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Plaidoyers pour la gratuité scolaire

Gabriel Nadeau-Dubois

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Plaidoyers pour la gratuité scolaire

Gabriel Nadeau-Dubois

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À propos de ce livre

Objet d'un large consensus parmi les protagonistes de la RĂ©volution tranquille, la gratuitĂ© scolaire est aujourd'hui gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ©e comme une proposition politique marginale, voire utopique. PortĂ©e par des milliers de personnes au printemps 2012, cette revendication est souvent jugĂ©e irrĂ©aliste dans le contexte budgĂ©taire actuel. Comment a pu s'opĂ©rer un tel glissement? Avec la marchandisation grandissante des universitĂ©s, la gratuitĂ© des Ă©tudes supĂ©rieures n'a pourtant jamais Ă©tĂ© aussi pertinente. C'est ce que cherchent Ă  dĂ©montrer les auteur.e.s rassemblĂ©.e.s dans cet ouvrage, chacun.e livrant son plaidoyer selon sa gĂ©nĂ©ration, son domaine et sa sensibilitĂ©. Unissant leurs voix, ils et elles rappellent qu'instaurer la gratuitĂ© scolaire, c'est permettre Ă  tous et toutes d'ĂȘtre libres d'apprendre. La gratuitĂ© scolaire a bien sĂ»r Ă  voir avec l'accessibilitĂ© aux Ă©tudes. Mais il y a plus. «Ouvrir une Ă©cole, c'est fermer une prison», disait Victor Hugo. Se donner l'Ă©ducation, c'est aussi se donner la chance de construire une sociĂ©tĂ© plus juste, plus libre; c'est encourager la diffusion de la culture, c'est faire avancer l'Ă©galitĂ© des sexes, c'est introduire un peu de gratuitĂ© dans une sociĂ©tĂ© oĂč l'inestimable a trop souvent un prix... Ainsi, bien que le rĂ©alisme Ă©conomique d'une telle mesure y soit dĂ©montrĂ©, ce livre veut surtout poser «l'idĂ©e de la gratuité» comme un principe fondamental, Ă  dĂ©fendre en soi.En guise d'Ă©pilogue, l'intellectuel Ă©tastunien Noam Chomsky dĂ©crit d'ailleurs ce qui attend le QuĂ©bec s'il s'entĂȘte Ă  reproduire les erreurs de ses voisins du Sud en matiĂšre d'Ă©ducation supĂ©rieure. Il rappelle du mĂȘme souffle la nĂ©cessitĂ© de lutter pour une Ă©ducation libre et publique. Ces vibrants plaidoyers pour la gratuitĂ© scolaire constituent un formidable antidote aux discours d'austĂ©ritĂ© ambiants. Un pavĂ© dans la mare qui nous invite Ă  aller Ă  contre-courant du «chacun pour soi», en faisant le choix d'une Ă©ducation Ă©mancipatrice et dĂ©mocratique.

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Informations

Année
2014
ISBN
9782897191511
TROISIÈME PARTIE

Le savoir gratuit

Pour la gratuitĂ© de l’universitĂ© publique : une perspective normative

Normand Baillargeon
AVANT MÊME D’ÊTRE UNE AFFAIRE portant sur les Ă©ventuelles modalitĂ©s de sa rĂ©alisation, la question du financement des universitĂ©s est une question Ă  la fois philosophique, politique et normative – ou plutĂŽt un ensemble de questions de cet ordre – dont les rĂ©ponses doivent aider Ă  dĂ©terminer le type mĂȘme d’universitĂ© dont nous souhaitons collectivement nous doter au QuĂ©bec, ainsi que les idĂ©aux, Ă©ducationnels et de justice, que cette universitĂ© servira. Ce sont en grande partie les rĂ©ponses Ă  ces questions qui permettront de dĂ©cider de la maniĂšre dont il convient de financer l’universitĂ© quĂ©bĂ©coise.
Or, il me semble que l’on discute aujourd’hui, et c’est dĂ©plorable, beaucoup plus des modalitĂ©s de financement de l’universitĂ© quĂ©bĂ©coise, avec la triple prĂ©misse que ce financement doit ĂȘtre bonifiĂ©, que la contribution de l’État ne peut ĂȘtre augmentĂ©e et que la gratuitĂ© est bien entendu impensable, que de ces incontournables et Ă  bien des Ă©gards dĂ©cisives questions prĂ©alables.
Ce texte s’inscrit quant Ă  lui rĂ©solument dans une perspective normative, pour dĂ©fendre l’idĂ©e que nous devrions promouvoir une universitĂ© publique et la mettre au service d’idĂ©aux Ă©ducationnels et de justice qui, conjointement, suggĂšrent de viser Ă  ce qu’une telle universitĂ© soit gratuite.
Il procĂšde en trois moments.
Pour commencer, aprĂšs avoir rappelĂ© quelques aspects de la mutation actuelle de l’universitĂ© qu’il me semble particuliĂšrement important de garder en mĂ©moire pour dĂ©battre de la question de son financement, je rappelle et dĂ©fends cette idĂ©e d’universitĂ© publique que j’ai mise de l’avant dans un ouvrage rĂ©cemment publiĂ©86, une idĂ©e qui permet, Ă  mon sens, de rĂ©sister Ă  ce que je tiens pour de graves et dĂ©plorables dĂ©rives de l’universitĂ© actuelle. Pour le dire le plus succinctement possible, je suis convaincu que nous vivons un moment oĂč le contrat implicite qui lie notre sociĂ©tĂ© Ă  ses universitĂ©s est en voie d’ĂȘtre entiĂšrement rĂ©Ă©crit, mais unilatĂ©ralement et sans qu’une des parties en ait pleinement conscience. Cette situation est la mĂȘme, mutatis mutandis, dans la plupart sinon toutes les sociĂ©tĂ©s industrielles avancĂ©es.
Je prĂ©cise ensuite, au nom d’idĂ©aux Ă©ducationnels et de justice sociale clairement Ă©noncĂ©s, pourquoi cette universitĂ© publique devrait, sinon immĂ©diatement, du moins idĂ©alement et Ă  court terme, ĂȘtre gratuite et je rappelle quelques-uns des avantages qu’il est raisonnable d’en attendre.
En conclusion, j’indique, Ă  titre indicatif seulement, quel type de financement universitaire me semble prĂ©fĂ©rable.
I. Une université publique
Je soumets que l’universitĂ©, en Occident, est une institution qui, peu Ă  peu, depuis ses origines mĂ©diĂ©vales, s’est dĂ©finie comme travaillĂ©e par deux principes87.
Le premier est une exigence interne, celle de l’accomplissement de « la vie de l’esprit de ces ĂȘtres humains qui [
] sont portĂ©s vers la recherche et l’étude », comme le disait Wilhelm von Humboldt (1767-1835). Cette vie de l’esprit consiste principalement en la dĂ©couverte de nouvelles connaissances, en la transmission et en l’examen critique de ce qui est prĂ©sumĂ© ĂȘtre connu et dans le souci d’appliquer de maniĂšre crĂ©ative, efficace et responsable, le savoir acquis. Une universitĂ© est ainsi profondĂ©ment dĂ©finie et structurĂ©e par cette ambition de recherche et d’étude ainsi que par les valeurs qu’elle implique (recherche de la vĂ©ritĂ© pour elle-mĂȘme, pensĂ©e critique, respect pour les faits, caractĂšre public des informations et des Ă©changes, etc.) et, en fin de compte, elle n’a de sens et de raison d’ĂȘtre que par elles, tout cela prĂ©supposant pour exister un grand degrĂ© de libertĂ© et d’autonomie de l’institution.
Le deuxiĂšme principe en est un d’adaptation au monde extĂ©rieur avec lequel les valeurs et les visĂ©es de l’institution entrent parfois en conflit, ce phĂ©nomĂšne Ă©tant exacerbĂ© par le fait que l’universitĂ© est toujours plus ou moins largement financĂ©e et dĂ©finie par ce monde extĂ©rieur (l’État, des citoyen-e-s, des entreprises – ce fut autrefois aussi l’Église), et que ces instances ont toutes Ă  son endroit diverses exigences dont certaines sont incompatibles avec « la recherche et l’étude » et risquent mĂȘme de compromettre sa libertĂ© et son autonomie. L’universitĂ©, parce qu’elle est une institution parasitaire sous cet aspect, est et n’a cessĂ© d’ĂȘtre une institution au statut potentiellement problĂ©matique.
L’histoire de l’universitĂ© pourra donc commodĂ©ment ĂȘtre envisagĂ©e comme celle d’un conflit pĂ©renne entre ces deux principes, conflit qui ne peut ĂȘtre rĂ©solu qu’en procĂ©dant Ă  de constants rĂ©ajustements. Elle reprĂ©sente le pari, parfois gagnĂ©, parfois perdu, de maintenir un lieu de rĂ©flexion, de recherche et d’éducation qui, tout en Ă©tant tributaire des rĂ©gimes politiques et de divers pouvoirs, soit aussi indĂ©pendant et suffisamment Ă  l’abri des exigences du monde environnant ainsi que de la pression de l’opinion pour que ceux qui le frĂ©quentent puissent se consacrer Ă  la vie de l’esprit.
Depuis une trentaine d’annĂ©es environ, nous traversons un moment particuliĂšrement aigu de redĂ©finition de l’universitĂ©, un moment dans lequel le principe externe exerce une telle pression sur le principe interne que l’universitĂ© est, aux yeux, j’oserais le dire, de la plupart des observateurs, en train de subir une profonde mutation qui la fait passer du statut d’institution, dans laquelle domine le premier principe, Ă  celui d’organisation, oĂč domine le deuxiĂšme88. Ce n’est pas ici le lieu d’en chercher les raisons, nombreuses et complexes. Mais le fait est que si la formation universitaire Ă©tait avant la DeuxiĂšme Guerre mondiale rĂ©servĂ©e Ă  une minoritĂ© de gens, aprĂšs elle, sous l’impact notamment de la nĂ©cessitĂ© de reconstruire des sociĂ©tĂ©s dĂ©truites par la guerre, de l’avĂšnement d’un monde hautement technologiste, de la guerre froide, d’une Ă©conomie de consommation de masse, de la croissance Ă©conomique, cet accĂšs s’est dĂ©mocratisĂ© et nous sommes entrĂ©s dans l’ùre de l’éducation supĂ©rieure de masse, oĂč plus de gens frĂ©quentent l’universitĂ© et oĂč celle-ci diversifie son offre d’éducation en s’appropriant des formations professionnelles, qui jusque-lĂ  se faisaient ailleurs, et rĂ©pond Ă  des demandes externes qui se font de plus en plus pressantes. J’ai pour ma part ajoutĂ© Ă  tous ces facteurs ce que j’ai appelĂ© l’ennemi intĂ©rieur, par quoi je rĂ©fĂšre Ă  un consentement de la part de certains de ses acteurs Ă  des transformations de l’universitĂ© qui signent son renoncement Ă  son exigence interne.
ClientĂ©lisme, orientation utilitariste de la recherche, dĂ©termination par l’entreprise de ses objets et appropriation privĂ©e de ses rĂ©sultats, minoration de l’importance de l’enseignement (notamment au premier cycle), adoption d’un modĂšle entrepreneurial de carriĂšre par les professeur-e-s et gestionnaire par ses administrateurs, minoration radicale de la recherche libre, rupture (variable selon les domaines concernĂ©s) avec des ambitions de transmission d’une tradition disciplinaire, recul de l’adoption d’une perspective normative sur les enjeux de sociĂ©tĂ© au profit d’une perspective d’adaptation fonctionnelle au prĂ©sent donnĂ© comme incontournable, mise en place et dĂ©ploiement du concept de capital humain et redĂ©finition de l’éducation comme bien positionnel : ce ne sont lĂ  que quelques-uns des aspects les plus visibles de cette mutation, inachevĂ©e, aux effets encore imprĂ©visibles, mais sur lesquels nous sommes dĂ©sormais nombreux Ă  attirer l’attention, tout en en soulignant la gravitĂ©89.
Il reste que, sur les trois plans de la mission universitaire que sont l’enseignement, la recherche et les services aux collectivitĂ©s, les effets de cette mutation sont considĂ©rables et j’en propose un bilan dans mon ouvrage dĂ©jĂ  mentionnĂ©, que je me permets de citer en rĂ©fĂ©rence.
SimultanĂ©ment, Ă  propos de cette nouvelle incarnation de l’universitĂ©, s’est posĂ© le problĂšme de son financement : comment financer adĂ©quatement l’éducation supĂ©rieure de masse ? Ce problĂšme est rendu particuliĂšrement aigu par le fait que ce secteur d’activitĂ© est trĂšs coĂ»teux en main-d’Ɠuvre, qu’il exige en ce moment de nouveaux investissements en infrastructure et que cette mĂȘme pĂ©riode historique est celle d’un retrait de l’État de certaines de ses fonctions Ă  vocation sociale et de l’émergence d’une volontĂ© marquĂ©e de procĂ©der Ă  leur privatisation90.
J’ai proposĂ© et maintiens encore que le moyen le plus sĂ»r de rĂ©sister Ă  cette dangereuse dĂ©rive passe par la rĂ©affirmation du caractĂšre public de l’universitĂ©, qui demande de la concevoir comme une institution, comme une institution consacrĂ©e au bien commun avec tout ce que cela implique aussi bien sur les plans du financement que de ce qui s’y produit et de son accessibilitĂ©.
Mais ces mots (institution publique, bien commun) restent sans substance si on ne prĂ©cise pas ce qu’ils signifient concrĂštement, dans telle ou telle sphĂšre de l’activitĂ© humaine. S’agissant de l’universitĂ©, cette institution d’éducation ayant ses exigences internes propres, que signifie plus prĂ©cisĂ©ment ĂȘtre une institution publique ?
J’ai avancĂ©, pour le dire le plus succinctement possible, qu’une universitĂ© est publique pourvu que les trois conditions suivantes soient satisfaites, conditions que l’on modulera comme il se doit selon les diffĂ©rents secteurs et dĂ©partements de l’universitĂ© concernĂ©s (mĂ©decine, humanitĂ©s, arts, Ă©ducation, ingĂ©nierie, etc.), oĂč, Ă  n’en pas douter, elles s’appliqueront chaque fois quelque peu diffĂ©remment – mais je ne peux entrer ici dans ces (importantes) considĂ©rations. Ces trois conditions sont : la multiplicitĂ© des relations ; la compossibilitĂ© ; la libertĂ© acadĂ©mique91.
Par dĂ©finition, l’universitĂ© entretient des relations avec un nombre potentiellement trĂšs large de regroupements au sein de la sociĂ©tĂ©. La multiplication de la quantitĂ© et de la qualitĂ© de ces liens librement consentis est un indice du caractĂšre public d’une universitĂ©. Elle tĂ©moigne que l’universitĂ© et ses riches ressources ne sont pas monopolisĂ©es par un groupe et par ses intĂ©rĂȘts particuliers. Je soutiens donc qu’une universitĂ© publique doit encourager dans son enseignement et sa recherche la multiplication de ces relations. Cette proposition appelle nĂ©cessairement un profond Ă©largissement de la conception de l’enseignement et de la recherche universitaires. On pourra mesurer nos progrĂšs sur ce plan en rĂ©pondant simplement Ă  la question que le droit romain recommandait de poser : « Cui bono ? », c’est-Ă -dire « Qui en profite ? » Si les rĂ©ponses sont variĂ©es, des progrĂšs sont accomplis. Si l’on donne le plus souvent comme rĂ©ponse : « les banques, les bureaux d’avocats, les entreprises, les classes dominantes, les firmes comptables, les professeur-e-s d’universitĂ© », des progrĂšs ne sont pas accomplis ou, pire, des rĂ©gressions sont en cours.
Mon deuxiĂšme critĂšre est celui de la compossibilitĂ©. J’emprunte ce terme Ă  Bertrand Russell (1872-1970), qui l’empruntait lui-mĂȘme Ă  G. W. Leibniz (1646-1716), pour dĂ©signer des biens ayant un nombre potentiellement infini de propriĂ©taires et qui sont tels que celui ou celle qui les transmet ne cesse pas de les possĂ©der. Un vĂȘtement n’est pas un bien compossible car il ne peut, simultanĂ©ment du moins, avoir qu’un propriĂ©taire – et in fine qu’un nombre trĂšs limitĂ© de propriĂ©taires, lesquels ne peuvent pas le porter simultanĂ©ment. En revanche, la comprĂ©hension du thĂ©orĂšme de Pythagore est un bien compossible, car une infinitĂ© de gens peuvent en jouir pleinement et ne s’en dĂ©partissent pas en le transmettant Ă  autrui. On aura compris que l’universitĂ© devrait ĂȘtre un lieu vouĂ© Ă  la maximisation des biens compossibles, plus encore en ces heures oĂč le marchĂ© se prĂ©tend la seule mesure de la valeur des biens, lui qui, par dĂ©finition, minore la valeur des biens publics et ne sait guĂšre prendre en compte les externalitĂ©s positives d’un bien comme l’éducation universitaire et ses nombreuses retombĂ©es sur la qualitĂ© de vie d’une collectivitĂ©. L’ennemi de cet idĂ©al est notamment l’exclusivitĂ© dans la possession d’un bien, dont l’appropriation privĂ©e des rĂ©sultats de la recherche constitue l’archĂ©type.
Mon dernier critĂšre est la libertĂ© acadĂ©mique. Elle implique par dĂ©finition la possibilitĂ© de choisir ses objets et ses mĂ©thodes de recherche. Or, on l’a vu plus haut, certaines des plus pressantes menaces qui pĂšsent sur elle dĂ©coulent de sa soumission Ă  des intĂ©rĂȘts et Ă  des injonctions, laquelle soumission constitue un vĂ©ritable dĂ©ni de ce qu’est l’universitĂ©. La libertĂ© universitaire doit donc, aujourd’hui comme hier, ĂȘtre rĂ©affirmĂ©e et dĂ©fendue. Elle demande aujourd’hui, entre autres choses, la valorisation de la recherche libre et non subventionnĂ©e.
Je suggĂšre qu’une telle universitĂ© publique, si tant est qu’on partage certains idĂ©aux Ă©ducationnels et de justice sociale dont je pense qu’ils font largement consensus, gagnerait pour de nombreuses raisons Ă  ĂȘtre gratuite.
C’est ce que je veux Ă  prĂ©sent soutenir.
II. Idéaux éducationnels et de justice sociale :
pour la gratuitĂ© de l’universitĂ© publique
Comment financer une telle universitĂ© ? À qui revient-il d’assumer le coĂ»t de son fonctionnement ? Les rĂ©ponses Ă  ces questions font invariablement intervenir, en sus d’une conception de l’universitĂ©, de ses fonctions et de son inscription dans la collectivitĂ©, une conception de la justice sociale et Ă©conomique.
On l’aura compris : la vision de l’universitĂ© publique que je mets de l’avant est absolument incompatible avec certaines conceptions de la justice, par exemple avec une conception libertarienne qui en prĂŽnerait la privatisation la plus complĂšte possible et une variante ou une autre d’un principe d’utilisateur-payeur sur un libre-marchĂ© concurrentiel de la formation universitaire.
Elle est cependant compatible avec plusieurs conceptions de la justice et de l’accomplissement des fonctions de l’universitĂ©. Parmi elles, diverses modalitĂ©s de financement public, couplĂ©es ou non avec une aide financiĂšre de subsistance aux Ă©tudiant-e-s. Elle est bien entendu Ă©galement compatible avec la gratuitĂ© scolaire. C’est celle-ci que je veux Ă  prĂ©sent dĂ©fendre en invoquant pour cela des arguments qui invitent Ă  conclure qu’elle est sinon toujours le meilleur du moins un moyen privilĂ©giĂ© de rĂ©aliser un principe de justice sociale et de prĂ©server le modĂšle d’universitĂ© publique.
Plus prĂ©cisĂ©ment, j’invoque cinq arguments en faveur de cette conclusion, qui n’est pas, je le souligne, que seule la gratuitĂ© sert et nourrit le caractĂšre public de l’universitĂ©, mais bien qu’elle est un moyen particuliĂšrement privilĂ©giĂ© pour ce faire. Ces arguments sont solidaires en ce sens qu’ils se renvoient les uns aux autres en se consolidant.
Mon premier argument est liĂ© Ă  cette idĂ©e de multiplicitĂ© des relations qu’une universitĂ© publique devrait entretenir avec les groupes qui composent la collectivitĂ© qui l’abrite. La gratuitĂ© scolaire devrait, pour cette raison, non seulement ĂȘtre promue, mais surtout ĂȘtre pensĂ©e et mise en application dans le cadre d’une politique publique se proposant de favoriser l’accession Ă  l’universitĂ© des personnes appartenant Ă  des groupes qui y sont sous-reprĂ©sentĂ©s. Ce rĂ©Ă©quilibrage de la reprĂ©sentation, qui pourra s’accompagner de bourses, de programmes de discrimination positive, d’aide Ă  la rĂ©ussite, de reconnaissance des acquis, de modalitĂ©s d’accompagnement et ainsi de suite au sein de l’universitĂ© serait, de lui-mĂȘme, s’il atteint ses objectifs, un facteur d’accroissement des groupes avec lesquels l’universitĂ© entretient des liens et de la multiplicitĂ© comme de la richesse de ces liens.
La politique publique que je viens d’évoquer conduit Ă  un deuxiĂšme argument en faveur de la gratuitĂ© de l’universitĂ© : elle permet, en thĂ©orie au moins – l’épreuve des faits en dĂ©cidera –, de mieux viser un idĂ©al de justice sociale. Trois idĂ©es peuvent ĂȘtre invoquĂ©es ici.
Celle d’égalitĂ© des chances, pour commencer, que sert, avec d’autres mesures comme celles Ă©voquĂ©es plus haut, la mise en place de la gratuitĂ© scolaire. Ce principe de justice fait largement consensus en Ă©ducation. Or, il est bien connu qu’à talent Ă©gal, des obstacles de toute nature se dressent devant les personnes appartenant Ă  des groupes qui sont sous-reprĂ©sentĂ©s Ă  l’universitĂ©, obstacles que ne rencontrent pas les personnes appartenant Ă  des groupes qui frĂ©quentent dĂ©jĂ  l’universitĂ© ou qui sont moins importants pour elles. Le principe d’égalitĂ© des chances est donc mieux servi par la gratuitĂ© scolaire, pensĂ©e dans le contexte que j’ai proposĂ©.
Un deuxiĂšme principe de justice largement admis peut aussi ĂȘtre invoquĂ© ici : le principe de diffĂ©rence de John Rawls, ou si l’on prĂ©fĂšre ce « critĂšre du maximin92 » selon lequel les inĂ©galitĂ©s justes sont celles qui bĂ©nĂ©ficient maximalement Ă  ceux et celles qui possĂšdent le moins, ce critĂšre Ă©tant cette fois appliquĂ© Ă  la frĂ©quentation de l’universitĂ©.
Un dernier principe de justice pourra enfin ĂȘtre invoquĂ© ici, celui proposĂ© par Amartya Sen, qui avance que la justice demande que l’on accorde Ă  chacun la possibilitĂ© rĂ©elle de dĂ©velopper se...

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