Les nations savent-elles encore rĂȘver ?
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Les nations savent-elles encore rĂȘver ?

Les mythes nationaux Ă  l'Ăšre de la mondialisation

GĂ©rard Bouchard

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Les mythes nationaux Ă  l'Ăšre de la mondialisation

GĂ©rard Bouchard

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À propos de ce livre

Depuis deux siĂšcles, la nation a Ă©tĂ©, en Occident tout au moins, le lieu principal de mouvements sociaux, de conflits, de ruptures et de dĂ©bats d'oĂč ont Ă©mergĂ© les visions du monde, les idĂ©aux et les idĂ©ologies qui ont façonnĂ© en profondeur les imaginaires et cimentĂ© les peuples. C'Ă©tait l'Ă©poque oĂč, pour le meilleur et pour le pire, les nations savaient rĂȘver. Mais si dĂ©sormais les nations et les mythes qu'elles ont perpĂ©tuĂ©s voient leur emprise sur la vie des citoyens se relĂącher ou mĂȘme s'effacer, par quoi seront-ils remplacĂ©s comme producteurs de sens? Qui seront les acteurs ou les instances appelĂ©s Ă  prendre en charge cette fonction primordiale?Observateur attentif et informĂ© des imaginaires nationaux, auxquels il a consacrĂ© plusieurs ouvrages, GĂ©rard Bouchard entend les voix qui dĂ©plorent la fin des rĂ©cits collectifs et le triomphe du vide symbolique, sans pour autant consentir Ă  ce sombre portrait. Mais qu'on annonce la fin de la nation ou qu'on pense au contraire qu'elle rĂ©sistera vigoureusement aux forces qui tentent de l'affaiblir, il y aura manifestement des adaptations, des compromis, des virages difficiles Ă  nĂ©gocier. Ces dĂ©fis prĂ©sents et futurs suscitent Ă  la fois l'inquiĂ©tude des citoyens et la curiositĂ© des savants. Les uns et les autres partagent une mĂȘme interrogation: les nations sont-elles encore capables de produire du sens, de nourrir l'imaginaire des citoyens? En d'autres mots: sont-elles encore capables de rĂȘver?AprĂšs Raison et dĂ©raison du mythe, qui proposait une approche sociale du mythe, nous voici sur le terrain des mythes nationaux. On y rencontre les fondements psychiques (archĂ©types, pulsions, Ă©motions) et les configurations formelles (mythes directeurs, mythes dĂ©rivĂ©s, archĂ©mythes) qui structurent les mythes sociaux en gĂ©nĂ©ral. Au-delĂ  de la thĂ©orie, le livre propose des aperçus empiriques centrĂ©s sur les États-Unis, l'Acadie, le Canada anglais et le QuĂ©bec. À chaque fois, il s'agit de comprendre comment les mythes nationaux opĂšrent et comment ces sociĂ©tĂ©s vivent les changements occasionnĂ©s par le nĂ©olibĂ©ralisme, la diversification ethnoculturelle ou les grands courants culturels transnationaux. Au terme de cet ambitieux parcours, le lecteur aura tĂŽt fait de constater que l'enjeu des mythes nationaux est intimement liĂ© Ă  celui de la dĂ©mocratie.

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Informations

Année
2019
ISBN
9782764646038
chapitre 1
L’analyse des mythes sociaux et nationaux
Pourquoi s’intĂ©resser aux mythes sociaux ou nationaux ? L’étude des idĂ©es ou des idĂ©ologies ne suffit-elle pas ? Cette question toute simple appellerait une longue rĂ©ponse, que j’ai dĂ©jĂ  esquissĂ©e dans des textes antĂ©rieurs1. Je me limiterai donc ici Ă  un bref commentaire. Directement ou indirectement, ouvertement ou implicitement, l’histoire des idĂ©es repose sur le postulat voulant qu’elles s’enchaĂźnent au fil du temps, principalement sous la conduite de la raison. On y fait souvent entrer une dimension sociale, reconnaissant ainsi qu’elles sont enracinĂ©es dans des conjonctures, des conflits d’intĂ©rĂȘts, des rapports de pouvoir. Les mĂ©canismes qui commandent en profondeur l’essor et la vie des idĂ©es passent dĂšs lors au second plan, lorsqu’ils ne sont pas tout simplement ignorĂ©s.
On prĂȘte aux idĂ©es et Ă  la raison le pouvoir de mobiliser Ă  elles seules les membres d’une collectivitĂ© 2, au point de les amener parfois Ă  sacrifier leur vie pour elles (pensons aux luttes pour la libertĂ©, l’égalitĂ©, la dĂ©mocratie). Je soutiens, pour ma part, que la nature et la source de cette disposition extraordinaire dĂ©bordent le registre de la rationalitĂ© et font nĂ©cessairement intervenir des motivations qui relĂšvent de l’émotion3, du « dĂ©passement », de la transcendance et de la sacralitĂ© (d’origine religieuse ou non). Ces considĂ©rations me portent Ă  m’intĂ©resser Ă  ce qui sous-tend la construction des idĂ©es et des idĂ©ologies, et ordonne, en dĂ©finitive, leur mouvement. On entre ici dans l’univers du mythe, cet alliage de raison et d’émotion sur lequel se construit toute idĂ©ologie4. Au sein de cet univers, j’étudie les mythes sociaux (ou nationaux)5, ceux qui prĂ©sident Ă  la vie socioculturelle de toutes les collectivitĂ©s, incluant celle des nations, et qui s’expriment dans les nationalismes, ou plus gĂ©nĂ©ralement dans les cultures nationales.
I. Mythes et fondement symbolique
Ma dĂ©marche d’analyse des nations et des nationalismes repose principalement sur le concept de « mythe », mais aussi, plus largement, sur le concept de « fondement symbolique ». Il est utile de les prĂ©senter d’entrĂ©e de jeu. M’intĂ©ressant depuis plusieurs annĂ©es aux mythes sociaux et Ă  la formation des mythes nationaux (G. Bouchard, 2000), j’ai commencĂ© Ă  travailler sur l’état et l’avenir de ces derniers, alors que j’étais professeur invitĂ© Ă  l’UniversitĂ© Harvard en 2009. J’y ai organisĂ© un colloque international sur le sujet, dont le but Ă©tait d’explorer ces deux questions dans diverses rĂ©gions du monde6. Cette expĂ©rience a raffermi ma conviction du rĂŽle moteur des mythes dans la vie des nations d’hier et d’aujourd’hui, et a confirmĂ© la nĂ©cessitĂ© de mieux comprendre leur genĂšse, leur reproduction et leur dĂ©clin en tant qu’idĂ©aux ou valeurs sacralisĂ©es. Le prĂ©sent ouvrage est donc le fruit de plus de vingt ans de recherche.
Mais avant d’aller plus loin dans cette direction, j’ai Ă©prouvĂ© le besoin de faire le point sur ma dĂ©marche d’analyse des mythes sociaux en gĂ©nĂ©ral (G. Bouchard, 2014). J’en rappelle briĂšvement les principaux Ă©lĂ©ments.
M’inspirant principalement, dans cet ouvrage, de la sociologie nĂ©odurkheimienne, j’aborde les mythes en tant que reprĂ©sentations collectives d’un type particulier, caractĂ©risĂ©es comme suit :
‱Fondamentalement, le mythe social est porteur d’une valeur sacralisĂ©e et institutionnalisĂ©e qui soutient une vision de la sociĂ©tĂ© et de ce que devrait ĂȘtre son devenir. La sacralitĂ© du mythe est un attribut qui lui confĂšre une grande capacitĂ© de mobilisation en mĂȘme temps qu’une forte rĂ©sistance aux critiques et au changement.
‱Le mythe social est un mĂ©canisme sociologique universel. On l’observe tant dans les sociĂ©tĂ©s modernes (ou postmodernes) que dans les sociĂ©tĂ©s dites traditionnelles. Il se prĂ©sente toutefois sous des formes diffĂ©rentes et agit selon des voies spĂ©cifiques au sein des unes et des autres.
‱Dans toute collectivitĂ©, le mythe est une composante centrale du fondement symbolique, cet ensemble de valeurs (sacralisĂ©es ou non), de visions du monde, de traditions, d’identitĂ©s, de mĂ©moires et de codes culturels (Tocqueville parlait Ă  ce propos de « doctrines morales ») grĂące auxquels des individus peuvent entrer en relation, partager des idĂ©aux, former des alliances, gĂ©rer leurs diffĂ©rends et leurs diffĂ©rences, et constituer une vĂ©ritable socialitĂ© – ce que Montesquieu appelait « les mƓurs », par opposition au systĂšme lĂ©gal d’une sociĂ©tĂ©. En d’autres mots : il n’y a pas de lien social sans fondement symbolique. On peut parler Ă  ce propos d’un capital culturel propre Ă  chaque nation ou collectivitĂ©, qui s’élabore dans le cours de son histoire (infra).
Par ailleurs, le concept de fondement symbolique est Ă©troitement liĂ© Ă  celui de structure sociale, c’est-Ă -dire les institutions qui, dans une sociĂ©tĂ©, orchestrent la vie symbolique (la famille, le systĂšme d’enseignement, les mĂ©dias, la religion, la justice, etc.).
La notion de fondement symbolique ne doit pas ĂȘtre associĂ©e Ă  une forme de repli sur soi. Comme la racine se dĂ©ploie dans une arborescence, un fondement symbolique peut s’ouvrir Ă  l’universel.
Enfin, le fondement symbolique n’est pas synonyme d’homogĂ©nĂ©itĂ© ou d’unanimitĂ©. Il suppose nĂ©anmoins que toute sociĂ©tĂ©, au-delĂ  de sa diversitĂ©, au-delĂ  des divisions et des conflits qu’elle hĂ©berge, repose sur des Ă©lĂ©ments symboliques partagĂ©s qui lui permettent justement de se perpĂ©tuer en orchestrant cette diversitĂ© et en arbitrant ses conflits. Ainsi, des membres d’une minoritĂ© pourront contester victorieusement leur exclusion en invoquant la rĂšgle de l’égalitĂ© civique stipulĂ©e dans la Charte des droits et libertĂ©s. Dans d’autres cas, on voit que, sous l’effet de la contestation, un fondement symbolique a la propriĂ©tĂ© de changer, mĂȘme substantiellement (par exemple, Ă  l’échelle de l’identitĂ©), sans nĂ©cessairement se rompre.
‱Au sein de la culture, les mythes se prĂ©sentent sous la forme d’une architecture pyramidale. On y distingue d’abord des mythes directeurs, qui forment une sorte de matrice du fait qu’ils Ă©tablissent les paramĂštres premiers de l’univers culturel : les visions du monde, les valeurs fondatrices, les grandes normes collectives7. Les mythes directeurs sont sujets au changement, mais seulement dans la longue durĂ©e – une sociĂ©tĂ© est ordinairement rĂ©fractaire Ă  rĂ©viser l’ossature de son fondement symbolique.
‱Il existe aussi des mythes dĂ©rivĂ©s, sous-produits des mythes directeurs, dont ils retiennent l’esprit, mais qu’ils spĂ©cifient dans le court ou le moyen terme. On attend de ces mythes qu’ils s’articulent Ă©troitement aux contextes changeants, aux aspirations, aux angoisses et aux dĂ©fis de l’heure. En consĂ©quence, ils sont susceptibles d’ĂȘtre remplacĂ©s pĂ©riodiquement, de sorte que les mythes directeurs conservent leur autoritĂ© ou leur emprise sur la sociĂ©tĂ©. Cette architecture remplit Ă©galement certaines autres fonctions : par exemple, elle assure qu’en pĂ©riode de changements radicaux (substitution rapide de mythes dĂ©rivĂ©s, par exemple), une sociĂ©tĂ© maintient un minimum d’équilibre et un sens de la continuitĂ© grĂące Ă  la relative stabilitĂ© des mythes directeurs.
Un peu dans le mĂȘme esprit, J. Hutchison (2004) a soumis une proposition sĂ©duisante. Selon lui, les mythes nationaux se prĂ©sentent sous la forme de couches symboliques superposĂ©es (en vertu d’un procĂ©dĂ© de « mythic overlaying »). Il explique que, dans l’histoire d’une sociĂ©tĂ©, les groupes sociaux Ă©laborent des mythes correspondant Ă  des conjonctures particuliĂšres. Lorsque ces mythes deviennent dĂ©suets Ă  cause de changements incessants, d’autres mythes sont introduits, mais en s’ajoutant aux anciens. À la longue, il se produirait donc une accumulation au sein d’un bassin mythique plutĂŽt stable. Hutchison donne en exemple l’histoire de l’Irlande, dont les principaux mythes nationaux sont des traductions successives de grands mythes sacrificiels. La culture irlandaise se serait ainsi rĂ©inventĂ©e (« regenerated ») Ă  diverses reprises sur un fond de continuitĂ©. Ce modĂšle ingĂ©nieux s’apparente Ă  ma thĂ©orie des mythes directeurs et dĂ©rivĂ©s, mais sans se confondre avec elle (j’écarte, notamment, l’idĂ©e gĂ©nĂ©rale d’une accumulation/superposition des mythes).
‱Il existe enfin des archĂ©mythes. Dans l’histoire d’une nation donnĂ©e, il arrive que les mythes (directeurs et dĂ©rivĂ©s) se prĂ©sentent sous une forme Ă©troitement entrelacĂ©e d’oĂč se dĂ©gage une grande convergence. On attend d’un tel arrangement symbolique qu’il accroisse la puissance de chacun des mythes impliquĂ©s et leur impact sur la vie collective. Les situations d’archĂ©mythes se prĂ©sentent toutefois assez rarement. Cela dit, ils apparaissent dans le passĂ© des quatre nations analysĂ©es plus en dĂ©tail aux chapitres 3 Ă  6. Comme mentionnĂ© dans l’introduction, le choix de ces quatre nations a prĂ©cisĂ©ment Ă©tĂ© dictĂ© par ce critĂšre, afin d’illustrer le phĂ©nomĂšne dans divers contextes.
‱Une autre propriĂ©tĂ© des mythes sociaux est d’ĂȘtre Ă  la fois produits stratĂ©giquement par des acteurs collectifs et ancrĂ©s dans une structure psychique qui les place au cƓur des imaginaires collectifs8. Il est donc erronĂ© de les rĂ©duire Ă  des outils de manipulation aux mains des Ă©lites (bien qu’ils soient souvent utilisĂ©s Ă  cette fin), car ce serait dĂ©naturer leur rĂŽle au sein du fondement symbolique9.
II. Le processus de mythification
Le double caractĂšre de permanence et de transitivitĂ© des mythes sociaux s’explique du fait qu’ils relĂšvent Ă  la foi...

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