CHAPITRE IV
1979 â Une annĂ©e catastrophique
LâĂ©quipe ministĂ©rielle et le travail parlementaire
En ce dĂ©but dâannĂ©e 1979, les nouvelles ne sont pas trĂšs bonnes sur le front Ă©conomique. La chute du shah dâIran et la guerre entre lâIrak et lâIran provoquent un deuxiĂšme choc pĂ©trolier, le prix du pĂ©trole est alors multipliĂ© par 2,7 entre la mi-1978 et 1981, ce qui dĂ©clenchera aux Ătats-Unis la crise monĂ©taire de 1980. Au QuĂ©bec, lâajout de 30 000 chĂŽmeurs fait grimper le taux Ă 10,7 %. Câest dans ce contexte que lâĂ©quipe ministĂ©rielle se rĂ©unit une premiĂšre fois le 5 janvier avant de siĂ©ger de nouveau les 11, 17, 24 et le 31 janvier. Les ordres du jour sont chargĂ©s et portent sur des sujets nombreux, dont la tenue dâun sommet des coopĂ©ratives qui doit se tenir Ă lâautomne 1979, le dĂ©pĂŽt dâun livre vert sur le dĂ©veloppement scientifique, la crĂ©ation de lâInstitut quĂ©bĂ©cois de recherche sur la culture, la politique quĂ©bĂ©coise dâun revenu minimal garanti, des nĂ©gociations avec les employĂ©s de lâĂtat, lâagrandissement du ColisĂ©e de QuĂ©bec pour les Nordiques, le redressement financier des hĂŽpitaux et la mise en place dâun plan dâaction en matiĂšre dâĂ©conomie dâĂ©nergie.
Les sĂ©ances du conseil servent aussi Ă discuter du prochain cycle lĂ©gislatif. Lors de la rencontre du 24 janvier, Robert Burns intervient sur la question en mentionnant que les projets de loi devraient ĂȘtre mieux prĂ©parĂ©s avant dâĂȘtre dĂ©posĂ©s Ă lâAssemblĂ©e nationale et leur nombre rĂ©duit pour Ă©viter des fins de session effrĂ©nĂ©es, comme ce fut le cas en dĂ©cembre dernier. En appui au leader parlementaire, Claude Charron indique quâil y a eu 120 projets de loi en 1978, tout en soulignant quâun effort spĂ©cial devait ĂȘtre fait pour rĂ©duire ce nombre. En ce sens, le conseil des ministres adopte une sĂ©rie de mesures qui visent Ă resserrer le processus entourant les projets de loi et demande aux ministres de dĂ©terminer quels seront les projets de loi quâils jugent nĂ©cessaire de dĂ©poser en 1979 et de dĂ©poser leur liste au ComitĂ© des prioritĂ©s avant le 30 janvier. Le ComitĂ© des prioritĂ©s se voit donc mandatĂ© pour Ă©tablir une liste des projets retenus au plus tard le 14 fĂ©vrier. Lors de la sĂ©ance du 23 fĂ©vrier, les ministres vont finalement sâentendre sur une liste dont les projets sont classifiĂ©s par lettre. Trente-six projets se retrouvent sous la lettre A, 19 sous B et 14 sous D.
Les ministres sâenlisent parfois dans des discussions autour de sujets qui ne semblent pas ĂȘtre de premiĂšre importance, mais qui trouvent Ă©cho sur la place publique, comme ce fut le cas sur le choix dâarrĂȘt-stop ou dâarrĂȘt dans la signalisation routiĂšre. Le ministre des Transports ayant proposĂ© de changer le mot arrĂȘt-stop par arrĂȘt pour se conformer Ă lâarticle 29 de la loi 101, il se fait publiquement rabrouer par le premier ministre qui prĂ©fĂšre le statu quo, donc lâarrĂȘt-stop. Ă la sĂ©ance du conseil du 31 janvier, on propose une formule originale dâutilisation dâun pictogramme, une main blanche sur un octogone rouge, qui remplacerait le mot, une solution rapidement rejetĂ©e par les ministres. QuestionnĂ© en Chambre, Lucien Lessard ne se laisse pas Ă©branler par cette histoire de sĂ©mantique, Ă©voquant tout au plus « une querelle byzantine sur le sexe des anges ».
FidĂšles Ă la tradition instituĂ©e par RenĂ© LĂ©vesque, les ministres repartent en tournĂ©e Ă travers le QuĂ©bec Ă la fin de janvier. Cette fois, la visite de 73 des 110 comtĂ©s se fait sur une courte pĂ©riode de cinq jours. Mis Ă part Jacques Parizeau, occupĂ© avec le dossier des nĂ©gociations avec les employĂ©s de lâĂtat pour le renouvellement des conventions collectives, tous les ministres participent Ă cet exercice, et mĂȘme RenĂ© LĂ©vesque qui visite le 2 fĂ©vrier le comtĂ© de Richmond. Seule la rĂ©gion de QuĂ©bec nâest pas visitĂ©e ni dâailleurs le comtĂ© dâArgenteuil. Comme par le passĂ©, plusieurs comtĂ©s dĂ©tenus par les partis dâopposition, soit 30 des 73, sont visĂ©s par les ministres et les dĂ©putĂ©s pĂ©quistes. Puis, le 6 fĂ©vrier, lâAssemblĂ©e nationale reprend la troisiĂšme session de la 31e LĂ©gislature oĂč sont dĂ©posĂ©s et dĂ©battus les projets de loi demeurĂ©s au feuilleton, dont le projet de loi 116 sur la mise en marchĂ© des produits agricoles. Cette session ne dure que 14 jours pour se terminer le 20 fĂ©vrier, mettant ainsi fin Ă une session qui aura durĂ© prĂšs dâun an. Mais le rĂ©pit est de courte durĂ©e pour les dĂ©putĂ©s puisque la nouvelle session dĂ©bute deux semaines plus tard.
Pour le maintien des relations Québec-Louisiane
RenĂ© LĂ©vesque, accompagnĂ© de Jean-Roch Boivin et dâYves Michaud, entreprend une nouvelle tournĂ©e aux Ătats-Unis, cette fois-ci en Louisiane. Il commence son voyage par la ville de Lafayette le 8 janvier oĂč il est accueilli par le maire de la ville, Kenneth Bowen, et plusieurs dignitaires. Il y prononce une brĂšve allocution qui rappelle les « Ă©preuves communes » qui ont marquĂ© lâhistoire du QuĂ©bec et de la Louisiane et salue les efforts du Conseil pour le dĂ©veloppement du français (Codofil) et de son prĂ©sident James Domengeaux qui ont inlassablement travaillĂ© Ă la renaissance de la langue française dans cet Ătat amĂ©ricain. Et le QuĂ©bec, poursuit le premier ministre, contribue depuis dĂ©jĂ dix ans Ă cet effort de renaissance du français tout en se disant prĂȘt Ă accroĂźtre lâaide du QuĂ©bec.
Le 10 janvier, câest lors dâun dĂ©jeuner-causerie devant un groupe de 200 personnalitĂ©s du monde de la politique et des affaires de La Nouvelle-OrlĂ©ans quâil prononce un discours dont le contenu sâapparente Ă celui des allocutions quâil avait donnĂ©es lors de ses prĂ©cĂ©dents voyages Ă Los Angeles ou San Francisco. Il rappelle que, si le QuĂ©bec et les Ătats-Unis sont des « voisins de palier », ils ont tout de mĂȘme leurs caractĂ©ristiques distinctives, notamment le systĂšme fĂ©dĂ©ral amĂ©ricain qui est loin de constituer une camisole de force comme celui du Canada. Il Ă©voque ensuite lâhistoire des QuĂ©bĂ©cois, un peuple qui nâa pas lâintention de disparaĂźtre, sâattardant sur les points communs des deux peuples qui tous deux sont Ă©pris des valeurs de libertĂ©, de dĂ©mocratie et de droits individuels.
En entrevue avec le journaliste Pierre-Paul GagnĂ© de La Presse, RenĂ© LĂ©vesque prĂ©cise que ses voyages aux Ătats-Unis visent Ă expliquer la rĂ©alitĂ© quĂ©bĂ©coise aux politiciens, aux hommes dâaffaires et aux journalistes, ce qui permet de dĂ©samorcer certaines calomnies : « Non pas pour les convaincre, mais pour leur faire prendre conscience de lâĂ©volution du QuĂ©bec au cours des derniĂšres annĂ©es et corriger lâimage distordue de la situation quĂ©bĂ©coise que dâaucuns ont eu intĂ©rĂȘt Ă rĂ©pandre aux Ătats-Unis depuis deux ans. » Ă la question du journaliste Ă savoir sâil avait rĂ©ussi Ă faire Ă©voluer les mentalitĂ©s amĂ©ricaines sur la question du QuĂ©bec, le premier ministre croit que ses voyages ont une efficacitĂ© certaine : « Globalement, on ne sait jamais si on a gagnĂ© notre pari. Par contre, au plan des individus, de certains individus, il nây a aucun doute que de plus en plus de gens qui ont un certain poids comprennent ce qui se passe au QuĂ©bec. »
Le 11 janvier, aprĂšs une rencontre avec le gouverneur de lâĂtat, Edwin Edwards, avec qui il a des discussions « floues » puisquâaucune entente formelle nâest signĂ©e, RenĂ© LĂ©vesque dĂ©clare en confĂ©rence de presse ĂȘtre satisfait des progrĂšs accomplis dans plusieurs dossiers pendant ce court voyage de quatre jours. Une quinzaine de jours plus tard, RenĂ© LĂ©vesque fera de nouveau un saut aux Ătats-Unis, cette fois Ă Washington oĂč il prononce un discours devant le National Press Club dont le contenu est une fois de plus similaire Ă celui de ses discours prĂ©cĂ©dents aux Ătats-Unis. Son conseiller aux affaires internationales, Yves Michaud, annonce ensuite que ce sera le dernier discours du premier ministre du QuĂ©bec aux Ătats-Unis avant le rĂ©fĂ©rendum.
Le rapport Pépin-Robarts bien accueilli à Québec
Le 25 janvier 1979, le rapport de la Commission sur lâunitĂ© canadienne (commission PĂ©pin-Robarts) est dĂ©posĂ© Ă Ottawa. CrĂ©Ă© deux ans auparavant, lâorganisme dont le mandat portait sur lâunitĂ© canadienne recommande au gouvernement du Canada de reconnaĂźtre au QuĂ©bec le droit Ă lâautodĂ©termination et les commissaires avancent mĂȘme que le pays aurait le devoir de nĂ©gocier de nouvelles institutions politiques avec le QuĂ©bec. De plus, ils prĂ©cisent que câest Ă la population du QuĂ©bec, et non au Canada tout entier, dâexercer ses propres choix politiques. Les commissaires proposent Ă©galement que chaque province soit autonome en matiĂšre linguistique, des modifications au systĂšme Ă©lectoral, lâĂ©limination du SĂ©nat et la rĂ©forme de la Cour suprĂȘme qui serait formĂ©e de 11 juges dont cinq en droits civils, faisant ainsi de cette cour un vĂ©ritable « ange gardien » pour le QuĂ©bec. Enfin, ils recommandent de maintenir la politique de bilinguisme au niveau fĂ©dĂ©ral.
Pour RenĂ© LĂ©vesque, la commission qui recommande la crĂ©ation dâun statut particulier pour le QuĂ©bec est un Ă©lĂ©ment qui sera difficile Ă faire accepter par le Canada anglais. De son cĂŽtĂ©, le ministre quĂ©bĂ©cois des Affaires intergouvernementales avance que ce rapport contient plusieurs dĂ©saveux importants Ă lâĂ©gard de Pierre Elliott Trudeau. Il prĂ©cise que les passages sur le caractĂšre distinct du QuĂ©bec, la reconnaissance du droit du QuĂ©bec Ă lâautodĂ©termination et la reconnaissance de la compĂ©tence exclusive des provinces en matiĂšre linguistique en sont la preuve. En entrevue avec lâauteur, Claude Morin se rappelle dâavoir trĂšs bien accueilli ce rapport, ce qui ne remettait toutefois pas en question lâoption souverainiste : « Je me souviens avoir dĂ©clarĂ©, lorsquâil a Ă©tĂ© publiĂ©, que le rapport PĂ©pin-Robarts contenait plusieurs propositions positives. CâĂ©tait objectivement vrai et il Ă©tait honnĂȘte de le reconnaĂźtre. Ce que je fis avec dâautant plus de conviction que je savais, via mes sources personnelles dâinformation, que Pierre Elliott Trudeau et Marc Lalonde notamment Ă©taient au contraire trĂšs mĂ©contents, je dirais mĂ©prisants Ă lâendroit de ses conclusions. Si ma mĂ©moire est bonne, Marc Lalonde a dĂ©clarĂ© quelque chose comme âle rapport est un document parmi bien dâautresâ. De tout cela, il ne dĂ©coule pas quâon soit mĂȘme allĂ© jusquâĂ dire Ă QuĂ©bec que, si Ottawa donnait suite Ă ces recommandations, on songerait sĂ©rieusement Ă remettre en question la politique souverainiste. »
Ă Ottawa, le chef de lâopposition, le conservateur Joe Clark, voit dans ce rapport la mise en valeur des rĂ©gionalismes, ce que son parti dĂ©fend depuis longtemps. Au dĂ©part, Pierre Elliott Trudeau considĂšre ce rapport comme une Ćuvre importante, dĂ©clarant que son gouvernement en endossait les principaux fondamentaux. DĂšs le lendemain toutefois, le premier ministre du Canada se montre en dĂ©saccord avec les propositions touchant la question linguistique, Ă©voquant un rapport utile « pour lâinspiration et la philosophie » qui pourrait se retrouver rapidement sur une tablette. Il estime que les commissaires ont fait preuve de naĂŻvetĂ© sâils croient que les provinces pourraient sâoccuper de leurs minoritĂ©s avec gĂ©nĂ©rositĂ©. Pour lui, il nâest pas question de dĂ©fendre une seule des 75 recommandations lors de la prochaine confĂ©rence fĂ©dĂ©rale-provinciale qui doit se tenir les 5 et 6 fĂ©vrier suivant.
Une nouvelle conférence fédérale-provinciale constitutionnelle
Quelques jours seulement aprÚs la publication du rapport de la commission Pépin-Robarts, les premiers ministres des provinces et du fédéral se retrouvent à Ottawa pour une nouvelle conférence constitutionnelle qui débute le 5 février 1979.
Deux jours avant, soit le 3 fĂ©vrier, la ministre fĂ©dĂ©rale des Communications, Jeanne SauvĂ©, dĂ©clare en entrevue Ă Radio-Canada que le gouvernement du Canada nâaccepterait quâune seule question lors du rĂ©fĂ©rendum quĂ©bĂ©cois : Ătes-vous favorable Ă la sĂ©paration du QuĂ©bec du reste du Canada ? Cette dĂ©claration est en parfaite continuitĂ© avec les propos tenus Ă plusieurs reprises par Pierre Elliott Trudeau qui, advenant une victoire pĂ©quiste lors dâun rĂ©fĂ©rendum, refuserait de nĂ©gocier avec le QuĂ©bec sâil jugeait la question injuste. Et si le rĂ©sultat de ce rĂ©fĂ©rendum ne le satisfaisait pas, le premier ministre du Canada se gardait le droit dâen tenir un pancanadien.
Au terme dâune premiĂšre journĂ©e qui se tient Ă huis clos, pendant laquelle les premiers ministres ont discutĂ© des 14 modifications prioritaires Ă©tablies lors de la prĂ©cĂ©dente confĂ©rence du 1er novembre 1978, Pierre Elliott Trudeau refuse de faire le point avec les journalistes Ă lâinstant oĂč RenĂ© LĂ©vesque Ă©voque un progrĂšs microscopique. MalgrĂ© lâinsistance du premier mi...