L'Occident terroriste
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L'Occident terroriste

D'Hiroshima à la guerre des drones

  1. 180 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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L'Occident terroriste

D'Hiroshima à la guerre des drones

À propos de ce livre

« Il y a assurément deux façons d[e] parler [du terrorisme], car le terrorisme n'est pas considéré comme tel lorsqu'il est pratiqué (et sous une forme nettement plus meurtrière) par ceux qui, de par leur pouvoir, sont parés de vertu. »Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le colonialisme et le néocolonialisme occidentaux ont causé la mort de 50 à 55 millions de personnes, le plus souvent au nom de nobles idéaux comme la liberté et la démocratie. Pourtant, l'Occident parvient à s'en tirer en toute impunité et à entretenir, aux yeux du reste du monde, le mythe voulant qu'il soit investi de quelque mission morale. Comment y arrive-t-il?Dans ce livre d'entretiens, Noam Chomsky et Andre Vltchek démontent la puissance de cet appareil de propagande qui permet à l'Occident de dissimuler ses crimes et le rôle véritable qu'il joue dans le reste du monde. S'ouvrant sur l'histoire du kiosque à journaux de New York où le jeune Chomsky a commencé à faire son éducation politique, leur discussion s'élargit progressivement sur des sujets tels que les bombes nucléaires larguées sur Hiroshima et Nagasaki, la guerre froide, les mésaventures étatsuniennes en Amérique latine (Salvador, Nicaragua, Guatemala, Chili, Cuba), l'Inde et la Chine, l'intervention de l'OTAN en ex-Yougoslavie, les attentats du 11-Septembre, l'invasion militaire de l'Irak, le Printemps arabe, le fiasco de la Lybie et de la Syrie, ainsi que la guerre des drones.À travers ce survol, les auteurs critiquent de façon magistrale l'héritage funeste du colonialisme et l'exploitation éhontée des ressources naturelles de la planète exercée par l'Occident. Ce livre d'entretiens est augmenté de deux articles qu'ils ont publiés dans la foulée de l'attaque contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, à Paris, en janvier 2015, dénonçant l'hypocrisie occidentale vis à vis d'un terrorisme qu'il a largement contribué à développer.

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CHAPITRE PREMIER

L’héritage funeste du colonialisme

Andre Vltchek Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le colonialisme et le néocolonialisme occidentaux ont causé la mort de 50 à 55 millions de personnes. Cette période relativement brève a été le théâtre du plus grand nombre de massacres jamais perpétrés dans l’histoire. La plupart d’entre eux ont été commis au nom de nobles idéaux comme la liberté et la démocratie, brandis tels des slogans. Quelques pays d’Europe, ainsi que d’autres États dirigés avant tout par des citoyens d’origine européenne, ont fait prévaloir les intérêts de l’Occident – ceux des gens « qui comptent » – au détriment de ceux de l’immense majorité des êtres humains. Le massacre de millions de personnes a été considéré comme inévitable, voire justifiable. Et la plupart des Occidentaux semblent terriblement mal informés.
À ces 55 millions de personnes mortes en conséquence directe de guerres déclenchées par l’Occident, de coups d’État militaires pro-occidentaux et d’autres conflits du même acabit s’ajoutent des centaines de millions de victimes indirectes qui ont péri dans la misère, en silence. Cette situation mondiale est peu contestée en Occident ; même dans les pays conquis, on l’accepte souvent sans condition. Le monde est-il devenu fou ?
Noam Chomsky Malheureusement, les candidats au titre de plus grand crime jamais commis par l’Occident ne manquent pas. Au moment où Christophe Colomb accostait en Amérique, le continent comptait probablement de 80 à 100 millions d’habitants, qui appartenaient à des civilisations avancées, avec leur commerce, leurs villes, etc. Peu de temps après, environ 95 % de cette population avait disparu. Sur le territoire correspondant aux États-Unis d’aujourd’hui vivaient sans doute une dizaine de millions d’Autochtones ; en 1900, selon le recensement, il n’en restait plus que 200 000. Mais on refuse d’admettre cette réalité. Avec désinvolture et sans la moindre justification, […] les plus importantes revues savantes et progressistes anglo-américaines la nient carrément.
Selon la revue médicale The Lancet, six millions d’enfants meurent chaque année par manque de soins élémentaires, qui pourraient pourtant être prodigués à coût quasi nul. Ce sont là des données qui nous sont trop familières. Rien qu’en Afrique du Sud, la malnutrition et certaines maladies faciles à traiter tuent 8 000 enfants chaque jour – un chiffre digne du génocide rwandais. Une situation à laquelle on pourrait aisément mettre un terme.
De plus, on vogue allègrement vers ce qui s’annonce comme le génocide final : la destruction de l’environnement. Et c’est à peine si l’on s’en préoccupe. Dans les faits, pourtant, les États-Unis régressent. Les techniques sophistiquées d’extraction des combustibles fossiles, qui leur ouvrent la perspective d’une indépendance énergétique pour les 100 prochaines années, suscite l’euphorie. Celles-ci, croit-on, leur permettront de maintenir leur hégémonie pour un autre siècle, de devenir la nouvelle Arabie saoudite du monde, et ainsi de suite. Le président Obama en a parlé avec enthousiasme dans son discours sur l’état de l’Union de 2012. Les grands médias et la presse d’affaires s’en émerveillent. Certains observateurs s’inquiètent des effets de cette stratégie sur les écosystèmes locaux, comme la contamination de l’eau potable ou les dommages à l’environnement, mais à peu près personne ne se demande de quoi aura l’air le monde dans 100 ans si l’on continue dans cette voie. La question ne suscite aucun débat. Ces problèmes n’en sont pas moins fondamentaux. Ils sont inhérents à un monde régi par le marché, où l’on ignore la notion d’externalités. Des facteurs que nulle transaction ne prend en compte et qui nuisent à autrui.
Andre Vltchek Je suis témoin de la disparition de plusieurs pays d’Océanie. Ayant vécu des années aux Samoa, j’ai parcouru la région en long et en large. Plusieurs pays, dont l’État des Tuvalu et la République de Kiribati, mais aussi les Îles Marshall, envisagent déjà l’évacuation massive de leurs citoyens. Nombre d’îles et d’atolls sont en voie de devenir inhabitables non seulement en Océanie, mais aussi aux Maldives et ailleurs. Kiribati sera sans doute le premier à disparaître. Les médias affirment que ces pays sont en train de s’engloutir, mais le problème vient plutôt des raz-de-marée qui submergent les atolls, emportant toute végétation et contaminant les sources d’eau douce là où il s’en trouve. C’est ce qui rend les îles inhabitables ou trop dépendantes des importations d’eau, de nourriture et de tout le reste.
Chose surprenante, pendant la période où j’ai travaillé aux Tuvalu, aucun correspondant étranger ne s’y trouvait. N’y séjournait qu’une équipe de tournage japonaise, occupée à filmer quelque feuilleton télé sur l’atoll de Funafuti. Cela m’a fait réfléchir : ce pays compte parmi les plus touchés par la hausse du niveau de la mer et pourrait bientôt être rayé de la carte, mais ne fait l’objet d’aucune couverture médiatique !
Noam Chomsky George Orwell avait un terme pour en parler : les « non-personnes ». Le monde est divisé entre les personnes comme nous et les non-personnes, c’est-à-dire tous les autres qui ne comptent pas. Orwell dépeignait une société totalitaire de l’avenir, mais le terme s’applique assez bien au monde actuel. Un jeune et brillant historien britannique de la diplomatie, Mark Curtis, a eu recours au concept de non-personnes dans son étude des déprédations commises par l’Empire britannique à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Personne ne se préoccupe de leur sort.
Il y a là un parallèle à établir avec le traitement infligé aux peuples autochtones dans le monde anglo-saxon, constitué des rejetons du Royaume-Uni que sont les États-Unis, le Canada et l’Australie. Ces États impériaux ont ceci de singulier qu’ils ne se sont pas contentés de dominer les Autochtones : ils les ont éliminés. Ils ont accaparé leurs terres et leurs établissements, et, dans la plupart des cas, les ont pratiquement exterminés. Nous ne nous préoccupons pas d’eux. Nous ne nous demandons pas ce qui leur est arrivé dans le passé. En fait, nous refusons de l’admettre.
Andre Vltchek Historiquement, on constate que c’était le cas de presque toutes les colonies européennes, de toutes les régions du monde que contrôlaient les empires coloniaux européens. Les premiers camps de concentration n’ont pas été construits par l’Allemagne nazie, mais par l’Empire britannique, au Kenya et en Afrique du Sud. Et, bien entendu, l’Holocauste perpétré par les Allemands contre les Juifs et les Roms n’était pas le premier auquel ils se sont livrés : ils avaient déjà été impliqués dans de terribles massacres en Amérique du Sud et, en fait, un peu partout dans le monde. L’Allemagne avait exterminé la majorité des membres de la tribu Héréro de Namibie. Rien ne justifiait ces attaques, qui n’obéissaient à aucune logique. Elles ne s’expliquent que par la malveillance absolue qu’entretenaient les Allemands à l’endroit des populations locales. Ces épisodes sont rarement abordés en Allemagne ou ailleurs en Europe.
Combien de fois n’a-t-on pas entendu la litanie de nombreux Européens qui, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, se demandaient comment une Allemagne rationnelle, éprise de philosophie et fondamentalement pacifique, avait pu soudain devenir complètement folle simplement en raison de l’humiliation économique qu’elle avait subie au terme de la Grande Guerre ! Comment aurait-on pu prédire un tel accès de violence de la part de gens si civilisés ? La chose est en effet impossible à concevoir si l’on ne considère pas les Héréros, les Samoans ou les Mapuches comme des êtres humains et si l’on oublie le passé colonial allemand en Afrique.
Noam Chomsky Et lors de l’Holocauste, les Roms ont été traités de la même façon que les Juifs. Pourtant, on en parle à peine. Pas plus qu’on n’admet la réalité des persécutions infligées aux Roms d’aujourd’hui. En 2010, par exemple, le gouvernement français a décidé d’expulser les Roms de France en Roumanie, les condamnant ainsi à la misère et à la terreur. Peut-on imaginer la France expulsant les survivants juifs de l’Holocauste vers une contrée où l’on aurait continué à les torturer et à les terroriser ? Le pays aurait explosé de colère. L’expulsion des Roms, elle, passe comme une lettre à la poste.
Andre Vltchek Dans la République tchèque actuelle, on a bâti des murs pour isoler les Roms. Il y a moins de 20 ans encore, on leur construisait de véritables ghettos au beau milieu des villes. Voilà qui rappelle, non sans donner froid dans le dos, les années 1930 et 1940, quand les Tchèques collaboraient avec les nazis en les aidant à rassembler les Roms. Depuis les années 1990, bien sûr, la République tchèque est une fidèle alliée de l’Occident, ce qui la rend intouchable aux yeux des grands médias occidentaux. Le traitement qu’elle inflige à ses populations roms est pourtant beaucoup plus cruel que tout ce que le régime Mugabe a fait subir aux agriculteurs blancs du Zimbabwe.
Mais pour en revenir au colonialisme européen, on dirait qu’il n’a pas pris fin avec la Seconde Guerre mondiale ou dans les années 1950 et 1960. Plus je voyage dans les coins du monde qui font partie de ce qu’on appelle la périphérie, plus je constate que le colonialisme s’est renforcé grâce à une propagande beaucoup plus efficace et à une meilleure connaissance des façons de traiter avec les populations locales. Cela n’a rien de rassurant : autrefois, il y avait toujours un ennemi, un méchant en chair et en os, qu’on pouvait aisément reconnaître dans l’armée ou l’administration coloniales. De nos jours, le colonialisme persiste, mais il est beaucoup plus difficile à cerner pour les populations locales, qui peinent à saisir précisément ce qui se passe et quels sont leurs ennemis.
Noam Chomsky Des atrocités parmi les plus abominables ont été commises ces dernières années dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). De trois à cinq millions de personnes y auraient perdu la vie. Qui doit-on montrer du doigt ? Les milices. Mais derrière les milices se trouvent les multinationales et les gouvernements, tapis dans l’ombre.
Andre Vltchek Je suis en train de terminer un long-métrage documentaire intitulé Rwanda Gambit, dont le tournage m’a demandé plus de trois ans2. Les chiffres sont maintenant encore plus élevés que ceux dont vous faites état : ce sont de 6 à 10 millions de personnes qui ont été tuées en RDC, un nombre à peu près équivalent à celui des victimes du roi des Belges Léopold II au début du XXe siècle. Mais vous avez raison : si le Rwanda, l’Ouganda et leurs exécutants sont les assassins de ces millions d’innocents, les intérêts géopolitiques et économiques occidentaux ne sont jamais loin derrière.
Noam Chomsky On ne voit pas les multinationales qui, pour avoir accès au coltan (utilisé par les Occidentaux dans leurs téléphones portables) et à d’autres minéraux précieux, se servent des milices pour massacrer les gens. C’est indirect. Les atrocités et les crimes de ce genre sont nombreux […], mais on en commet d’autres de façon directe […], comme la guerre du Vietnam, qui constitue le pire crime jamais commis depuis la Seconde Guerre mondiale. L’année 2011 a marqué le 50e anniversaire du déclenchement de cette guerre par John F. Kennedy. En général, on souligne un 50e anniversaire, en particulier s’il commémore le souvenir de monstruosités. Mais dans ce cas, pas un mot. En novembre 1961, Kennedy a envoyé l’armée de l’air des États-Unis bombarder le Vietnam du Sud. Il a autorisé le recours au napalm et aux armes chimiques pour détruire les récoltes et le couvert végétal, et a lancé des programmes qui ont mené au transfert de populations dans de prétendus « hameaux stratégiques », qui, dans les faits, étaient des camps de concentration ou des bidonvilles.
Les effets de la guerre chimique se font toujours sentir. Dans les hôpitaux de Hô-Chi-Minh-Ville, on peut encore voir des fœtus déformés (peut-être en avez-vous vu) ; des enfants sont nés avec toutes sortes de malformations hideuses en raison des nombreux poisons dont on a littéralement arrosé le Vietnam du Sud. Mais, aujourd’hui, plusieurs générations plus tard, on ne s’en préoccupe guère.
Le Laos et le Cambodge ont connu un sort similaire. On ne manque jamais de souligner l’horreur du régime de Pol Pot au Cambodge, mais rares sont les écrits expliquant ce qui y a mené. Au début des années 1970, l’armée de l’air des États-Unis avait bombardé les zones rurales cambodgiennes avec une ampleur comparable à celle des opérations alliées dans le Pacifique au cours de la Seconde Guerre mondiale. Elle obéissait ainsi à l’ordre d’Henry Kissinger de lancer une campagne de bombardements massifs au Cambodge : « Tout ce qui vole contre tout ce qui bouge. » Il s’agissait là d’un véritable appel au génocide, digne de ceux que vous évoquiez tout à l’heure. Il serait difficile de trouver quelque chose de comparable dans les documents d’archives. Eh bien, il a fallu une seule phrase du New York Times relatant la nouvelle pour que la campagne prenne fin. Cependant, à part dans des revues savantes ou dans la presse parallèle, l’ampleur des bombardements n’a jamais été rapportée. On parle ici du massacre de millions de personnes et de la destruction de quatre pays, qui ne s’en sont jamais remis. Les gens là-bas en sont conscients, mais ne savent pas quoi faire.
Andre Vltchek J’ai vécu plusieurs années à Hanoï, au Vietnam, où j’ai couvert les conséquences du bombardement en tapis de la plaine des Jarres, au Laos, par les États-Unis et leurs alliés (une campagne qu’on a qualifiée de « guerre secrète »), mais j’ai aussi beaucoup écrit sur le Cambodge. J’en ai tiré des conclusions tout à fait révoltantes : comme ils l’ont fait pour tant d’autres pays déstabilisés et dévastés par l’Occident, les grands médias occidentaux ont mené une vigoureuse campagne de désinformation. On a dit du régime de Pol Pot qu’il avait commis les crimes haineux les plus terrifiants qu’on ait pu attribuer au communisme. Quant à la véritable histoire, celle du génocide commis par l’Occident contre les peuples d’Asie du Sud-Est, elle est soit tue, soit éludée.
La campagne américaine consistait à envoyer des B-52 bombarder les zones rurales du Laos et du Cambodge en vue de dissuader ces pays de se joindre au Vietnam dans sa lutte de libération. Des millions de personnes ont ainsi été impitoyablement assassinées. Encore aujourd’hui, des vaches explosent lorsque, croyant croquer un caillou, elles mordent dans une des innombrables munitions non explosées dont le territoire est toujours parsemé. On conçoit aisément qu’il arrive encore à des êtres humains, dont des femmes et des enfants, de connaître le même sort.
Il y a cinq ou six ans, j’ai travaillé étroitement avec le Mines Advisory Group (MAG), une importante agence britannique de déminage. Ses collaborateurs déploraient que plusieurs entreprises ayant produit et distribué ces engins meurtriers pendant la guerre en Indochine (parmi lesquelles se trouve un fabricant américain bien connu de biens de consommation) s’entêtent à refuser de divulguer leurs caractéristiques techniques. Une telle inflexibilité nuit grandement au travail du MAG, dont les techniciens doivent connaître la durée de vie et le mécanisme des mines pour être en mesure de les démonter. Ce mépris, ce manque institutionnalisé de compassion, se traduit par un manque de collaboration qui entraîne dans la mort des centaines, voire des milliers d’habitants de la région, surtout des femmes et des enfants.
Au Cambodge, tout avait commencé par la mise en place, à l’initiative des États-Unis, d’un gouvernement illégitime et corrompu dans la capitale Phnom Penh. Quand on parle des atrocités du régime des Khmers rouges, de leur prétendu communisme, je trouve ces propos douteux, voire grotesques. Sans éducation, coupés du reste du monde, la plupart des Cambodgiens ignoraient tout de l’idéologie communiste au moment où Pol Pot est rentré de France, où il s’était radicalisé en fréquentant les cafés. Sur le terrain, on m’a raconté que, sous le régime khmer rouge, les atrocités étaient largement attribuables aux paysans qui avaient des comptes à régler avec les élites urbaines de la capitale.
Dans les faits, Phnom Penh et Washington avaient pleinement coopéré pendant les bombardements, ce qui avait attisé chez les paysans une haine viscérale des citadins, en qui ils voyaient des collaborateurs et, souvent, la cause de leurs souffrances. Tout cela n’avait pas grand-chose à voir avec l’idéologie communiste. En outre, tout indique que les bombardements des zones rurales cambodgiennes ont tué plus de gens que les exactions des Khmers rouges.
Plus tard, une fois le Cambodge libéré par le Vietnam, qui a chassé les Khmers rouges du pouvoir, l’ambassadeur des États-Unis aux Nations unies a « demandé le retour du gouvernement légitime ». Il parlait des Khmers rouges. Les États-Unis étaient en guerre contre le Vietnam, un allié de l’URSS, et non contre un insolite régime maoïste autoproclamé.
Mais la campagne de désinformation menée en Occident a dissipé toute équivoque : la faute allait à l’idéologie communiste, associée aux atrocités commises par Pol Pot. Dans un des reportages que j’ai réalisés au Cambodge, je soutiens que, si Pol Pot et sa clique avaient incité les villageois à tuer les citadins au nom d’une équipe de football sud-américaine ou d’une marque de chaussures de jogging, le résultat aurait été le même.
Noam Chomsky Des intellectuels ont constaté que, de toutes les périodes de l’histoire du Cambodge, le régime khmer rouge, qui a duré un peu plus de trois ans, a été de loin celle qu’on a étudiée le plus en profondeur. On en sait plus sur cet épisode que sur tous les autres. En ce qui concerne les quelques années qui l’ont précédé, on nage dans l’ignorance. On sait toutefois que, en 1970, les Khmers rouges étaient un groupe plutôt marginal. Ils ont ensuite su mobiliser des légions de paysans, qui, sans surprise, se sont ruées sur les élites urbaines, jugées responsables de leurs malheurs.
Ils ne voyaient pas la main de Washington derrière ces élites. C’est un peu comme dans l’est de la RDC, avec le coltan : les gens ne connaissent pas leurs assassins. Ce phénomène se constate aussi de manière frappante dans les pays occidentaux. Pour ne citer qu’un exemple, valable malgré ses conséquences nettement moins funestes, rappelons cet épisode où le gouverneur républicain du Wisconsin a aboli le droit des travailleurs syndiqués à la négociation collective. La décision a suscité une importante vague de protestation, et les opposants ont réclamé et obtenu la tenue d’un plébiscite de révocation. Le gouverneur républicain a cep...

Table des matières

  1. L’Occident terroriste
  2. Avant-propos
  3. Chapitre 1 – L’héritage funeste du colonialisme
  4. Chapitre 2 – Quand l’Occident dissimule ses crimes
  5. Chapitre 3 – Propagande et médias
  6. Chapitre 4 – Le bloc soviétique
  7. Chapitre 5 – L’Inde et la Chine
  8. Chapitre 6 – L’Amérique latine
  9. Chapitre 7 – Le Moyen-Orient et le Printemps arabe
  10. Chapitre 8 – L’espoir malgré la dévastation
  11. Chapitre 9 – États-Unis : une puissance en déclin ?
  12. Annexe 1 – À qui la responsabilité du terrorisme islamiste ?
  13. Annexe 2 – Nous sommes tous [remplir ici]
  14. Annexe 3 – Chronologie
  15. Notes
  16. Quatrième de couverture