CHAPITRE 1
La formation des maĂźtres depuis le RĂ©gime français jusquâĂ la fondation des premiĂšres Ă©coles normales publiques
Michel Allard
La formation sur le terrain (1635-1763)
Sous le RĂ©gime français, il nâexiste pas de systĂšme public dâĂ©ducation proprement Ă©tatique. LâĂ©ducation dĂ©pend de la responsabilitĂ© de la famille. Les communautĂ©s religieuses qui sâen occupent sont financĂ©es en partie par lâĂtat sous forme de subsides et de concessions de terres. Selon le sociologue de lâĂ©ducation Gilbert Vaillancourt, deux voies sâouvrent Ă ceux et celles qui dĂ©sirent enseigner : soit faire partie dâun ordre religieux enseignant, soit se dĂ©clarer instituteur. En 1635, les JĂ©suites fondent le collĂšge de QuĂ©bec destinĂ© Ă lâinstruction des jeunes Français. Peu de temps plus tard, en 1639, les Ursulines mettent sur pied un couvent pour Ă©vangĂ©liser et instruire les jeunes AmĂ©rindiennes et, par la suite, les jeunes Canadiennes.
Dix ans plus tard, Maisonneuve Ă©tablit sur lâĂźle de MontrĂ©al la colonie de Ville-Marie. Marguerite Bourgeoys, aprĂšs de multiples dĂ©mĂȘlĂ©s avec Mgr de Laval, fonde une communautĂ© de religieuses non cloĂźtrĂ©es, les Dames de la CongrĂ©gation de Notre-Dame de MontrĂ©al. Elles se consacrent dâabord Ă lâĂ©vangĂ©lisation et Ă lâinstruction des jeunes AmĂ©rindiennes puis, par la force des choses, Ă lâinstruction des enfants issus des mariages des colons français. Les religieuses Ă©tendent peu Ă peu le rĂ©seau de leurs « petites Ă©coles » dans les villages de la vallĂ©e du Saint-Laurent. Au dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, câest au tour des frĂšres Rouillier, des frĂšres hospitaliers ou frĂšres Charron et des Sulpiciens de sâengager Ă Ville-Marie et dans les environs dans lâinstruction des jeunes garçons.
Quelques laĂŻcs parfois itinĂ©rants se consacrent aussi Ă instruire les enfants dĂ©sireux dâapprendre Ă lire, Ă Ă©crire et Ă compter. Rien ne les prĂ©pare directement Ă cette fonction. Leur recrutement se fonde sur le critĂšre de leur connaissance des rudiments de lecture, dâĂ©criture et de calcul. « Il faut mentionner, selon lâhistorien de lâĂ©ducation Louis-Philippe Audet, outre des maĂźtres ambulants et des notaires, les fils de famille exilĂ©s au Canada par lettre de cachet dont plusieurs se dispersĂšrent dans les campagnes pour servir de maĂźtres dâĂ©cole. » Certains dâentre eux au comportement douteux sâattirĂšrent les foudres de lâintendant Dupuy. Il ne faut pas alors sâĂ©tonner que, dans ce contexte, lors de sa visite des paroisses, le reprĂ©sentant de lâĂ©vĂȘque soit tenu de sâinformer : « Sâil y a un MaĂźtre & une MaĂźtresse dâEcole. Sâils font le Catechisme (sic). Sâils sont de bonnes mĆurs, & propres pour enseigner. Si le CurĂ© prend soin que les Enfans (sic) ne lisent pas dans de mauvais livres, & que les filles nâaillent jamais avec les garçons dans la mĂȘme Ecole. Si les Parents sont exacts Ă envoyer leurs Enfans (sic) Ă lâEcole. » DĂ©jĂ apparaĂźt le souci dâassurer la surveillance, sinon le contrĂŽle, de ceux qui exercent la fonction dâenseignant. Cette pratique nâaura de cesse jusquâĂ nos jours.
Bref, sous le RĂ©gime français, il nâexiste pas de vĂ©ritable systĂšme dâĂ©ducation financĂ©, organisĂ© et supervisĂ© par lâĂtat. Dans ce contexte, la plupart des Ă©ducateurs laĂŻques ou religieux, outre leur bonne volontĂ©, ne reçoivent aucune formation particuliĂšre. Ils se forment sur le terrain quoique, dans les communautĂ©s religieuses, il est plausible de croire que les membres anciens transmettaient leur savoir-faire aux plus jeunes.
Tentative de mettre sur pied un systĂšme public dâĂ©ducation (1770-1801)
AprĂšs la cession du Canada Ă la Grande-Bretagne en 1763, lâenseignement, Ă lâinstar de la situation qui existait sous le RĂ©gime français, nâest ni organisĂ© ni financĂ© directement par lâĂtat. Chez les catholiques francophones, le clergĂ©, les communautĂ©s religieuses et quelques laĂŻcs le prennent Ă leur charge. Chez les protestants anglophones, quelques maĂźtres, dont certains reçoivent des subsides du gouvernement, ouvrent des Ă©coles dâabord dans les villes puis dans les bourgs, dont Sorel oĂč lâon retrouve une population de langue anglaise. Il ne faut pas sâĂ©tonner que, tant chez les francophones que chez les anglophones, on ait nĂ©gligĂ© « de prĂ©parer un personnel qualifiĂ© pour dispenser un enseignement primaire et secondaire ». En 1770, un groupe de citoyens de la ville de QuĂ©bec demande au gouverneur Carleton de faire des reprĂ©sentations Ă la Cour de Londres pour que lâon puisse faire venir des maĂźtres de France. Quant aux anglophones, ils Ă©prouvent eux aussi de la difficultĂ© Ă recruter des maĂźtres compĂ©tents. En dĂ©pit du dĂ©vouement des institutrices et des instituteurs religieux ou laĂŻques, lâĂ©ducation se retrouve dans un Ă©tat lamentable. LâalphabĂ©tisation progresse lentement en comparaison avec la situation en Nouvelle-France.
Dans ce contexte, le gouverneur lord Dorchester crĂ©e en 1787 un comitĂ© dirigĂ© par le juge en chef William Smith dans le but « de sâenquĂ©rir des moyens Ă prendre pour rĂ©pandre lâinstruction dans le peuple ». Afin de recueillir des informations, un questionnaire dont certains Ă©lĂ©ments portaient sur la compĂ©tence des maĂźtres, mais plus spĂ©cialement sur le projet dâĂ©tablir un systĂšme dâĂ©ducation neutre, entendons non confessionnel, de lâĂ©cole primaire Ă lâuniversitĂ©, devait ĂȘtre envoyĂ© au curĂ© de chaque paroisse. Deux ans plus tard, le questionnaire nâavait pas circulĂ©. Le prĂ©sident dut se contenter de le faire parvenir Ă lâĂ©vĂȘque de QuĂ©bec, Mgr Hubert, ainsi quâĂ son coadjuteur, Mgr Bailly de Messein. Si le premier sâoppose avec force Ă ce projet, plus particuliĂšrement Ă la crĂ©ation dâune universitĂ© neutre, le second lâappuie. En 1789, le comitĂ© dĂ©pose son rapport qui dĂ©crit un vĂ©ritable systĂš...