CHAPITRE 6
Le Québec des régions : Portrait de famille
LE PORTRAIT DE FAMILLE des 17 régions du Québec qui suit ne prétend pas être un portrait sociologique et économique rigoureux et complet, surtout en ce qui concerne les régions urbaines. Il vise avant tout à nous faire entrevoir la diversité méconnue des pays du Québec, d’un Québec des régions. Il présente chaque région comme une richesse à redécouvrir et une communauté vivante, en processus de changement. Il montre aussi que derrière le déclin sous toutes ses formes se cache l’espoir d’une économie nouvelle et d’un nouveau rôle pour chacune d’elles dans la grande nation québécoise.
Les statistiques de population des régions proviennent des portraits régionaux du gouvernement du Québec 2012.
01 BAS-SAINT-LAURENT
Le doux pays
Sur la rive sud du Saint-Laurent, « en-bas de Québec » comme on disait autrefois, là où le fleuve n’est plus une rivière et pas encore la mer, parsemé d’îles flottantes, avec les montagnes de Charlevoix comme fond de décor, se trouve un pays tout en douceur et en lumière, magique, apaisant, avec ses cabourons isolés, sans contredit l’une des dernières réserves de vie rurale au Québec où les paysages et les villages, l’architecture et la nature n’ont pas encore été détruits par l’urbanisation et l’industrialisation.
On parlait autrefois de la Côte Sud et du Bas-Saint-Laurent. Aujourd’hui, la région administrative du Bas-Saint-Laurent s’étend de La Pocatière à Matane, et la Côte-Sud est rattachée à la région administrative de Chaudière-Appalaches, qui englobe des sous-régions très hétérogènes.
Ce sont de grandes seigneuries françaises de 300 ans qui ont donné au Québec de grandes familles et une culture propre : les Casgrain, Routhier, Chapais, Taché, De Gaspé, Chalout, Godbout. Un terroir unique lié aux grandes battures du fleuve : l’anguille et l’esturgeon, le marsouin, l’oie blanche, le foin de grève et les prés salés, la goélette, les îles peuplées d’oiseaux et de légendes, les arbres à fruits acclimatés, comme la prune de Damas et la cerise de Montmorency.
Ce « doux pays », comme on l’a justement nommé, est cependant menacé. La population diminue et vieillit, surtout dans les villages du littoral, au point qu’on parle de territoires en voie de désertification. Les forêts publiques, qui ont fait la fortune des seigneurs écossais et britanniques autrefois, sont en rupture de stock depuis plus de 20 ans et les scieries prospères des hauts plateaux appalachiens achèvent de fermer. Les poissons de fond qu’on pêchait jusqu’à Québec, le flétan, la morue, ont disparu du fleuve, alors que l’anguille et l’esturgeon se font de plus en plus rares. Les bélugas et les baleines sont sous surveillance intensive. Les chalutiers, ces bateaux-usines pirates de la mer, ont détruit jusqu’aux fonds marins et aux sites de régénération. L’eau du fleuve manque d’oxygène. Les fermes laitières, dont les produits étaient réputés dans tout le Québec au XIXe siècle, le beurre du Kamouraska en particulier, vendent leurs quotas de production et font place à l’agriculture intensive et à l’industrie porcine, sous l’impulsion des grandes coopératives et de trois grands abattoirs qui y abattent plus de 20 % des porcs au Québec. Les producteurs d’agneaux, pourtant réputés et solidaires, sont acculés à la faillite. Bombardier déménage des ateliers au Mexique. Ces dernières années, des milliers d’emplois ont été perdus dans la région.
Mais une nouvelle dynamique se met en place autour des nouvelles technologies marines, agroalimentaires et environnementales, des productions d’appellation, de la tourbe, de l’acériculture, de la deuxième et troisième transformations du bois. Ce sont bien sûr surtout les pôles urbains régionaux qui en profitent. La Pocatière, Rivière-du-Loup, Rimouski, Matane redéfinissent leurs créneaux industriels et multiplient les développements résidentiels et les investissements commerciaux où l’on retrouve de plus en plus, malheureusement, de succursales des grandes chaînes américaines. Le développement éolien ouvre de nouvelles perspectives dans une ambiance encore confuse et ambiguë en l’absence de contrôle réel d’Hydro-Québec. Les pêcheurs qui restent font de leur mieux pour protéger la ressource. Mais ce sont surtout les activités de plein air, l’écotourisme, le tourisme culturel et la villégiature qui explosent. Les grands centres de villégiature popularisés au XIXe siècle reviennent en force : Kamouraska, Notre-Dame-du-Portage, Cacouna, Saint-Fabien-sur-mer, Le Bic, Sainte-Luce. Tout le littoral et les divers accès au fleuve sont pris d’assaut. Les gens viennent de partout pour marcher dans ses sentiers, visiter ses jardins, grimper ses falaises de quartzite, goûter son esturgeon fumé, dormir et manger dans ses auberges à l’air du fleuve, pagayer en kayak à travers les îles, les phoques et les bélugas, acheter ses belles maisons de bois et ses chalets sur les battures, peindre ses paysages, ses dernières clôtures de perche et ses couchers de soleil, admirer ses brise-vent uniques au Québec, chercher les traces de Bouscotte ou de Cormoran, manger ses prunes de Damas et rencontrer les citoyens et les paysans qui, pour défendre leur pays, ont mis au monde l’Union paysanne et le Mouton noir, un journal« plus mordant que le loup ».
Population
200 462 (-3 836 depuis 2001), soit 2,5 % de la population du Québec et 1,7 % du territoire. Poids économique : 2 %.
Les MRC
Kamouraska, Rivière-du-Loup, Témiscouata, Les Basques, Rimouski-Neigette, La Mitis, Matapédia, Matane.
Les villes
Rimouski (47 000), Rivière-du-Loup (19 000), Matane (14 000), Mont-Joli (6 000), Amqui (7 000), La Pocatière (5 000).
Les bassins versants
Rivières Saint-Jean, Ouelle, Kamouraska, Fouquet, des Caps, Du-Loup, Verte, Trois-Pistoles, Bic, Rimouski, Mitis, Matapédia, Matane.
Les créneaux économiques
Forêt, pêche, agriculture, industrie porcine, tourbe (Premier Tech), technologies agroalimentaires et agroenvironnementales, transport lourd (Bombardier), écotourisme et villégiature, etc.
Les sites et attractions
Kamouraska, Portage, Sainte-Luce, Sainte-Flavie, le village de L’Isle-Verte ; les Îles, le parc du Bic, le lac Pohénégamook, le lac Témiscouata, le lac de l’Est ; les baleines, l’escalade à Saint-André, la piste cyclable du Petit-Témis, les auberges haut de gamme ; le Musée François-Pilote de La Pocatière (vie rurale) et le Musée de la Mer de Pointe-au-Père (Empress of Ireland), le théâtre du Bic, le sentier national ; les galeries Basque, du Bic, du Manoir Fraser à Rivière-du-Loup et de la Maison du notaire à Cacouna ; l’observatoire Aster à Notre-Dame-du-Lac, la Halte écologique des Battures à Saint-André, les baleines, etc.
Les événements culturels
Symposium de peinture de Saint-Germain-de-Kamouraska
Festi-jazz international de Rimouski
Rimouski en blues
Société du roman policier à Saint-Pacôme-de-Kamouraska
Rendez-vous des Grandes gueules à Trois-Pistoles (contes et récits de la francophonie)
Écofête à Trois-Pistoles (festival environnemental)
Le Tremplin, festival de la chanson et de l’humour à Dégelis
Le camp musical de Saint-Alexandre-de-Kamouraska
Route des métiers d’art et Route des artistes et artisans des Basques…
Les célébrités régionales
Les grandes familles de politiciens et d’écrivains : Chapais, Casgrain, Routhier, Taché, Chalout, Godbout.
Les écrivains qui ont un lien avec la région : Victor-Lévy Beaulieu, François Hertel, Émile Nelligan, Anne Hébert. Les artistes André Gagnon, Claire Pelletier, Réal Bossé, Marie-Thérèse Fortin. Les curés Nicolas-Tolentin Hébert et le fameux Charles Chiniquy.
Les produits réputés
Le pain de la Boulangerie Niemand (Kamouraska), les fromages de chèvre du Mouton blanc (La Pocatière), l’agneau et le bœuf de pré salé, l’agneau de Kamouraska, les poissons fumés, les prunes de la Maison de la prune (Saint-André), les produits de l’érable du Domaine Acer (Auclair), les charcuteries Grelots Bâtons, les savons du Quai des bulles (Kamouraska), le Mange-Grenouille et Chez Saint-Pierre (Le Bic)…
02 SAGUENAY-LAC-SAINT-JEAN
Un royaume au-delà des épinettes
Un pays qui vient de fêter ses 175 ans, où les gens ont encore la fierté, l’assurance, la vitalité et l’esprit de famille des pionniers dont le souvenir est omniprésent : défricheurs, bûcherons, trappeurs, ouvriers des compagnies de papier, de l’aluminium et des grands barrages.
Ce pays est en effet une sorte d’île, de l’autre côté des épinettes, un royaume, a écrit Jacques Cartier. Ses habitants ont leur fleuve, qui est un fjord unique au monde, bien qu’un peu sali par les déchets d’Alcan. Ils ont un lac qui est une mer d’eau douce sur fond de sables hérités des glaciers, propre en plus, car son eau se renouvelle sans cesse grâce aux grandes rivières nordiques qui l’alimentent. Ils ont des forêts et des rivières qu’ils croyaient hier encore inépuisables et où chacun a son terrain de jeu privé. Ils ont une fabuleuse histoire, marquée de véritables épopées : les 21 associés partis de Charlevoix of...