Navettes

Charles Dionne

• Éditeur: Le Quartanier
• Année: 2019
• ISBN:
  9782896984008
• Sujet: Literature
• Sous-sujet: Canadian Poetry

les visages se détachent des livresse penchent au-dessus du miendans leurs yeux blancs luitun feu un signe une loi un feucomme tous les autresqui approchent et rasentdes millions d'hectaresqui ont rasé l'Australiela Californie les vieux paysune loi une folieRome entière un feupour dévorer la nuit

UN

mes yeux fermés sont ouverts

les visages se succèdent les peaux éblouies

illisibles sans voix les époques aussi

une enfant pleurait seule

elle ne disait pas maman papa elle disait euh

un jeune homme lui parlait

une dernière fois je m’étais tourné vers elle je m’étais dit

elle pourrait être ma fille je me dis

j’avance je n’ai pas d’enfants

le métro ne me rappelle rien

mes souvenirs naissent de l’extérieur

je suis fatigué

les fins de semaine

c’est pire encore

les pubs disent vous serez équipé

pour l’aventure on ne saura rien

de ma fuite on ne trouvera

ni vêtement perdu

ni branche brisée ni piste de sang

personne ne regarde plus personne

un soir comme les autres un soir sans constellation

je veux dire

je regarde

la pollution lumineuse les traces

de doigts mon téléphone

en marchant combien de temps

cela peut-il encore durer

cela peut-il durer toujours

nous seuls la dernière espèce

avec ses derniers biens

les sacs réutilisables

les cheveux par poignées

nous seuls pouvons mettre un terme à la fin

qui avance plus vite

que nous

les étoiles ne servent plus à rien

ma tête est bleue le soir le soir elle flotte

la nuit a épongé le reste

je cligne des paupières

l’écran ne s’éteint pas

il reste un monolithe blanc

un tombeau de lumière

mais pour l’instant je suis au chaud

les rames grondent dans le tunnel

les yeux jaunes se dilatent sur les rails muets

comme des lames les voitures jaillissent

dans l’air cent visages seconde

les têtes roulent ensemble

ici il n’y a plus un enfant ici de la poussière

ça pullulait on disait mille choses c’était il y a longtemps

les portes s’ouvrent nous changeons de place

désolé de vous déranger

regardez mes mains c’est les engelures

qui ont fait ça dit l’homme doucement

le hachoir de courant signale le départ

monsieur le moindre vingt-cinq cents

fera la différence et moi

je me dis arriveraient-ils

à nous sortir des décombres

si les tunnels s’effondraient

si la ville tombait sous les bombes

et nous je me dis qui nous a fait ça

je m’endors partout tout le temps je ne fais plus

mes nuits sans les vagues pour me bercer un garçon

attache ses lacets on peut vivre

toute une vie avec un seul nœud je me réveille

à la clinique moi j’ai Les argonautiques j’ai mon Android

Apollonios de Rhodes attendra

j’ai mes propres fantômes

les conversations se sont accumulées

pendant une décennie dans ma boîte de réception

avant de s’évanouir un livre des morts j’aurais dû parler

me souvenir un chœur de voix

les retenir moi j’ai un tour mort deux demi-clefs

j’ai le nœud d’écoute le nœud en huit le nœud plat

le nœud de cabestan le nœud de chaise

je suis assis je noue les fils de mes écouteurs

j’aurais dû rester en mer elle me dit tu es

tout le temps assis à ton bureau

être assis rien de pire

pour le corps on appell...