BrĂšve histoire des patriotes
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Gilles Laporte

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BrĂšve histoire des patriotes

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15 fĂ©vrier 1839. Cinq patriotes montent sur l'Ă©chafaud afin d'y ĂȘtre pendus. La colonie britannique du Canada est en crise. La pĂ©riode des rĂ©bellions de 1837-1838 est un moment charniĂšre de l'histoire du QuĂ©bec. Gilles Laporte en propose ici une premiĂšre synthĂšse claire et accessible. Il prend le temps d'asseoir les fondations d'un territoire et d'un peuple, le Bas-Canada du dĂ©but du XIXesiĂšcle, avant de prĂ©senter trente ans de luttes politiques. Les enjeux complexes, allant bien au-delĂ  d'une simple lutte linguistique, prennent alors tout leur sens. Les principales batailles et les soulĂšvements sont aussi clairement abordĂ©s. Seize portraits rĂ©gionaux et cinquante capsules biographiques complĂštent ce remarquable ouvrage. Historien spĂ©cialiste du XIXe siĂšcle quĂ©bĂ©cois, Gilles Laporte enseigne l'histoire du QuĂ©bec au cĂ©gep du Vieux MontrĂ©al et Ă  l'UniversitĂ© duQuĂ©bec Ă  MontrĂ©al. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages, dont Patriotes et Loyaux (Septentrion, 2004), Molson etle QuĂ©bec (Michel BrĂ»lĂ©, 2009) et Fondements historiques du QuĂ©bec (CheneliĂšre, Prix du ministre 2013).

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Informations

Année
2015
ISBN
9782896649204
Chapitre 1
Le Québec vers 1837
Eh ! bon Dieu, est-ce que nous avons un pays, nous autres ? Vous parlez sans cesse de votre pays : je voudrais bien savoir si le Canada est un pays pour quelqu’un ? Deux longues lisiĂšres, Ă  peine habitĂ©es, Ă  peine cultivĂ©es, de chaque cĂŽtĂ© d’un fleuve, avec une ville Ă  chaque bout : de petites villes, du milieu desquelles on voit la forĂȘt qui se termine au pĂŽle.
Pierre-J.-Olivier Chauveau, Charles Guérin (1843)
Le village laurentien, terreau du mouvement patriote
Du fait de son anciennetĂ© et de sa fĂ©conditĂ©, et en dĂ©pit de la ConquĂȘte anglaise de 1760, puis de l’immigration britannique, le groupe d’origine française demeure prĂ©pondĂ©rant au Bas-Canada en 1837. S’ils reprĂ©sentent toujours plus de 80 % de la population, les francophones sont cependant loin d’occuper la mĂȘme place dans la finance, le commerce et l’appareil du gouvernement, entiĂšrement aux mains de la minoritĂ© britannique. Cette domination s’exerce surtout dans les villes, oĂč les chantiers et les ports sont tournĂ©s principalement vers le commerce impĂ©rial, contrĂŽlĂ© par quelques centaines de marchands britanniques. La plupart des « Canadiens » vivent donc parquĂ©s dans une sorte de rĂ©serve dĂ©coupĂ©e en seigneuries, le long du fleuve Saint-Laurent, en gros de Rigaud Ă  Kamouraska, oĂč ils perpĂ©tuent leur langue et leurs usages, mais le plus souvent rĂ©duits Ă  l’agriculture de subsistance, en marge de l’économie continentale.
Ce petit peuple a cependant su se relever depuis la ConquĂȘte. Sa population a dĂ©cuplĂ©, passant de 60 000 Ă  un demi-million en 1837. Il s’est enrichi aussi. Entre les fermes isolĂ©es de la Nouvelle-France apparaissent des moulins, des magasins, des Ă©glises et des auberges. On passe ainsi d’une cinquantaine de villages en 1815 Ă  250 le long du fleuve en 1850. Certains villages se dotent d’un collĂšge classique, comme L’Assomption, Nicolet ou Saint-Hyacinthe, et deviennent aussitĂŽt des foyers de rayonnement intellectuel.
MalgrĂ© cette effervescence, le seigneur demeure le personnage central dans le milieu rural. AprĂšs la ConquĂȘte, les Britanniques ont maintenu intacts ses droits de propriĂ©tĂ©, car eux-mĂȘmes convoitent des seigneuries. AttirĂ©s par le prestige aristocratique et par les rĂ©coltes alors abondantes et une fois enrichis par le commerce colonial, les Edward Ellice, Gabriel Christie ou James Cuthbert s’emparent de la moitiĂ© des seigneuries au tournant du XIXe siĂšcle. Le peuple se mĂ©fie donc des seigneurs, tandis que les marchands les accusent de freiner l’investissement et « l’esprit capitaliste ». Le rĂ©gime seigneurial permet en revanche un accĂšs facile Ă  la terre pour les petits exploitants qui n’ont en gĂ©nĂ©ral Ă  payer qu’une rente peu Ă©levĂ©e. Les patriotes seront donc divisĂ©s sur le sort Ă  rĂ©server au rĂ©gime seigneurial. Si certains, tel Louis-Joseph Papineau, y voient une coutume nationale Ă  prĂ©server, d’autres prĂŽnent carrĂ©ment son abolition sans mĂȘme dĂ©dommager les seigneurs.
Davantage que la seigneurie, la paroisse reste le cadre de rĂ©fĂ©rence primordial des habitants, autant sur les plans social et juridique que religieux. Confident moral et spirituel, le curĂ© joue aussi un rĂŽle Ă©conomique non nĂ©gligeable en gĂ©rant les revenus de la fabrique et de la dĂźme. La solide hiĂ©rarchie catholique, les mandements ou les lettres pastorales de l’évĂȘque, lues en chaire le dimanche, constituent aussi un moyen de communication particuliĂšrement efficace pour maintenir la discipline dans le clergĂ© et passer des messages aux croyants.
TrĂšs tĂŽt l’Église catholique s’était vu confier d’importantes responsabilitĂ©s en Ă©ducation et en santĂ©. On lui a donc accordĂ© de nombreuses seigneuries afin de financer ses activitĂ©s. Les communautĂ©s des Ursulines, des Sulpiciens et des JĂ©suites comptent donc parmi les plus grands propriĂ©taires fonciers du Bas-Canada. L’influence clĂ©ricale est toutefois freinĂ©e par la pĂ©nurie des effectifs religieux : en 1837, il n’y a encore qu’un ecclĂ©siastique pour 1 800 fidĂšles. MenacĂ© plus que toute autre institution par la ConquĂȘte de 1760, l’Église catholique collabore trĂšs tĂŽt avec les Britanniques en Ă©change du maintien de ses privilĂšges et en en espĂ©rant d’autres. Le gouvernement britannique saura rĂ©tribuer le clergĂ© pour sa collaboration durant la rĂ©pression des patriotes en autorisant ensuite la crĂ©ation du diocĂšse de MontrĂ©al, la reprise des missions d’évangĂ©lisation auprĂšs des Autochtones et la venue d’ordres religieux europĂ©ens qui, aprĂšs 1843, allaient prendre la direction des Ă©coles et des hĂŽpitaux, encadrer le mouvement de colonisation et couvrir le Bas-Canada de publications pieuses.
La naissance de nombreux villages au dĂ©but du XIXe siĂšcle s’accompagne de l’essor d’une nouvelle classe sociale composĂ©e de paysans enrichis, de marchands, d’artisans et de professionnels francophones, avocats, notaires ou mĂ©decins, l’ultime Ă©chelon social que l’occupant daigne accorder aux habitants. FormĂ©s dans les sĂ©minaires, les professionnels sont particuliĂšrement sollicitĂ©s pour leurs conseils et en raison de leurs relations. Plus fortunĂ©s et plus Ă©duquĂ©s que leurs concitoyens, ils n’en partagent pas moins les dures rĂ©alitĂ©s Ă©conomiques du temps : la crise agricole et l’exclusion des Canadiens français. Ils jouissent donc tout naturellement de la confiance du peuple quand vient le temps de choisir un commissaire d’école, un officier de milice, un magistrat ou d’élire un dĂ©putĂ© devant siĂ©ger Ă  la Chambre d’assemblĂ©e du Bas-Canada.
En se dĂ©veloppant, le village est parfois le thĂ©Ăątre de disputes entre ces Ă©lites locales Ă  propos de l’emplacement de l’église, du tracĂ© d’un chemin ou du traitement Ă  accorder au curĂ©, en particulier en 1830 quand la Loi sur les fabriques donne aux laĂŻcs accĂšs au conseil paroissial. Le village sera un lieu d’apprentissage important pour de nombreux patriotes qui s’y initient aux enjeux locaux ainsi qu’au dĂ©bat politique. À Longueuil, le leader patriote TimothĂ©e Kimber se fait connaĂźtre d’abord pour sa lutte Ă©pique contre le clergĂ© local. À Sainte-GeneviĂšve-de-Batiscan, les paroissiens trouvent que leur curĂ© administre mal la fabrique et dĂ©cident d’assister aux assemblĂ©es. À ContrecƓur, en 1826, les habitants refusent que leur argent serve aux dĂ©penses de l’église et du presbytĂšre. Etc.
DerriĂšre la lutte entre curĂ©s et professionnels patriotes se profile aussi l’enjeu de l’éducation. Tandis que l’Église favorise un systĂšme confessionnel placĂ© sous l’égide paroissiale (Loi des Ă©coles de fabriques, 1824), les dĂ©putĂ©s patriotes votent plutĂŽt en faveur d’un rĂ©seau scolaire laĂŻque dirigĂ© par des commissaires Ă©lus (Loi des Ă©coles de syndics, 1829). Cette pomme de discorde Ă  propos de l’instruction publique creuse encore le fossĂ© entre curĂ©s et chefs patriotes et nuit surtout aux progrĂšs de l’éducation, laissant 60 % de la population illettrĂ©e encore en 1837. La guerre des subsides entre le gouverneur et les dĂ©putĂ©s, qui paralyse le gouvernement, entraĂźne aussi la fermeture de la plupart des Ă©coles publiques au dĂ©but des annĂ©es 1830. Durham lui-mĂȘme est obligĂ© de faire remarquer que « le gouvernement britannique, depuis qu’il possĂšde cette province, n’a rien fait ou n’a rien tentĂ© pour promouvoir l’instruction gĂ©nĂ©rale[1] ».
Au village, les rendez-vous dominicaux servent tout naturellement pour discuter des nouvelles, annoncer les mariages et les dĂ©cĂšs, rĂ©gler les affaires locales, et bientĂŽt pour tenir des assemblĂ©es patriotes. NaĂźt ainsi une protodĂ©mocratie, qui tient Ă  la fois des vieilles traditions du terroir français et des idĂ©es rĂ©publicaines qui ont fait leur chemin depuis la RĂ©volution amĂ©ricaine. L’historien Allan Greer parle de « rĂ©publiques paroissiales » pour dĂ©crire cette dĂ©mocratie archaĂŻque, mais vigoureuse, qui s’exprime alors dans les campagnes du Bas-Canada[2]. Ces habitants n’ont pas encore pris conscience de leur unitĂ© nationale, mais sont dĂ©jĂ  en mesure de ressentir le poids de la tutelle coloniale et l’exclusion dont sont victimes leurs compatriotes.
Le village laurentien sera le terreau du mouvement patriote. Les BĂ©dard, Papineau, Neilson, La Fontaine, ChĂ©nier et de Lorimier sont tous issus de professions libĂ©rales et sont enracinĂ©s dans le milieu paroissial. Ils voient dans l’arĂšne politique le prolongement naturel de leur influence au village et se perçoivent comme les reprĂ©sentants tout dĂ©signĂ©s de leur nation. En attendant, on les retrouve nombreux Ă  occuper des fonctions locales, plus ou moins symboliques, comme marguillier (qui siĂšge tout de mĂȘme au conseil paroissial), grand voyer (chargĂ© de l’entretien des chemins), maĂźtre de poste (recevant le courrier destinĂ© aux habitants dans chaque paroisse) ou magistrat dont, au premier titre, comme juge de paix, chargĂ© depuis la ConquĂȘte d’assurer la justice royale hors des villes. La charge publique la plus usuelle demeure cependant celle d’officier de milice.
L’institution de la milice avait jouĂ© un rĂŽle essentiel durant les guerres de la Nouvelle-France. AprĂšs avoir dĂ©sarmĂ© les habitants, les autoritĂ©s britanniques rĂ©activent l’institution Ă  compter de 1777 et y recourent particuliĂšrement durant la guerre de 1812. Dans chaque paroisse, la compagnie de milice sĂ©dentaire est formĂ©e de tous les hommes valides de 16 Ă  60 ans, commandĂ©s par un capitaine, un lieutenant et une enseigne. À l’époque des rĂ©bellions, la milice est toutefois en pleine dĂ©cadence. Subsiste tout de mĂȘme la tradition de mener une fois l’an des manƓuvres destinĂ©es Ă  maintenir les hommes prĂȘts au combat et Ă  dĂ©signer leurs officiers. Les patriotes tenteront Ă  certains endroits de rĂ©cupĂ©rer la milice sĂ©dentaire pour se doter d’un semblant de cadres militaires. Mais c’est plutĂŽt le gouvernement colonial qui la reprend en main, purgeant ses rangs des Ă©lĂ©ments patriotes pour les remplacer par des anglophones fidĂšles Ă  la Couronne et ainsi en faire une vĂ©ritable force de rĂ©serve pour l’armĂ©e anglaise. Ces milices volontaires joueront d’ailleurs un rĂŽle dĂ©terminant lors de la rĂ©pression des patriotes.
Plus on s’éloigne du noyau villageois, plus les fermes sont pauvres, frustes et isolĂ©es. On y vit durement la baisse des rĂ©coltes de blĂ© subie Ă  compter de 1803. La population doublant en moyenne tous les 25 ans, se posent aussi de graves problĂšmes pour nourrir et lotir les enfants issus des familles nombreuses. L’abandon de la culture du blĂ© est donc engagĂ© : de 60 % des surfaces cultivĂ©es en 1800, elle ne reprĂ©sente plus que 22 % en 1827, et 4 % en 1844. C’est qu’on privilĂ©gie dĂ©sormais l’autosuffisance alimentaire. L’avoine est conservĂ©e pour les chevaux et les porcs. Pour le reste, triomphent les lĂ©gumineuses, les pois et les fĂšves, le navet et la pomme de terre qui composent vite, avec la viande de porc, l’ordinaire des Bas-Canadiens. L’autosuffisance entraĂźne une baisse du revenu des agriculteurs, qui achĂštent donc peu et qui comptent d’abord sur leurs enfants pour fournir le travail Ă  la ferme. L’argent disparaĂźt littĂ©ralement des campagnes. NaĂźt ainsi tout un pan de la culture quĂ©bĂ©coise, celle du dĂ©brouillard, indĂ©pendant, adroit et inventif, mais tout autant pauvre et isolĂ©.
***
NĂ© Ă  Longueuil, de Pierre Vincent et d’Élisabeth Brais LabontĂ©, Joseph Vincent (1801-1852) est cultivateur et capitaine de milice. DĂšs 1824, il a des dĂ©mĂȘlĂ©s avec les curĂ©s locaux Ă  propos des coĂ»ts de construction de l’église de Longueuil et de l’accĂšs aux assemblĂ©es de fabrique. Les dĂ©positions donnent de Joseph Vincent le portrait d’un homme dĂ©terminĂ©, « recommandant aux habitants de prendre les armes et de se rĂ©volter contre le gouvernement Ă©tabli et la reine[3] ». On retrouve le nom de Vincent Ă  titre de prĂ©sident, secrĂ©taire et signataire Ă  plusieurs occasions et dans plus d’un comitĂ©. Il organise des assemblĂ©es le 12 fĂ©vrier et le 12 juin 1837 et participe Ă  des rĂ©unions du comitĂ© central de MontrĂ©al, dont il prĂ©side mĂȘme la sĂ©ance du 14 septembre. Le 23 octobre, il escorte Louis-Joseph Papineau pour participer Ă  l’AssemblĂ©e des Six-ComtĂ©s. Vincent est connu surtout pour avoir fomentĂ© une escarmouche quand les premiers coups de feu de la rĂ©bellion sont tirĂ©s Ă  Longueuil, le 17 novembre 1837. Apprenant qu’un dĂ©tachement de la Royal Montreal Cavalry doit passer par Longueuil, le capitaine de milice convoque chez lui Bonaventure Viger et tous les hommes disposĂ©s Ă  tendre une embuscade. Ils sont environ 150, la plupart armĂ©s de fusils. Ils choisissent de se terrer au nord de Longueuil, puisque le village est surveillĂ© par un dĂ©tachement du 32e RĂ©giment. Vers neuf heures, le peloton de cavalerie tombe dans le piĂšge tendu par Vincent et Viger et deux prisonniers sont libĂ©rĂ©s.
***
Comment ce peuple d’agriculteurs pauvres et largement illettrĂ©s a-t-il pu se montrer sensible au message dĂ©mocratique et rĂ©publicain des chefs patriotes, au point de se lever comme un seul homme en 1837 pour braver les balles anglaises ? Le dĂ©vouement de milliers de QuĂ©bĂ©cois Ă  la cause patriote demeure une question difficile. Il faut d’abord reconnaĂźtre l’importance des rĂ©seaux familiaux, des liens communautaires dans la paroisse et du clientĂ©lisme dans le rĂ©gime seigneurial : des fidĂ©litĂ©s sacrĂ©es et des rivalitĂ©s locales vĂ©cues parfois de maniĂšre viscĂ©rale. À VerchĂšres, Ă  Saint-Hyacinthe ou Ă  Saint-Charles, ce sont des villages entiers qui se soulĂšvent quand le mĂ©decin ou un gros marchand se joint au mouvement patriote. À l’inverse, dans LanaudiĂšre par exemple, toute une rĂ©gion peut virer loyale au pouvoir britannique quand de puissants seigneurs dĂ©cident d’imposer Ă  tous leur fidĂ©litĂ© au gouvernement.
Ce sera l’immense mĂ©rite du mouvement patriote que d’ĂȘtre parvenu Ă  infiltrer patiemment la plupart de ces rĂ©seaux locaux de solidaritĂ© et Ă  fĂ©dĂ©rer les diverses sources de mĂ©contentement autour d’une grande lutte nationale visant la rĂ©forme des institutions politiques.
L’empire du Saint-Laurent
Dans les villes de QuĂ©bec (25 000 habitants) et de MontrĂ©al (30 000 habitants), on vibre plutĂŽt au rythme du commerce colonial avec la Grande-Bretagne. Afin de prĂ©server sa supĂ©rioritĂ© navale dans sa lutte contre la France de NapolĂ©on, l’Angleterre se tourne vers le Canada pour s’approvisionner en bois. DĂšs 1806, les cages de bois de pin blanc commencent Ă  descendre le Richelieu et la riviĂšre des Outaouais vers le port de QuĂ©bec. Les prix atteignent des sommets, entraĂźnant une vĂ©ritable ruĂ©e vers les forĂȘts les plus accessibles. Entre 1803 et 1810, les exportations du port de QuĂ©bec sont multipliĂ©es par quinze ! Le commerce du bois connaĂźt son apogĂ©e vers 1837. Bois Ă©quarri, cĂ©rĂ©ales et potasse, destinĂ©s essentiellement Ă  la Grande-Bretagne, constituent alors 90 % des exportations du port de QuĂ©bec. PlutĂŽt que de revenir vides, les navires reviennent chargĂ©s d’immigrants qui peuplent les villes et fournissent Ă  leur tour une main-d’Ɠuvre bon marchĂ© aux chantiers forestiers.
Le commerce du bois alimente alors une foule d’activitĂ©s connexes. Des chantiers sont installĂ©s l’hiver au cƓur des forĂȘts. Une fois la fonte des neiges commencĂ©e, des draveurs acheminent les billots grossiĂšrement Ă©quarris jusqu’au principal affluent, oĂč ils sont assemblĂ©s en d’immenses radeaux ou « cages ». Cette singuliĂšre flottille converge ensuite vers le port de QuĂ©bec oĂč s’amoncellent chaque Ă©tĂ© des quantitĂ©s fantastiques de bois (prĂšs de trois millions de piĂšces de bois, en 1840). Il y a tant de bois qu’il faut, pour en assurer l’expĂ©dition, construire de nouveaux navires dans la cinquantaine de chantiers autour de QuĂ©bec, oĂč travaillent jusqu’à 4 600 ouvriers.
Le site de QuĂ©bec fut choisi pour des raisons militaires. On distingue une haute-ville fortifiĂ©e, oĂč se retrouvent les fonctions administratives, militaires et religieuses, et une basse-ville, peuplĂ©e de marchands, de marins, de dĂ©bardeurs et d’ouvriers. De 1791 Ă  1840, QuĂ©bec est la capitale du Bas-Canada, lieu de rĂ©sidence du gouverneur gĂ©nĂ©ral (au ChĂąteau Saint-Louis) et siĂšge de l’AssemblĂ©e lĂ©gislative et des conseils lĂ©gislatif et exĂ©cutif, logĂ©s dans l’ancien palais de l’évĂȘchĂ©, aujourd’hui le parc Montmorency. La prĂ©sence militaire est importante, notamment aprĂšs 1831 quand est achevĂ©e la Citadelle, complexe militaire protĂ©geant l’entrĂ©e du fleuve et occupĂ© par une garnison permanente d’un millier de soldats. QuĂ©bec est aussi une capitale religieuse, siĂšge du seul diocĂšse catholique d’AmĂ©rique britannique, donnant Ă  son Ă©vĂȘque un prestige et une visibilitĂ© remarquables. La communautĂ© des Ursulines y dispense un cours d’études secondaires aux jeunes filles et le SĂ©minaire des JĂ©suites, le seul programme de niveau supĂ©rieur offert en français.
Le site de Montréal tire parti pl...

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