TROISIĂME PARTIE
La conquĂȘte de la Maison-Blanche
Tous les quatre ans, le lundi suivant le premier lundi de novembre, se tient lâĂ©lection du prĂ©sident des Ătats-Unis. Le 8 novembre 2016, tous les AmĂ©ricains dĂ©signent Ă©galement leurs reprĂ©sentants, dans douze Ătats et deux territoires (Samoa et Porto Rico) ils Ă©lisent leur gouverneur, dans 34 Ătats leurs sĂ©nateurs. Nombre dâentre eux participent Ă des Ă©lections locales et rĂ©pondent en plus Ă des questions rĂ©fĂ©rendaires qui vont des lois de finances Ă la destitution dâun Ă©lu, en passant par des amendements constitutionnels. Certains sont dâailleurs des rĂ©fĂ©rendums dâinitiative populaire, qui abondent dans un Ătat comme la Californie, et leur prĂ©paration suppose un travail continu pour obtenir les signatures nĂ©cessaires afin dâamener, par voie de pĂ©tition, la question sur le bulletin de vote.
Pléthore de questions référendaires
Il y a eu 158 questions rĂ©fĂ©rendaires posĂ©es lors du scrutin de 2014, qui ont concernĂ© 42 Ătats en 2014 : lâavortement, le financement scolaire, les armes, lâimmigration, le salaire minimum, les niveaux de taxation ont ainsi fait partie des enjeux soumis Ă un rĂ©fĂ©rendum. Parce que la mobilisation des Ă©lecteurs (tant pour dĂ©clencher les rĂ©fĂ©rendums que lors du vote lui-mĂȘme) a Ă©tĂ© moindre quâen 2012 (oĂč 176 mesures avaient finalement Ă©tĂ© soumises aux Ă©lecteurs), plusieurs Ătats ont allĂ©gĂ© le processus des rĂ©fĂ©rendums dâinitiative populaire (et notamment le nombre de signatures requises) et lâon sâattend Ă un grand nombre de rĂ©fĂ©rendums le 8 novembre 2016. DĂšs Ă prĂ©sent, Ballotpedia en recense 82, qui se tiendront dans 31 Ătats â mais nous sommes encore Ă plusieurs mois de lâĂ©lection de 2016. Les questions rĂ©fĂ©rendaires dĂ©jĂ approuvĂ©es pour figurer sur le bulletin de novembre touchent des enjeux comme le salaire minimum, lâusage et la lĂ©galisation de la marijuana, le contrĂŽle des armes Ă feu et le systĂšme dâassurance maladie.
Voir Conference of State Legislatures, http://www.ncsl.org/legislatures-elections/elections/ballot-measures-database.aspx ; 2016 Ballot Measures, Ballotpedia, https://ballotpedia.org/2016_ballot_measures.
Taux de chĂŽmage et Ă©lection
Le taux de chÎmage défait-il le président sortant ?
Depuis 1945, les prĂ©sidents battus Ă la fin de leur premier mandat faisaient tous face Ă une annĂ©e record en matiĂšre de taux de chĂŽmage. Mais la corrĂ©lation est moins une affaire de chiffres que de perspective. En effet, lâĂ©conomie amĂ©ricaine affiche un taux de chĂŽmage de 7,7 % en 2012 lorsque Barack Obama cherche Ă se faire rĂ©Ă©lire. Et il y parvient : il faut donc considĂ©rer que ce taux Ă©levĂ© nâĂ©tait pas une annĂ©e record par rapport aux prĂ©cĂ©dentes â en effet la crise de 2008 a gĂ©nĂ©rĂ© des taux de chĂŽmage de 9,9 %, 9,8 % et 8,6 %. En 2012, malgrĂ© un taux trĂšs Ă©levĂ©, la perception du public Ă©tait celle dâune amĂ©lioration.
Cependant, lâĂ©lection prĂ©sidentielle est au cĆur et constitue lâessentiel de lâactualitĂ©. Dans le cas oĂč le prĂ©sident cherche Ă obtenir un second mandat, on Ă©tablit souvent, mais câest discutĂ©, une corrĂ©lation entre les indicateurs Ă©conomiques et le taux de rĂ©Ă©lection du prĂ©sident.
Dans le cas oĂč le prĂ©sident sortant ne souhaite pas ou ne peut pas se reprĂ©senter, le champ est beaucoup plus ouvert. Bien sĂ»r, le spectre de lâĂ©lection de 2000 plane toujours sur les scrutins prĂ©sidentiels, mĂȘme si le rĂ©sultat des Ă©lections prĂ©sidentielles de 2004, 2008 et 2012 a Ă©tĂ© moins ambigu quâil ne lâavait Ă©tĂ© en 2000 puisque le prĂ©sident a obtenu non seulement la majoritĂ© des grands Ă©lecteurs, mais Ă©galement celle des suffrages populaires. Toutefois, le processus Ă©lectoral est long, lâĂ©lection prĂ©sidentielle est le fruit de plusieurs annĂ©es de travail pour les candidats et aucun cycle Ă©lectoral nâest exempt de surprises.
1. Qui peut aspirer Ă la prĂ©sidence des Ătats-Unis ?
Pour se prĂ©senter Ă la Maison-Blanche, il faut ĂȘtre citoyen amĂ©ricain de naissance, ĂągĂ© dâau moins 35 ans et avoir vĂ©cu 14 ans aux Ătats-Unis. Ces critĂšres peuvent paraĂźtre surannĂ©s â et injustes pour les immigrants qui peuvent y voir une citoyennetĂ© Ă deux vitesses puisquâils sont exclus de facto de la magistrature suprĂȘme â, mais ils Ă©taient cruciaux en 1787, alors que « la nation Ă©tait jeune et que les liens patriotiques Ă©taient faibles[] ».
Ătre nĂ© Ă lâĂ©tranger peut coĂ»ter la Maison-Blanche
La question a dĂ©jĂ Ă©tĂ© posĂ©e plusieurs fois, puisque la constitution impose aux candidats dâĂȘtre citoyen amĂ©ricain de naissance, autour de la possible candidature Ă la Maison-Blanche dâHenry Kissinger, de Madeleine Albright ou encore dâArnold Schwarzenegger. Tous sont nĂ©s Ă lâĂ©tranger et ont acquis la citoyennetĂ© amĂ©ricaine par la voie de la naturalisation : la prĂ©sidence leur est donc interdite. Les projets dâamendement pour changer cet Ă©tat de fait nâont jamais abouti. Dans cette veine, la question de lâĂ©ligibilitĂ© du sĂ©nateur John McCain en 2008, nĂ© sur une base navale amĂ©ricaine au Panama, et de Ted Cruz en 2016 nĂ© Ă Calgary, a Ă©tĂ© soulevĂ©e : en 2008, elle a rapidement Ă©tĂ© rĂ©solue par le SĂ©nat (rĂ©solution 511), car il Ă©tait politiquement inimaginable dâexclure de la course les enfants de citoyens servant Ă lâĂ©tranger. Bien que ces critĂšres soient dĂ©suets, leur existence donne souvent lieu Ă des dĂ©bats sur la validitĂ© de la candidature de tel ou tel candidat, animĂ©s notamment par le mouvement des Birthers â ces citoyens qui ont contestĂ© la validitĂ© de la citoyennetĂ© de naissance tant de Barack Obama (quâils soupçonnent dâĂȘtre nĂ© Ă lâĂ©tranger) que de John McCain en 2008 ou de Ted Cruz en 2016[].
Il faut Ă©galement avoir vĂ©cu effectivement 14 ans aux Ătats-Unis : lâobligation de rĂ©sidence ne veut cependant pas dire 14 annĂ©es consĂ©cutives, puisque le prĂ©sident Edgar Hoover, qui avait menĂ© une carriĂšre dâingĂ©nieur Ă lâĂ©tranger, ne vivait aux Ătats-Unis que depuis 11 ans lorsquâil a Ă©tĂ© Ă©lu en 1928.
Mais, au-delĂ de ces critĂšres formels, pour pouvoir â de façon rĂ©aliste â aspirer Ă la Maison-Blanche, les candidats doivent commencer tĂŽt, accumuler soutiens et financements, parfois jusquâĂ quatre annĂ©es avant lâannĂ©e Ă©lectorale proprement dite. Câest ce que lâon appelle la « primaire invisible » : il sâagit en quelque sorte du premier processus de sĂ©lection, officieux puisquâil sâopĂšre avant le dĂ©clenchement officiel de lâannĂ©e Ă©lectorale. Cette primaire invisible est dâautant plus importante que le calendrier Ă©lectoral est compressĂ© : une grande partie des primaires se dĂ©roulent dans les premiers mois de lâannĂ©e Ă©lectorale (ce qui nâĂ©tait pas le cas auparavant puisquâelles sâĂ©talaient largement jusquâĂ lâĂ©tĂ©) et lâeffet du Super Tuesday est dĂ©terminant pour les candidats : Ă la mi-mars 2016, prĂšs de la moitiĂ© des Ătats se sont dĂ©jĂ prononcĂ©s. Un calendrier de plus en plus compressĂ© :
plus de la moitiĂ© des Ătats ont tenu caucus et primaires avant avril 2016
Source : DâaprĂšs Josh Putman, The 2016 Presidential Primary Calendar, Frontloading HQ, en ligne, http://frontloading.blogspot.ca/p/2016-presidential-primary-calendar.html, compilation 2016.
La compression du calendrier Ă©lectoral : la place privilĂ©giĂ©e de lâIowa et du New Hampshire
LâannĂ©e Ă©lectorale dĂ©bute, conformĂ©ment Ă la tradition, avec le caucus de lâIowa, suivi, comme toujours, par la primaire du New Hampshire. Si ces deux petits Ătats sont attachĂ©s Ă cet usage, ce nâest pas en raison du nombre de dĂ©lĂ©guĂ©s quâils amĂšnent Ă la Convention nationale de chaque parti â car il est trĂšs faible et ne pĂšse en ce sens pas lourd â, mais en raison de leur rĂŽle clĂ© dans la campagne, qui leur donne une visibilitĂ© mĂ©diatique et des retombĂ©es Ă©conomiques considĂ©rables : cela propulse mĂȘme lâĂtat du New Hampshire, pourtant petit, au 8e rang des bĂ©nĂ©ficiaires des dĂ©penses Ă©lectoralistes tandis que les retombĂ©es Ă©conomiques directes et indirectes sont substantielles et que les dĂ©penses des cinq candidats arrivĂ©s en tĂȘte ont Ă©tĂ© multipliĂ©es par huit en 25 ans en Iowa. Cette premiĂšre Ă©tape est en effet importante, mais pas toujours dĂ©cisive : la premiĂšre primaire et le premier caucus constituent pour les candidats un tremplin ou un handicap. Si ces deux votations ne permettent pas de tirer de conclusions dĂ©finitives quant Ă lâissue du cycle de primaires (les caucus de lâIowa ne sont par exemple que la premiĂšre Ă©tape dâun processus qui sâĂ©chelonne dâune part jusquâau 30 avril, date des conventions de districts et, dâautre part, jusquâau 18 juin, date de la convention de lâĂtat), elles peuvent cependant modifier considĂ©rablement les pronostics : câest ainsi quâen 2004, au soir du caucus en Iowa, le fameux cri de Howard Dean (le fameux Dean Scream abondamment diffusĂ© sur YouTube) a consacrĂ© sa dĂ©faite, tandis que le moment dâĂ©motion montrĂ© par Hillary Clinton Ă la veille du scrutin au New Hampshire en 2008 lui aurait valu, selon les conseillers de campagne des deux candidats dĂ©mocrates, le rebond quâelle a vĂ©cu le lendemain. Dans le mĂȘme esprit, la victoire du 19 janvier 1976, dans ce mĂȘme Ătat et contre toute attente, de Jimmy Carter (si mĂ©connu alors que les commentateurs demandaient : « Jimmy qui ? ») a Ă©tĂ© le point de dĂ©part dâune dynamique irrĂ©versible qui lâa menĂ© Ă la Maison-Blanche dix mois plus tard.
La primaire qui se tient en Caroline du Sud appartient dĂ©sormais Ă cette catĂ©gorie des Ătats prĂ©curseurs, qui paraissent donner le sens du vent et prĂ©dire â Ă dĂ©faut de dĂ©terminer â lâissue du scrutin, et les noms des candidats Ă la prĂ©sidence. En effet, il semble que, lorsque lâIowa et le New Hampshire dĂ©signent diffĂ©rents favoris, la Caroline du Sud est lâĂtat qui tranche, celui qui, en venant ajouter sa voix Ă lâun des deux, ind...