Survivance
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Survivance

Histoire et mémoire du XIXe siÚcle canadien-français

Éric BĂ©dard

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Histoire et mémoire du XIXe siÚcle canadien-français

Éric BĂ©dard

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Durant les dĂ©cennies qui ont suivi l'Ă©chec du mouvement patriote, aucun chef canadien-français ne s'est levĂ© un matin pour annoncer les dĂ©buts de « l'hiver de la survivance », selon l'expression de Fernand Dumont. MalgrĂ© les villages brĂ»lĂ©s et l'exil des principaux dirigeants du parti Patriote, malgrĂ© les procĂšs truquĂ©s et les pendaisons injustifiĂ©es, la vie quotidienne de ce peuple de plus de 600 000 Ăąmes reprenait son cours.Ce n'est que beaucoup plus tard que les historiens auront recours au concept de survivance pour rĂ©sumer plus d'un siĂšcle d'histoire. Or, si pour Lionel Groulx la survivance Ă©tait en tout point admirable, car elle tĂ©moignait d'une volontĂ© tenace de durer, certains penseurs issus de la RĂ©volution tranquille reprendront le concept dans le but de dĂ©prĂ©cier les acteurs et les intellectuels canadiens-français du XIXe siĂšcle.Mais cette survivance, de quoi est-elle faite? Comment se manifeste-t-elle concrĂštement?Dans cet essai, qu'on peut lire comme une suite des « RĂ©formistes » (BorĂ©al, 2009), Éric BĂ©dard amorce un dialogue avec notre passĂ©. En faisant preuve d'empathie pour toute une gĂ©nĂ©ration de Canadiens français qui s'est retrouvĂ©e plongĂ©e dans l'action, aux prises avec un contexte particuliĂšrement difficile, il souligne ici le rĂŽle de l'histoire, notamment de l'histoire politique. Les expĂ©riences vĂ©cues par nos devanciers ne peuvent-elles pas nourrir nos rĂ©flexions sur le prĂ©sent et nous rendre plus lucides lorsqu'on cherche Ă  entrevoir l'avenir?

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Informations

Année
2017
ISBN
9782764645055
chapitre 1
Survivre Ă  l’échec de 1837
Chaque Ă©poque a ses hĂ©ros. La mĂ©moire collective, c’est bien connu, tend Ă  installer au panthĂ©on les «grands hommes» qui correspondent aux valeurs et aux aspirations du prĂ©sent. Autrefois, les traditionalistes canadiens-français vĂ©nĂ©raient Dollard des Ormeaux et les saints martyrs de la Nouvelle-France, mais se mĂ©fiaient des idĂ©es de Louis-Joseph Papineau et des rebelles de 1837, jugĂ©es trop subversives1. Quant Ă  l’élite politique canadienne-française, elle ne manquait pas une occasion de saluer l’action de Louis-Hippolyte LaFontaine et des rĂ©formistes qui, dans un moment de grand danger, avaient su rallier le peuple canadien-français derriĂšre la dĂ©fense de la langue française et le principe de la responsabilitĂ© ministĂ©rielle2. Aujourd’hui, les indĂ©pendantistes qui ont un peu de conscience historique – c’est-Ă -dire ceux, moins nombreux qu’on pense, qui savent que le QuĂ©bec existait avant l’arrivĂ©e de RenĂ© LĂ©vesque – admirent Papineau et son projet de refondation rĂ©publicaine. Les plus radicaux, inspirĂ©s par les films d’un Pierre Falardeau, vouent une sorte de culte Ă  Chevalier de Lorimier. RĂ©sultat: Dollard des Ormeaux et les saints martyrs canadiens ont disparu de notre mĂ©moire collective; quant Ă  LaFontaine et aux rĂ©formistes, ils sont soupçonnĂ©s d’avoir trahi la cause qu’ils avaient auparavant dĂ©fendue Ăąprement3.
Au seuil de ce livre, je voudrais me pencher sur la conduite des rĂ©formistes en 1840. Ont-ils, oui ou non, trahi leurs compatriotes en se rĂ©signant Ă  l’union du Haut et du Bas-Canada? Ont-ils pĂ©chĂ© par excĂšs de prudence en misant sur la responsabilitĂ© ministĂ©rielle et en s’alliant aux libĂ©raux du Haut-Canada? Dans Les RĂ©formistes 4, je n’ai pas cru pertinent de rĂ©pondre Ă  ces questions. Cette distance de chercheur m’a Ă©tĂ© reprochĂ©e. En tant qu’«intellectuel», j’aurais dĂ» me commettre davantage, selon un disciple de Maurice SĂ©guin5. J’ai plutĂŽt fait le choix de laisser le lecteur juger par lui-mĂȘme. Si je compte maintenant attaquer ces questions de front, ce n’est toutefois pas Ă  la maniĂšre d’un moraliste qui distribuerait les certificats de bonne conduite ou qui, du haut de sa tour d’ivoire universitaire, prendrait le parti de classer les hommes du passĂ© dans les camps des bons et des mĂ©chants. Je ne rĂ©pondrai pas non plus Ă  ces questions Ă  la maniĂšre de certains sociologues ou politologues intĂ©ressĂ©s par les philosophies de l’histoire, fascinĂ©s par les explications totalisantes, mais gĂ©nĂ©ralement peu attentifs Ă  la contingence de l’histoire concrĂšte, vĂ©cue par les acteurs du passĂ©. À ces questions, je ne rĂ©pondrai pas non plus Ă  la maniĂšre d’un militant qui aurait espĂ©rĂ© un autre dĂ©nouement Ă  cette histoire en marche. Je voudrais modestement rendre compte du brouillard qui enveloppait les acteurs de cette Ă©poque et faire Ă©tat des vĂ©ritables options politiques qui s’offraient Ă  nos Ă©lites en 1840.
Le point de vue que j’adopterai ici est celui de la nation – Ă  l’époque, la «nationalité». Cet angle me semble pertinent, car la grande question qui hante les esprits au lendemain des rĂ©bellions de 1837-1838, c’est celle de la survie d’une nationalitĂ© française en AmĂ©rique. Depuis la ConquĂȘte de 1760, c’est la premiĂšre fois que les Canadiens sont confrontĂ©s Ă  la possibilitĂ© de leur disparition en tant que peuple. Cet angle particulier, l’angle national, me semble avoir Ă©tĂ© nĂ©gligĂ© par la recherche historique rĂ©cente. Avant de rĂ©pondre aux questions formulĂ©es plus haut, j’estime donc nĂ©cessaire de me pencher sur le lourd soupçon qui pĂšse sur la dimension proprement «nationale» des rĂ©bellions de 1837-1838 dans l’historiographie des derniĂšres dĂ©cennies.
Nation et progrĂšs
Jusqu’aux annĂ©es 1950, les rĂ©bellions de 1837-1838 ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©es dans une perspective nationale. Sous la plume d’un François-Xavier Garneau, d’un Laurent-Olivier David et d’un GĂ©rard Filteau, les rĂ©bellions Ă©taient assimilĂ©es Ă  la lutte courageuse mais dĂ©sespĂ©rĂ©e d’un peuple dĂ©laissĂ© par sa mĂ©tropole, mais luttant opiniĂątrement pour sa survie. Ces grands rĂ©cits lus par des gĂ©nĂ©rations de Canadiens français ne manquaient pas de panache et, dans le cas de Filteau, Ă©taient assez bien documentĂ©s. S’ils collaient aux Ă©vĂ©nements et aux grands personnages, s’ils Ă©taient parfois attentifs aux origines plus profondes de ces soulĂšvements, ces historiens s’intĂ©ressaient assez peu Ă  la nature des revendications patriotes et situaient rarement ces rĂ©bellions dans leur contexte occidental. Les historiens d’aujourd’hui n’ont pas complĂštement tort de le leur reprocher6. Ce grand rĂ©cit d’un antagonisme national sera aussi cautionnĂ© par Maurice SĂ©guin et l’école nĂ©o-nationaliste, laquelle voyait dans l’affrontement de 1837 la lointaine suite de 1763. L’ouvrage qui me semble le mieux s’inscrire dans cette grande tradition historiographique est celui de Gilles Laporte, qui dĂ©montre toute l’importance du facteur national dans la mobilisation politique7.
Ces luttes Ă©taient-elles modernes? Ce sursaut politique s’inscrivait-il dans un grand mouvement guidĂ© par une certaine idĂ©e du progrĂšs? Les patriotes Ă©taient-ils des hommes de leur temps? VoilĂ  des questions qui furent gĂ©nĂ©ralement laissĂ©es de cĂŽtĂ© par cette tradition historiographique nationale. «Un pays supporte avec patience un gouvernement dĂ©testable, s’il est de chez lui; il n’accepte point de le tolĂ©rer s’il lui vient de l’extĂ©rieur», expliquait Lionel Groulx Ă  Arthur Laurendeau dans un entretien portant sur les rĂ©bellions. Et Groulx d’ajouter: «Nul peuple n’endure longtemps d’ĂȘtre gouvernĂ© par une poignĂ©e d’étrangers. C’est dĂ©jĂ  un Ă©tat de violence. Nul peuple non plus n’endure, ni ne peut endurer d’ĂȘtre gouvernĂ© contre soi-mĂȘme. C’est un autre Ă©tat de violence8.» Dans l’esprit de Groulx et des historiens intĂ©ressĂ©s par la question nationale, l’indignation des Canadiens Ă©tait tout Ă  fait justifiĂ©e; elle n’avait pas Ă  employer un lexique moderne ou Ă  se draper dans les mots d’une idĂ©ologie particuliĂšre pour ĂȘtre lĂ©gitime.
Pour un peuple comme pour un individu, est-il «moderne» de se dĂ©fendre contre l’oppression ou de vouloir grandir, prospĂ©rer et «agir par soi»? N’est-ce pas lĂ  une pulsion vitale tout Ă  fait normale, atemporelle et commune aux peuples et aux individus qui ont dĂ©cidĂ© de vivre? Est-il «moderne» de lutter contre l’arbitraire, les privilĂšges indus, une certaine condescendance fondĂ©e sur les distinctions ethno-nationales? Les valeurs de respect, de dignitĂ©, de libertĂ© n’habitent-elles pas l’esprit et le cƓur de chaque homme de bonne volontĂ© depuis toujours? N’appartiennent-elles pas, ces valeurs, qui au «droit naturel» des Anciens, qui Ă  la grammaire du christianisme? Ne transcendent-elles pas, ces valeurs, toutes nos idĂ©ologies et nos philosophies de l’histoire? N’incarnent-elles pas une certaine idĂ©e du bien? Si tel est le cas, alors pourquoi, depuis quelques dĂ©cennies, fallait-il Ă  tout prix montrer la «modernité» des revendications patriotes pour les rendre lĂ©gitimes, acceptables, inspirantes, voire comprĂ©hensibles?
Pour rĂ©pondre Ă  cette question, je crois qu’il faut prendre la mesure de ce que fut, et de ce qu’est toujours l’idĂ©ologie du progrĂšs, le «progressisme». Distinguons, aprĂšs d’autres, l’idĂ©e du progrĂšs de l’idĂ©ologie du progrĂšs. Comme le montre Robert Nisbet, les Occidentaux ont depuis longtemps espĂ©rĂ© une vie meilleure9. DĂšs sa naissance, le christianisme fut un espoir millĂ©nariste. Sur le plan technique, nos devanciers n’ont cessĂ© d’innover pour rendre la vie plus douce et confortable; sur le plan philosophique et politique, ils ont imaginĂ© et instaurĂ© des institutions qui allaient permettre de vivre plus dignement. C’est au xixe siĂšcle – un siĂšcle d’accĂ©lĂ©ration du temps, marquĂ© par une «nouvelle expĂ©rience historique» – que l’idĂ©e de progrĂšs se mue, dans bon nombre d’esprits, en progressisme. À une Ă©poque oĂč la vie change, oĂč les certitudes les plus ancrĂ©es sont bousculĂ©es, oĂč les institutions les mieux Ă©tablies sont remises en question, des philosophes et des sociologues d’horizons divers tentent de dĂ©gager les lois de l’agir humain et ainsi de prĂ©dire l’avenir. Le marxisme et le libĂ©ralisme seront les deux versions les plus cĂ©lĂšbres de cet Ă©thos progressiste.
Le xixe siĂšcle a Ă©tĂ© une sorte d’ñge d’or du progressisme de la pensĂ©e marxiste et libĂ©rale. Or, on le sait, ces progressismes ont eu beaucoup de mal Ă  intĂ©grer la question nationale Ă  leur perspective. Dans leurs dĂ©clinaisons les plus orthodoxes, le marxisme et le libĂ©ralisme n’ont pas su composer avec la question nationale. Normal, pourrait-on dire, puisqu’il y a dans le marxisme autant que dans le libĂ©ralisme – le libĂ©ralisme d’un Benjamin Constant par exemple – une aspiration Ă  l’harmonie et Ă  la concorde universelle, il y a l’espoir d’un jour voir dĂ©passer la politique dans ce qu’elle a de conflictuel, de tragique et d’indĂ©terminĂ©; dans ce qu’elle a de contingent surtout. Pour reprendre une formule du philosophe Serge Cantin, il y a dans ces progressismes une sorte de dĂ©ni du politique.
Dans notre historiographie, c’est moins le progressisme marxiste que le progressisme libĂ©ral qui a contribuĂ© Ă  rendre les dolĂ©ances patriotes suspectes, voire illĂ©gitimes. Longtemps, les analystes du rapport Durham ont vu dans la proposition d’assimiler les Canadiens français une sorte d’anomalie embarrassante qui contrastait avec l’ensemble du rapport. Comment cet esprit Ă©clairĂ©, se demandait autrefois un historien comme Chester New, comment ce rĂ©formateur avant-gardiste Ă  qui on devait notamment le Reform Bill et que plusieurs dĂ©putĂ©s radicaux rĂȘvaient de voir prendre la tĂȘte d’une grande coalition «libĂ©rale», avait-il pu formuler une proposition aussi rĂ©trograde? Pour cet historien, que l’on pourrait associe...

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