2013
I
Du 7 janvier au 26 février
Mission économique à Davos / Rencontre avec le first minister de l’Écosse / Sommet sur l’enseignement supérieur
Lundi 7 janvier – Danville
Je suis toujours à la campagne. Dernière journée de congé des enfants. Ce sera le retour en classe demain. Nicole est à l’extérieur pour la semaine et tout converge vers moi.
Mardi 8 janvier – Montréal
J’entre au bureau de Montréal pour la première fois depuis la mi-décembre. Quelques rencontres avec des collègues, puis les choses repartent. Marjolain Dufour, député du comté de René-Lévesque sur la Côte-Nord, m’appelle au sujet d’Alcoa, le géant de l’aluminium. La situation se détériore. L’entreprise insiste pour modifier son entente avec le gouvernement. Des emplois sont en jeu. Des reports d’investissements aussi. Le député est très émotif. Il y a le dossier du chantier naval Davie à Lévis qui apparaît sur l’écran radar. Des repreneurs se pointent. C’est un sujet qui revient périodiquement dans l’actualité depuis des décennies. Je lunche au Laurie Raphael de l’hôtel Le Germain avec Martine Ouellet. On repasse les dossiers ensemble : politique énergétique ; redevances minières ; petites centrales hydroélectriques ; gaz de schiste ; pétrole. Elle ne voit pas comment concilier la vision des Finances et la sienne sur la question de la refonte du régime des redevances minières. Je m’entends avec elle quant au choix de son nouveau directeur de cabinet. De retour au bureau, rencontre pour faire le point sur notre voyage prochain à Londres et en Écosse. C’est Marc-André Beaulieu qui est notre homme sur ces questions au cabinet.
Mercredi 9 janvier – Montréal
Aujourd’hui, alors que la première ministre n’est pas encore de retour, je porte un jean avec chemise et pull en V. Je n’ai pas de cravate. J’en ai très peu mis dans ma vie. Je porte parfois des nœuds papillon que je prends plaisir à nouer moi-même le matin devant le miroir. Mais même si je suis de retour en politique et que j’occupe un rôle visible auprès de Madame, je suis incapable de me résoudre à en porter chaque jour. J’en revêts un cependant pour les rencontres avec des dignitaires étrangers puis, chaque mercredi, au Conseil des ministres. Je suis incapable de me présenter au Conseil sans complet ni nœud papillon. Respect du lieu et de la fonction.
Jeudi 10 janvier – Montréal
Longue discussion avec France Amyot, directrice de cabinet de Réjean Hébert à la Santé, à propos d’un conflit avec les ambulanciers. C’est toujours un dossier explosif. Les ambulanciers ont la réputation de jouer dur quand vient le temps d’exprimer leur insatisfaction. Il semble y avoir un malentendu entre la Santé et le Conseil du trésor sur la position que doit tenir le gouvernement. Le nœud, ce sont les conditions de retraite. France se demande jusqu’à quel point nous nous entêtons pour rien. C’est une directrice de cabinet expérimentée qui connaît très bien le secteur de la santé. Je parle de la situation au téléphone avec la première ministre. Elle a trois questions pour moi : combien ça coûte, à quel point leur demande crée-t-elle de la distorsion dans le système et est-ce que ça nous permet vraiment de régler ? Dis à Stéphane Bédard de régler si c’est raisonnable. S’il y a un problème, qu’il m’appelle. Je joins Bédard. Long soupir au bout du fil. On ne peut pas faire ça. Il y a aura trop de dommages collatéraux. Soyons fermes sur les retraites, mais il nous reste de la marge sur le reste.
Vendredi 11 janvier – Montréal et Chicago
La tension monte à Gaspé. Pétrolia est en pleine controverse. Alors que nous discutons avec ses dirigeants à propos d’Anticosti, le projet Haldimand, tout près de Gaspé, préoccupe. C’est une histoire qui traîne. Il y a de l’inquiétude dans la population, qui juge que les forages présentent un risque pour l’approvisionnement en eau potable de la municipalité. Le maire semble jouer sur plusieurs tableaux. La situation est difficile à évaluer de Montréal et le député dans la région, Gaétan Lelièvre, ne sait plus où donner de la tête. L’entreprise a déjà investi des sommes considérables et ne veut plus attendre. Entente de principe avec les ambulanciers. Fin du conflit. Chacun a fait son bout de chemin. La première ministre reçoit aujourd’hui le président du Bénin. Vol pour Chicago en début de soirée avec Valery. Nous découvrons le restaurant Avec, West Randolph Street. Une bonne table qui nous permet immédiatement de nous sentir au bout du monde.
Samedi 12 janvier – Chicago
Brunch au Longman & Eagle, un peu en dehors du centre-ville. Temps assez frais, mais agréable quand il s’agit de marcher dans les rues. Visite de l’Art Institute. La nouvelle aile conçue par Renzo Piano est magnifique. Je prends des photos de la ville à partir de la salle Giacometti. Je tente de mettre les personnages filiformes du sculpteur à l’avant-plan de la ligne d’horizon de la ville. En soirée, nous mangeons tout en haut du Chicago Stock Exchange au restaurant l’Everest. Vue imprenable sur la ville.
Dimanche 13 janvier – Chicago et Montréal
Nous passons l’après-midi à flâner au bar du restaurant Ralph Lauren sur Magnificent Mile. Nous adorons ce lieu. Nous y retournons à chaque visite à Chicago. L’atmosphère est calme, chaleureuse. On regarde les gens aller et venir. On rêvasse doucement en lisant les journaux. If you can get a clear picture of someone at college, you can get a very clear picture of him at any stage of his life. Citation de Robert Caro, biographe de Lyndon B. Johnson, à qui l’on consacre un portrait dans le New York Times. Je pense à ce qui m’occupe maintenant. Aux années passées dans les affaires. Retourner en politique, était-ce bien le bon choix ? Vol vers Montréal en soirée.
Lundi 14 janvier – Montréal
7 h 30 : conférence téléphonique pour discuter de la situation à Gaspé. Les ministres Ouellet, Lelièvre et Blanchet y participent avec St-Gelais et moi. Le maire est déterminé à ce que les forages ne débutent pas comme prévu. Une marche s’organise pour l’appuyer. Martine Ouellet craint que le maire en profite pour dénoncer le gouvernement. Lelièvre se sent piégé et ne sait pas trop comment s’en sortir. La crédibilité de Pétrolia est mise à mal dans la région. Le risque, en diabolisant le pétrole en Gaspésie, c’est de réduire à néant nos chances de procéder à de l’exploration ailleurs sur le territoire. C’est pourquoi nous sommes mal à l’aise avec le choix de Pétrolia d’aller de l’avant si près de Gaspé alors que l’acceptabilité sociale y est fragile. Opération aussi importante que délicate ce matin au cabinet. La première ministre reçoit les recteurs du réseau de l’Université du Québec et ceux des autres universités. Deux rencontres séparées. L’objectif est d’ouvrir le dialogue et de nous assurer de la participation de tous au Sommet sur l’enseignement supérieur qui est préparation. Pierre Duchesne est au côté de la première ministre. Le climat est tendu. Les recteurs sont sortis affaiblis de la crise. Ceux du premier groupe se disent inquiets de l’image qui s’installe à l’égard des universités, particulièrement de leurs dirigeants. Ils craignent une baisse des inscriptions. Lorsque les recteurs se lèvent et quittent la salle à la fin de la rencontre, je me dis qu’ils demeurent profondément blessés par la crise étudiante. Puis ce sont les recteurs de McGill, Laval, Concordia, Montréal, Bishop, HEC Montréal et Polytechnique qui prennent place dans la salle. Ils nous expliquent l’ampleur des problèmes financiers auxquels ils font face. Encore là, on sent une certaine tension, même si la première ministre fait tout pour assurer le succès de l’opération. Son ton tranche avec celui de son ministre. Duchesne donne l’image d’un homme sous tension. Alors que la première ministre cherche l’adhésion, se montre à l’écoute, son ministre paraît rigide. Il est vrai qu’il fait ses premiers pas en politique et que l’enjeu est particulièrement sensible. À la fin de la réunion, certains recteurs nous confient qu’ils n’avaient pas eu une telle rencontre avec le pouvoir depuis longtemps et que, même au cœur de la crise du printemps 2012, jamais le premier ministre Charest ne les avait rassemblés.
Mardi 15 janvier – Montréal et Québec
La première ministre reçoit Daniel Breton. C’est la première rencontre depuis sa démission. Il parle toujours avec la même passion des dossiers qui l’intéressent. Madame lui laisse entendre qu’il pourrait faire un retour comme adjoint parlementaire, mais pas immédiatement. Il dit préparer sa rentrée médiatique… Cela nous laisse un peu perplexes. Madame tente une intervention. Si tu veux mon avis, Daniel, tourne la page et ne reviens pas dans les médias sur ce qui s’est passé. Le temps va arranger les choses. Sage conseil. La première ministre passe une bonne partie de la journée à rencontrer des chefs autochtones à l’initiative de Patrick Lahaie. Avant d’être avec Madame à la suite de son arrivée à la tête du Parti en 2007, Patrick a été dans l’entourage de François Legault, alors ministre du Parti québécois. Lahaie a fait les grandes écoles. Il s’est accroché les pieds dans les arcanes de la politique plutôt que de poursuivre la carrière intellectuelle à laquelle sa formation le destinait. C’est un collègue généreux, volontaire, prêt à mener toutes les batailles pour Madame. Montréal-Québec en voiture avec Nicole en fin de soirée.
Mercredi 16 janvier – Québec
Petit-déjeuner à l’édifice Price avec Jean-Pierre Raffarin. L’ancien premier ministre français est au Québec pour quelques jours. Madame nous reçoit dans la salle à manger de son appartement. Nous sommes une dizaine en incluant Jean-François Lisée. Raffarin fait la promotion de l’innovation et nous informe d’initiatives régionales qui se mettent en place en France pour favoriser les investissements dans ce secteur. Il souhaite des alliances avec des institutions québécoises. Charmeur, Raffarin souligne que la première ministre a l’air en forme. Le pire ennemi en politique, c’est la fatigue. Ça augmente le stress. On glisse inévitablement vers des discussions plus politiques. Raffarin rappelle que les gens ne s’intéressent à la réalisation des promesses électorales que pendant quelque temps. Après dix-huit ou vingt-quatre mois, il y a un point de bascule et les attentes disparaissent. Puis la population commence à s’intéresser à la suite et veut connaître les prochains engagements. Intéressant. À un moment, je note dans mon carnet un mot de Raffarin : Être solitaire et secret, c’est un avantage pour être chef d’État, mais un désavantage pour être chef de parti. On sait qu’il rencontrera Jean Charest durant son séjour au Québec. Les deux hommes sont connus pour être proches. Premier Conseil des ministres de 2013. Les ministres ont le goût de s’exprimer et de faire état de leurs préoccupations en ce début d’année. Chacun a la tête pleine d’idées après quelques semaines plus calmes. Comme à chaque Conseil, des ministres sont mieux préparés que d’autres. Certains ont clairement réfléchi et élaboré leurs interventions alors que d’autres réagissent à chaud. Pascal Bérubé, par exemple, est l’un de ceux qui préparent toujours leurs interventions. Bon communicateur, ses idées font réfléchir et réussissent souvent à se frayer un chemin au sein de Conseil. En fin de journée, Alexandre Cloutier vient rencontrer la première ministre pour un échange sur la gouvernance souverainiste. Il travaille à un plan et veut s’assurer de l’adhésion de la première ministre. Cloutier est une forte tête. D’allure prudente, il peut néanmoins faire preuve d’une détermination surprenante sur certaines questions. On discute avec lui du voyage à Édimbourg prévu pour bientôt.
Jeudi 17 janvier – Montréal
Rencontre de deux jours du cabinet de la première ministre pour planifier les prochains mois. Nicole apprécie ces rencontres qui permettent à chacun de faire valoir son point de vue sur l’ensemble des questions. Ces réunions ont l’avantage d’inclure tout le monde dans les échanges, même si elles ne permettent pas toujours de mettre au point un plan d’action bien précis. Madame Marois met la table. Elle réaffirme ses deux priorités : économie et identité. Sur l’économie, le plan est assez clair. Stimulation de l’économie en soutenant de grands investissements au Québec tout en menant une politique budgétaire responsable. Pauline Marois en fait un défi personnel : c’est son credo. Elle pousse aussi pour la mise en place d’une grande politique d’électrification des transports. Là-dessus, elle trouve que ça n’avance jamais assez vite. Du côté de l’identité, c’est moins clair. Il y a bien le projet de Diane De Courcy sur la langue qui va bientôt commencer à mijoter en commission parlementaire, mais le reste est encore mince. La gouvernance souverainiste demeure un discours, alors que sur la laïcité le gouvernement n’a pas encore présenté son plan de match. On doit sortir de réunion pour une conférence téléphonique d’urgence avec Jacynthe Côté de Rio Tinto Alcan. La première ministre apprend alors le remplacement du président mondial de Rio Tinto en pleine tourmente. L’entreprise est en difficulté, plombée notamment par les résultats du secteur de l’aluminium et par la baisse du prix des métaux en général. Rio Tinto a eu du mal à digérer son acquisition d’Alcan en 2007, et la baisse du prix de l’aluminium ne fait qu’aggraver la situation. Le départ de Tom Albanese n’annonce rien de bon pour ce secteur au sein de l’entreprise. Avec des milliers d’emplois au Québec, il y a de quoi être inquiet. Il est faux de prétendre que les entreprises n’ont pas de nationalité. Chaque entreprise a un cœur qui bat. Ce cœur ne peut être à ...