CHAPITRE 1
Origines et développement des ailes parlementaires libérales provinciale et fédérale
Tenter de dĂ©terminer Ă quel moment est nĂ© le Parti libĂ©ral au QuĂ©bec nâest pas chose facile. Selon certains auteurs, ses origines remonteraient aussi loin quâĂ lâĂ©poque du Parti patriote, qui a existĂ© de 1827 Ă 1838[]. Dâautres considĂšrent plutĂŽt que son ancĂȘtre immĂ©diat est le Parti rouge. Ce dernier est apparu avec la formation de ministĂšres Ă la suite de lâobtention du gouvernement responsable en 1848 et est disparu dans les annĂ©es 1860[]. Câest ce parti qui aurait fondĂ© le Parti libĂ©ral provincial en 1867 selon les informations quâon retrouve sur le site Internet du Parti libĂ©ral du QuĂ©bec, consultĂ© en avril 2012[]. Pour lâhistorien Yves-François Zoltvany, ce nâest pas en 1867 mais bien en 1872 que le Parti libĂ©ral est nĂ©. « Avant 1872, dans le QuĂ©bec, il y avait des libĂ©raux. AprĂšs 1872, il y a un parti libĂ©ral[]. » Lâhistorien Marcel Hamelin, qui sâest intĂ©ressĂ© aux premiĂšres annĂ©es du parlementarisme quĂ©bĂ©cois, considĂšre quâil nâexiste pas de parti libĂ©ral provincial avant lâannĂ©e 1875. « Beaucoup plus quâen 1867 ou quâen 1871, le dĂ©putĂ© libĂ©ral de 1875 Ćuvre au sein dâune Ă©quipe et dâun parti.[] » Hamelin souligne Ă©galement que, au cours des premiĂšres annĂ©es qui ont suivi la crĂ©ation de la fĂ©dĂ©ration de 1867, les partis politiques au QuĂ©bec « nâont pas de structures provinciales mais ressemblent Ă une coalition de noyaux rĂ©gionaux. [âŠ] Ce sont les luttes parlementaires qui permettent la fusion de ces groupes rĂ©gionaux[] ». Hamelin parle alors de « groupes parlementaires » plutĂŽt que de partis politiques avant 1878 Ă lâAssemblĂ©e lĂ©gislative[]. Enfin, dans une brochure publiĂ©e par le Parti libĂ©ral provincial Ă lâoccasion du congrĂšs Ă la direction de mai 1950 dans laquelle il retrace son histoire, on mentionne que « ce nâest quâau lendemain de la mort de Mercier [le 30 octobre 1894] que les cadres politiques trouvent leur forme actuelle et que les partis se divisent dĂ©finitivement en parti conservateur et parti libĂ©ral[] ».
Lâabsence de consensus concernant la date de naissance du Parti libĂ©ral du QuĂ©bec nâest cependant pas un cas isolĂ©. Le mĂȘme phĂ©nomĂšne existe en ce qui concerne la datation du Parti libĂ©ral fĂ©dĂ©ral. Comme le souligne lâhistorien Yves-François Zoltvany,
De 1867 Ă 1873, le parti libĂ©ral, surtout au niveau fĂ©dĂ©ral, Ă©tait presque totalement dĂ©pourvu dâunitĂ© et de cohĂ©sion. Il se composait tout simplement dâune agglomĂ©ration de groupements provinciaux chacun muni dâun chef et dâun programme et dont le seul lien dâunitĂ© Ă©tait une opposition commune au gouvernement. Le choix dâun chef de lâopposition [Ă Ottawa] en 1872, en lâoccurrence Alexander Mackenzie, ne rĂ©ussit pas Ă instaurer lâunitĂ© dans le parti. [âŠ]
Ce manque de cohĂ©sion se faisait Ă©galement sentir Ă lâĂ©chelon provincial, du moins dans le QuĂ©bec, oĂč le parti libĂ©ral prĂ©sentait un aspect plutĂŽt hĂ©tĂ©rogĂšne[].
Lâhistorien canadien-anglais William L. Morton abonde dans le mĂȘme sens. Celui-ci souligne quâen 1873 le Parti libĂ©ral fĂ©dĂ©ral nâĂ©tait pas un parti politique et quâil constituait « plutĂŽt un groupe de reprĂ©sentants des partis politiques provinciaux[] ». Contrairement Ă Morton, lâhistorien O.D. Skelton estime, quant Ă lui, que les libĂ©raux formaient alors un parti, mais « un parti qui nâavait pas dâunitĂ©, dont la direction fĂ©dĂ©rale Ă©tait troublĂ©e par la rivalitĂ© entre [Edward] Blake et [Alexander] Mackenzie et dont les lieutenants au QuĂ©bec se succĂ©daient aussi vite que les images dans un kalĂ©idoscope[] ».
Ă la suite de nos recherches ayant menĂ© Ă la prĂ©sente Ă©tude, il nous apparaĂźt clairement que le Parti libĂ©ral au QuĂ©bec, tel que nous le connaissons de nos jours, tant sur la scĂšne provinciale que sur la scĂšne fĂ©dĂ©rale, prend forme au cours des annĂ©es qui ont suivi lâentrĂ©e en vigueur de lâActe de lâAmĂ©rique du Nord britannique, le 1er juillet 1867. Il importe donc de sâintĂ©resser aux rĂ©percussions de ce nouveau rĂ©gime constitutionnel si lâon veut comprendre comment cette formation politique est nĂ©e et sâest dĂ©veloppĂ©e au fil du temps.
Les rĂ©percussions de lâActe de lâAmĂ©rique du Nord britannique
Le 1er juillet 1867, lâActe de lâAmĂ©rique du Nord britannique (AANB) entre en vigueur au Canada. Cette loi, votĂ©e par les membres du Parlement britannique, tient dorĂ©navant lieu de constitution pour le Canada, alors une colonie britannique. Cette loi constitutive du nouvel Ătat fĂ©dĂ©ral canadien rĂ©unit trois anciennes colonies britanniques qui existaient depuis 1841 : le Canada-Uni, qui comprenait le Haut-Canada et le Bas-Canada aussi appelĂ©s Canada-Ouest et Canada-Est correspondant alors au sud du territoire actuel de lâOntario et du QuĂ©bec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Ăcosse. Avec lâAANB, le QuĂ©bec devient alors une province parmi quatre avec lâOntario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Ăcosse. Au fil des ans, dâautres provinces viendront sâajouter : le Manitoba (1870), la Colombie-Britannique (1871), lâĂle-du-Prince-Ădouard (1873), lâAlberta et la Saskatchewan (1905) et, finalement, Terre-Neuve (1949).
Ă la suite de lâadoption de la nouvelle constitution, lâĂ©volution politique du QuĂ©bec sâen trouve complĂštement modifiĂ©e. Le nouveau rĂ©gime constitutionnel engendre une nouvelle donne et une nouvelle dynamique politiques au Canada et au QuĂ©bec. Les consĂ©quences de ce changement de statut constitutionnel sont considĂ©rables sur la vie politique et le dĂ©veloppement des partis politiques tant sur la scĂšne fĂ©dĂ©rale que sur la scĂšne provinciale. Elles conditionnent et forcent les acteurs politiques Ă sâadapter Ă une tout autre rĂ©alitĂ©.
La premiĂšre rĂ©percussion de lâAANB, aussi appelĂ© depuis 1982 Loi constitutionnelle de 1867, consiste en lâĂ©tablissement dâune nouvelle structure politique de type fĂ©dĂ©ral partageant les pouvoirs entre deux ordres de gouvernement : un gouvernement fĂ©dĂ©ral et des gouvernements des Ătats fĂ©dĂ©rĂ©s communĂ©ment appelĂ©s provinces. Ce nouveau systĂšme politique entraĂźne la formation de deux scĂšnes politiques distinctes, la scĂšne fĂ©dĂ©rale et la scĂšne provinciale, qui ont chacune leur sphĂšre dâinfluence et leurs pouvoirs respectifs. Au fil du temps, la dynamique de ce systĂšme entraĂźne le dĂ©veloppement de relations fĂ©dĂ©rales-provinciales qui seront marquĂ©es Ă certains moments par des nĂ©gociations ardues et des affrontements Ă©piques entre le gouvernement fĂ©dĂ©ral et les gouvernements provinciaux, ce qui aura comme consĂ©quence de teinter les relations entre les formations politiques au pouvoir. De cette constitution dĂ©coule Ă©galement la formation de nouvelles institutions politiques. Il sâagit lĂ de la deuxiĂšme rĂ©percussion importante de ce changement de statut constitutionnel.
Avant 1867, les institutions politiques existantes sont le gouverneur gĂ©nĂ©ral, lâAssemblĂ©e lĂ©gislative et le Conseil lĂ©gislatif de la province du Canada. Le Parlement du Canada-Uni compte alors 130 divisions Ă©lectorales depuis 1853, soit soixante-cinq pour le Canada-Est (QuĂ©bec) et soixante-cinq pour le Canada-Ouest (Ontario), reprĂ©sentĂ©es chacune par un dĂ©putĂ©. Sous le rĂ©gime de lâUnion, on retrouve aussi le Conseil lĂ©gislatif qui compte quarante-huit membres Ă©lus Ă partir de 1856, dont vingt-quatre proviennent du Bas-Canada et vingt-quatre du Haut-Canada. Au total, ce sont donc quatre-vingt-neuf postes politiques Ă©lectifs quâon retrouve alors au QuĂ©bec.
Ă partir du 1er juillet 1867, le nombre dâinstitutions et de postes politiques Ă pourvoir double. De nouvelles institutions politiques fĂ©dĂ©rales et provinciales sont crĂ©Ă©es. La Couronne britannique, de qui relĂšve officiellement le Canada, est alors reprĂ©sentĂ©e par lâinstitution du gouverneur gĂ©nĂ©ral. Celui-ci sera nommĂ© par le roi ou la reine dâAngleterre Ă la suite de propositions de noms prĂ©sentĂ©es par le premier ministre[]. La Chambre des communes Ă Ottawa regroupe, quant Ă elle, les 181 reprĂ©sentants Ă©lus dans les divisions Ă©lectorales fĂ©dĂ©rales que compte alors la carte Ă©lectorale fĂ©dĂ©rale. De ce nombre, soixante-cinq proviennent du QuĂ©bec. Quant Ă la seconde chambre dâassemblĂ©e, le SĂ©nat, dont les membres sont nommĂ©s par le gouvernement fĂ©dĂ©ral, elle regroupe vingt-quatre membres en provenance du QuĂ©bec en 1867 sur un total de soixante-douze. Au total, si on exclut le poste de gouverneur gĂ©nĂ©ral, on dĂ©nombre quatre-vingt-neuf postes politiques Ă pourvoir au sein des institutions politiques fĂ©dĂ©rales en provenance de la prov...