La sexualité chez les Pawnees et les Arikaras
Douglas R. Parks
Traduit de lâanglais par Carole Cancel et Gilles Havard
Introduction
Il est fort probable quâaucun aspect du mode de vie des AmĂ©rindiens du haut de la riviĂšre Missouri nâait autant suscitĂ© lâincrĂ©dulitĂ© et lâindignation des traiteurs de pelleteries et autres voyageurs, Ă la fin du XVIIIe et au dĂ©but du XIXe siĂšcle, que les mĆurs sexuelles des Arikaras. Certains observateurs les dĂ©crivirent mĂȘme comme Ă©tant les plus libertins de tous les habitants de cette rĂ©gion.
Le premier observateur Ă sâexprimer sur le sujet fut Jean-Baptiste Truteau, un voyageur canadien-français qui, de 1795 Ă 1796, mena une expĂ©dition de traite de fourrures et dâexploration en remontant le Missouri Ă partir de Saint-Louis. Son objectif Ă©tait dâĂ©tablir des relations commerciales entre les tribus amĂ©rindiennes de cette rĂ©gion et les marchands de Saint-Louis. De retour Ă Saint-Louis en 1796, Truteau rĂ©digea un rapport Ă lâintention des administrateurs de la Compagnie du Haut-Missouri oĂč il dĂ©crivait la rĂ©gion du haut Missouri et ses habitants. Ce compte rendu portait principalement sur les Arikaras, mais il traitait aussi dâautres tribus, notamment des Pawnees auprĂšs desquels il avait vĂ©cu trois ans par le passĂ©. Truteau formule les observations suivantes sur le comportement des Arikaras dans le domaine de la sexualitĂ© :
Les filles et les femmes y vivent en si grande libertĂ© quâelles semblent ĂȘtre un bien commun. Entre eux, elles sont si dissolues et si dĂ©bauchĂ©s que, selon le rapport de ceux qui les ont cultivĂ©s, il nây en a pas une dont la sagesse soit a lâĂ©preuve de quelques peu de vermillon ou de rassade blĂ«ĂŒe. Aussi voit on communĂ©ment nos jeunes canadiens ou crĂ©oles qui arrivent chez eux courir a toute bride comme des chevaux Ă©chappĂ©s dans les champs de Venus, [âŠ] dâoĂč ils ne sortent rarement sans ĂȘtre munis des maux qui y sont insĂ©parablement attachĂ©s, car les maux vĂ©nĂ©riens sont fort communs parmi des peuples oĂč il regne une si grande dissolution. Les sauvages sâen guĂ©rissent parfaitement bien par le jus de certaines racines quâils boivent. On mâen a montrĂ© qui-il-y-a six mois tomboient en pourriture et qui sont parfaitement guĂ©ris.
PrÚs de dix ans plus tard, le voyageur canadien-français Pierre-Antoine Tabeau, qui était lui aussi un habitant de Saint-Louis et qui avait longtemps vécu chez les Arikaras, écrivait ce qui suit :
On seroit scurement Ă©tonnĂ© dâentendre dire que les filles sont sages jusquâau mariage, & quâil se trouve des vierges de dix huit a vingt ans. La vĂ©ritĂ© passe ici la vraisemblance il est vrai que les meres & toutes les parentes y veillent avec tous les soins possibles & quâelles poussent la vigilance jusquâĂ attacher le soir les cotillons des filles qui couchent ainsi garottĂ©es. Cependant les liens ne sont pas toujours a lâĂ©preuve dâun amant qui plait, mais cela nâest pas contre le principe, câest un mariage & ne dureroit-il quâune heure, la fille nâen devient pas moins une honĂȘte veuve.
Dans la mĂȘme veine, le botaniste John Bradbury, qui remonta la riviĂšre Missouri de 1809 Ă 1811, notait
que la chastetĂ© des femmes nâest pas une vertu, comme le fait de ne pas la respecter nâest pas considĂ©rĂ© comme un dĂ©lit puisque cela est permis par le consentement de leurs Ă©poux, pĂšres ou frĂšres ; mais dans certaines tribus, comme les Potowatomies, Saukies, Foxes, &c., manquer [Ă la chastetĂ©] sans le consentement du mari est sĂ©vĂšrement puni, puisquâil pourra alors arracher le nez de sa squaw si elle est jugĂ©e coupable [dâadultĂšre].
Les voyageurs⊠ont remarquĂ© quâils [les Indiens] sont trĂšs libĂ©raux quant Ă leurs femmes vis-Ă -vis des Ă©trangers ou bien extrĂȘmement jaloux. En cette espĂšce de libĂ©ralitĂ©, aucune nation ne peut surpasser les Aricaras, qui sâassemblent chaque soir avec leurs femmes, sĆurs et filles, tous anxieux de leur trouver un bon marchĂ©.
La description la plus acrimonieuse est cependant attribuable Ă Edwin T. Denig, un traiteur de pelleteries qui, en 1855-1856, Ă©crivait : « De nombreuses familles Arickara dorment ensemble sans distinction, le pĂšre Ă cĂŽtĂ© de sa fille, le frĂšre avec sa sĆur, et câest la seule nation oĂč lâinceste nâest pas regardĂ© comme honteux ou criminel. » Denig poursuit son entreprise de calomnie en qualifiant les Arikaras de lĂąches prĂȘts Ă tuer « tout homme blanc Ă leur portĂ©e ». La description de ce comportement repose sur les quelques dĂ©monstrations dâhostilitĂ© qui ont jalonnĂ© les relations entre traiteurs de pelleteries et Arikaras entre 1810 et 1830. Les Arikaras, Ă lâinstar des Mandanes, rĂ©sistaient alors Ă lâintrusion des compagnies de traite. Ces compagnies remettaient en cause la centralitĂ© commerciale des villages arikaras, mais aussi mandanes et hidatsas, oĂč se tenaient traditionnellement des foires annuelles. Les membres des tribus nomades qui vivaient Ă lâouest et au sud-ouest des Arikaras se rendaient aux villages de ces derniers pour Ă©changer du gibier et des chevaux contre des produits agricoles. De mĂȘme, les groupes sioux venus de lâest troquaient des armes Ă feu et autres produits europĂ©ens avec les Arikaras qui, en Ă©change, leur fournissaient des chevaux et du maĂŻs. Dans ce systĂšme dâĂ©change, les Arikaras et les Mandanes jouaient un rĂŽle dâintermĂ©diaires et, alors quâon tentait de les supplanter, ils opposĂšrent une rĂ©sistance Ă lâintrusion euro-amĂ©ricaine, Ă lâinstar dâautres tribus vivant plus en aval sur la riviĂšre.
Denig poursuit sa description en soulignant la maniĂšre dont les hommes arikaras les plus ĂągĂ©s, qui ne devaient pas quitter leurs villages â pour chasser ou faire la guerre â Ă cause du risque constant dâattaque des Sioux, disposaient de tellement de temps libre quâils le passaient à « sĂ©duire les femmes des autres⊠Câest Ă peu prĂšs la seule occupation des mĂąles, leurs esprits deviennent si avilis quâĂ la fin ils font de leurs propres consanguins des victimes. En conformitĂ© avec cet Ă©tat de fait, la vertu de toutes leurs femmes est au plus bas et Ă vendre pour toute personne qui se trouverait assez malheureuse pour faire acte de candidature ».
Des descriptions succinctes telles que celles-ci, rĂ©digĂ©es selon le point de vue des Occidentaux, sont courantes Ă partir de 1810 et jusquâau milieu du XIXe siĂšcle. Les Arikaras y sont presque invariablement dĂ©peints comme dĂ©bauchĂ©s et hostiles aux Blancs ; plus encore que les Indiens des autres tribus, semble-t-il. Ainsi, le fait que Denig ait commencĂ© sa carriĂšre de traiteur dans la rĂ©gion du haut Missouri peu de temps aprĂšs lâattaque perpĂ©trĂ©e (en 1823) par les Arikaras contre un groupe de traiteurs dirigĂ© par William Ashley et son manque de familiaritĂ© avec les Arikaras nous laissent Ă penser que ses dĂ©clarations sâappuyaient sur la vision trĂšs dĂ©favorable quâavaient de ce groupe Ă la fois les traiteurs et les autres tribus de la rĂ©gion, elles-mĂȘmes hostiles aux Arikaras.
Objectifs de ce travail
Cet article Ă©tudie les mĆurs sexuelles des Arikaras et de leurs proches « parents », les Pawnees, en sâappuyant sur le point de vue de personnes issues de ces cultures â en Ă©tudiant la maniĂšre dont des Arikaras et des Pawnees interprĂ©taient leur propre sexualitĂ©, plutĂŽt que la maniĂšre dont les Ă©trangers la percevaient. Ces deux tribus, semi-sĂ©dentaires et horticoles, vivaient la moitiĂ© de lâannĂ©e dans de grandes cabanes de terre et, lâautre moitiĂ©, parcouraient les Plaines Ă lâoccasion de chasses au bison collectives. JusquâĂ la fin du XVIIIe siĂšcle, ces tribus comptaient parmi les plus peuplĂ©es des Plaines dâAmĂ©rique du Nord. On dĂ©nombrait au moins 20 000 Arikaras rĂ©partis sur trente, voire quarante villages dans la rĂ©gion qui correspond aujourdâhui au Dakota du Sud. Les Pawnees comptaient plus de 12 000 personnes rĂ©parties dans des villages moins nombreux mais plus grands, situĂ©s au centre du Nebraska et au nord du Kansas. Du fait des Ă©pidĂ©mies dĂ©vastatrices de variole qui sĂ©virent Ă travers les Plaines au dĂ©but des annĂ©es 1780, les Arikaras furent dĂ©cimĂ©s. Au moins la moitiĂ© de leur population pĂ©rit et seuls trois villages demeurĂšrent. Au cours des dĂ©cennies suivantes, les deux tribus subirent une diminution constante de leur population engendrĂ©e par diverses Ă©pidĂ©mies (au tournant du XXe siĂšcle, les Arikaras ne comptaient plus que 400 personnes, et les Pawnees 600).
Les quelques récits historiques de la fin du XVIIIe et du XIXe siÚcle portant sur la vie sexuelle des Arikaras, que nous avons cités plus haut, constituent une toile de fond pour les...