Une démission tranquille
eBook - ePub

Une démission tranquille

La dépolitisation de l'identité québécoise

Jacques Beauchemin

Partager le livre
  1. 218 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Une démission tranquille

La dépolitisation de l'identité québécoise

Jacques Beauchemin

DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

Sous la pression combinĂ©e de l'individualisme, du pluralisme et de l'Ă©conomie nĂ©olibĂ©rale, les États-nations tendent vers une dĂ©politisation de leur identitĂ©. Comme il est de plus en plus difficile de se rĂ©fĂ©rer Ă  une origine et Ă  un avenir en commun, l'identitĂ© nationale se vide de son unitĂ© politique pour laisser place Ă  des revendications multiples. À cette dĂ©politisation s'ajoute la tentation de l'apolitisme, que ce soit par un repli sur la seule culture ou sur l'intĂ©rĂȘt individuel. OĂč se situe le QuĂ©bec contemporain dans ce contexte oĂč la vie politique marginalise l'histoire nationale? Que se trame-t-il dans les profondeurs de sa conscience historique? Les progrĂšs engendrĂ©s par la RĂ©volution tranquille ont Ă©tĂ© le fruit d'une impulsion politique, d'un dĂ©sir de faire sociĂ©tĂ© qui donnait force et cohĂ©rence Ă  l'action de l'État et des mouvements sociaux. C'est l'affirmation volontariste d'une culture libĂ©rĂ©e des carcans que lui imposait la sociĂ©tĂ© canadienne-française de jadis qui a rendus ces progrĂšs possibles. Faut-il en faire autant avec la culture issue de la RĂ©volution tranquille? Que faire de l'histoire nationale dans une sociĂ©tĂ© pluraliste et multiethnique oĂč le monopole que dĂ©tenaient les Canadiens français sur l'Ă©criture de cette histoire paraĂźt moins lĂ©gitime. L'introspection culpabilisante ne risque-t-elle pas d'emporter le destin national dans son sillon?Si Jacques Beauchemin se porte Ă  la dĂ©fense de l'Ă©lan hĂ©ritĂ© de la RĂ©volution tranquille, c'est parce qu'il craint que la dĂ©politisation entraĂźne la marginalisation, voire la folklorisation du QuĂ©bec français. À ceux qui en appellent Ă  un retour au Canada français, il rappelle le caractĂšre apolitique d'une identitĂ© canadienne-française retranchĂ©e dans les limites de sa mission providentielle. La foi catholique hier, les succĂšs internationaux des artistes et des entreprises aujourd'hui sont les manifestations d'une identitĂ© qui nie le politique. Les QuĂ©bĂ©cois s'accrochent Ă  une « Ă©ternitĂ© trompeuse », Ă  cette idĂ©e que leur culture demeurera, quels que soient leurs choix politiques. En rĂ©action Ă  cette attitude Ă©merge un « dĂ©clinisme » proprement quĂ©bĂ©cois qui rage d'appartenir Ă  une province, mais qui ne croit plus au rĂ©veil collectif et donc s'abĂźme lui aussi dans l'apolitisme. Figure incontournable de la sociologie politique quĂ©bĂ©coise et de la pensĂ©e souverainiste, Jacques Beauchemin est lucide quant Ă  l'Ă©tat de la conscience historique quĂ©bĂ©coise, mais il persiste Ă  faire vivre en AmĂ©rique une sociĂ©tĂ© originale.

Foire aux questions

Comment puis-je résilier mon abonnement ?
Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Puis-je / comment puis-je télécharger des livres ?
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l’application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Quelle est la différence entre les formules tarifaires ?
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă  la bibliothĂšque et Ă  toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă  12 mois d’abonnement mensuel.
Qu’est-ce que Perlego ?
Nous sommes un service d’abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Prenez-vous en charge la synthÚse vocale ?
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Est-ce que Une démission tranquille est un PDF/ePUB en ligne ?
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă  Une dĂ©mission tranquille par Jacques Beauchemin en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans PolĂ­tica y relaciones internacionales et Nacionalismo y patriotismo. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages Ă  dĂ©couvrir dans notre catalogue.

Informations

chapitre 1
La permanence tranquille
Pierre Vadeboncoeur a proposĂ© en 1970 l’idĂ©e selon laquelle l’imaginaire quĂ©bĂ©cois serait traversĂ© d’une certitude paradoxale qu’il a dĂ©signĂ©e sous l’idĂ©e de « permanence tranquille ». Il entendait par lĂ  ce sentiment d’un genre d’éternitĂ© de la collectivitĂ© quĂ©bĂ©coise. Cette idĂ©e a Ă©tĂ© reprise et maintes fois discutĂ©e au cours des derniĂšres annĂ©es. J’examinerai certaines contributions rĂ©centes qui la reprennent Ă  leur compte. L’hypothĂšse qui guidera mon exploration consiste en ceci que ce trait est un des plus constants de la personnalitĂ© collective. Au grĂ© des conjonctures, il resurgit sous diverses formes dans la conscience historique. Travaillant toujours en arriĂšre-plan, il a pour effet d’inhiber la politisation du sujet quĂ©bĂ©cois, et ce, non pas parce qu’il le garderait totalement captif des vieilles reprĂ©sentations qu’il s’est donnĂ©es de lui-mĂȘme mais bien parce qu’il a tendance Ă  se surimposer Ă  l’action politique, comme s’il en rattrapait l’élan.
C’est ainsi que les annĂ©es 1960, thĂ©Ăątre de la politisation de la conscience historique, exalteront en mĂȘme temps les beautĂ©s hors du temps du Canada français, de Jack Monoloy au Grand Six-Pieds en passant par l’évocation de la drave et des hivers d’antan. C’est lĂ  Ă©galement, au tout dĂ©but de la RĂ©volution tranquille, en 1963, alors que l’avenir est plein de promesses, que Michel Brault et Pierre Perrault tourneront Ă  l’üle aux Coudres Pour la suite du monde, que l’histoire du cinĂ©ma allait par la suite Ă©lever au rang de chef-d’Ɠuvre1. Mais que raconte ce film, sinon l’importance des traditions, du passĂ©, du respect et de l’amour que nous devons au monde canadien-français d’hier ? Ici, la prise de parole Ă  laquelle s’adonnent avec allĂ©gresse les annĂ©es 1960 adopte alors la forme paradoxale d’une Ă©vocation des traditions. Le cinĂ©ma direct offrait la possibilitĂ© de parler par et pour soi-mĂȘme en signe de libertĂ©, mais en mĂȘme temps un monde de traditions disparaissait qu’il fallait sauver de l’oubli. Fernand Dumont observe le phĂ©nomĂšne et s’étonne du fait que « lĂ  oĂč on aurait pu attendre le rĂšgne des prophĂštes de la rationalitĂ©, on a vu paraĂźtre les chantres de la CĂŽte-Nord », et que la cĂ©lĂ©bration du « pluralisme cosmopolite » a simultanĂ©ment vu « resurgir, empoignĂ© par des mains de jeunes et Ă  des milliers d’exemplaires, le vieux drapeau fleurdelisĂ©2 ».
L’élan politique que portait la RĂ©volution tranquille voulait fonder un peuple nouveau. Seulement, la figure d’un autre peuple, plus ancien et peut-ĂȘtre mĂȘme plus « vrai », perçait au travers des discours cĂ©lĂ©brant l’avĂšnement du peuple « politique » qui scanderait bientĂŽt « Le QuĂ©bec aux QuĂ©bĂ©cois ! ». Coexistence normale et souhaitable de la culture et du politique, dira-t-on. Bien sĂ»r. Mais le problĂšme quĂ©bĂ©cois tient peut-ĂȘtre Ă  l’éternel retour de cette dĂ©finition intemporelle de soi-mĂȘme qui n’a pas besoin du politique pour se maintenir. Vadeboncoeur, on le verra, rapporte le phĂ©nomĂšne Ă  la configuration sociale particuliĂšre occasionnĂ©e par la situation coloniale, qui aurait eu pour effet de confiner la sociĂ©tĂ© canadienne-française dans les frontiĂšres de sa culture et de ses traditions. Dans cet univers clos, cette culture a pu imaginer son existence dans un genre de perpĂ©tuitĂ© protĂ©gĂ©e des contingences de l’histoire.
Dans Le Roman sans aventure3, Isabelle Daunais avance une idĂ©e qui n’est pas loin de celle de la permanence tranquille que propose Vadeboncoeur. Le roman quĂ©bĂ©cois serait selon elle « soumis au rĂ©gime de l’idylle, c’est-Ă -dire un monde Ă  l’abri du monde ». Cette notion est empruntĂ©e Ă  Milan Kundera, qui l’a dĂ©finie dans L’Art du roman4 comme caractĂ©ristique d’un « monde d’avant le premier conflit ; ou en dehors des conflits ; ou avec des conflits qui ne sont que malentendus, donc faux conflits5 ». En cherchant Ă  rĂ©pondre Ă  la question qui consiste Ă  savoir pour quelles raisons le roman quĂ©bĂ©cois ne parvient pas, sauf exception, Ă  intĂ©resser au-delĂ  du QuĂ©bec lui-mĂȘme, Daunais en arrive Ă  la conclusion d’une certaine atonie. Trop attachĂ© Ă  la mise en rĂ©cit de la condition quĂ©bĂ©coise et captif des questions existentielles qui la taraudent, le roman quĂ©bĂ©cois se refuserait Ă  un imaginaire exprimant de sa propre maniĂšre l’universel de la condition humaine. Le roman « sans aventure » serait incapable d’échapper Ă  une certaine prĂ©visibilitĂ© et n’introduirait pas de dĂ©calage entre le personnage et le monde oĂč il se trouve, interstice dans lequel s’insinuerait l’aventure.
Le roman canadien-français et quĂ©bĂ©cois n’envisage pas la possibilitĂ© d’un monde autre, ce qui signifierait la fin de celui-ci et l’avĂšnement de l’inĂ©dit. Cette propension se retrouverait dans le destin des personnages auxquels il donne vie et dont Daunais examine trĂšs prĂ©cisĂ©ment la personnalitĂ© et le parcours. Dans les deux romans d’Antoine GĂ©rin-Lajoie le mettant en vedette, Jean Rivard est certes le bĂątisseur de son village, dont il contribue Ă  la prospĂ©ritĂ© en mĂȘme temps qu’à la gouverne politique, mais « la situation oĂč se trouve Jean Rivard Ă  la fin du roman correspond Ă  celle qu’il imaginait au dĂ©but de son entreprise6 ». Dans Maria Chapdelaine, la mort tragique de François Paradis, que tout destinait Ă  Ă©pouser Maria et Ă  partager sa vie avec elle au fond des bois, est symptomatique de ce refus de l’aventure du roman quĂ©bĂ©cois : le seul personnage par lequel l’aventure pouvait faire irruption est sacrifiĂ© afin que l’histoire de cette famille canadienne-française puisse s’inscrire dans la trame familiĂšre et prĂ©visible de la vie paysanne7. De nombreux autres exemples viennent appuyer cette analyse. Le rĂ©cit des pĂ©ripĂ©ties des personnages du roman quĂ©bĂ©cois n’est pas pour autant statique ou ennuyeux, mais une certaine force d’inertie semble les inscrire dans un univers de possibles excluant d’emblĂ©e la possibilitĂ© de les voir devenir autres ou Ă©trangers Ă  eux-mĂȘmes au terme d’une aventure d’oĂč surgirait l’inconnu. Il ne s’agit pas tant d’un repli sur l’univers clos que constituerait le monde canadien-français dans lequel se dĂ©roulerait une histoire sans drame que de la certitude aussi forte qu’irrationnelle d’un destin collectif Ă  l’abri du tragique qui agite d’ordinaire l’existence sociale. Les « aventures » que met en scĂšne le roman quĂ©bĂ©cois ne se limitent pas pour autant aux pĂ©ripĂ©ties ou aux retournements de situation dans lesquels seraient aspirĂ©s les personnages du roman, mais on n’y trouve pas cette part de l’existence qui leur Ă©chappe et qui menace Ă  tout instant non seulement de faire irruption et de modifier le dĂ©roulement de l’histoire mais aussi, plus fondamentalement, de faire advenir une situation nouvelle, un monde abolissant dans son surgissement les bornes, les frontiĂšres et les repĂšres qui balisaient l’ancien. Or, l’universalitĂ© du roman tient Ă  ce que Milan Kundera dĂ©signe sous la notion de « grand contexte8 », c’est-Ă -dire la rĂ©sonance qu’acquiert l’Ɠuvre lorsqu’elle peut, au-delĂ  de l’histoire qu’elle raconte, faire ressentir au lecteur Ă©tranger Ă  l’histoire qui lui est racontĂ©e l’universel de la condition humaine livrĂ©e Ă  la contingence. Par exemple, dans le grand roman de William Styron, Le Choix de Sophie, le choix dĂ©chirant qu’a dĂ» faire Sophie et auquel l’ont contrainte les gardiens du camp d’extermination, c’est-Ă -dire livrer sa fille ou son fils Ă  la chambre Ă  gaz, constitue davantage qu’un tournant de l’histoire que raconte ce livre : il introduit la figure du mal absolu et pose alors la question de la poursuite d’une vie (celle de Sophie) qui devra tout Ă  la fois assumer et expier ce choix. C’est la condition humaine elle-mĂȘme qu’explore ce roman en la rĂ©vĂ©lant dans sa vulnĂ©rabilitĂ© et en montrant la rĂ©silience des ĂȘtres dans cet univers chaotique oĂč se rencontrent l’amour, la violence, la culpabilitĂ© et la mort. C’est l’histoire elle-mĂȘme qui s’ouvre alors Ă  la contingence et qui rĂ©vĂšle ce faisant, au-delĂ  du rĂ©cit en tant que tel, l’implacable vĂ©ritĂ© d’une existence humaine toujours guettĂ©e par le non-sens et par l’imprĂ©visible.
C’est cette fermeture sur le grand contexte ou encore sur l’universel de la condition humaine qui caractĂ©riserait le roman quĂ©bĂ©cois sans aventure. Ses personnages vivent dans l’idylle, dans un « monde complet et achevĂ© 9 », comme suspendu au-dessus de l’inĂ©dit et des transformations des ĂȘtres et des choses que provoquerait, pour autant que l’imaginaire y consente, le retournement d’une entreprise contre elle-mĂȘme, dĂ©finissant alors de toutes nouvelles conditions Ă  la poursuite de l’aventure. Cela ne signifie pas que le roman quĂ©bĂ©cois ne soit que repli sur soi et fermeture au vaste monde. Il s’agit plutĂŽt d’une posture psychosociologique qui correspond Ă  un monde « hors de l’histoire » ou encore Ă  « un monde pacifiĂ© et hors du temps10 ».
Quel est le lien entre cette thĂšse issue des Ă©tudes littĂ©raires et l’idĂ©e de permanence tranquille ? Daunais affirme que l’idylle est « l’univers de base des “Canadiens” (aussi bien les anciens que leurs descendants)11 ». Vadeboncoeur Ă©crit quant Ă  lui que « nul peuple dans une condition aussi prĂ©caire ne s’est jamais senti si assurĂ© en lui-mĂȘme12 ». Le roman sans aventure et la permanence tranquille ont peut-ĂȘtre en commun, chacun sur ses propres bases, de circonscrire l’identitĂ© quĂ©bĂ©coise dans ce qu’elle recĂšle d’illusions et plus exactement dans le sentiment d’éternitĂ© qui la traverse. La maniĂšre de maĂźtriser la contingence s’organise alors dans un imaginaire mĂȘlant sentiment de permanence et apprĂ©hension sereine de l’aven...

Table des matiĂšres