Tabloïd

Mathieu K. Blais

• Éditeur: Le Quartanier
• Année: 2015
• ISBN:
  9782896982134
• Sujet: Literature
• Sous-sujet: Poetry

revoici le journal du matincomme une plaie ouverte sur ta galeriegrands titres au fer rougeet petites annonces dans la peauà la une l'enfance était un canulardossier spécial sur la torture en temps de paixen page 37 de belles têtes de mortsbien coiffées vite enseveliesaprès quoi on emballe les restes de tabledéjà ce soir tu découches aux soins intensifsdemain matin personne pour ramasser ton journalcomme une plaie ouverte sur la galerieil partira au venttout sera à recommencer

des braconniers
s’invitent à bruncher

échantillon gratuit

chaque matin on ne m’accorde pas

le premier rôle de cette télésérie jeudi vingt heures

racontant les aventures d’un grand brûlé

à qui arrive quelque chose de spécial

dans la salle d’attente d’un fait vécu

on me laisse refroidir

comme un deuxième grilled cheese

qu’on ne mangera pas

locataires i

chaque matin ma voisine

reste couchée rêve sur repeat

emmitouflée dans sa beauté

comme un couteau dans son étui

au pied du matelas queen-size

la chute de ses reins en reprise

j’ai engagé une doublure

pour se réveiller à ma place

paire de ciseaux irrésistible

chaque matin chaque avis de décès

une bouche de moins à nourrir

un nom de plus à oublier

quelques livres en trop

à tout jamais

perdues

scellé sous vide

chaque matin la nostalgie du flambant neuf

je m’abîme à la surface d’un comptoir

usé par des coudes hostiles

avec comme seules armes

tous ces modes d’emploi

qui ont fait de moi

l’homme que je suis

la pêche miraculeuse

chaque matin on fait le mort

dans les transports en commun

des poissons qu’on n’a pas fini de vider

pourvu que l’actualité passe tout droit

nous oublie sur le dernier banc

près de la chaufferette

exemptés

aujourd’hui seulement

d’averses isolées

de colis suspects

éphéméride du vingt-neuf septembre

chaque matin tombe

un vingt-neuf septembre

et s’incruste dans la nuque

comme le sourire en coin d’un chirurgien

par la fenêtre entrouverte

une balançoire grince encore

délaissée par un amour de vacances

à présent dégriffé opéré

en proie à la tyrannie

des minutes de silence

qu’il faudra observer

plantes faciles d’entretien

chaque matin nous a cueillis

en dix mille morceaux sur la douillette

les abats jetés

dans la gueule du huit à cinq

on languit après un messie

précuit décortiqué

si possible un paradis

à deux pas du calorifère

exercice d’agriculture (débutant)

chaque matin précédé d’un alinéa

j’enfile ma présence mille fois reprisée

sinon le déjeuner s’est déroulé comme prévu

jus d’orange deux toasts beurre de peanuts

et une fusillade au salon de beauté

après quoi je laboure le même poème

sur la table de cuisine éventrée par l’aube

le même poème m’attend chaque matin

comme un piranha dans un bain moussant

par le judas

chaque matin mes photos

se font hara-kiri

sur les champs de bataille

d’une boîte à souliers

photos de paysages

invisibles à l’œil nu

les ancêtres morts

quand c’était à la mode

cet enfant défiguré

par des lendemains

porteurs de la rage

déjeuner dans le coin

chaque matin le beurre de peanuts

contient des scènes de violence

octobre comme un javelot

en travers de la gorge

sur la bouilloire un cerne de crasse

c’est mon reflet

au loin j’installe les châssis doubles

il n’y a plus de place pour la réalité

dans le lave-vaisselle

elle gît au fond de l’évier

mangée par les vers blancs

ils laissent dans le deuil les employés du service à l’auto

chaque matin les essuie-glaces

découpent l’autoroute en rondelles

derrière le volant on vacille

comme des coups de pincea...