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1950-2000

Claude Jean Devirieux

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À propos de ce livre

Claude Jean Devirieux a Ă©tĂ© journaliste pendant 35 ans, dont 30 ans Ă  Radio-Canada oĂč il a Ă©tĂ© rĂ©dacteur, reporter, grand reporter et prĂ©sentateur-animateur. Il a «couvert» la plupart des Ă©vĂ©nements des cinquante derniĂšres annĂ©es au QuĂ©bec. TĂ©moin aussi honnĂȘte que curieux, il a, au fil du temps, recueilli de nombreuses confidences. Certaines de ces informations n'ont pas reçu l'attention mĂ©diatique qu'elles mĂ©ritaient et, chassĂ©es par le flot de l'actualitĂ© quotidienne, ont vite Ă©tĂ© oubliĂ©es. D'autres ont Ă©tĂ© volontairement dĂ©formĂ©es, minimisĂ©es ou, au contraire, exagĂ©rĂ©es. Enfin, certaines ont Ă©tĂ© passĂ©es sous silence ou carrĂ©ment interdites, car elles compromettaient des intĂ©rĂȘts supĂ©rieurs.Estimant que le public, en vertu du droit Ă  l'information, a le droit de savoir ce qui s'est passĂ© dans la derniĂšre moitiĂ© du XXesiĂšcle, Claude Jean Devirieux a dĂ©cidĂ© de rĂ©vĂ©ler ce qu'il a appris, ce qu'on lui a dit et ce qu'il a parfois vĂ©cu au cours de cette pĂ©riode. Le lecteur ira de surprise en surprise: l'auteur adĂ©cidĂ© de prĂ©senter le tout sous forme d'abĂ©cĂ©daire.Claude Jean Devirieux a eu une brillante carriĂšre de journaliste. Il est conseiller et formateur en communication, professeur et confĂ©rencier. Il n'a cessĂ© de revendiquer la suppression de toutes les entraves Ă  la libertĂ© del'information.

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Informations

Année
2012
ISBN
9782896647248
C
CAMBRIOLAGE
GrĂące au canal D et Ă  ses Ă©missions spĂ©cialisĂ©es sur les diverses sortes de crimes, vous connaissez toutes les techniques policiĂšres pour faire triompher la lutte contre le mal : filature, Ă©coute tĂ©lĂ©phonique, pose de micros-espions, etc. Le Code criminel canadien exige, pour certaines opĂ©rations nĂ©cessitant une introduction dans un domaine privĂ©, que les policiers obtiennent un mandat Ă©mis par un juge. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Le 12 fĂ©vrier 1980, revenant de la campagne, j’ai constatĂ© que la porte arriĂšre de mon domicile avait Ă©tĂ© forcĂ©e et que j’avais Ă©tĂ© cambriolĂ©. Donc, entrĂ©e par effraction. Mais un cambriolage spĂ©cial. En faisant le tour de mon logement, je me suis vite aperçu que l’on ne m’avait volĂ© ni mon poste de radio, ni mon poste de tĂ©lĂ©vision, ni mĂȘme ma rĂ©serve de dollars amĂ©ricains que je conservais en prĂ©vision de reportages aux États-Unis. Par contre, dans mon bureau, tous mes dossiers Ă©taient Ă©parpillĂ©s sur le plancher. Seul mon dossier sur la crise d’Octobre 1970 avait disparu. J’ai voulu faire un constat de police. Deux agents de la police de MontrĂ©al sont venus, mais, lorsqu’ils ont appris que seul mon dossier sur la crise d’Octobre avait Ă©tĂ© volĂ©, l’un d’eux s’est Ă©criĂ© : « Oh, lĂ , lĂ  ! C’est une affaire politique ! » Et lĂ -dessus, ils se sont sauvĂ©s et se sont Ă©vaporĂ©s comme un pet dans le grand vent. Je ne les ai jamais revus.
J’ai reconstituĂ© mon dossier de mĂ©moire ; j’avais mes agendas ; je me suis fait aider par des informateurs, confrĂšres et collĂšgues. Je l’ai reconstituĂ©. Mais il me manque quelques documents, quelques prĂ©cieuses photographies, quelques noms de tĂ©moins, voire de gens qui ont jouĂ© un rĂŽle secondaire, quelques adresses et numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone qui, de toute façon, me seraient inutiles maintenant. Également, quelques dates prĂ©cises ne me sont pas revenues.
CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY (CIA)
D’abord, il convient de rappeler que, pendant la guerre du Vietnam, soit Ă  la fin des annĂ©es 1960 et au dĂ©but des annĂ©es 1970, il y avait un fort mouvement de contestation aux États-Unis. Des manifestations avaient eu lieu dans certaines universitĂ©s et, en mai 1970, les forces de l’ordre avaient fait quatre morts et une dizaine de blessĂ©s Ă  l’UniversitĂ© de Kent. Des jeunes gens refusaient de partir Ă  la guerre et se rĂ©fugiaient au Canada. MĂȘme au sein de la Central Intelligence Agency, des agents remettaient en question ses manƓuvres et ses procĂ©dĂ©s. Plusieurs avaient dĂ©missionnĂ© avec fracas (Victor Marchetti) et l’un d’eux, Philip Agee, avait mĂȘme publiĂ© un ouvrage en Angleterre, oĂč il avait prĂ©fĂ©rĂ© se mettre Ă  l’abri.
Rappelons aussi que, depuis la Seconde Guerre mondiale, les pays de langue anglaise, blancs et chrĂ©tiens (États-Unis, Grande-Bretagne, Australie, Nouvelle-ZĂ©lande et Canada ; autrefois l’Afrique du Sud) sont liĂ©s par une entente en vertu de laquelle leurs services secrets se doivent aide et assistance mutuelle, ce qui signifie Ă©changes de renseignements et mĂȘme collaboration entre agents sur le terrain. Un informateur de la Gendarmerie royale du Canada m’avait indiquĂ© que, chaque semaine, un camion chargĂ© de documents faisait la navette entre Ottawa et Langley, la base de la CIA prĂšs de Washington ; c’était avant les Ă©changes rapides que permet Internet.
Avant et pendant la crise d’Octobre 1970, la CIA avait Ă©tĂ© active au QuĂ©bec et plus particuliĂšrement Ă  MontrĂ©al. L’un de ses officiers me l’avait confirmĂ©. Il s’appelle Claude Noyes (j’utilise le prĂ©sent parce que, bien qu’il ait eu 83 ans en 2011, aux derniĂšres nouvelles, il Ă©tait encore en vie quoiqu’affectĂ© par l’ñge). Citoyen amĂ©ricain de mĂšre française, il est absolument bilingue et il avait fait du renseignement en France oĂč il avait beaucoup voyagĂ©. BasĂ© dĂšs 1969 Ă  MontrĂ©al, il avait comme couverture la reprĂ©sentation d’une maison d’édition amĂ©ricaine de manuels et de livres d’enseignement collĂ©gial et universitaire, ce qui lui donnait la possibilitĂ© de visiter tous les campus du QuĂ©bec. J’étais entrĂ© en contact avec lui par l’entremise d’amis communs et nous Ă©tions suffisamment liĂ©s pour que sa femme, Vicky, m’invite Ă  souper Ă  l’occasion de la naissance de leur fille chez eux le 24 janvier 1972, Ă  Toronto oĂč il avait Ă©tĂ© mutĂ©. Voulant leur rendre la politesse, je les avais moi-mĂȘme invitĂ©s quelques jours plus tard au restaurant La Maison basque, sur Temperence Street, dans le centre de Toronto. C’est au cours de ces repas que Claude Noyes m’a donnĂ© quelques informations prĂ©cieuses. À ma question-affirmation : « Il paraĂźt que la CIA a une douzaine d’agents Ă  MontrĂ©al », il a rĂ©pondu sans hĂ©siter : « En temps normal, nous sommes une douzaine mais, pendant la crise d’Octobre, nous Ă©tions au moins cinquante ! » EncouragĂ© par cette confidence et lui versant une rasade de vin blanc autrichien (nous mangions du saumon), j’ai ajoutĂ© : « Il paraĂźt que les gars du Front de libĂ©ration du QuĂ©bec appellent leur chef Le Vieux. C’est qui le chef du FLQ ? » Et la rĂ©ponse est tombĂ©e sur moi comme une tonne de briques. Asseyez-vous et accrochez-vous aprĂšs le bord de la table.
Claude Noyes, agent haut placĂ© de la CIA, en poste Ă  MontrĂ©al pendant la crise d’Octobre 1970, Ă  la question : « Qui c’est le chef du FLQ » me rĂ©pond spontanĂ©ment : « Ben, c’est Louis Laberge ! » Louis Laberge, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration des travailleurs du QuĂ©bec. J’étais complĂštement abasourdi ! Craignant qu’il ne se reprenne, je suis passĂ© Ă  autre chose, me rĂ©servant d’essayer de vĂ©rifier cette information (voir Ă  Commission d’enquĂȘte sur le crime organisĂ© et Ă  MagnĂ©e). Claude Noyes a par la suite Ă©tĂ© rappelĂ© aux États-Unis oĂč il est devenu directeur du Centre d’études canadiennes de l’UniversitĂ© de Rochester (New York), qui est d’ailleurs le lieu oĂč Ă©taient colligĂ©s tous les renseignements concernant le Canada.
Lors d’une interview pour un film documentaire sur l’assassinat du pasteur noir amĂ©ricain Martin Luther King, un ancien contractuel de la CIA, Jules Rico Kimble, a dĂ©clarĂ© qu’il avait jadis infiltrĂ© le Front de libĂ©ration du QuĂ©bec. Il s’est mĂȘme vantĂ© d’avoir commis deux assassinats (je cite) « pour contrer la montĂ©e du nationalisme au QuĂ©bec ». Aucune idĂ©e de l’identitĂ© des victimes : ma source ne l’indique pas. Le 24 septembre 1971, le quotidien Montreal Star a publiĂ© un mĂ©mo top secret de la CIA datĂ© du 16 octobre 1970, au moment de l’interruption des nĂ©gociations entre les autoritĂ©s fĂ©dĂ©rales et le FLQ et de la proclamation de la Loi sur les mesures de guerre, mĂ©mo qui disait : « Des sources recommandent qu’on prenne de toute urgence des mesures pour cesser temporairement les contacts avec les militants du FLQ parce que les mesures du gouvernement canadien pourraient avoir des consĂ©quences indĂ©sirables. » Cela prouve que des agents de la CIA Ă©taient actifs auprĂšs de certaines personnes dans la mouvance felquiste.
La Central Intelligence Agency aimait beaucoup les QuĂ©bĂ©cois. Il a Ă©tĂ© Ă©crit dans la presse qu’elle considĂ©rait le QuĂ©bec comme un laboratoire politico-sociologique. Effectivement, le QuĂ©bec Ă©tait la derniĂšre des nĂ©o-colonies blanches et chrĂ©tiennes Ă  tenter de se libĂ©rer. Les autres ayant Ă©tĂ© la Pologne, nĂ©o-colonie russe, et l’Irlande, nĂ©o-colonie britannique, tout comme le QuĂ©bec, peuplĂ©es Ă  l’époque d’une population encore paysanne, catholique et dont les hommes avaient la rĂ©putation d’ĂȘtre de sacrĂ©s buveurs (la vodka en Pologne, la biĂšre en Irlande et au QuĂ©bec).
À l’occasion de l’enquĂȘte prĂ©liminaire sur le chef de la cellule de financement ChĂ©nier du FLQ, il avait Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que le carnet personnel de Paul Rose contenait un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone Ă  Houston au Texas (but de l’expĂ©dition de la cellule aux États-Unis en septembre-octobre 1970). Le procureur de la Couronne, maĂźtre Jacques Ducros, a demandĂ© en blaguant si ce n’était pas par hasard le numĂ©ro de la CIA Ă  Houston. Mon confrĂšre du quotidien Le Devoir, Michel Roy, dĂ©cĂ©dĂ© rĂ©cemment, a tĂ©lĂ©phonĂ© Ă  ce numĂ©ro : il s’agissait d’un Ă©tablissement du nom de la Hudson Engineering. Un autre numĂ©ro du carnet de Paul Rose, dont il a aussi Ă©tĂ© question lors de l’audience, Ă©tait celui d’une succursale de la Hudson Engineering, situĂ©e Ă  Laval et qui, aprĂšs vĂ©rification par d’autres confrĂšres journalistes, n’avait aucune activitĂ© concrĂšte visible. Je signale que les procĂšs-verbaux de cette enquĂȘte prĂ©liminaire ne sont plus aux Archives nationales du QuĂ©bec oĂč, en 2010, j’aurais bien voulu les retrouver.
Bon. En 1973, Radio-Canada m’envoie Ă  Washington. La Central Intelligence Agency refuse de me recevoir. Elle interdit mĂȘme Ă  mon camĂ©raman de filmer l’entrĂ©e de son quartier gĂ©nĂ©ral Ă  Langley. À la suite d’informations, j’ai pu trouver et interviewer un renĂ©gat de la CIA. Nous nous Ă©tions installĂ©s dans son jardin pour pouvoir parler plus librement sans craindre les micros espions qui auraient pu se trouver dans sa maison. Pendant tout le temps qu’a durĂ© l’interview, un hĂ©licoptĂšre a survolĂ© le jardin Ă  basse altitude sans changer de place. Ce personnage m’avait dit que les partis politiques fĂ©dĂ©raux canadiens Ă©taient Ă  Ottawa infiltrĂ©s « up to the nose » (« jusqu’aux narines »). Par la suite, j’ai pu filmer ce qu’on m’avait indiquĂ© comme Ă©tant un laboratoire chimique de la CIA et ce qui m’avait Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme son Ă©cole de torture installĂ©e dans un ancien dĂ©pĂŽt de tramway. Pendant tout le temps que mon camĂ©raman filmait, on pouvait nettement voir un autre camĂ©raman qui nous filmait depuis une des fenĂȘtres de l’édifice. Par la suite, j’ai Ă©tĂ© affiliĂ© Ă  une organisation contestataire amĂ©ricaine qui s’appelait « The Fifth Estate », dont la devise Ă©tait « Counter-spies are watching Big Brother » (« Les contre-espions surveillent Big Brother ») et dont les publications exposaient les coups tordus effectuĂ©s par la CIA Ă  l’étranger.
CHÔMAGE
Actuellement (2011), le taux de chĂŽmage au QuĂ©bec se situe entre 7 % et 8 % et tout le monde se lamente. Dans les annĂ©es 1950, il n’était que de 6 %, ce qui semblerait indiquer une dĂ©tĂ©rioration de la situation Ă©conomique au cours du dernier demi-siĂšcle. Mais les chiffres sont trompeurs et, Ă  mon avis, la situation Ă©conomique du QuĂ©bec demeure Ă  peu prĂšs stable. Car, Ă  l’époque, on ne comptait pas – et on ne pouvait pas compter – les travailleurs saisonniers : bĂ»cherons, ouvriers agricoles, pĂȘcheurs dont la majoritĂ© vivaient dans des rĂ©gions Ă©loignĂ©es oĂč l’administration gouvernementale Ă©tait absente et dont l’accĂšs Ă©tait difficile. En ce temps-lĂ , pour aller de Rimouski Ă  GaspĂ© ou de Mont-Laurier Ă  Amos, il n’y avait que des routes de terre. Ces travailleurs saisonniers n’étaient tout simplement pas inscrits sur les listes de demandeurs d’emplois quand leur saison de travail s’arrĂȘtait.
Une petite vite : Saint-BenoĂźt-du-Lac est une toute petite municipalitĂ©, situĂ©e sur la rive ouest du lac MemphrĂ©magog, qui a un peu plus de deux kilomĂštres carrĂ©s de superficie et une population d’une cinquantaine d’habitants avec un seul Ă©tablissement, l’abbaye bĂ©nĂ©dictine de Saint-BenoĂźt-du-Lac. Établie en 1912, cette abbaye voulant vivre en autarcie avait obtenu en 1939 du gouvernement du QuĂ©bec la permission de s’instituer en municipalitĂ© distincte. Lors de la crĂ©ation de l’assurance chĂŽmage aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants de l’abbaye se sont dit : « Chic, alors ! Nos moines vivent dans la contemplation, sans rien faire de leurs mains (sauf les frĂšres convers, bien sĂ»r), nous les mettons tous sur une liste de paie fictive, nous payons les cotisations patronales et, au bout de la pĂ©riode rĂ©glementaire, nous dĂ©clarons la moitiĂ© de nos effectifs en chĂŽmage. Et la communautĂ© percevra les allocations. » Tout marchait comme sur des roulettes. Tous les six mois, la moitiĂ© des moines en chĂŽmage fictif avait un emploi tout aussi fictif et l’autre moitiĂ© se retrouvait en chĂŽmage fictif Ă  son tour. VoilĂ  que, dans les annĂ©es 1960, Ottawa institue et finance un programme de travaux d’hiver pour les municipalitĂ©s ayant au moins 50 % de chĂŽmeurs. Cela tombait bien, c’était le cas de Saint-BenoĂźt-du-Lac ! Radio-Canada dĂ©cide de m’y envoyer en reportage oĂč j’ai pu constater que, grĂące au programme de travaux d’hiver, l’abbaye pouvait faire des travaux d’infrastructure importants : asphaltage des chemins, installation de canalisations d’égouts, etc. J’ai mĂȘme filmĂ© des travaux d’agrandissement ou d’amĂ©lioration des bĂątiments de l’abbaye elle-mĂȘme. Et je suis revenu Ă  MontrĂ©al avec un reportage dans lequel je rĂ©sumais tout ce que je viens de vous raconter. Sentant le danger, le prieur est intervenu le soir mĂȘme auprĂšs de Marcel Ouimet, alors vice-prĂ©sident de Radio-Canada, et mon reportage n’a Ă©tĂ© diffusĂ© qu’aprĂšs la modification complĂšte du texte que j’avais Ă©crit, de façon Ă  Ă©liminer toute allusion au tour de passe-passe administratif auquel s’étaient livrĂ©s les bons moines.
CODE CIVIL
Dans les annĂ©es 1950, il y avait Ă  MontrĂ©al un jeune avocat spĂ©cialisĂ© dans le droit international, maĂźtre Raymond Lette. Le pauvre souffrait, dans ses relations avec les pays Ă©trangers, du caractĂšre obsolĂšte du Code civil quĂ©bĂ©cois, qui datait tant sur le fond que dans la forme. Pour vous donner une idĂ©e, on estimait Ă  l’époque que notre code civil n’était ni plus ni moins qu’une copie du code NapolĂ©on. Cela Ă©tait Ă  la fois vrai et faux car le code NapolĂ©on n’était lui-mĂȘme qu’une modernisation faite en 1807 par les juristes français de l’ancienne Coutume de Paris qui, elle-mĂȘme, datait du XVIe siĂšcle ! Donc, dans les faits, notre code civil Ă©tait, Ă  peine remaniĂ©e, l’ancienne Coutume de Paris. Un simple exemple me vient Ă  l’esprit : le seul serment valable devant les tribunaux quĂ©bĂ©cois Ă©tait le serment fait devant Dieu. En 1955, Raymond Lette m’avait donc demandĂ©, puisque j’étais rĂ©dacteur professionnel et que, dans le temps, j’avais un peu Ă©tudiĂ© le droit, de l’aider Ă  refaire le Code civil. Je m’installais chez lui devant ma petite machine Ă  Ă©crire portative Underwood avec, Ă  ma droite, le Code civil du QuĂ©bec et, Ă  ma gauche, un paquet de feuilles blanches.
Raymond Lette s’est aperçu trĂšs vite qu’il ne fallait pas se limiter Ă  rĂ©Ă©crire le texte existant en Ă©liminant les archaĂŻsmes, mais qu’il fallait effectuer une rĂ©forme en profondeur, ce qui dĂ©passait sa compĂ©tence et, surtout, la mienne. Il s’est donc mis Ă  militer en faveur d’une refonte officielle. Le lĂ©gislateur l’a nommĂ© prĂ©sident de la Commission sur la rĂ©forme du Code civil et il a eu la gentillesse de me convoquer parmi les premiers tĂ©moins pour dire, justement, qu’il ne suffisait pas de moderniser le vocabulaire mais qu’il fallait rĂ©former le code en entier et en profondeur, dans son esprit et ses dispositions autant que dans sa forme. AprĂšs bien des discussions, le nouveau Code civil du QuĂ©bec a finalement Ă©tĂ© adoptĂ© par l’AssemblĂ©e nationale en 1991.
COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LE CRIME ORGANISÉ (CECO)
La commission Ă©tait prĂ©sidĂ©e par le juge Robert Cliche et a commencĂ© Ă  siĂ©ger en fĂ©vrier 1973. N’ayant pas Ă©tĂ© affectĂ© Ă  sa couverture, je ne sais rien de plus que ce que tout le monde a appris par la presse. Sinon qu’un ancien collĂšgue de Radio-Canada qui avait Ă©tĂ©, pendant un temps, reprĂ©sentant en boissons alcooliques d’importation et qui, Ă  ce titre, avait visitĂ© tous les bars de la province et qu’en ayant appris de belles, il avait dĂ» tĂ©moigner. AprĂšs son tĂ©moignage, pour assurer sa sĂ©curitĂ©, on avait jugĂ© bon de lui trouver un emploi à
 Vancouver.
Par contre, un jour, j’ai demandĂ© Ă  rencontrer le juge Cliche. Il a acceptĂ© et la rencontre s’est dĂ©roulĂ©e en prĂ©sence de ses deux assesseurs : Guy Chevrette, qui a Ă©tĂ© ensuite dĂ©putĂ© de Joliette et ministre pĂ©quiste, et Brian Mulroney, qui a Ă©tĂ© chef du Parti progressiste-conservateur et premier ministre du Canada. C’était donc une rencontre officielle. Je voulais savoir si la CECO avait fait enquĂȘte sur les antĂ©cĂ©dents du prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration des travailleurs du QuĂ©bec, Louis Laberge, et sur ses liens possibles avec le Front de libĂ©ration du QuĂ©bec et avec la Gendarmerie royale du Canada (voir Central Intelligence Agency et MagnĂ©e).
Le juge Cliche me rĂ©pond (textuel) : « Nous savons que Louis Laberge a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© agent d’information pour la GRC ; nous n’en savons pas plus. » Je rappelle que le juge Robert Cliche Ă©tait dans l’exercice de ses fonctions, qu’il avait pris la prĂ©caution de parler en prĂ©sence de ses deux assesseurs e...

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