Cassandre

Catherine Lalonde

• Éditeur: Le Quartanier
• Année: 2019
• ISBN:
  9782896984428
• Sujet: Literature
• Sous-sujet: Canadian Poetry

Tu cherches dans l'affreux le petit-lait du mondela mamelle des rêves son jus noirtu bouffes de la terre comme une bête angoisséetu devances la tourbe qui t'enseveliraet pousse tout un royaume au fin fond de ta gorgetu presses entre tes crocs les pierresle sédiment d'histoire le mica des colèresplus tard les pissenlits les faux foinste pousseront dans les yeuxles restes dans ta bouche rance aux lendemainsde veilleun marc de folies où tu lis les venirs

Tu mets tes cheveux dans tes yeux pour ne rien voir venir

et cacher de douceur le pire et l’essentiel

tes manches roulées hautes et le cœur à l’ouvrage

tu défriches à l’aveugle tu dégèles ma face de vieux cul

c’est le grand arrachage

adieu aux herbes mortes séchées drues en mon âme

tes cheveux et mes cils pour calfater la vue

de tes sept cœurs amers de ton rire arraché

les signaux d’écorchure les savoirs à l’avance

tu es une femme

une femme ce soir petite comme toutes les autres

dans mon histoire tu sarcles dru tu bines à sec

une femme ce soir emporte-pièce

je garde ça de toi dis-tu à l’aveugle

et ça et ça et ça

le reste

on ira le porter chez les pauvres un dimanche

tu jases comme de coutume ça change le mal de place

tu fais des tas d’accroires en parlant d’ordinaire

tu mets tes cheveux dans tes yeux et couvres ta colère

brillante dans ce noir toute follette d’avenir

tes pattes ta tignasse posées gras sur le lit

chaque fois que tu sors je dois battre les draps

Tu gardes les souvenirs à ton cou

une mèche dans un pendentif une odeur

les douleurs gardées vives cette mémoire métallique

une laisse attachée sur hier

ta carne dessous est rouge

douleurs sur douleur

ta peau pelée

à la gorge et juste en haut des cuisses

les ornières tracées dans ta robe animale

les ravages dans le pur cuir de ton cœur

tu vois d’avance dedans la main des autres

une laisse attachée sur demain

un sens canin venu de ta mère un prédire

ton syndrome de Cassandre

ce que tu sais tu le sens ça change le mal de place

ta paupière est le voile qui sépare les morts et les vivants

ta gueule ouverte une porte sur le sang du ciel

la misère évaporée de ta bouche

n’est rien d’autre qu’une buée attrapable

tu la serres par la queue pour ramancher l’avenir

tes longs cils sales qui se savent de chienne

sont le seul accès au festin de ton âme

les chefs y mangent la soupe la première

en sapant sans rien dire

pendant que tu lis dans l’amour neuf toutes les patates

à venir

le rance le malade

tes prédisances

les malheurs appelés par leurs noms

et moi dedans comme un vieux cul

parmi les hommes de marbre que tu sais

ceux du siècle prochain et de seulement demain

tu en hurles d’avance tu gueules tu me rends sourd

Tu n’as eu qu’à poser le bout gras de tes doigts

sur mon corps déjà scié sec par l’habitude

pour compter une à une les lignes et les nœuds

les nervures les cicatrices

comme tu l’aurais fait

pour un vieil arbre tordu

planté par ton grand-père

abattu vif par ton père

pour mieux chauffer ta mère

afin d’apprendre son âge

Je voudrais t’aimer dans le non-temps

ô ma sœur ma femme ma mère et ma chienne

avant que tes seins ne tombent comme des pommes

La petite pierre d’éponge qui se frotte à ton cou

sans vertu que le rude que de téter les larmes

c’est ton collier de chienne la marque de ta lignée

ce nom seul connu de toi Cassandre toi Capucine

à ton cou n’est plus qu’une lourdeur

ça brille fou de lumière ça pèse son poids vécu

les villes de dessus ressemblent au passé

la farine de béton pour tenir droit le monde

le pain des pauvresses levé aux rognures d’ongles

les os moulus très fin pour bâcher la couvée

de tous les jus de chagrin

des larmes qui font pourrir

les os des femmes noués en croix pour faire solide

la douleur transmise dans le silence

de mères en filles

ça perdure depuis long

dans l’âme des bâtisses et dedans la charpente

depuis long depuis large

dans elles ...