Le Sourire d'Anton ou l'adieu au roman
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Le Sourire d'Anton ou l'adieu au roman

Carnets 1975-1992

André Major

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Le Sourire d'Anton ou l'adieu au roman

Carnets 1975-1992

André Major

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À propos de ce livre

PRIX DE LA REVUE ÉTUDES FRANÇAISES 2001« On peut vivre sans Ă©crire, on ne peut pas Ă©crire sans vivre », Ă©crit Georges Perros dans ses Papiers collĂ©s. Cette affirmation va trĂšs loin, du moins pour moi, qui ne puis ni me rĂ©soudre Ă  vivre sous l'empire des mots ni me contenter d'un quotidien trop bavard. J'ai besoin de beaucoup de silence et de rĂȘverie pour entendre le cƓur du monde battre en moi avant d'en transcrire les pulsations dans mon idiome. Au fond, c'est Ă  cela que j'ai toujours prĂ©tendu, plus ou moins consciemment: me faire l'interprĂšte des voix qui n'ont d'Ă©cho que par mon entremise. Écrire, en aucun cas, ne doit devenir un mĂ©tier. Notre seul mĂ©tier, notre devoir mĂȘme, est d'abord de vivre. J'Ă©cris par besoin d'aller au-delĂ  du vĂ©cu, pour rĂ©pondre Ă  un appel pressant, pour toutes les raisons qu'il est possible d'invoquer, mais sans m'Ă©loigner « d'un seul pas du tourbillon de la vie », ainsi que le rappelle Gombrowicz.AndrĂ© Major

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Informations

Année
2012
ISBN
9782764641903

1984 — 1987

1984

27 fĂ©vrier ‱ Toute conversation, c’est un fait universel, je crois bien, commence par un Ă©change de vues sur le temps qu’il a fait, qu’il fait et qu’il fera, et on s’en tient souvent Ă  ça. Il y a lĂ  un insolent refus de la profondeur, un repli dans son prĂ©cieux quant-Ă -soi en mĂȘme temps qu’une sagesse trĂšs naturelle. Il arrive pourtant que la tempĂ©rature soit autre chose qu’un banal recours Ă  l’insignifiance quand, par exemple, aprĂšs s’ĂȘtre grisĂ© de prĂ©coces effluves printaniers, on doit marcher dans une tempĂȘte que rien n’annonçait et qui survient, poussĂ©e par des vents d’une rare vĂ©locitĂ©.
On ne peut tout de mĂȘme pas rester chez soi Ă  perpĂ©tuitĂ©. Vient un moment oĂč l’on se rĂ©signe Ă  dĂ©neiger le seuil de sa porte et, le cas Ă©chĂ©ant, l’entrĂ©e de son garage. On remet ses bottes et son parka fourrĂ© de duvet de canard pour affronter l’aveuglante poudrerie, le vent qui vous assourdit et le froid qui vous fend le crĂąne. On assiste alors Ă  une curieuse communion entre voisins habituĂ©s Ă  se saluer d’un bonjour Ă  peine audible ou d’un signe de la main. Le temps de reprendre souffle, on bavarde avec le rentier d’à cĂŽtĂ© ou on donne un coup de main Ă  la petite dame qui s’acharne Ă  extraire sa Honda du remblai de neige oĂč la dĂ©neigeuse l’a coincĂ©e. Les citadins dĂ©sabusĂ©s, revenus de bien des illusions — celle de la prospĂ©ritĂ©, celle du dernier tirage de la loto ou du rĂ©fĂ©rendum, au choix —, retrouvent une sorte de joyeuse solidaritĂ© dans cette atmosphĂšre de catastrophe surmontĂ©e. Elle durera une heure peut-ĂȘtre, cette solidaritĂ©, avant de se dissoudre dans la sueur, puis devant le petit Ă©cran qui, lui, convie ses fidĂšles Ă  une communion d’une espĂšce plus familiĂšre et d’une rĂ©confortante banalitĂ©. AprĂšs les informations, l’expĂ©rience le prouve, il ne restera rien de cette tempĂȘte de fin de saison qu’une paire de gants en train de sĂ©cher sur le radiateur.
28 fĂ©vrier ‱ L’impression que l’échec rĂ©fĂ©rendaire de mai 1980 nous a collectivement plongĂ©s dans le marasme persiste, quatre ans plus tard, comme si une telle embardĂ©e avait compromis pour de bon notre Ă©volution politique, comme si l’Histoire avait cessĂ© de nous regarder. Nous n’avons rien gagnĂ© au jeu rĂ©fĂ©rendaire, c’est bien Ă©vident, nous y avons mĂȘme perdu des plumes, tous les commentateurs nous l’ont rĂ©pĂ©tĂ© ad nauseam. Le choix rĂ©fĂ©rendaire nous a effectivement figĂ©s dans un provincialisme politique dont nous paraissions en bonne voie de nous dĂ©faire au cours des deux derniĂšres dĂ©cennies. Mais ce qui est le plus inquiĂ©tant, c’est que ce provincialisme politique dont il faut, semble-t-il, nous accommoder pour le moment semble raviver un indĂ©racinable provincialisme culturel qui, faisant allĂšgrement son deuil de l’affirmation collective (embourbĂ©e, il est vrai, dans la quĂȘte bĂȘtifiante du patrimoine), se ressource maintenant dans la culture de masse amĂ©ricaine. AprĂšs avoir pris ses distances avec la patrie d’origine et pataugĂ© dans le sirop d’érable, voilĂ  qu’on se branche, bouche bĂ©e, sur le continentalisme amĂ©ricain.
Je ne parle pas du milieu littĂ©raire qui, ayant soldĂ© une bonne partie de son catalogue de clichĂ©s idĂ©ologiques, cultive un esprit de chapelle qui fait de tout Ă©crivain solitaire une curieuse anomalie. Chacun doit peaufiner le label qui authentifie la qualitĂ© de son produit, la subvention n’y suffisant plus. L’écrivain du pays, porte-parole d’une cause d’autant plus exaltante qu’elle paraissait Ă©loignĂ©e de sa rĂ©alisation, a cĂ©dĂ© le micro aux promoteurs d’une avant-garde dĂ©sormais consacrĂ©e. On est donc moderne comme on Ă©tait indĂ©pendantiste, faute de quoi on a intĂ©rĂȘt Ă  remballer sa marchandise. On invoque la ville et ses rumeurs quand on ne va pas jusqu’à inventer une langue Ă  soi, et tant pis si vous n’avez pas l’oreille faite sur mesure, une critique complaisante assurera le service aprĂšs-vente.
Les mythologies Ă  caractĂšre idĂ©ologique ayant foirĂ©, ici comme ailleurs, exception faite du fĂ©minisme, on se rĂ©fugie frileusement dans le dĂ©lire technologique, on traite ses textes (sans que guĂ©rison s’ensuive nĂ©cessairement) et on les met en mĂ©moire en faisant mine de trouver lĂ  un salut que d’improbables maĂźtres penseurs seraient dĂ©sormais incapables de dispenser Ă  de trop inconstants consommateurs d’idĂ©es. (On n’en finit pas d’enterrer Sartre aprĂšs l’avoir portĂ© aux nues dans les annĂ©es soixante. On gagnerait pourtant Ă  le relire avec l’irrespect qu’il professait si volontiers.)
29 fĂ©vrier ‱ Les journaux font grand Ă©tat de la piĂštre qualitĂ© de la langue Ă©crite des Ă©tudiants sans se rendre compte qu’eux-mĂȘmes donnent un assez mauvais exemple sur ce plan-lĂ . Car si l’écran cathodique simplifie le travail technique, il n’a malheureusement pas la facultĂ© de corriger les fautes parfois grossiĂšres qui font de la lecture des journaux un exercice passablement laborieux pour les lecteurs qui conservent le goĂ»t du travail bien fait. Des chroniqueurs soucieux d’imposer leur style passent outre Ă  une correction grammaticale qui devrait aller de soi dans ce mĂ©tier. Faites l’expĂ©rience de lire votre quotidien prĂ©fĂ©rĂ©, crayon rouge Ă  la main, puis, tant qu’à vous donner cette peine, adressez votre exemplaire corrigĂ© au rĂ©dacteur en chef. Peut-ĂȘtre qu’à la longue cela entraĂźnera l’embauche de correcteurs autorisĂ©s Ă  traduire en français lisible cette prose extravagante qui vous met de mĂ©chante humeur chaque matin.
5 mars ‱ J’ai l’air de quoi, moi qui dĂ©nonce la subventionnite sĂ©vissant chez nous comme au Canada anglais alors que depuis des mois, grĂące au Conseil des Arts, je ne fais qu’écrire, lire et cuisiner ? Admettons que ce soit de l’ingratitude, il n’en reste pas moins que c’est un peu frustrant d’ĂȘtre redevable au mĂ©cĂ©nat gouvernemental plutĂŽt qu’à la faveur publique. Mais les choses Ă©tant ce qu’elles sont — marchĂ© restreint, diffusion limitĂ©e —, l’abolition de ce systĂšme, si elle acculait nos Ă©diteurs Ă  faire preuve d’une plus grande compĂ©tence Ă©ditoriale et commerciale, aurait pour effet immĂ©diat de rĂ©duire considĂ©rablement la circulation des idĂ©es et des courants culturels. La sĂ©lection naturelle qui s’opĂ©rerait alors risquerait de ne laisser survivre que de rares maisons, et pas nĂ©cessairement les plus audacieuses. Ce serait une aventure d’autant plus pĂ©rilleuse que le progrĂšs technologique favorise, comme on le voit actuellement, la diffusion d’une culture de masse qui risque de prĂ©cipiter notre intĂ©gration Ă  la culture continentale. Car, ce qui domine dans le discours Ă  la mode, c’est une ouverture de plus en plus grande aux valeurs amĂ©ricaines sur fond de francophobie, comme si nous renoncions tout Ă  coup Ă  affirmer notre singularitĂ© culturelle. L’Histoire nous entraĂźne sans doute naturellement dans cette voie, mais Ă  quel prix, il faut se le demander. On voit mal comment, parlant français, nous pourrions renier notre solidaritĂ© avec la culture française sans du mĂȘme coup nous amputer d’une part vitale de notre personnalitĂ©. Notre attitude vis-Ă -vis de la France a d’ailleurs toujours Ă©tĂ© ambiguĂ«, amoureuse un jour, haineuse le lendemain, selon qu’elle nous flatte ou nous ignore, mais la plupart du temps empreinte de mĂ©fiance. Combien d’artistes quĂ©bĂ©cois, francophobes par rĂ©flexe, n’attendent que la consĂ©cration de ce Paris tant exĂ©crĂ© ?
L’amĂ©ricanitĂ© dont nous nous gargarisons n’est peut-ĂȘtre rien d’autre qu’une tentation d’en finir avec toute rĂ©sistance culturelle, un abandon en quelque sorte, une soumission Ă  la force d’attraction amĂ©ricaine. Ce serait tellement plus facile de se laisser satelliser par les États-Unis, comme l’ont compris les intellectuels canadiens-anglais et le gouvernement fĂ©dĂ©ral qui essaient de crĂ©er de toutes piĂšces un nationalisme canadian en traduisant sans vergogne, et presque mot Ă  mot, le discours indĂ©pendantiste quĂ©bĂ©cois pour les besoins de leur cause.
6 mars ‱ Hier, comme le toit coulait, je suis montĂ© voir ce qui se passait, en dĂ©pit du vertige que j’éprouvais. Il suffisait pourtant de fermer les yeux pour que ça devienne simple comme bonjour. Je n’ai eu qu’à briser la glace qui empĂȘchait l’eau de cheminer jusqu’au drain. À quarante ans passĂ©s, on savoure encore des petites victoires de ce genre : surmonter son vertige ou encore dire Ă  sa fille qu’on a plaisir Ă  sortir avec elle, aveu qu’on n’aurait pas osĂ© faire Ă  son fils.
8 mars ‱ Ce qu’on a appelĂ© les errements politiques de Sartre — et ils ont Ă©tĂ© Ă©normes, surtout en ce qui concerne le bloc communiste — dĂ©coulaient beaucoup plus d’un radicalisme aveugle que d’un gĂątisme. Je n’irais cependant pas jusqu’à prĂ©tendre, comme certains esprits vertueux, qu’il vaut mieux se tromper en plaidant pour la justice qu’avoir raison avec ceux qui s’en tiennent prudemment Ă  la force des choses. Il n’en reste pas moins que personne n’était obligĂ© de suivre Sartre quand il s’égarait. Ce sont d’ailleurs ceux qui se sont trompĂ©s avec lui qui le tiennent aujourd’hui responsable de leurs erreurs, la plus grande Ă©tant probablement de s’ĂȘtre donnĂ© un maĂźtre Ă  penser. La pensĂ©e de Sartre aurait dĂ» leur servir de point de repĂšre, comme toute pensĂ©e, mais il est vrai que la sienne Ă©tait d’un radicalisme exemplaire et qu’il Ă©tait tentant de s’y conformer. S’il s’est imposĂ© Ă  la conscience contemporaine, c’est d’abord pour avoir obstinĂ©ment cherchĂ© Ă  assigner un sens Ă  l’Histoire en tenant Ă©galement compte de la libertĂ© et de la justice, et cette double exigence, nous voilĂ  condamnĂ©s Ă  la maintenir sans rĂ©fĂ©rence Ă  un modĂšle existant. D’oĂč l’espĂšce de dĂ©sarroi qui a gagnĂ© les esprits et favorisĂ© un climat de dĂ©mission et un cynisme qui ont affaibli la gauche.
C’est vrai pour la gauche française, Ă©branlĂ©e par le difficile exercice du pouvoir, comme ce l’est pour nous, partisans de la souverainetĂ© politique du QuĂ©bec, qui avons un peu rapidement tenu pour rĂ©solue, sinon rĂ©volue, la question nationale Ă  partir de laquelle se dĂ©finissait une idĂ©ologie du recommencement. L’allĂ©gresse de la prise du pouvoir ayant tournĂ© en amertume au lendemain du rĂ©fĂ©rendum et de l’adoption du Canada Bill, nous avons renoncĂ© Ă  nous interroger sur notre avenir, peut-ĂȘtre aussi parce que la quĂ©bĂ©citude commençait Ă  nous peser un peu, Ă  nous Ă©touffer, comme c’est fatalement le cas de toute pensĂ©e qui n’aboutit Ă  rien.
Cet Ă©chec politique, que nous inclinons Ă  croire irrĂ©versible et dĂ©finitif, a ranimĂ© en nous un fatalisme d’autant plus pernicieux qu’il se donne pour un rĂ©alisme. On peut toujours prendre congĂ© de l’Histoire, on ne peut lui donner congĂ© : elle se fait alors sans nous, c’est tout. Mais il est certain que l’actuelle dĂ©mobilisation des esprits a quelque chose de libĂ©rateur : elle nous autorise Ă  crĂ©er et Ă  penser avec le sentiment grisant d’une gratuitĂ© toute neuve. Cette dĂ©mission fait cependant problĂšme lorsqu’elle a pour consĂ©quence d’abandonner la question nationale Ă  la classe politique et Ă  elle seule.
Nous avons pu nous croire enfin dĂ©livrĂ©s d’une obsession un peu dĂ©bilitante Ă  la longue, ravalĂ©e qu’elle Ă©tait Ă  un simple enjeu politique, mais nous commençons Ă  deviner ce que cette dĂ©livrance rĂ©vĂšle : un refus de l’effort intellectuel, un repli sur soi et sur la vie privĂ©e — privĂ©e de perspectives justement. Il reste peut-ĂȘtre une issue : reprendre la parole aprĂšs avoir acceptĂ© qu’elle soit confisquĂ©e par le discours partisan. Pour dire quoi, je n’en ai pas la moindre idĂ©e. Je constate seulement l’urgente nĂ©cessitĂ© pour les intellectuels quĂ©bĂ©cois de sortir du cercle vicieux oĂč les enferme une confortable morale de l’échec. Sans donner dans un pragmatisme Ă  courte vue, comme chez tant d’observateurs qui nous proposent de passer Ă  autre chose, il nous faudra courir le risque de penser contre nous-mĂȘmes s’il le faut, pour peu que penser signifie quelque chose pour nous qu’on a plutĂŽt rompus Ă  croire. Cet exercice suppose que nous allions jusqu’au bout d’un examen critique de l’idĂ©ologie dĂ©colonisatrice qui nous a servi de lunette d’approche depuis prĂšs de vingt ans. Une telle confrontation ne doit pas nous effrayer, bien qu’elle puisse ĂȘtre infiniment plus Ă©prouvante que l’échec politique dont il faudra bien nous relever si le dĂ©sir d’autonomie nous dit encore quelque chose. Mais bazarder le nationalisme, je n’en vois pas l’intĂ©rĂȘt, sauf pour ceux qui ont toujours niĂ© le bien-fondĂ© de notre prĂ©tention Ă  former un peuple, on comprend aisĂ©ment pourquoi, car si un peuple a des droits, une minoritĂ©, elle, n’a souvent que des griefs dont la majoritĂ© peut disposer Ă  sa guise.
20 mars ‱ Au moment oĂč je me faisais enfin Ă  l’idĂ©e de me soumettre Ă  la vasectomie, qu’on considĂšre maintenant comme la seule mĂ©thode contraceptive acceptable, d’abord parce qu’elle serait bĂ©nigne, et surtout parce qu’elle soulagerait les femmes d’une responsabilitĂ© trop longtemps assumĂ©e par elles seules, voici que je tombe sur une chronique de Lysiane Gagnon sur le sujet. J’y apprends, entre autres choses, que si la vasectomie attire un grand nombre de mĂąles ces derniers temps, ce n’est pas le rĂ©sultat d’une rĂ©flexion ni mĂȘme la consĂ©quence d’une situation concrĂšte, leurs conjointes ne pouvant plus prendre la pilule sans risque, passĂ© un certain Ăąge. Non, ce revirement soudain cacherait une assez vilaine arriĂšre-pensĂ©e : priver les femmes de leur autonomie sexuelle. Ne me sachant pas si mal intentionnĂ©, je me fouille un peu honteusement, histoire d’en avoir le cƓur net. Serais-je donc, mĂȘme inconsciemment, du seul fait d’ĂȘtre un homme, portĂ© aux manipulations les plus viles dans le dĂ©licat domaine du sexe ? Ça n’aurait rien d’étonnant, aprĂšs tout, qu’exerçant, toujours du fait d’ĂȘtre affligĂ© d’un pĂ©nis, le contrĂŽle Ă©conomique et politique, j’en vienne tout naturellement Ă  exercer le contrĂŽle des relations sexuelles de ma conjointe.
D’oĂč hĂ©sitation et confusion. Lysiane Gagnon, fĂ©ministe modĂ©rĂ©e et gĂ©nĂ©ralement douĂ©e d’une certaine indĂ©pendance d’esprit, m’oblige Ă  reconsidĂ©rer sĂ©rieusement une dĂ©cision que j’avais prise en accord avec ma femme, la remettant sine die, jusqu’à ce qu’aprĂšs avoir recouru Ă  de plus banals moyens de contraception, ma conjointe elle-mĂȘme, faisant fi de sa libertĂ© sexue...

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