Regard sur la littérature acadienne (1972-2012)
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Regard sur la littérature acadienne (1972-2012)

David Lonergan

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Regard sur la littérature acadienne (1972-2012)

David Lonergan

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À propos de ce livre

David Lonergan a beaucoup Ă©crit sur le milieu culturel acadien au cours de sa carriĂšre de journaliste et de chroniqueur. Dans «Regard sur la littĂ©rature acadienne (1972-2012)», il propose un regard Ă©clairĂ© sur les principales Ɠuvres publiĂ©es dans les quarante ans qui ont suivi la fondation des Éditions d'Acadie. Au rĂ©cit centrĂ© sur les Ɠuvres s'ajoutent quelques indications biographiques et des mises en contexte pertinentes.Cet ouvrage, Ă©crit dans le style direct et facile d'accĂšs qui caractĂ©rise la plume de l'auteur, saura intĂ©resser les passionnĂ©s de littĂ©rature acadienne tout comme ceux qui dĂ©sirent s'y initier. Formant un diptyque avec Paroles d'Acadie?: Anthologie de la littĂ©rature acadienne (1958-2009), il tĂ©moigne de la grande vitalitĂ© de la production acadienne contemporaine.

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Informations

Année
2019
ISBN
9782897440435

1. 1972 À 1978 :
UN CRI DE TERRE EN ACADIE

INTRODUCTION

Les années 1960 et 1970 sont celles des transformations sociales en Acadie comme partout au Canada et dans le monde.
Au Nouveau-Brunswick, le changement commence avec l’élection, en 1960, du Parti libĂ©ral dirigĂ© par Louis Joseph Robichaud. Celui-ci lance le programme « Chances Ă©gales pour tous » destinĂ© Ă  corriger l’écart entre les riches et les pauvres, qu’ils soient anglophones ou francophones. DĂ©terminĂ© Ă  favoriser l’égalitĂ© linguistique entre les anglophones et la minoritĂ© acadienne – qui reprĂ©sente plus de 30% de la population –, il fait adopter la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, qui fait de celle-ci la seule province bilingue du Canada. Pour les Acadiens, le point culminant de sa rĂ©forme du systĂšme d’éducation est la crĂ©ation de l’UniversitĂ© de Moncton en 1963. Robichaud transforme aussi le systĂšme de santĂ© et met en place une vĂ©ritable administration provinciale.
Les manifestations Ă©tudiantes qui ont secouĂ© l’UniversitĂ© de Moncton en 1968 et 1969, et sont relatĂ©es dans le documentaire de Michel Brault et Pierre Perrault L’Acadie, l’Acadie?!?, sont porteuses des revendications d’une certaine jeunesse acadienne. Ces revendications peuvent ĂȘtre factuelles (gel des frais de scolaritĂ©, investissement accru dans l’éducation supĂ©rieure, exigence de services en français et reconnaissance par les anglophones du fait français) et le discours dĂ©cousu, mais la volontĂ© de s’affirmer comme Acadien et d’inscrire l’Acadie dans les mouvements sociaux, politiques et culturels contemporains est claire. Les manifestations dĂ©bordent de l’universitĂ© et se cristallisent autour de la contestation du maire xĂ©nophobe de Moncton, Leonard Jones. Un petit groupe d’étudiants va mĂȘme jusqu’à dĂ©poser une tĂȘte de cochon devant l’entrĂ©e de sa maison. ParallĂšlement, les Acadiens demandent la division du systĂšme scolaire, jusqu’alors bilingue, selon la langue.
Le Parti progressiste-conservateur de Richard Hatfield, qui prend le pouvoir en 1970, continue les rĂ©formes de Robichaud. Ainsi, en 1972, il cĂšde aux pressions des Acadiens et sĂ©pare le systĂšme scolaire (aux niveaux primaire et secondaire) en deux entitĂ©s linguistiques dans la rĂ©gion de Moncton. Deux ans plus tard, cette division est appliquĂ©e Ă  l’ensemble de la province.
L’effervescence nationaliste culmine avec la fondation du Parti acadien en novembre 1972, calquĂ© sur le modĂšle du Parti quĂ©bĂ©cois, mais qui revendique, plutĂŽt que l’indĂ©pendance, la crĂ©ation d’une province acadienne. Quelques mois plus tĂŽt, le CongrĂšs des francophones du Nouveau-Brunswick – 15e convention nationale depuis la premiĂšre en 1881 – avait eu lieu Ă  Fredericton. Ce congrĂšs, qui rĂ©unissait prĂšs de 1 000 Acadiennes et Acadiens, avait posĂ© les jalons qui ont menĂ©, en juin 1973 Ă  Shippagan, Ă  la crĂ©ation de la SociĂ©tĂ© des Acadiens du Nouveau-Brunswick (SANB), dont le mandat est de dĂ©fendre les droits des Acadiens de la province, ce qui entraĂźne une modification de la SociĂ©tĂ© nationale des Acadiens (SNA), qui devient une fĂ©dĂ©ration supraprovinciale regroupant entre autres les associations acadiennes des quatre provinces de l’Atlantique. Les temps changeant (il faut rendre compte des deux sexes dans le nom d’un organisme), la SANB deviendra la SociĂ©tĂ© des Acadiens et des Acadiennes du Nouveau-Brunswick puis, en 2008, la SociĂ©tĂ© de l’Acadie du Nouveau-Brunswick. La SNA, elle, deviendra en 1992 la SociĂ©tĂ© nationale de l’Acadie (SNA). Quant au Parti acadien, il ne rĂ©ussira jamais Ă  s’imposer : il rĂ©alise sa meilleure performance Ă  l’élection de 1978 alors qu’il recueille 8% du vote dans les 23 comtĂ©s oĂč il prĂ©sente des candidats, soit 4% du suffrage total. Hatfield, qui, l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, avait obtenu du fĂ©dĂ©ral que la province ait le statut de gouvernement participant au sein de l’Agence de coopĂ©ration culturelle et technique (aujourd’hui l’Organisation internationale de la francophonie), profite de l’élection pour annoncer qu’il complĂštera la Loi sur les langues officielles et crĂ©era un premier collĂšge communautaire francophone. Le Parti acadien finira par disparaĂźtre dans l’indiffĂ©rence en 1986.

Culture

À la fin des annĂ©es 1960, l’Acadie voit Ă©merger des Ă©crivains qui veulent faire Ɠuvre en Acadie, mais qui n’ont alors d’autre choix que d’ĂȘtre publiĂ©s au QuĂ©bec, comme le sont Ronald DesprĂ©s et Antonine Maillet. Ceux-ci serviront de points de repĂšre Ă  la gĂ©nĂ©ration des annĂ©es 1970. Certains Ă©crivains ont d’ailleurs publiĂ© en 1969 dans le numĂ©ro de LibertĂ© – la plus importante revue littĂ©raire quĂ©bĂ©coise de l’époque –, consacrĂ© Ă  l’Acadie. Mais ils sont rĂ©ticents Ă  soumettre leurs manuscrits aux maisons d’édition quĂ©bĂ©coises.
Durant l’annĂ©e 1972-1973, plusieurs Ă©vĂ©nements marquent le paysage culturel acadien : fondation, Ă  l’UniversitĂ© de Moncton, du dĂ©partement d’arts visuels (ceux de musique et de thĂ©Ăątre suivront rapidement) et crĂ©ation du premier cours en littĂ©rature canadienne-française (donc autre que quĂ©bĂ©coise) donnĂ© par Marguerite Maillet; lancement du premier 45 tours d’Édith Butler; dĂ©but de la carriĂšre nationale de la Sagouine telle qu’incarnĂ©e par Viola LĂ©ger; construction du Village historique acadien dans la PĂ©ninsule acadienne; prix du Gouverneur gĂ©nĂ©ral remis Ă  Antonine Maillet pour son roman Don l’Orignal; crĂ©ation de la revue gauchiste L’Acayen; et, Ă  l’étĂ© 1973, organisation du premier frolic acadien Ă  Memramcook, une grande fĂȘte centrĂ©e principalement autour de la musique et qui marquera l’imaginaire populaire.
Le cinĂ©ma lui-mĂȘme sert de stimulant avec la diffusion du documentaire controversĂ© de LĂ©onard Forest – qui vit Ă  MontrĂ©al et travaille pour l’Office national du film –, Un soleil pas comme ailleurs (1972). Le film traite de la difficile situation Ă©conomique de la PĂ©ninsule acadienne sous la forme du cinĂ©mavĂ©ritĂ©; il met l’accent sur les manifestations populaires et est ponctuĂ© de chansons militantes de Calixte Duguay, un des premiers chansonniers acadiens. Il s’offre comme un complĂ©ment Ă  L’Acadie, l’Acadie?!? : ce ne sont plus les Ă©tudiants, mais les travailleurs, en particulier les travailleurs saisonniers, qui sont au centre de l’action, avec l’emblĂ©matique Mathilda Blanchard en porte-Ă©tendard de la cause.
À la mĂȘme Ă©poque, la publication de L’anti-livre aux Ă©ditions appelĂ©es, Ă  juste titre, « l’Étoile magannĂ©e », est en soi symbolique de la situation de l’édition et du dĂ©sir de publier des jeunes crĂ©ateurs acadiens. LancĂ© le 11 septembre 1972 Ă  l’UniversitĂ© de Moncton, « l’objet », rĂ©alisĂ© par HermĂ©nĂ©gilde Chiasson (dessins, graphisme) et par les frĂšres Jacques (poĂšmes) et Gilles Savoie (photos), est intrigant : une boĂźte en gros carton illustrĂ©e remplie de foin (constat dĂ©risoire sur l’état de la « culture » en Acadie) et, emballĂ©s dans de la Cellophane, des textes, illustrations et photographies sur des feuilles mobiles, un mĂ©lange de photocopies, de gravures et de tirages argentiques. Les poĂšmes, montĂ©s comme des affiches ou calligraphiĂ©s, traitent de l’amour, du temps et des valeurs changeantes. Les photos reprĂ©sentent surtout de jeunes adultes et des enfants, et expriment le plaisir de vivre. Livre d’artiste vendu Ă  un prix variant entre 10 et 15 dollars selon les circonstances, mais surtout symbole d’une situation qui ne peut plus durer, cette « Ă©toile magannĂ©e » symbolise aussi la perception qu’ont les artistes d’une Acadie qu’ils veulent transformer.

Les Éditions d’Acadie

On pourrait affirmer que l’institution littĂ©raire acadienne est nĂ©e en 1972 en mĂȘme temps que l’édition en Acadie. De fait, entre 1972 et 2000, les Ă©crivains acadiens ont presque toujours Ă©tĂ© publiĂ©s par des Ă©diteurs acadiens, et durant cette pĂ©riode aucun Ă©crivain acadien majeur ne l’a Ă©tĂ© en premier Ă  l’extĂ©rieur de l’Acadie, Ă  l’exception de Ronald DesprĂ©s et d’Antonine Maillet, qui ont commencĂ© Ă  ĂȘtre publiĂ©s en 1958, bien avant que l’édition acadienne n’existe.
CrĂ©Ă©es en 1972 par des professeurs de l’UniversitĂ© de Moncton regroupĂ©s autour de Melvin Gallant, les Éditions d’Acadie deviennent le catalyseur d’une prise de parole qui avait dĂ©butĂ© quelques annĂ©es auparavant, mais qui ne bĂ©nĂ©ficiait pas de vĂ©ritable diffusion, autre que dans des dossiers de revues (en particulier ceux de LibertĂ© en 1969 et de la Revue de l’UniversitĂ© de Moncton en 1972) et lors de soirĂ©es de poĂ©sie. La premiĂšre gĂ©nĂ©ration de poĂštes s’y retrouvera au complet.
Les fondateurs cherchent Ă  se doter d’une structure lĂ©gale moderne qui faciliterait l’implication des membres. La sociĂ©tĂ© Ă  capital-actions s’impose d’autant plus rapidement qu’elle permet de constituer un petit capital de dĂ©part : en aoĂ»t 1973, ce sont 17 actionnaires qui auront achetĂ© 244 actions Ă  10 dollars chacune. Durant l’automne, on dĂ©finit ainsi le mandat de la maison, tel qu’énoncĂ© dans le premier catalogue paru en 1978 : « Promouvoir la crĂ©ation littĂ©raire en Acadie et rĂ©pondre aux besoins du milieu dans tous les domaines oĂč le livre doit jouer un rĂŽle indispensable : histoire et civilisation acadiennes, rĂ©alitĂ©s sociales et politiques, Ă©ducation, recherche » et, pour s’assurer que l’on n’exclut rien, on ajoute un « etc. », en prĂ©cisant que « les Éditions d’Acadie publient en prioritĂ© du matĂ©riel acadien, sans exclure la publication d’auteurs et d’Ɠuvres non acadiens ». La maison se construit lentement Ă  partir du bĂ©nĂ©volat des premiers actionnaires.
Les quatre premiers recueils de poĂ©sie que publient les Éditions d’Acadie forment le quatuor fondamental de la poĂ©sie acadienne : Cri de terre (1972) de Raymond Guy LeBlanc, Saisons antĂ©rieures (1973) de LĂ©onard Forest, Acadie Rock (1973) de Guy Arsenault et Mourir Ă  Scoudouc (1974) d’HermĂ©nĂ©gilde Chiasson. C’est Ă  travers eux qu’on regardera le passĂ©, c’est Ă  partir d’eux que l’on inventera l’avenir.
Si les formes sont diffĂ©rentes, les premiers recueils de ces auteurs ont en commun de nommer l’Acadie et de chercher Ă  en prĂ©ciser la rĂ©alitĂ© et les contours gĂ©ographiques, culturels, sociaux et politiques. On est face Ă  une poĂ©sie d’un pays incertain qui s’apparente Ă  la poĂ©sie quĂ©bĂ©coise des annĂ©es 1960. De plus, ces quatre poĂštes apportaient quelque chose de fondamentalement nouveau : il Ă©tait maintenant possible d’écrire, de publier et d’ĂȘtre lu Ă  partir de l’Acadie et de rayonner dans un QuĂ©bec qui demeure le principal bastion de la francophonie au Canada.

REGARD SUR RONALD DESPRÉS ET ANTONINE MAILLET

Ronald Després

Ronald DesprĂ©s s’inscrit d’emblĂ©e dans la poĂ©sie contemporaine avec Silences Ă  nourrir de sang (Éditions d’OrphĂ©e, 1958). Sa poĂ©sie n’est pas sans rappeler Verlaine et Éluard. HabitĂ©e par la mer, sombre dans ses thĂšmes, elle exprime la difficultĂ© de vivre du poĂšte. Il est nĂ© le 7 novembre 1935 Ă  Lewisville, communautĂ© maintenant intĂ©grĂ©e Ă  Moncton. AprĂšs des Ă©tudes en humanitĂ©s classiques aux collĂšges Saint-Joseph de Memramcook, l’Assomption de Moncton et Sainte-Anne de Pointe-de-l’Église (Nouvelle-Écosse), il Ă©tudie la musique et la philosophie Ă  Paris, oĂč il obtient une licence en philosophie (1956). Il travaille ensuite pendant un an comme journaliste au quotidien L’ÉvangĂ©line. Il entre comme traducteur des dĂ©bats Ă  la Chambre des communes, puis devient interprĂšte. Occupant diverses responsabilitĂ©s liĂ©es Ă  la traduction, il fait toute sa carriĂšre dans la fonction publique fĂ©dĂ©rale Ă  Ottawa, oĂč il demeure toujours.
PoĂšte lyrique, il est aussi poĂšte social. Il traite de l’amour, du sens de la vie, des abus et, peut-ĂȘtre plus que tout, de l’ĂȘtre. Ses images naissent de la mer, mais celle-ci n’est pas le centre du poĂšme : elle en est atmosphĂšre, en nourrit le vocabulaire, elle est mĂ©taphore. Musicien, il place la recherche de la musicalitĂ© des vers au cƓur mĂȘme de sa dĂ©marche d’écriture. En 1962, il publie Le scalpel ininterrompu (Éditions À la page), un roman qu’il qualifie de « sotie », ce qui donne une clĂ© pour dĂ©coder ce qui est prĂ©sentĂ© comme le journal du docteur Jan von Fries, qui se propose de « purifier le monde par la vivisection » et qui rĂ©ussira Ă  faire disparaĂźtre, avec son accord enthousiaste, toute l’humanitĂ©. La mĂȘme annĂ©e, il publie le recueil Les cloisons en vertige (Éditions Beauchemin) – dont plusieurs poĂšmes Ă©taient parus en 1961 dans le quotidien L’ÉvangĂ©line –, et qui, comme le roman, propose une vision pessimiste du monde.
Bien accueillis au QuĂ©bec, ces deux ouvrages suscitent une controverse en Acadie; ceux qui critiquent voire condamnent ces Ɠuvres rĂ©ussissent Ă  dominer le dĂ©bat. DesprĂ©s en sera blessĂ©. Son dernier recueil, Le balcon des dieux inachevĂ©s (Éditions Garneau, 1968) semble indiquer un espoir. Les poĂšmes sont clairs, Ă  la fois plus simples, plus limpides, plus sobres aussi. Vivant Ă  l’extĂ©rieur de l’Acadie, ressentant profondĂ©ment l’exil et ce qu’il perçoit ĂȘtre le rejet de son milieu face Ă  ses textes, il demeure Ă  l’écart de la mouvance littĂ©raire acadienne, bien que les jeunes poĂštes le considĂ©reront comme un pionnier. Les Éditions d’Acadie reconnaĂźtront son apport en publiant Paysages en contrebande (1974), qui regroupe un choix de poĂšmes de ses trois recueils, deux poĂšmes inĂ©dits et une Ă©tude de son Ɠuvre.

Antonine Maillet

À l’opposĂ© de la rĂ©ception difficile qu’a connu Ronald DesprĂ©s, celle rĂ©servĂ©e Ă  Antonine Maillet en fait immĂ©diatement la porte-parole de l’Acadie. S’inspirant systĂ©matiquement de son vĂ©cu, l’auteure crĂ©e une Ɠuvre profondĂ©ment originale, enracinĂ©e dans son milieu natal et, en mĂȘme temps, universelle.
NĂ©e le 10 mai 1929 Ă  Bouctouche, Antonine Maillet obtient un baccalaurĂ©at du CollĂšge Notre-Dame d’Acadie en 1950, une maĂźtrise en arts de l’UniversitĂ© de Moncton en 1959, une licence en lettres de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al en 1962 et un doctorat en lettres de l’UniversitĂ© Laval en 1970 pour Rabelais et les traditions populaires en Acadie (Presses de l’UniversitĂ© Laval), qu’elle publie en 1971. AprĂšs son baccalaurĂ©at, elle entre chez les religieuses de la congrĂ©gation Notre-Dame-du-SacrĂ©CƓur et prend le nom de sƓur Marie-GrĂ©goire; elle quittera la congrĂ©gation au dĂ©but des annĂ©es 1960. AprĂšs avoir Ă©tĂ© institutrice une annĂ©e Ă  Richibouctou-Village, elle enseigne les lettres au CollĂšge Notre-Dame d’Acadie (1954-1960), Ă  l’UniversitĂ© de Moncton aprĂšs la fermeture du collĂšge (1965-1967), au CollĂšge des JĂ©suites de QuĂ©bec (1968-1969), Ă  l’UniversitĂ© Laval (1971-1974) et Ă  l’UniversitĂ© de MontrĂ©al (1974-1975). Elle choisit de se consacrer principalement Ă  l’écriture au dĂ©but des annĂ©es 1970.
Elle Ă©crit ses premiĂšres piĂšces pour les Ă©lĂšves du CollĂšge Notre-Dame d’Acadie, oĂč elle enseigne. Entr’acte (1957) raconte l’histoire de six enfants (de 12 Ă  23 ans), dont le pĂšre est paralysĂ©, et qui cherchent Ă  sauver la maison familiale. Gentille, un peu fleur bleue, Ă©crite en français standard, la piĂšce permet surtout Ă  Maillet d’aborder le dialogue, vivant et amusant. PoireÂcre (1958) annonce les principaux thĂšmes de son Ɠuvre, qu’elle explore en mĂȘme temps dans son premier roman, Pointe-aux-Coques, paru la mĂȘme annĂ©e. Dans la piĂšce, dont l’action se situe en 1900, la langue est encore standard alors que dans le roman, les dialogues font appel Ă  cette langue qui s’imposera dans Les Crasseux, dix ans plus tard. Poire-Âcre, une adolescente, n’est pas sans Ă©voquer Radi, que l’on rencontrera dans On a mangĂ© la dune (Éditions Beauchemin, 1962). Elle s’oppose Ă  son pĂšre, Camilien Maurice, marchand et maire du village de Pointe-Ă -Pierrot, qui tente de se faire rĂ©Ă©lire. Son adversaire, AndrĂ© Jean, cherche Ă  mettre sur pied une union des cultivateurs, ce qui rĂ©duirait l’emprise de Maurice sur le village. S’apercevant qu’il risque de perdre l’élection et dĂ©couvrant que Poire-Âcre et AndrĂ© Jean s’aiment, Maurice dĂ©cide d’offrir Poire-Âcre Ă  Jean, Ă  la condition que celui-ci abandonne la mairie. Jean accepte, mais Poire-Âcre refuse ce marchĂ© de dupes et rompt avec Jean.
Pointe-aux-Coques (Fides, 1958, prix Champlain) met en scĂšne une jeune institutrice, Mlle Cormier – patronyme de la mĂšre de Maillet –, venue des « États » mais dont le pĂšre est originaire du village. L’action se dĂ©roule durant une annĂ©e scolaire et est l’occasion de dĂ©couvrir les habitants du village et de les accompagner dans leur quotidien et leur vĂ©cu. La jeune institutrice, narratrice du rĂ©cit et dont on ne connaĂźtra pas le prĂ©nom, tombe amoureuse de Jean, un jeune pĂȘcheur qui veut crĂ©er une coopĂ©rative. La fin semble annoncer leurs fiançailles alors que Jean vainc les obstacles et rĂ©ussit Ă  convaincre les pĂȘcheurs de crĂ©er la coopĂ©rative. Avec ce roman, qui n’a rien perdu de sa fraĂźcheur, apparaĂźt le pays d’Acadie et son peuple, qui seront au cƓur de l’Ɠuvre de Maillet.
Son deuxiĂšme roman, On a mangĂ© la dune, lui permet d’évoquer de façon originale son enfance. Le lecteur accompagne Radi, une enfant d’une dizaine d’annĂ©es – alter ego de Maillet qu’on retrouvera dans plusieurs de ses romans –, dans sa vie, ses rĂȘves, ses inquiĂ©tudes et son imaginaire. Le roman prĂ©sente pour la premiĂšre fois ce qui deviendra le monde de Maillet : Bouctouche, l’Île-aux-Puces, la Dune, mais aussi les personnages Citrouille et la Catoune. Plus que l’histoire, somme toute Ă©lĂ©mentaire (18 mois dans la vie de Radi), le roman vaut pour l’atmosphĂšre qu’il crĂ©e, mi-rĂ©aliste, mi-fantaisiste. Tout ce qui est racontĂ© passe par la vision que Radi a du monde. La langue d’écriture est encore le français standard, lĂ©gĂšrement enrichi d’expressions acadiennes. Mais le rythme de la phrase se rapproche de l’oral : courte, sautillante, elle est vivifiĂ©e par les verbes d’action.
Dans la piĂšce Les Crasseux, Maillet campe des personnages qu’elle dĂ©veloppera dans ses Ɠuvres subsĂ©quentes; elle utilise une langue inspirĂ©e par le vernaculaire acadien de sa rĂ©gion natale et qui caractĂ©risera son Ă©criture. Mise en lecture le 21 juillet 1968 par le Centre d’essai des auteurs dramatiques de MontrĂ©al, puis publiĂ©e dans la collection « ThĂ©Ăątre vivant » (no 5), il faudra attendre le 23 novembre 1974 pour qu’elle soit portĂ©e Ă  la scĂšne par la Compagnie Jean-Duceppe dans une nouvelle version oĂč plusieurs anecdotes sont modifiĂ©es, mais pas le sens du propos. L’intrigue se dĂ©veloppe autour de l’opposition entre les personnages d’En-Haut et les personnages d’En-Bas. Ceux d’En-Haut veulent contraindre ceux d’En-Bas Ă  quitter le village. Mais ces dern...

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