Palestine
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Palestine

  1. 184 pages
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À propos de ce livre

«Plomb durci» (2008-2009), «Pilier de défense» (2012), «Bordure protectrice» (2014): les trois dernières offensives militaires d'envergure menées par Israël contre Gaza ont fait des milliers de morts du côté palestinien et donné lieu à de nouvelles expropriations de terres en Cisjordanie. Ces guerres de conquête israélienne ont ravivé, chez les militant.e.s de la justice sociale, le besoin d'exprimer leur solidarité avec le peuple palestinien et l'importance de renouveler le vocabulaire politique lié à cette question.Dans cet ouvrage en partie rédigé dans le feu de l'action, à l'été 2014, Noam Chomsky et Ilan Pappé, deux ardents défenseurs de la cause palestinienne, mènent une longue conversation dirigée par Frank Barat, militant des droits de la personne. Pour eux, le problème palestinien est depuis le début un cas évident de colonialisme et de dépossession, même si on préfère le traiter comme une affaire complexe soi-disant difficile à comprendre et, plus encore, à résoudre.Leurs échanges portent à la fois sur le sionisme en tant que phénomène historique, la pertinence d'analyser la situation en Palestine comme un apartheid, l'efficacité de la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) et la viabilité de la solution à un ou à deux États...Tour d'horizon de la question palestinienne, ce livre a le mérite d'envisager la situation en Palestine comme un baromètre de la répression politique. Car l'injustice qui accable le peuple palestinien a des ramifications partout dans le monde. «De Ferguson à Barcelone, en passant par Mexico, nombreux sont les gouvernements qui calquent les méthodes employées par Israël pour opprimer les Palestiniens. Leur recours aux mêmes tactiques et, souvent, aux mêmes armes démontre que les Palestiniens servent maintenant de cobayes – et que la Palestine est devenue un grand laboratoire», écrit Frank Barat.

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CHAPITRE 1

Débats d’hier et d’aujourd’hui
par Ilan Pappé
LORSQUE FRANK BARAT, Noam Chomsky et moi avons décidé d’entreprendre une longue discussion sur la Palestine, nous l’avons divisée en trois parties: le passé, où nous concentrerions notre attention sur le sionisme en tant que phénomène historique, le présent, où nous nous questionnerions en particulier sur la pertinence d’appliquer le modèle de l’apartheid à Israël et sur l’efficacité de la campagne BDS en tant qu’importante stratégie de solidarité avec le peuple palestinien, et l’avenir, où nous mettrions en balance la solution à deux États et celle à un État.
Nos rencontres avaient pour objectif d’aider chacun de nous à préciser sa pensée sur la question à la lumière des profonds changements survenus ces dernières années non seulement en Israël et en Palestine, mais aussi dans le reste du Moyen-Orient. Nous présumions que, comme nous, une grande partie de notre lectorat considérerait le point de vue de Noam sur la Palestine, dans la conjoncture historique actuelle, comme essentiel à toute discussion pertinente sur le sujet. Nous espérons donc que nos échanges auront contribué à clarifier la question, en soulignant notamment la transition en cours au sein du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien, laquelle pourrait avoir d’importantes implications sur les luttes internes en Israël et en Palestine. Nous n’avons pas abordé tous les enjeux, ayant préféré nous en tenir à ceux qui nous semblaient controversés, et nous avons fait tout notre possible pour que nos débats restent civilisés (malgré quelques moments d’emportement), car le mouvement a besoin d’unité. La fragmentation même de ce dernier, son manque apparent de direction et l’ambiguïté propre au camp pacifiste israélien alimentent les différends. Néanmoins, un dialogue entre toutes les personnes qui croient à la paix doit être possible!
Actuellement, le débat sur la Palestine semble être en pleine transition. Je suis très à l’aise avec sa nouvelle mouture, mais je ne souhaite pas perdre en chemin ceux de mes camarades qui préfèrent encore l’ancienne. J’ai donc jugé bon, pour la première partie de ce livre, de tenter de circonscrire les deux, avant de plonger dans le vif du sujet en compagnie de Noam.
La vieille orthodoxie pacifiste et ses détracteurs
Le besoin de renouveler le débat sur la Palestine découle avant tout des changements importants qui se sont produits sur le terrain ces dernières années. Ceux-ci sont sans doute déjà connus de la plupart d’entre vous; vers la fin de ce chapitre, je les résume tout de même en les actualisant le plus possible, et j’essaie d’en évaluer les conséquences sur les débats futurs.
Je crois néanmoins que la soif de nouvelles idées – et peut-être d’un nouveau vocabulaire – sur la Palestine émerge aussi d’une crise de plus longue durée, qui se caractérise par l’impossibilité de traduire des progrès remarquables accomplis à l’extérieur de la Palestine (je pense en particulier à l’évolution de l’opinion publique mondiale sur le sujet) en changements concrets sur le terrain. Cette nouvelle quête est une tentative de remédier aux lacunes et aux paradoxes, attribuables à cet obstacle, qui minent le mouvement de solidarité avec la Palestine.
En effet, bien qu’il ne cesse de prendre de l’expansion, le mouvement pour la paix et la justice en Palestine se heurte aujourd’hui à plusieurs paradoxes difficiles à surmonter. Je me permets donc de les soulever et de proposer une voie pour les dépasser, fondée sur ma propre analyse, sur celle d’autres observateurs et, enfin, sur une discussion avec Chomsky.
Le premier paradoxe réside dans le fossé qui sépare, d’une part, l’évolution marquée de l’opinion publique mondiale sur la question palestinienne et, d’autre part, l’appui indéfectible des élites politiques et économiques occidentales à l’État juif (et, par conséquent, l’absence de portée de ce changement sur le terrain même).
À juste titre, les militants pour la cause palestinienne ont l’impression que leur message de justice et l’essentiel de leur interprétation de la situation israélo-palestinienne sont désormais largement acceptés partout dans le monde, mais que ce progrès n’a nullement allégé les souffrances des Palestiniens.
Au XXe siècle, les militants auraient pu attribuer cet écart au degré de sophistication des actions entreprises par Israël, qui dissimulaient habilement ses politiques sinistres et assez souvent criminelles. De nos jours, ils ne pourraient le faire. Les gouvernements israéliens qui se sont succédé depuis le début du XXIe siècle ont rendu cette analyse caduque. Il est maintenant très facile de démasquer non seulement la politique israélienne, mais aussi l’idéologie raciste qui la sous-tend. L’effort des militants et cette politique déplorable ont entraîné une profonde mutation de l’opinion publique occidentale, y compris aux États-Unis, mais celle-ci n’a pas touché les échelons supérieurs de la société, si bien que, sur le terrain, Israël a maintenu sa politique de dépossession et ne semble pas être à la veille de devoir en payer le prix.
Le deuxième paradoxe, c’est le contraste entre cette image négative d’Israël, largement partagée, et la perception très positive de cet État par sa propre communauté juive. La richesse relative d’Israël garantit toujours à ce membre le plus isolé de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) d’être considéré par ses citoyens juifs comme un État prospère ayant su mettre fin à son conflit avec les pays arabes et n’ayant plus à lutter que contre les résidus de la «guerre de l’Occident contre le terrorisme» que sont le Hamas et le Hezbollah (qui, dans la foulée du Printemps arabe, ne sont même plus perçus comme un enjeu fondamental). Israël est certes miné par des divisions sociales et culturelles, mais celles-ci sont pour l’instant atténuées par la menace bidon d’une attaque nucléaire iranienne et d’autres scénarios du même acabit, qui assurent par ailleurs une abondance de ressources financières aux forces armées et aux services de sécurité.
Il va sans dire que ce sentiment de réussite n’est pas partagé par les citoyens palestiniens d’Israël établis en Galilée ou dans le Néguev, lesquels continuent d’endurer les souffrances de l’expropriation et de la démolition de leurs demeures, et font face à une nouvelle série de lois racistes qui bafouent leurs droits les plus élémentaires. Les Palestiniens de Cisjordanie sont encore humiliés quotidiennement aux postes de contrôle, incarcérés sans procès, dépossédés de leurs terres par les colons et l’Autorité foncière israélienne, et sont incapables de se déplacer d’une ville à l’autre en raison du réseau de murs et de barrières, dignes de l’apartheid, qui encerclent leurs maisons; ceux qui s’y risquent le paient de leur vie ou sont arrêtés. La population de Gaza, assiégée dans la plus grande prison à ciel ouvert de la planète, est toujours soumise à un cocktail barbare de bombardements et de tirs. Sans parler, bien sûr, des millions de réfugiés palestiniens qui croupissent dans des camps et dont le droit au retour semble complètement ignoré par les grandes puissances.
Le troisième paradoxe se décline comme suit: bien que certaines politiques d’Israël soient vivement critiquées ou condamnées, l’idéologie qui les sous-tend et la nature même du régime sont épargnées par le mouvement de solidarité. Militants et sympathisants ont certes manifesté contre le massacre de Gaza en 2009 et dénoncé l’abordage de la flottille de la liberté en 2010, mais, dans ce forum de contestation public et ouvert, il semble que personne n’ose s’en prendre à l’idéologie au nom de laquelle sont menées ces agressions. Il n’y a jamais de manifestations contre le sionisme, car le Parlement européen les jugerait antisémites. C’est un peu comme si, à l’époque de l’Afrique du Sud suprémaciste, on s’était interdit de manifester contre l’apartheid, mais pas contre le massacre de Soweto ou quelque autre atrocité commise par le régime.
Le quatrième paradoxe, enfin: le problème palestinien se résume depuis le début à un cas patent de colonialisme et de dépossession, mais on le traite comme une affaire complexe, aux multiples facettes, difficile à comprendre et encore plus difficile à résoudre. Sur ce plan, pourtant, l’histoire de la Palestine n’a rien de très original: des colons européens s’établissent en terre étrangère puis en expulsent la population autochtone ou lui infligent un génocide. Les sionistes n’ont rien inventé à cet égard. Mais Israël est parvenu, avec l’aide de ses alliés d’un peu partout, à bricoler une explication multidimensionnelle d’une complexité telle que seuls les Israéliens sont en mesure de la saisir. Toute ingérence du monde extérieur est immédiatement fustigée, qualifiée au mieux de naïve, au pire d’antisémite.
Ces paradoxes se sont parfois révélés frustrants pour le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien, ce qui est compréhensible. Il est effectivement difficile d’ébranler les puissances établies et leurs intérêts lorsque celles-ci refusent de se rendre aux arguments moraux défendus par la société civile. Il n’en demeure pas moins nécessaire de réfléchir en profondeur à ce qu’on peut faire de plus dans ces espaces où les groupes n’appartenant pas à l’élite ont la possibilité d’influer sur le débat public de façon constructive.
En 1984, dans la foulée de la première invasion du Liban par Israël, Edward Saïd a publié un article intitulé «Permission to Narrate» (permission de raconter), dans lequel il invitait les Palestiniens à intégrer leur histoire à leur lutte. Le déséquilibre du pouvoir politique, économique et militaire ne signifie pas que les opprimés n’ont pas la possibilité de lutter pour la production du savoir, affirmait-il. Qu’ils aient donné suite à l’appel de Saïd ou l’aient envisagé par eux-mêmes, des historiens de Palestine et d’autres pays ont relevé le défi. C’est ainsi que l’historiographie palestinienne et la «nouvelle histoire» israélienne sont parvenues à réfuter certaines des prétentions les plus absurdes d’Israël relativement aux événements de 1948 et, dans une moindre mesure, l’idée voulant que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) soit une entité purement terroriste.
Ce renouveau historiographique, et le redressement de la mémoire qu’il a rendu possible, semblent toutefois n’avoir eu aucune incidence sur le processus de paix, qui n’a jamais tenu compte de 1948. L’absence de récit et de réflexion historique sur ce que l’on considère aujourd’hui comme un processus de paix semble bien servir les élites politiques du moment, quel que soit leur camp, partout dans le monde. Personne ne semble vouloir transformer un discours hégémonique qui paraît acceptable précisément parce qu’il ne prône pas de changements importants sur le terrain.
Comme le proposait Saïd, c’est par le langage et la narration qu’une telle hégémonie peut être contestée. En proposant cette nouvelle perspective, on doit cependant faire preuve d’une certaine prudence, car, ce faisant, on ne met pas en question les seules puissances hégémoniques, mais aussi les convictions de nombreux Palestiniens et défenseurs sincères de la cause palestinienne. C’est pourquoi il est sans doute plus fructueux de présenter cette remise en question comme un débat.
Je propose de relever ce débat en produisant un nouveau dictionnaire théorique propre à la question palestinienne, lequel remplacerait progressivement l’ancien. Il contiendrait des entrées comme décolonisation, changement de régime et solution à un État, ainsi que d’autres termes abordés dans les pages qui suivent, puis avec Noam Chomsky et d’autres personnes qui cherchent une issue à la catastrophe en cours. À l’aide des articles de ce dictionnaire, j’entends réévaluer le discours hégémonique que tiennent à la fois les détenteurs du pouvoir et le mouvement de solidarité avec la Palestine.
Mais avant de présenter les entrées du nouveau dictionnaire, j’aimerais me pencher de plus près sur le déclin de l’ancien lexique, qui domine toujours chez les diplomates, les universitaires, les politiciens et les militants occidentaux. Je qualifie ce discours de «Dictionnaire de l’orthodoxie pacifiste» (ce titre n’est pas de mon cru, mais je n’arrive pas à me rappeler où je l’ai entendu la première fois; je présente donc mes excuses à quiconque m’accuserait, avec raison, de manquer d’originalité).
L’orthodoxie pacifiste mise à l’épreuve
Le Dictionnaire de l’orthodoxie pacifiste est issu d’une foi quasi religieuse dans la solution à deux États. Ses tenants considèrent la partition de la Palestine (dont 80% du territoire serait alloué à Israël et 20% aux Palestiniens) comme un objectif atteignable grâce à la diplomatie internationale et à des changements au sein de la société israélienne. Deux États pleinement souverains vivraient côte à côte, s’entendraient sur la façon de régler le problème des réfugiés palestiniens et décideraient ensemble du sort de Jérusalem. On souhaite aussi qu’Israël soit davantage l’État de tous ses citoyens qu’un État conservant son caractère juif.
Cette vision est fondée à la fois sur un désir d’aider les Palestiniens et sur la realpolitik. Elle est mue par une hypersensibilité aux volontés et aux ambitions de la puissante partie israélienne, et par la trop grande importance accordée aux rapports de force internationaux. Issue de la science politique américaine, elle a pour fonction première d’alimenter les prises de position des États-Unis sur le sujet. La plupart des gens qui emploient le langage propre à la solution à deux États le font sans doute avec sincérité. Celui-ci a aidé les diplomates et politiciens occidentaux à demeurer impuissants (volontairement ou non) devant la persistance de l’oppression israélienne. Des expressions comme «une terre pour deux peuples», «processus de paix», «conflit israélo-palestinien», «nécessité de mettre un terme à la violence des deux camps», «négociations» ou «solution à deux États» semblent tout droit sorties d’une version contemporaine du 1984 d’Orwell. Ce langage est même utilisé par des personnes qui jugeraient une telle solution moralement répugnante (comme le montre Chomsky de manière concise dans la discussion reproduite dans ce livre) et insatisfaisante, mais qui ne voient aucune autre façon réaliste de mettre un terme à l’occupation de la Cisjordanie et au blocus de la bande de Gaza. Tant chez les politiciens occidentaux que chez leurs homologues d’Israël et de Palestine, le discours dominant est encore fondé sur l’ancien dictionnaire.
Mais cette vision orthodoxe est en train de perdre du terrain dans les milieux militants. Certes, le mouvement pacifiste israélien et les organisations sionistes progressistes y adhèrent toujours, tout comme la gauche institutionnelle européenne; invoquant la realpolitik et l’efficacité, de célèbres défenseurs de la cause palestinienne la soutiennent également (parfois même religieusement). Mais la vaste majorité des militants sont à la recherche d’une alternative. Le lancement de la campagne BDS par des ONG palestiniennes de l’intérieur comme de l’extérieur de la Palestine, l’intérêt croissant pour une solution à un État et l’apparition d’un courant pacifiste antisioniste (modeste mais déterminé) en Israël même ont suscité l’émergence d’un point de vue différent sur la question.
Soutenue par des militants de partout dans le monde, y compris d’Israël et de Palestine, la campagne BDS s’inspire du mouvement anti-apartheid. En témoigne la place prépondérante qu’elle occupe lors de la Semaine contre l’apartheid israélien, qui se déroule chaque année dans les universités de nombreux pays: apartheid est maintenant un terme accepté et répandu chez les militants étudiants qui défendent la cause palestinienne. Dernièrement, des professeurs leur ont emboîté le pas en tentant d’élargir la recherche comparative sur les deux cas de figure que sont l’Afrique du Sud sous l’apartheid et l’ensemble israélo-palestinien à l’intérieur du paradigme du colonialisme de peuplement.
La notion de colonie de peuplement s’inscrit dans l’histoire et les théories du colonialisme en général. L’établissement de colons en quête d’une nouvelle vie et d’une nouvelle identité dans une région préalablement peuplée n’est pas un phénomène exclusif à la Palestine. Dans les Amériques, en Afrique australe, en Australie et en Nouvelle-Zélande, des colons européens ont anéanti les populations locales de diverses façons, au premier chef par génocide, et se sont réinventés en s’autoproclamant maîtres des lieux et habitants de souche. L’inclusion du sionisme dans la définition du colonialisme de peuplement est maintenant assez répandue dans le monde universitaire; elle a permis à des militants de mieux saisir la ressemblance d’Israël et de la Palestine avec l’Afrique du Sud sous l’apartheid, et de rapprocher le sort des Palestiniens de celui des Premières Nations des Amériques.
Cette nouvelle perspective met en évidence des points de divergence notables entre le camp de l’orthodoxie et le nouveau mouvement. Pour ce dernier, c’est toute la Palestine historique qui a besoin de soutien et de changement, qui a été – et est toujours – colonisée et occupée d’une manière ou d’une autre par Israël. Considérée dans son ensemble, la population palestinienne est assujettie à divers régimes juridiques et oppressifs qui émanent tous d’une même source idéologique: le sionisme. Dans cette optique, le lien entre cette idéologie et les positions actuellement défendues par Israël sur les questions démographiques et raciales apparaît comme le principal obstacle à la paix et à la réconciliation.
Il est plus facile qu’auparavant d’illustrer ce point de vue original. En 2010, la Knesset a adopté une loi obligeant les Arabes israéliens à prêter serment de loyauté envers un «État juif», ce qui a codifié une discrimination officieuse en matière de prestations sociales, de droits fonciers et de politique d’embauche à l’égard de la minorité palestinienne, et établi sans l’ombre d’un doute qu’Israël est un État ouvertement raciste pourvu d’un système d’apartheid. La ligne verte, qui avait créé deux classes de Palestiniens (ceux qui vivent en Israël et ceux qui vivent dans les territoires occupés), se volatilise progressivement, car les mêmes politiques de nettoyage ethnique sont mises en œuvre des deux côtés. En fait, l’oppression plus subtile que subissent les Arabes israéliens semble parfois pire que celle qu’endurent les Palestiniens soumis directement ou indirectement à l’occupation militaire de la Cisjordanie.
Enfin, le nouveau mouvement n’hésite pas à promouvoir une solution qui n’a la faveur ni des Israéliens, ni de l’Autorité palestinienne, ni des élites politiques occidentales: la solution à un État. Proposée par les militants et les intellectuels, la représentation du sionisme comme un colonialisme de peuplement et de l’État d’Israël comme un régime d’apartheid détermine les modalités du changement qui s’impose. Aux yeux de l’orthodoxie, ce dernier passe par le processus de paix, comme si Israël et la Palestine étaient deux États indépendants et que le premier avait envahi des parties du second, dont il devrait se retirer au nom de la paix.
La nouvelle approche pr...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Palestine
  3. Crédits
  4. Remerciements
  5. Avant-propos
  6. Chapitre 1 – Débats d'hier et d'aujourd'hui
  7. Première partie – Dialogues
  8. Deuxième partie – Réflexions
  9. Notes