Éduquer. Pour la vie!
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Éduquer. Pour la vie!

  1. 172 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Éduquer. Pour la vie!

À propos de ce livre

Lors de la première publication d' Éduquer. Pour la vie!, en 1997, Charles E. Caouette s'adressait à tous ceux et celles, parents, enseignant.e.s et professionnel.le.s de l'éducation qui, comme lui, pensaient qu'«il est carrément inacceptable que ce soit à l'école que les jeunes perdent le goût d'apprendre et de se développer, qu'ils y perdent surtout la confiance en eux-mêmes, en leurs ressources et en l'avenir». En domestiquant les esprits en fonction des impératifs du marché et de la fameuse compétitivité internationale, l'école pousse les jeunes soit au décrochage, soit à la résignation. Près de 20 ans plus tard, le constat reste le même.

Pionnier du mouvement des écoles alternatives, Charles E. Caouette nous propose de rééduquer l'école. Se centrer sur les jeunes plutôt que sur les programmes, avoir confiance en eux et respecter leur rythme d'apprentissage afin qu'ils apprennent l'autonomie, la responsabilité et l'engagement social qui leur permettront de jeter les bases d'une société alternative. Dans cette nouvelle édition, l'auteur nous rappelle que pour réaliser cette société nouvelle fondée sur des valeurs humanistes, parents comme citoyen.ne.s doivent aussi incarner ces valeurs dans leurs milieux de vie et de travail. C'est dans le même esprit qu'il convie les personnes âgées à vivre une «vieillesse alternative», en demeurant les plus autonomes possible et engagées socialement.

Dans un contexte où de plus en plus de parents recherchent une éducation alternative pour leurs enfants, mais conservant son caractère public, cet ouvrage est une lecture essentielle pour bâtir une éducation au service de l'humain et de la communauté.

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Informations

Année
2016
ISBN de l'eBook
9782897193041
CHAPITRE PREMIER

L’utopie, l’opium des résignés?

LA SOCIÉTÉ DITE MODERNE est en train de changer à un rythme effréné. Cela est d’autant plus déstabilisant et inquiétant qu’elle change sans orientation précise, on peut même dire sans plan ni projet.
Ce changement est particulièrement rapide et agité dans le monde du travail et de l’emploi. Les frustrations et l’anxiété des travailleurs, surtout des sans-emploi, atteignent des niveaux et une généralisation qui semblent avoir peu de précédents dans l’histoire de l’humanité. Ce n’est ni tout simplement une crise de l’emploi, ni une crise de valeurs, c’est une crise de civilisation. C’est ce phénomène qu’analyse de façon éclairante Fritjof Capra dans Le temps du changement3.
C’est à très court terme, si l’on veut garantir une survie valable de l’humanité et de la planète, que les humains doivent apprendre, de gré ou de force, à travailler autrement et à vivre autrement, à vivre en santé et ensemble autrement.
Les pouvoirs en place, économiques et politiques, s’acharnent à maintenir à flot le bateau de l’économie de marché, bateau dans lequel ils sont relativement à l’aise et privilégiés. Ils crient donc vite à l’utopie dès que des individus ou des collectivités proposent des changements majeurs. Tandis que des victimes de la situation économique actuelle tentent de s’accrocher à un espoir (un paradis perdu d’avance!) qui les aide à se résigner en rêvant à des jours meilleurs pour les générations futures, d’autres font de leur utopie un projet collectif. Ces derniers veulent choisir parmi les futurs possibles celui qui respectera davantage l’être humain dans ses besoins fondamentaux, dont celui qui permettra d’être aussi heureux que possible. Ils veulent participer activement à ce changement et influencer dans ce sens les décideurs économiques et politiques. Cet engagement ou ce militantisme politique est non seulement efficace dans l’immédiat, l’effet de domino est en effet déjà perceptible, mais il est facteur de santé mentale, car il maintient les personnes qui assument cet engagement dans un sentiment de dignité et de responsabilité collective qui contribue très intensément à donner un sens à leur vie.
À la source des malaises, voire de la détresse psychologique, qui affectent la très grande majorité des travailleurs stressés et des chômeurs marginalisés et dévalorisés ainsi que la très grande majorité des jeunes — angoissés devant un avenir de plus en plus incertain et privés de leurs rêves et même de leur droit de rêver, devant l’insécurité de leurs propres parents, devant le mal de vivre d’une partie sans cesse croissante de la population, autant dans les pays dits industrialisés que dans ceux que l’on considère en voie de développement, alors même que la plupart de ces derniers sont en voie de désintégration sociale —, à la source de ces malaises, il y a la perte de sens. Les humains sont en train de perdre le sens de l’aventure humaine, le sens de la vie, le sens de leur propre vie.
Et c’est pour cette raison que la mission de l’éducation doit être corrigée au plus tôt et modifiée en profondeur. L’école doit au plus tôt revenir à sa mission essentielle d’éducation de l’être humain. En se mettant à la remorque de l’entreprise et des valeurs qu’elle véhicule, en adoptant elle-même le modèle industriel, l’école s’est progressivement détournée de sa mission première, et toujours indispensable, de formation d’êtres humains aussi complets et achevés que possible, pour devenir un lieu d’instruction, un lieu de formation à court terme de travailleurs dociles, productifs et rentables. Et, à cet égard, il ne faut pas en vouloir qu’à l’école: en se détournant de sa mission, l’école ne fait que se plier aux demandes pressantes du marché du travail et de nombreux parents, beaucoup plus préoccupés de l’avenir de leurs enfants que de leur besoins actuels et immédiats, notamment leur besoin de se développer dans toutes leurs dimensions et de s’approprier toujours davantage la responsabilité de leur vie.
Il est de plus en plus déconcertant de voir que le système scolaire est lui-même balloté dans diverses directions. Ses dirigeants ne semblent avoir aucune vision globale, aucune philosophie cohérente de l’éducation et de la mission spécifique de l’école. Et cela tient tout particulièrement, semble-t-il, au fait que l’école n’a ou n’exprime aucun regard critique sur les changements actuels de la société, ni surtout ne fait aucune démarche prospective: quelle sorte d’avenir collectif devons-nous choisir et bâtir ensemble? Quelle doit être la contribution spécifique de l’école au sein de cette démarche prospective, en fonction du nouveau projet de société à élaborer et à réaliser ensemble?
L’école, en cherchant par-dessus tout à préparer les jeunes au travail, les prépare mal à un marché du travail qui se transforme beaucoup plus rapidement et allègrement que le milieu de l’éducation, empêtré dans ses propres structures administratives hyperbureaucratiques et hypertechnocratiques, dans des normes, des règles et des conventions trop rigides et de moins en moins professionnelles. Même si l’école réussit à accorder plus de diplômes aux jeunes, des diplômes qui ne garantissent pas toujours une compétence réelle et généralisable, on sait très bien que les diplômes ne créent pas d’emploi. On le constate déjà facilement au niveau des études universitaires: beaucoup de diplômés doivent se contenter d’emplois de type subalterne, d’autres se font même refuser ces emplois parce qu’ils sont considérés comme trop qualifiés et qu’ils pourraient exiger des salaires trop élevés ou risqueraient de perdre rapidement tout intérêt au travail.
Aussi longtemps que sous la domination excessive de l’économisme, on ne cherchera qu’à parvenir (enfin!) au plein emploi, aussi longtemps qu’on fera croire aux jeunes et à leurs parents que c’est par une scolarisation plus poussée qu’ils accéderont à l’emploi stable et permanent qu’ils recherchent, on fera fausse route, puisque tous les spécialistes du monde du travail et de l’économie s’entendent pour parler d’une révolution inévitable qui est déjà en train de se faire. Qu’on parle d’économie non monétaire, d’économie solidaire ou sociale, le monde de l’économie va bientôt perdre son hégémonie actuelle; notre univers politique, social et culturel cessera d’être sous sa domination totale. Ce sont à la fois les valeurs de travail et d’argent qui vont se modifier; les préoccupations de mode de vie et de qualité de vie et, tout particulièrement les préoccupations de signification de la vie, vont prendre le dessus, guider les revendications des travailleurs et de la population en général et influencer les politiques. À cet égard, il est particulièrement stimulant de lire le volume de Dominique Méda Le travail, une valeur en voie de disparition4.
Nous n’en sommes pas là, c’est certain, et pourtant, il est évident que ce n’est pas là une utopie. Il s’agit d’un projet collectif auquel il devient de plus en plus urgent de travailler, tous ensemble. Un si beau projet ne doit pas servir à endormir, à faire rêver tous ceux qui se sont résignés à un statu quo dont ils se plaignent pourtant; l’espoir ne doit pas leur servir d’opium.
Pendant que se font ces changements inévitables dans une économie de marché de plus en plus fébrile, motivée par un néolibéralisme pernicieux, que fait le monde de l’éducation? Il tente encore de régler à la pièce ses problèmes internes de mécanique (structures administratives, approches pédagogiques, nouveaux programmes, etc.); il tente encore de résoudre des problèmes majeurs sans considérer ce qu’ils sont de fait, à savoir les symptômes d’un malaise profond et d’une incohérence interne majeure. C’est le message pourtant clair qu’expriment présentement le désintéressement quasi généralisé des jeunes, une sous-performance décevante, des échecs scolaires et un décrochage qui sont dramatiques pour la société tout entière autant que pour les jeunes eux-mêmes, ainsi que la dévalorisation sociale ressentie par un nombre croissant d’enseignants, dont plusieurs vivent très difficilement, parfois même dans la détresse psychologique et la peur du burn-out, les années qu’il leur reste à travailler pour accéder à la retraite.
C’est cette déprime généralisée des adultes que les jeunes perçoivent autour d’eux et qu’ils ressentent eux-mêmes face à un marché du travail de plus en plus fermé et sélectif. Ce trait psychologique est aisé à observer chez eux, autant au niveau des études secondaires et collégiales qu’au premier cycle des études universitaires. Près de 80 pour cent des jeunes, autant ceux qui réussissent bien que les «moyens» et les plus faibles, développent une image négative d’eux-mêmes, de leurs ressources et de leur capacité de prendre réellement en main leur avenir personnel et collectif. Comment pourra-t-on bâtir un pays dynamique, enthousiaste et audacieux si l’école et la famille continuent d’éduquer des jeunes sans image positive d’eux-mêmes, sans espoir et sans projet individuel et collectif pour une vie réussie et heureuse?
Il est indispensable et urgent que l’école cesse d’être à la remorque de l’entreprise et de ses attentes et qu’elle assume de façon concrète et officielle le leadership qui lui revient dans les changements en cours. L’école prépare la génération montante et c’est un nouveau type d’êtres humains qu’elle doit au plus tôt former: des hommes et des femmes qui apprendront, avec l’aide d’éducateurs compétents et socialement engagés, à prendre en main leur propre destin plutôt qu’à se résigner au sort que semblent leur réserver le marché du travail, la compétitivité internationale et la fameuse mondialisation des marchés.
Éduquer un être humain autonome et responsable individuellement et collectivement, voilà le défi énorme auquel doit immédiatement s’attaquer l’école d’aujourd’hui. Demain ne sera différent que si l’on commence aujourd’hui à vivre, à travailler et à éduquer autrement. Ce sont de nouvelles valeurs, de nouvelles attitudes, de nouvelles qualités et compétences que l’école doit au plus tôt inculquer à tous les jeunes de tous les pays.
Il est curieux que dans les réformes de l’éducation proposées jusqu’à présent, on s’en soit surtout tenu à tenter de corriger les contenus officiels des études. Pourtant, c’est au niveau du contenu caché que la réforme est la plus urgente. Ce n’est pas sans conséquences graves et à long terme sur la personne, en effet, que l’on conserve une pédagogie centrée sur l’enseignement, c’est-à-dire sur la transmission presque mécanique de contenus ayant peu de sens et sur une évaluation valorisant avant tout la reproduction aussi fidèle que possible des discours de l’enseignant ou des manuels.
Comme plusieurs des enseignants et des cadres scolaires s’interrogent sérieusement sur de nouvelles façons de faire, qu’ils seraient d’ailleurs prêts à adopter pour peu qu’on les sécuriserait, et comme beaucoup de parents cherchent eux-mêmes un autre type d’éducation qui respecterait davantage les jeunes et qui maintiendrait, surtout, leur enthousiasme à l’égard des études et de l’avenir, je veux indiquer quelques pistes de changement et les illustrer, à l’occasion, par des expériences très réelles qui se font déjà dans certains milieux d’éducation. À seule fin de clarté, je distinguerai, de façon relativement artificielle, puisque dans la vie tout est intimement relié, les dimensions pédagogiques et les dimensions socio-affectives de l’intervention éducative.
La dimension pédagogique
L’école actuelle maintient une approche pédagogique mécaniste et déterministe de l’apprentissage. Même si officiellement elle a beaucoup évolué, elle conserve dans sa pratique quotidienne sa pédagogie de transmission et de mémorisation. Elle croit qu’il suffit que le maître ou le manuel exprime telle connaissance devant l’étudiant pour que celui-ci l’acquière et l’intègre. Et l’illusion que l’étudiant a acquis et intégré telle notion ou tel savoir est entretenue par le type d’évaluation que l’on fait généralement, laquelle ne demande à l’étudiant que de reproduire, par mémorisation à court terme, ce qu’il a lu ou entendu. C’est aussi inapproprié et illusoire que de croire que de raconter en détail ce qu’on a mangé lors de tel repas peut nourrir celui qui écoute.
Si l’on veut une éducation qui soit efficace et qui le soit à long terme, il faut au plus tôt passer d’une pédagogie de transmission et de mémorisation à une véritable pédagogie d’acquisition et d’intégration du savoir. En d’autres termes, il faut aller d’une pédagogie centrée sur l’enseignement (c’est-à-dire sur l’activité du maître) à une pédagogie centrée sur l’apprentissage (c’est-à-dire sur l’activité de l’étudiant lui-même). Il faut que la classe devienne un lieu de création collective du savoir. C’est personnellement et en interaction avec les autres que les jeunes doivent prendre le temps de découvrir et de recréer le savoir, et de lui trouver du sens. On ne gagne pas de temps en croyant qu’il vaut mieux ignorer les questions que se pose l’étudiant pour l’amener plutôt à recevoir (subir) nos questions et à y donner nos réponses, celles qui sont déjà fournies par le programme et qu’il faudra reproduire au moment où la question sera posée à nouveau. C’est ainsi que les enseignants ont appris et réussi jusqu’à l’université; c’est donc ainsi qu’ils enseignent, par une sorte de mécanisme subtil qui rappelle parfois l’identification à l’agresseur.
Comment faire autrement? C’est ce que je vais maintenant tenter de définir et d’illustrer.
Tout d’abord, il faut rendre les apprentissages et les contenus signifiants; il faut qu’ils aient du sens pour celui qui apprend. Or, il ne suffit pas de dire à l’étudiant que tel savoir lui sera utile plus tard, surtout au moment de l’examen, pour croire que ce savoir prend un sens. Il faut que ces connaissances répondent à des questions que l’étudiant se pose lui-même, qu’elles répondent à des besoins qu’il ressent personnellement, et qu’elles se raccrochent à son vécu. C’est à cette seule condition que le savoir est intégré et qu’il suscite le désir d’acquérir de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences. C’est donc beaucoup plus sur les étudiants, sur leurs préoccupations et leurs besoins d’apprendre, que l’enseignant doit se centrer, plutôt que sur son manuel et un programme déjà tout fait. Mais déjà je sens que beaucoup d’enseignants commencent à paniquer: s’il fallait que les étudiants ne se posent pas les bonnes questions, s’il fallait que les questions qu’ils posent ne correspondent pas au programme qu’ils doivent couvrir, s’il fallait que les étudiants passent au niveau suivant sans avoir acquis les contenus prérequis ou qu’ils échouent aux examens conçus par d’autres. Il y a dans notre système scolaire une telle logique linéaire, une telle mécanique rigide que tout changement réel ne peut se faire sans bouleverser l’ensemble. Voilà pourquoi le statu quo est si durable dans notre système d’éducation. La très grande majorité des enseignants ne savent pas faire autrement, n’ayant jamais expérimenté d’autre type de pédagogie, tandis que ceux qui sauraient faire autrement ou qui voudraient tout au moins essayer sentent tellement la pression du milieu, des collègues et des parents, et la menace grandissante de l’évaluation faite par les autres, qu’ils n’osent se marginaliser et innover. C’est cette observation qui m’a amené à dire que l’innovation consiste essentiellement à cesser de vivre des contradictions internes et à accepter de vivre des conflits externes. Dès qu’on cesse de faire les choses auxquelles on ne croit pas, comme conserver une pédagogie traditionnelle, archaïque et inefficace, on trouve beaucoup de temps et surtout de l’énergie et du plaisir à innover. On retrouve le plaisir de faire les choses auxquelles on croit véritablement, on se centre sur les jeunes plutôt que sur les programmes, on redonne la priorité à la relation éducative, on se préoccupe du développement intégral des jeunes; bref, on redevient des éducateurs, on redevient de véritables professionnels de l’éducation, conscients que c’est au développement d’êtres humains plus vrais et à un nouveau projet de société que chacun est appelé à collaborer.
En second lieu, la pédagogie doit se préoccuper non seulement d’assurer chez les étudiants la maîtrise de connaissances et de techniques de base dans divers domaines, mais surtout de développer chez eux la capacité d’apprendre par eux-mêmes et de diverses façons. En termes plus clairs, la pédagogie doit d’abord se préoccuper de rendre les étudiants plus intelligents. Elle doit développer chez eux les stratégies cognitives, c’est-à-dire leur apprendre de façon concrète et opérationnelle à bien observer, à recueillir les données pertinentes d’un problème ou d’une situation, à bien comprendre le problème ou à se poser eux-mêmes des questions appropriées. Ils doivent apprendre à formuler des hypothèses, à envisager diverses solutions, à choisir celle qui est la plus efficace et économique en matière d’énergie et de temps, à appliquer cette solution et à la vérifier. L’apprentissage par problème, qui est de plus en plus connu et expérimenté, par exemple à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, est une approche pédagogique qui rend plus intelligent et plus capable d’apprendre par soi-même et de faire des transferts d’apprentissage. Et pourtant, cette méthode qui devrait d’emblée s’imposer, surtout au niveau des écoles primaires et secondaires, continue de soulever énormément de résistances chez les enseignants. D’une part, ceux-ci se sont toujours définis et valorisés par leur compétence dans une discipline spécifique; d’autre part, les fabricants de programmes maintiennent des approches disciplinaires cloisonnées. Les enseignants ayant, par ailleurs, peu appris à travailler en équipe, et aucun d’entre eux n’ayant pour responsabilité propre et formelle d’assurer chez les étudiants l’intégration des connaissances, on continue toujours de laisser à l’étudiant les tâches les plus difficiles de l’apprentissage, celle de découvrir la signification du savoir et celle de l’intégrer. Par ailleurs, chacun des enseignants, du niveau primaire au niveau universitaire, est bien content de n’avoir jamais à vérifier ce qu’il reste de son enseignement quelques années ou même quelques mois après la fin de son cours. Somme toute, on demande à l’enseignant de faire de son mieux ce que n’importe quelle machine à enseigner, n’importe quel manuel d’enseignement programmé ou n’importe quel logiciel pourraient faire avec encore plus de compétence et de patience.
Au lieu de toujours se demander comment motiver davantage des étudiants de moins en moins intéressés, comment faire pour ne pas avoir à chaque année à reprendre une bonne partie de ce que les étudiants sont censés avoir appris l’année précédente, au lieu de se demander comment il se fait qu’un grand nombre d’étudiants deviennent des analphabètes fonctionnels après huit ou dix ans de fréquentation scolaire, on continue de prôner la réussi...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Éduquer. Pour la vie!
  3. Crédits
  4. Dédicace
  5. Préface
  6. Avant-propos de la nouvelle édition (2016)
  7. Avant-propos de l’édition originale (1997)
  8. Introduction
  9. Chapitre 1 – L’utopie, l’opium des résignés?
  10. Chapitre 2 – Une école pour une vie meilleure
  11. Chapitre 3 – L’école actuelle: une institution à rééduquer
  12. Chapitre 4 – L’école alternative: un projet d’avenir?
  13. Chapitre 5 – Pour de nouveaux rapports avec les milieux défavorisés
  14. Chapitre 6 – L’abandon scolaire est-il si grave?
  15. Chapitre 7 – Autonomie, responsabilisation et engagement social
  16. Chapitre 8 – L’humanisme, d’abord une manière de vivre
  17. Chapitre 9 – Des familles vivantes et engagées socialement
  18. Chapitre 10 – De l’agitation à la profondeur
  19. Chapitre 11 – Du stress aux larmes et aux rires sonores
  20. Chapitre 12 – La mort au quotidien
  21. Chapitre 13 – Pour des vieillesses alternatives
  22. Annexe I – Propos diversifiés sur l’éducation et le projet d’une société alternative
  23. Annexe II – Contes et paraboles
  24. Remerciements
  25. Notes