Contrées

Xavière Mackay

• Éditeur: Le Quartanier
• Année: 2021
• ISBN:
  9782896985685
• Sujet: Littérature
• Sous-sujet: Poésie

Partir, s'établir, habiter. Dans Contrées, habiter un lieu, c'est l'investir de sens: domestiquer les plantes, éclairer l'atelier, laisser le patio se couvrir de dessins d'enfants, donner ensemble aux objets des noms intimes, indissociables des souvenirs partagés. Mais s'enraciner, c'est aussi un mouvement. Dans Contrées, la ligne droite qu'on s'imagine parcourir quand on abandonne la maison de ses parents est peut-être un cercle. S'ancrer quelque part, c'est peut-être aussi creuser un tunnel: de la maison d'aujourd'hui à celle du futur, où la vie foisonnera, aussi éclatante que dans les souvenirs d'enfance; de la maison d'aujourd'hui à celle du passé – à son fantôme, ambigu et magnifique.

CARREFOUR RÉCIF

MILLAGE

l’endroit où je suis née

n’égale pas l’endroit

où j’ai grandi

n’égale pas l’endroit

où je me trouve

maintenant

n’égale pas l’endroit

où grandiront mes enfants

l’endroit où je mourrai

l’endroit où ils mourront

l’endroit où je suis née

me manque à présent

comme mon innocence

d’enfant la nuit

PAS ENCORE I

je m’habille devant la fenêtre de l’atelier

l’atelier débarras chambre d’amis

au plancher encombré de tableaux à sécher

de pots à pinceaux de petites voitures

de caisses de vinyles

et de l’antique table de réfectoire

déjà tachée trop grande poussée contre le mur

la veille j’étale

mes vêtements de travail

sur le lit près de la fenêtre

les jupes sont souvent pour le mercredi

je les enfile glacées devant la fenêtre

elle me sert de miroir au matin quand il fait encore sombre

de l’autre côté l’obscurité la neige la clôture blanche en treillis

une maison de briques identique à la nôtre mais sans petit garçon

et au-delà

le nord

PAS ENCORE II

je prépare mes vêtements la veille

j’essaie de laver mes cheveux tous les trois jours

je n’y arrive pas je n’y arriverai jamais j’ai perdu

je jette des pierres

au travers de l’eau

les pierres coulent elles restent au fond

ne bougent plus c’est terminé

ablution infinie

des couleurs se tiennent grandes devant moi

des mots des heures contre mes yeux

je suis à la recherche constante

de l’air

juste un peu d’air

une fenêtre

ICI

j’écris

les saisons de l’Outaouais sont plus franches que les saisons là-haut là-bas

il m’arrive de passer des journées à l’intérieur

comme ma mère comme une louve une sauvage

les saisons leur arrivée subite

me réconforte chaque fois

l’orgueil m’ankylose

mon hiver est plus court que le vôtre

mon été plus chaud

ici

il y a du sable dans les parcs

du sable dans la maison dans vos chaussures

comme des araignées blanches

sur le verre et le diva...