1. 1534 et 1608 ou les débuts de la Nouvelle-France
Jacques Cartier, un marin français mandatĂ© par le roi de France pour dĂ©couvrir de nouveaux territoires, est arrivĂ© Ă GaspĂ© en juillet 1534. La France voulait se tailler une place dans le Nouveau Monde aux cĂŽtĂ©s de lâEspagne et du Portugal, et plus tard de la Hollande et de lâAngleterre.
On rapporte que Jacques Cartier et ses compagnons plantĂšrent une croix sur les hauteurs de GaspĂ© pour prendre possession du territoire au nom du roi de France. Cette affirmation toute française peut faire sourire. Dâabord de quel territoire sâagit-il ? De la rĂ©gion de GaspĂ©Â ? Des vastes contrĂ©es recoupant le QuĂ©bec dâaujourdâhui jusquâaux Grands Lacs ? Cela aurait Ă©tĂ© totalement illusoire, mais pouvait sans aucun doute asseoir les prĂ©tentions françaises devant les autres colonisateurs europĂ©ens.
Ensuite, cette affirmation dâune certaine souverainetĂ© française sâest faite comme si les Autochtones nâexistaient pas. Ce dĂ©faut de consentement des Autochtones sous-tend lâidĂ©e quâils nâĂ©taient pas assez organisĂ©s pour occuper le territoire « à lâeuropĂ©enne », de sorte quâils ne pouvaient avoir dâexistence vĂ©ritable. Cette idĂ©e de terra nullius, ou de territoire sans maĂźtre, sâest reflĂ©tĂ©e jusque dans les travaux dâune importante commission dâenquĂȘte en 1844-1845, qui a repris les propos dâEmmerich de Vattel en 1758 dans Le droit des gens ou le principe de la loi naturelle : « Leur habitation vague dans ces immenses rĂ©gions ne peut passer pour une vĂ©ritable et lĂ©gitime possession[]. »
Les penseurs europĂ©ens de lâĂ©poque ont tentĂ© de justifier « la non-existence » des Autochtones en invoquant plusieurs raisons. Outre lâidĂ©e que les Autochtones nâĂ©taient pas organisĂ©s et quâils ne faisaient que parcourir le territoire pour se nourrir, certaines nations europĂ©ennes avancĂšrent lâidĂ©e que les Indiens allaient avoir une existence lĂ©gale en devenant chrĂ©tiens. Ce fut le cas de la France.
Cela devenait une excuse facile pour les puissances europĂ©ennes afin dâoccuper le territoire des Autochtones sans avoir Ă justifier leur prĂ©sence en AmĂ©rique. Cette thĂ©orie imaginĂ©e dans le confort des chĂąteaux europĂ©ens se heurta rapidement Ă la rĂ©alitĂ© du terrain en AmĂ©rique. Les Autochtones Ă©taient organisĂ©s et occupaient le territoire de sorte que les EuropĂ©ens durent composer avec eux. Le rapport de force a jouĂ© en leur faveur pendant longtemps.
Il nâen reste pas moins que les religieux français se donnĂšrent justement pour mission de convertir les Autochtones. Des concessions de terres leur furent accordĂ©es par les autoritĂ©s royales, principalement le long du fleuve Saint-Laurent, pour lâĂ©vangĂ©lisation et la sĂ©dentarisation des Indiens. On les appellera les « Indiens domiciliĂ©s ». Par ailleurs, des mesures Ă©manant des autoritĂ©s françaises prĂ©voyaient mĂȘme que les Indiens devenaient des « naturels français » une fois convertis.
Ces conversions « en accĂ©lĂ©ré » nâen faisaient pas nĂ©cessairement des chrĂ©tiens convaincus. Pierre Pouchot, un officier aguerri et consciencieux de lâarmĂ©e française, a Ă©tĂ© envoyĂ© en Nouvelle-France Ă lâaube de la guerre opposant la France Ă lâAngleterre Ă partir de 1755. Il rĂ©digea en 1769 un livre remarquable ayant pour titre MĂ©moires sur la derniĂšre guerre de lâAmĂ©rique septentrionale[]. Il Ă©crit :
Le petit nombre de Sauvages qui se sont convertis depuis environ 180 ans que nous occupons ce vaste continent, est une preuve de leur indiffĂ©rence sur la religion. On a beau les prĂȘcher, ils Ă©coutent trĂšs tranquillement et sans humeur, mais ils reviennent toujours Ă leur propos ordinaire, quâils nâont pas assez dâesprit pour croire et suivre ce quâon leur dit, que leurs pĂšres ont vĂ©cu comme eux, et quâils adoptent leur maniĂšre de vivre[].
Jacques Cartier fit trois voyages au Canada jusquâau dĂ©but des annĂ©es 1540 sans que cela entraĂźne des installations permanentes. Il faut dire que la France entra, au cours de la deuxiĂšme moitiĂ© du XVIe siĂšcle, dans une lutte fĂ©roce entre catholiques et protestants sur son propre territoire. CâĂ©tait presque la guerre civile.
Il faudra attendre lâarrivĂ©e du roi Henri IV, dans les annĂ©es 1590, pour que lâagitation religieuse se calme et que la France sâimplique davantage au Canada. Câest dans ce contexte que lâon doit souligner lâinstallation permanente des Français en 1608 Ă QuĂ©bec, un endroit surplombant le fleuve Saint-Laurent oĂč il Ă©tait possible de contrĂŽler les deux rives et de voir venir de loin les amis et les ennemis. Telle est lâĆuvre de Samuel de Champlain qui veilla jusquâĂ son dĂ©cĂšs, en 1635, Ă consolider lâemprise française sur le sol canadien.
DÚs 1603, à Tadoussac, Champlain et son mentor, François Pontgravé, furent néanmoins confrontés à la lutte opposant les Iroquois à plusieurs nations autochtones installées au Québec, dont les Montagnais (maintenant les Innus), les Algonquins et les Etchemins. Champlain a choisi le camp opposé aux Iroquois, ce qui entraßnera quelques décennies plus tard des conséquences sur la survie de la colonie française naissante.
Les Iroquois dont lâassise territoriale de base se situait dans lâĂtat de New York dâaujourdâhui sâĂ©taient aventurĂ©s au siĂšcle prĂ©cĂ©dent dans plusieurs rĂ©gions de la vallĂ©e du Saint-Laurent, bousculant ainsi les Indiens en place. Ceux-ci sâunirent dans une ligue et finirent par repousser les Iroquois. La rĂ©sistance contre lâenvahisseur iroquois nâĂ©tait pas finie lorsquâarriva Champlain. Il a vite compris quâil devait appuyer les nations indiennes opposĂ©es aux Iroquois sâil voulait sâĂ©tablir de maniĂšre permanente Ă QuĂ©bec et ailleurs.
LâarrivĂ©e de ces quelques Français aux cĂŽtĂ©s des Indiens de la vallĂ©e du Saint-Laurent fut dâabord dĂ©cisive, car Champlain dĂ©tenait une arme que les Iroquois nâavaient pas : le fusil. Il mit en dĂ©route les Iroquois au cours de quelques escarmouches. Mais les Iroquois allaient sâen souvenir. Ils allaient revenir quelques dĂ©cennies plus tard, cette fois, armĂ©s par les Hollandais qui sâĂ©taient installĂ©s sur le site actuel de la ville de New York, vers les annĂ©es 1620, avant que les Anglais ne les dĂ©logent vers 1660. Mais, dans un cas comme dans lâautre, les Iroquois cherchĂšrent alliance avec ces colonisateurs pour contrebalancer la prĂ©sence française auprĂšs des Indiens de la Nouvelle-France.
Champlain fonda donc QuĂ©bec grĂące Ă lâaccord des Indiens de la vallĂ©e du Saint-Laurent et en sâalliant Ă eux, mais il laissa en hĂ©ritage des rivalitĂ©s futures entre non seulement les Iroquois et les Indiens de lâalliance, mais aussi entre les Français eux-mĂȘmes et les Anglais qui commençaient Ă sâinstaller le long de la cĂŽte est amĂ©ricaine. Cette rivalitĂ© allait se terminer par la dĂ©faite des Français en 1760 dans ce que lâon a appelĂ© la guerre de Sept Ans (1756-1763) en Europe ou la French and Indian War chez les AmĂ©ricains vu lâalliance entre les Français et les Indiens.
Notes
2. La Nouvelle-France face Ă la Nouvelle-Angleterre
Afin de bien cerner le statut et la place des Autochtones en Amérique du Nord, il faut examiner comment se sont installés les colonisateurs français et britanniques sur le continent. à cet égard, on ne peut faire abstraction de la géographie et en particulier du climat.
La prĂ©sence française en Nouvelle-France se caractĂ©rise par une faible colonisation le long des rives du Saint-Laurent et un immense territoire de traite autour des Grands Lacs grĂące Ă des alliances avec les nations autochtones. De son cĂŽtĂ©, les Anglais sâimplantent le long de la cĂŽte est de lâAtlantique en formant treize colonies, dont le noyau formera la Nouvelle-Angleterre. Rapidement, elles vont se sentir menacĂ©es dans leur expansion par les Français.
Faible colonisation le long du fleuve Saint-Laurent
Les Français ont trouvĂ© un moyen ingĂ©nieux de coloniser la vallĂ©e du Saint-Laurent. Ils ont concĂ©dĂ© de vastes domaines Ă des personnes appelĂ©es « seigneurs ». Ceux-ci obtenaient des privilĂšges, mais ils avaient lâobligation dâattribuer des terres Ă des colons sur leur concession. En somme, les seigneurs Ă©taient ni plus ni moins des agents de colonisation. Les seigneuries, au nombre de 242, ont Ă©tĂ© concĂ©dĂ©es pour la plupart sous le rĂ©gime français jusquâen 1760. Les colons Ă©taient les censitaires du seigneur qui restait propriĂ©taire du fond de la terre. Ce systĂšme, devenu anachronique avec le temps, a Ă©tĂ© aboli en 1854. Son abolition a permis Ă ces censitaires de devenir...