MARCEL MASSE, ESPRIT NOVATEUR DE LâUNION NATIONALE
René Charette
Vous me voyez honorĂ© de pouvoir rendre hommage Ă Marcel Masse en Ă©voquant cette Ă©poque mouvementĂ©e et exaltante durant laquelle il a jouĂ© un rĂŽle dâimportance sur la scĂšne politique provinciale. Je le fais cependant en toute humilitĂ©. NâĂ©tant ni historien ni journaliste et encore moins politicien, je pose avant tout un regard teintĂ© de lâamitiĂ© qui nous a unis durant quelque 60 ans.
Mon point de vue est aussi celui dâun Lanaudois qui a eu le privilĂšge de cĂŽtoyer le jeune Ă©tudiant devenu professeur, syndicaliste et militant, puis, politicien. Car Marcel Masse allait dâabord mettre son intelligence et ses nombreux talents au service de sa rĂ©gion natale. Et, jusquâĂ la fin de sa vie, il y resterait attachĂ© et dĂ©vouĂ©. Tout LanaudiĂšre se souviendra dâailleurs encore longtemps de ce Mathalois dâorigine prompt Ă remuer ciel et terre pour faire progresser des dossiers⊠ou Ă©voluer des esprits !
Ce sont surtout mes souvenirs dâhomme de terrain que je ravive aujourdâhui. Ă la lumiĂšre des enjeux dĂ©fendus par la SociĂ©tĂ© Saint-Jean-Baptiste (SSJB) de LanaudiĂšre et celle de MontrĂ©al, organismes dont jâai Ă©tĂ© le directeur gĂ©nĂ©ral pendant 40 ans, je nâai certes pu Ă©viter de porter un jugement sur les interventions ou les idĂ©es politiques de mon ami. Et avec nos tempĂ©raments fougueux respectifs, nos divergences dâopinions se sont parfois soldĂ©es par de bonnes prises de bec ! Mais entre nous, jamais de complaisance. Cependant un trĂšs grand respect mutuel que je voudrais voir transparaĂźtre dans ce tĂ©moignage.
Lâaction avant la politique
Mais entrons sans plus tarder dans le vif du sujet. Ă la fin de lâannĂ©e 1965, Marcel Masse mâapprend quâil briguera un siĂšge pour lâUnion nationale dans le « comtĂ© » de Montcalm aux prochaines Ă©lections provinciales. Enthousiaste, il me demande de collaborer Ă sa confĂ©rence de presse qui annoncera sa candidature, le 20 janvier suivant.
Suis-je surpris de sa décision ? Pas le moins du monde !
Tout de sa personnalitĂ© et de ses rĂ©alisations lâappelle alors vers un tel destin. Car bien avant la politique, Marcel Masse sâest rĂ©vĂ©lĂ© un homme dâaction extrĂȘmement productif. Ă vrai dire, comprendre qui il Ă©tait au seuil de son militantisme Ă©claire si parfaitement ses motivations ultĂ©rieures que je me permets un petit dĂ©tour au chapitre de nos jeunes annĂ©es.
Ainsi, vers 1958, soit peu de temps aprĂšs notre premiĂšre rencontre, je saisis que ce brillant universitaire, passionnĂ© dâhistoire et de politique, mais aussi de culture et de langue française, est un vĂ©ritable boulimique de la connaissance. Il ne guĂ©rira dâailleurs jamais de cette faim de savoir !
Pourtant, son esprit curieux et Ă©veillĂ© ne se cantonne pas dans des modĂšles thĂ©oriques, et encore moins dans lâimmobilisme des conventions ou des traditions. En fait, il croit fermement au changement dans lâaction. Prendre acte du passĂ© pour aller vers lâavant : voilĂ ce quâest dĂ©jĂ le modus operandi de ses interventions, lâessence de sa vie active prĂ©sente et Ă venir.
Il lit, compare et analyse les thĂšses, en discute et⊠agit. Ă ses cĂŽtĂ©s, jâapprends Ă dĂ©couvrir ses maĂźtres Ă penser : Maurice SĂ©guin, Michel Brunet, Tibor Mende, Lester B. Pearson, pour nâen nommer que quelques-uns ! Personnage clĂ© dans mes rĂ©flexions, Marcel Masse se montre gĂ©nĂ©reux dans le partage de son savoir et de ses interrogations.
Ă la fin de ses Ă©tudes, en 1962, personne ne sâĂ©tonne que ce fils de chirurgien opte pour lâenseignement dans une Ă©cole publique au secondaire, tout en acceptant de reprĂ©senter syndicalement ses pairs. Car dans son travail comme Ă la SSJB du diocĂšse de Joliette, oĂč il est Ă©lu prĂ©sident en 1964 aprĂšs avoir assurĂ© la direction du comitĂ© dâorientation, il favorise une dĂ©mocratisation des connaissances. Lâinformation doit circuler librement, sans barriĂšres de classes sociales, affirme-t-il. Mais une dĂ©mocratisation des structures lui importe tout autant. En encourageant de la sorte lâouverture Ă dâautres maniĂšres de penser et dâagir, il espĂšre ultimement faire progresser les mentalitĂ©s dâune « vieille garde », encore empoussiĂ©rĂ©es malgrĂ© la RĂ©volution tranquille dĂ©jĂ en route.
Pour ce faire, il suscite le dĂ©bat et incite Ă dĂ©passer les Ă©vidences. Usant parfois de provocation, il nâa pas peur de placer quiconque, lui en premier, devant ses contradictions ou ses limites. Ă la SSJB, alors Ă©missaire des volontĂ©s de lâOrdre de Jacques-Cartier, de nombreux membres le perçoivent comme rebelle et radical. Son approche est pourtant consensuelle. TrĂšs respectueux des processus dĂ©mocratiques, il sait nĂ©anmoins se faire persuasif et stratĂ©gique en sâentourant des forces vives du milieu qui travailleront de concert avec lui, dont je suis. Il ouvre par ailleurs la porte Ă des confĂ©renciers nationalistes, quâils soient fĂ©dĂ©ralistes ou indĂ©pendantistes. Car si lâidĂ©e dâun QuĂ©bec souverain nous sĂ©duit, elle ne nous convainc pas encore totalement.
Durant cette pĂ©riode, sous la prĂ©sidence et lâimpulsion de Marcel Masse, de nombreux changements sâopĂšrent et de nouveaux modes dâintervention sont instaurĂ©s. Outre les mĂ©moires Ă©crits de sa plume et qui font Ćuvre dâĂ©ducation, les structures de lâorganisme sont complĂštement rĂ©formĂ©es grĂące Ă la crĂ©ation dâun conseil rĂ©gional consultatif. La construction dâun siĂšge social contribue Ă©galement Ă rendre cette SSJB plus active et forte dans sa communautĂ©. Syndicalement, en 1965, Marcel Masse participe aussi Ă la restructuration des associations dâenseignement de la rĂ©gion et sâactive, auprĂšs de Guy Chevrette, Ă la planification des prochaines nĂ©gociations avec le gouvernement.
Par ailleurs, depuis le 16 novembre 1963, il a rĂ©digĂ© quelques discours et mĂ©moires politiques pour Daniel Johnson rencontrĂ© chez Maurice Majeau, dĂ©putĂ© de Joliette. Deux ans plus tard, impressionnĂ© par son fougueux et avisĂ© poulain, le chef de lâUnion nationale souhaite vivement lâintĂ©grer Ă son Ă©quipe de candidats Ă©lectorauxâŠ
La politique, outil de changement par excellence
Ainsi comprend-on la logique du cheminement de Marcel Masse vers la politique active, outil de changement par excellence. Son inclination lâaurait cependant portĂ© du cĂŽtĂ© des libĂ©raux et de leur programme Ă©lectoral pensĂ© par cet autre Joliettain admirĂ© de nous tous, Georges-Ămile Lapalme. Mais, en raison du lien crĂ©Ă© avec Daniel Johnson et de lâaffermissement de la position constitutionnelle de celui-ci, brillamment exposĂ©e dans ĂgalitĂ© ou indĂ©pendance, Marcel Masse est tentĂ© par le chant de la sirĂšne unioniste. Michel Brunet, son professeur en qui il a toute confiance, achĂšve de le convaincre en lui rappelant combien lâUnion nationale a un urgent besoin de ressources novatrices⊠Alors que plusieurs aspirants attendent dĂ©jĂ en ligne pour se faire valoir chez les libĂ©raux !
Au dĂ©but de lâannĂ©e 1966, Marcel Masse se lance ainsi dans une campagne Ă©lectorale originale. Encore peu familier avec les enjeux de sa circonscription, concernĂ©e par lâagriculture, les forĂȘts et le tourisme naissant, il se met Ă lâĂ©coute de ses futurs Ă©lecteurs. Il se prĂ©sente donc Ă eux non pas comme un « Je-sais-tout » distributeur de promesses, mais comme un animateur public. Il leur dit : « La vraie dĂ©mocratie, câest celle oĂč les citoyens exposent et soulĂšvent eux-mĂȘmes les problĂšmes urgents de la sociĂ©tĂ©, Ă ceux quâils veulent comme reprĂ©sentant. » Encore une fois, il rompt avec certaines traditions.
Pendant ce temps, on lui confie la responsabilitĂ© de coordonner le travail des diverses commissions qui prĂ©parent le programme Ă©lectoral. PressĂ© par Jean-Jacques Bertrand de modifier les structures de lâUnion nationale, le comitĂ© dâorientation sâattelle Ă la tĂąche. Marcel Masse propose alors le terme « assises » pour dĂ©signer la nouvelle rĂ©alitĂ© dĂ©mocratique du congrĂšs de 1965 : pendant trois jours, la parole sera donnĂ©e aux militants. Bien avant la fin de cette campagne, le jeune Masse a donc pleinement mĂ©ritĂ© sa place dans le cercle des proches conseillers de Johnson. Le 2 juin, Ă lâarĂ©na Maurice-Richard oĂč se dĂ©roule « lâOpĂ©ration Victoire », son discours est chaudement applaudi par 10 000 participants. Et deux jours plus tard, il bat le dĂ©putĂ© libĂ©ral sortant, GĂ©rard Martin, par une majoritĂ© de 470 votes (51,32 %) alors que lâUnion nationale fait Ă©lire 56 dĂ©putĂ©s⊠avec seulement 41 % des voix.
Monsieur le ministre, catalyseur de changements
Se matĂ©rialise alors lâoccasion presque inespĂ©rĂ©e dâaccĂ©der Ă un rĂ©el pouvoir de changement. Or, Daniel Johnson lâencourage Ă considĂ©rer un engagement plus exigeant que celui de dĂ©putĂ© et de conseiller. Puisquâil nâa aucune expĂ©rience des us et coutumes du dĂ©bat parlementaire, Marcel Masse refuse le ministĂšre du Travail que lui propose son chef. Le lendemain, Daniel Johnson revient Ă la charge et lui demande de bien vouloir Ă©pauler Jean-Jacques Bertrand Ă lâĂducation. Ainsi « rĂ©quisitionnĂ© », il ne peut se soustraire Ă ce dĂ©fi, surtout dans ce champ de compĂ©tence oĂč il se sent solide. Ce nâest, on le sait, que la premiĂšre des nombreuses responsabilitĂ©s ministĂ©rielles confiĂ©es Ă Marcel Masse. Ă 30 ans, le plus jeune ministre de lâhistoire du QuĂ©bec se voit catapulter au cĆur de lâaction politique.
La contribution de Marcel Masse Ă lâĂducation ne sera certes pas nĂ©gligeable. Bien sĂ»r, il y aura en prioritĂ© la poursuite de la rĂ©forme Parent⊠La crĂ©ation des cĂ©geps, le coup dâenvoi pour lâUniversitĂ© du QuĂ©bec, le systĂšme de prĂȘts et bour...