi-fantaisiste. Tout ce qui est racontĂ© passe par la vision que Radi a du monde. La langue dâĂ©criture est encore le français standard, lĂ©gĂšrement enrichi dâexpressions acadiennes. Mais le rythme de la phrase se rapproche de lâoral : courte, sautillante, elle est vivifiĂ©e par les verbes dâaction.
Dans la piĂšce Les Crasseux, Maillet campe des personnages quâelle dĂ©veloppera dans ses Ćuvres subsĂ©quentes; elle utilise une langue inspirĂ©e par le vernaculaire acadien de sa rĂ©gion natale et qui caractĂ©risera son Ă©criture. Mise en lecture le 21 juillet 1968 par le Centre dâessai des auteurs dramatiques de MontrĂ©al, puis publiĂ©e dans la collection « ThĂ©Ăątre vivant » (no 5), il faudra attendre le 23 novembre 1974 pour quâelle soit portĂ©e Ă la scĂšne par la Compagnie Jean-Duceppe dans une nouvelle version oĂč plusieurs anecdotes sont modifiĂ©es, mais pas le sens du propos. Lâintrigue se dĂ©veloppe autour de lâopposition entre les personnages dâEn-Haut et les personnages dâEn-Bas. Ceux dâEn-Haut veulent contraindre ceux dâEn-Bas Ă quitter le village. Mais ces dern...