Les stratèges romantiques

Remédier aux désordres du monde contemporain

Pierre Mouterde

• Éditeur: Écosociété
• Année: 2017
• ISBN:
  9782897193416
• Sujet: Philosophy
• Sous-sujet: Political Philosophy

Écrit dans le sillage de penseurs du soupçon (Marx, Nietzsche, Freud) et de leurs contemporains, Les stratèges romantiques cherche à repenser les questions qui touchent l'existence (le temps, le désir, la religion, l'amour, la vie, la mort) afin de rouvrir les possibles d'une action politique authentiquement émancipatrice.

S'inscrivant dans la tradition du romantisme émancipateur qui entend prendre le contre-pied d'un monde utilitariste et marchand, Pierre Mouterde propose une approche renouvelée de l'intervention sociopolitique. Il cherche à redonner à la politique ses lettres de noblesse et à repenser cette dernière à l'aune des défis de l'ère néolibérale, en proposant de combiner à l'art d'une stratégie rassembleuse etunificatrice la réappropriation de toutes les aspirations existentielles que la modernité marchande a fait disparaître de nos vies. C'est l'originalité de cet essai: pour appréhender les désordres du monde contemporain et y remédier, l'auteur ne se contente pas des traditionnelles explications économiques, sociales et politiques. Il tente d'y combiner des facteurs culturels et plus généralement ceux touchant à l'horizon immédiat de l'existence humaine. Ceux-là même que le déploiement capitaliste néolibéral des dernières décennies tend à remodeler en profondeur, en favorisant les tendances à la fragmentation et à la massification dont l'auteur fait une clé d'interprétation pour comprendre notre époque.

De là, comme le souligne Michael Löwy dans sa préface, cette «proposition novatrice et originale d'une stratégie romantique, d'une forme de pensée et d'action à la fois réaliste et sensible, rationnelle et enchantée», qui pourrait symboliser toute l'importance de ces révolutions à effectuer aujourd'hui dans les domaines de l'existence et de l'agir collectif. En ouvrantde nouvelles pistes de réflexion sur les caractéristiques «des temps présents» et en cherchant à les refonder sur un mode philosophique, Les stratèges romantiques participe à sa manière au renouvellement si nécessaire du discours de la gauche d'aujourd'hui.

NOTES

1. Voir, entre autres, Michael Löwy et Robert Sayre, Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité, Paris, Payot, 2005 [NdÉ].

2. Terme allemand signifiant «conception du monde», au sens de conception globale de la vie, de la condition de l’être humain dans le monde.

3. Voir Mario Vargas Llosa, L’homme qui parle, Paris, Gallimard, 1989.

4. «[U]ne philosophie des temps présents devrait savoir revenir à ses origines premières et ne point craindre d’être “holistique”, c’est-à-dire de chercher à faire naître une conception du monde large et globale, à la manière de ces grands récits du passé évoqués plus tôt, mais sans leur fermeture dogmatique, en revenant justement à ce qui peut être au cœur de la démarche philosophique: cette tension entre vérité que l’on cherche sur le mode de la totalité (il n’est pas de vérité philosophique sans cet impératif!) et ce souci constant de la questionner et de la remettre en cause, de l’approfondir sur le mode de l’ouverture critique.» Voir Pierre Mouterde, Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation, Montréal, Écosociété, 2009, p. 22.

5. Voir l’entrevue complète menée en janvier 1989 à Montevideo et parue dans Le Soleil du 29 janvier 1989: «Il me semble que ce vieux poète nicaraguayen avait raison quand il me disait: Ne te fais pas de soucis, tous ceux qui ont le culte de l’objectivité, en réalité ils ne cherchent pas à être objectifs, ils cherchent à être des objets pour se sauver de la douleur humaine. Et comme je ne veux pas me sauver de la douleur humaine, parce qu’il me semble que c’est l’indispensable prix que l’on paie pour avoir droit à l’allégresse humaine, je n’ai aucun intérêt à être objectif. Mes travaux sont résolument subjectifs. Je conte des histoires depuis mon intériorité. Cela me réchauffe, réveille la même haine, le même amour que j’aimerais que mes paroles réveillent chez mes lecteurs.»

6. Voir Pierre Mouterde, op. cit., p. 51: «Être vivants, c’est profiter pleinement des potentialités du temps présent, des formidables pouvoirs qu’il nous offre (cette éternité même qui gît là dans l’instant que je fais totalement mien!), à condition cependant d’être capables de nous en emparer, de les reprendre pour nous, de les inscrire, à notre manière, dans le mouvement même du temps. Et n’est-ce pas le rôle du philosophe de nous aider à en saisir toutes les virtualités?»

7. Michael Löwy et Robert Sayre, Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité, Paris, Payot, 1992.

8. Comme le souligne Christian Salmon, «l’enfer de la gauche ressemble à celui des bibliothèques: c’est celui des voix interdites, des récits oubliés, des paroles errantes qu’elle refoule… Toutes les histoires, celles que nous racontons et celles que nous entendons, celles qui sont inaudibles ou interloquées, marquées du signe “pause”, tremblées, dans la conscience de l’époque, les histoires des ouvriers et des paysans, les cris des jeunes de banlieue qui se frayent un chemin à travers le rap et le slam, celles des sans-papiers et des éducateurs qui ont pris leur défense, le murmure des ouvrières dans les sweat shops d’Indonésie ou les voix américanisées des standardistes dans les call centers indiens, la voix multiple et polyglotte des multitudes unifiées de force par le capital financier. Toutes ces voix qui se cherchent dans le chaos des pratiques discursives sur Internet sans faire récit, c’est à la gauche de les accueillir, de les rassembler, de les faire dialoguer». Christian Salmon, «Après Barcelone et Madrid, pour une gauche acoustique», Mediapart, blogue, 26 mai 2015, http://blogs.mediapart.fr/blog/christian-salmon/260515/apres-barcelone-et-madrid-pour-une-gauche-acoustique.

9. Voir notamment l’article du géographe et professeur Jules Dufour, «Les murs du nouvel ordre mondial. Géopolitique des murs: mondialisation de la fortification et la militarisation des frontières», Mondialisation.ca, 25 juin 2015, dans lequel l’auteur évoque l’idée d’une prolifération de murs et indique qu’il y a actuellement dans le monde une cinquantaine de murs-frontières totalisant près de 21 000 kilomètres, soit près de la moitié de la circonférence de la terre (www.mondialisation.ca/geopolitique-des-murs-mondialisation-de-la-fortification-et-la-militarisation-des-frontieres/5457994).

10. Ce que nous appellerons ici, en suivant en cela Immanuel Wallerstein, «le capitalisme historique»; un capitalisme qui, tout en obéissant aux mêmes logiques de fond, prend différentes formes au fil de son devenir historique. Voir Immanuel Wallerstein, Le capitalisme historique, Paris, La Découverte, 2011.

11. Voir entre autres le chapitre premier («Sous le signe de la bifurcation et du chaos, le grand basculement du monde»), dans Pierre Mouterde, Repenser l’action politique de gauche. Essai sur l’éthique, la politique et l’histoire, Montréal, Écosociété, 2005, p. 22-46. Nous y explicitions, dans le sillage des thèses d’Immanuel Wallerstein, l’importance décisive de la perte de crédibilité qu’à partir de la fin des années 1980 ont connue les trois grands mouvements sociopolitiques antisystémiques (le communisme, la social-démocratie et le national-populisme) à travers lesquels, entre 1945 et 1975, se sont reconnus à l’échelle du monde des millions d’opposants critiques aux effets les plus manifestes du capitalisme.

12. Immanuel Wallerstein, Le capitalisme historique, op. cit., p. 43.

13. Voir à ce propos Fredric Jameson, qui mentionnait: «Il semblerait donc plus plausible de décoder l’hostilité au concept de “totalisation” comme un rejet systématique des idées et idéaux de la praxis en tant que telle ou du projet collectif.» Fredric Jameson, Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Paris, ENSBA, 2007, p. 462.

14. Parmi ces rares tentatives, mentionnons le dernier livre grand public de Naomi Klein (Tout peut changer, capitalisme et changement climatique, Montréal/Arles, Lux/Actes Sud, 2015) qui, après d’autres comme Hervé Kempf (sur un mode journalistique) ou Michaël Löwy (sur un mode théorique), tente d’exposer des thèses «écosocialistes» cherchant à combiner phénomènes d’exploitation des êtres humains et phénomènes de prédation de la nature.

15. Voir à ce propos Daniel Bensaïd, La discordance des temps. Essai sur les crises, les classes, l’histoire, Paris, Éditions de la passion, 1995.

16. Voir à propos de ces conditions, la fameuse formule de Karl Marx: «Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants.» (Karl Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, disponible sur http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/18_brumaine_louis_bonaparte/18_brumaine_louis_bonaparte.pdf.)

17. Fredric Jameson, Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, op. cit., p. 54-55.

18. La société des poètes disparus (Dead Poets Society, en France Le cercle des poètes disparus) est un film américain réalisé par Peter Weir (1989), alors que La vague (Die Welle) est un film allemand de Dennis Gansel (2008) librement inspiré de La Troisième vague, étude expérimentale d’un régime autocratique menée par le professeur d’histoire Ron Jones avec ses élèves à Palo Alto en avril 1967.

19. Antonio Gramsci, Cahiers de prison, Cahier 3, §34, Paris, Gallimard, 1975, p. 283.

20. Voir Evgeny Morozov, «Résister à l’uberisation du monde», Le Monde diplomatique, septembre 2015.

21. Nombreux sont les économistes d’obédience marxiste qui ont su montrer comment l’intégration de nouvelles technologies au mode de production mondialisé lui a permis de contrecarrer une partie des effets de la baisse tendancielle du taux de profit.

22. Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, Paris, 10/18, 1962, p. 22-23.

23. Voir Bernard Stiegler, De la misère symbolique (1: L’époque hyperindustrielle), Paris, Galilée, 2004; et Dany-Robert Dufour, L’art de réduire les têtes. Sur la nouvelle servitude de l’homme libéré à l’ère du capitalisme total, Paris, Denoël, 2003.

24. Voir Dany-Robert Dufour, «Vivre en troupeau en se pensant libres», Le Monde diplomatique, janvier 2008.

25. Voir Pierre Dardot et Christian Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009.

26. Voir Amin Maalouf, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998.

27. Voir à ce propos les thèses très stimulantes d’Ilya Prigogine dans La fin des certitudes (Paris, Odile Jacob, 1996). Il y soutient notamment – contre les postulats de la théorie classique et sa propension à spatialiser le temps en en faisant la quatrième dimension de l’espace – l’hypothèse que le temps pourrait précéder l’existence de l’univers, et qu’ainsi la naissance de l’univers, via le Big Bang, serait associée moins à une «singularité» qu’à une «instabilité quelque peu analogue à une transition de phase ou à une bifurcation» (p. 214). Il soutient aussi que nous vivons la fin des certitudes trompeuses (déni du temps) que les théories scientifiques courantes ont encouragées par leur caractère réducteur; mais que si l’on rattache la notion d’irréversibilité (la flèche du temps) à une nouvelle formulation probabiliste des lois de la nature, on pourra alors emprunter cette voie étroite et féconde – entr...