
- 128 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
À propos de ce livre
Lecteur et interprète de Kant en Allemagne entre les deux guerres, il soutient que les tragédies du xxe siècle ont leurs racines dans une crise de la connaissance.Ainsi que l'ont montré Socrate dans l'Antiquité et Kant pour la modernité, l'humanité a constamment le choix entre deux voies. Dépasser ses limites en se prenant pour Dieu. Ce qui conduit à se donner tous les droits en faisant sa loi au lieu de respecter la loi.
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Informations
II
Les enjeux du symbole
Quand l’être est en question
Mars 1929. Davos. Heidegger et Cassirer se rencontrent au cours d’un colloque sur Kant. Ils s’affrontent à propos du sens qu’il convient de donner à la Critique de la Raison pure. Pour Heidegger, Kant en voulant assigner des limites au savoir humain, a adopté une démarche métaphysique qu’il n’a pas osé assumer jusqu’au bout. En profondeur, il a privilégié l’être par rapport à l’homme. Si l’homme est limité dans sa connaissance de l’être, cela provient du fait que c’est l’être qui se dévoile à l’homme et non l’homme qui dévoile l’être. L’homme est limité dans son rapport à l’être, parce qu’il ne peut être que visité et habité par celui-ci sur un mode poétique. S’il ne peut en faire la science, c’est qu’il ne peut qu’imaginer poétiquement celui-ci. D’où, chez Kant, le rôle central assigné à l’imagination au sein de la connaissance. Cassirer est radicalement opposé à Heidegger. Pour lui, Kant n’a pas limité la connaissance humaine de l’être, afin de renouer avec une métaphysique de l’être, dans laquelle l’être viendrait poétiquement visiter l’homme. Il a plus simplement voulu rappeler cette vérité trop souvent oubliée : l’homme n’est pas Dieu. Il ne peut donc avoir un accès direct à l’être. Pour accéder à l’être, il lui faut passer par une médiation. Il lui faut emprunter les voies du langage. Tout rapport à l’être est construit – et non donné. Si bien que ce que l’homme sait de l’être reste toujours une vision humaine de l’être. Ce n’est jamais la vision même de l’être par lui-même. Cela veut-il dire que tout rapport à l’être est à jamais ruiné ? Nullement. À défaut d’être l’absolu, l’homme peut se rendre digne de celui-ci. Il peut, par sa culture, son travail, ses œuvres, ses constructions, devenir le symbole de l’être. En se portant lui-même, il peut devenir le signe d’une dimension au-delà de lui-même.
Heidegger est un homme de la révélation, Cassirer de la culture. L’un croit à un accès possible à l’être, l’autre pense que l’on peut simplement devenir les signes et les témoins de l’être. Deux orientations, deux philosophies, deux politiques. Heidegger, qui est un métaphysicien épris d’ontologie, veut préserver les droits de l’être. Cassirer est un humaniste soucieux de préserver les droits de l’homme. Le risque d’une approche métaphysique, c’est d’oublier l’homme. Le risque d’une approche humaniste, c’est d’oublier l’être. Cassirer choisit de courir le risque de l’humanisme. Car, avec l’homme, on est sûr de préserver et l’homme et l’être, l’inverse n’étant pas vrai. Que l’homme en effet tire sa vie d’une vie déjà là qui le précède, et que cette vie s’enracine à travers la continuité des générations, des espèces et de l’évolution de la vie dans l’univers, dans le mystère de la vie, nul ne saurait le nier. Mais, s’agissant de l’homme, être ne se résume pas à ce visage de l’être. Car celui-ci est dans la mesure où il se fait être en voulant être et penser de façon responsable. C’est l’homme qui fait l’être et non l’être qui fait l’homme. Et, faisant ainsi l’être, l’homme témoigne bien davantage de l’être qu’en se perdant dans des considérations sur le mystère de l’être. D’où ce paradoxe : en s’éloignant de l’être, en creusant un écart entre lui et l’être, en faisant donc un détour par le langage, la culture, l’homme se rapproche bien davantage de l’être qu’en entreprenant de se laisser révéler par celui-ci au cours d’une expérience poétique.
Le plus court chemin pour aller à l’être passe par l’homme et non par l’être. Ce n’est donc pas l’être, mais l’homme et sa culture qu’il faut penser et encourager. D’autant que cet acte théorique n’est pas sans conséquences pratiques. La déshumanisation au plan philosophique, en effet, finit tôt ou tard par déboucher sur une déshumanisation de la vie tout court – d’où la nécessité de demeurer vigilant, en comprenant pourquoi l’homme est important face à l’être et pourquoi la culture et le symbole le deviennent tout autant. L’homme est un animal symbolique, dira Cassirer. Pour épouser pleinement le sens de cette affirmation, centrale chez lui, il importe que nous refaisions avec lui son trajet, en comprenant pourquoi il a été humaniste et kantien, pourquoi son humanisme l’a séparé de Heidegger et rapproché d’une philosophie du symbole.
La critique kantienne de la métaphysique
La chose est connue mais mérite d’être rappelée tout de même. Kant en écrivant la Critique de la Raison pure a révolutionné la philosophie. On a coutume de dire qu’il l’a révolutionnée en critiquant la métaphysique, parce que, selon lui, le sujet pensant ne peut pas, sans contradictions, vouloir connaître l’absolu, c’est-à-dire démontrer l’existence de Dieu, prouver l’immortalité de l’âme et comprendre l’origine du monde, ce qui est vrai. Mais on se trompe quand on en demeure là, comme le font les positivistes, qui pensent que Kant s’est borné à détruire les prétentions de la métaphysique afin de restaurer la véritable science face à cette pseudo-science. Kant n’a pas critiqué la métaphysique afin de restaurer la science et d’assigner à la philosophie la tâche d’être une théorie de la connaissance synthétisant les résultats du progrès scientifique tout en exposant ses démarches. Il a critiqué la métaphysique comme science et donc comme théorie, afin de mieux la resituer sur le plan pratique et ainsi d’affermir ses fondements, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Il n’a pas critiqué la métaphysique pour ne plus être métaphysicien et ainsi détruire la métaphysique, il a critiqué la métaphysique au contraire parce qu’il s’est voulu métaphysicien et parce qu’il a voulu ainsi régénérer la métaphysique. Qu’a-t-il reproché à la théorie ? Qu’a-t-il trouvé dans la pratique ? Tout simplement l’écart qu’il peut y avoir entre vivre par savoir et vivre par liberté.
Nul ne saurait le contester, le savoir est essentiel. L’homme est humain et reste humain de savoir ce qu’il fait, a rappelé Socrate. Sans savoir, sans représentation de ce que l’on fait, on bascule de l’ignorance dans l’erreur et de l’erreur dans l’aveuglement. Peut-on cependant avoir un savoir de tout ? Faut-il même le souhaiter ? Rien n’est moins sûr. S’agissant de l’expérience humaine, par exemple, il y a dans la volonté de savoir un besoin de sécurité qui témoigne davantage d’une peur que d’un esprit de responsabilité. Avant de vivre, certains esprits frileux aspirent à vouloir avoir déjà vécu afin de ne pas être pris au dépourvu. En quoi ceux-ci finissent par tuer la vie. D’où la profondeur du geste qui consiste à ne pas chercher à savoir, mais à vivre avant de savoir. Car quand c’est le cas, on préserve la vie, et, la préservant, on lui confère un sens. Face à la question du sens de la vie, en effet, on est souvent tenté de penser que la vie a du sens en vertu d’un élan donné avant la vie et appliqué à elle. L’originalité de Kant en métaphysique a consisté à renverser ce rapport du sens et de la vie, en soutenant que la vie a du sens en vertu de la vie et non en vertu du sens. Ainsi, la vie a du sens, parce que l’on veut vivre en s’engageant généreusement en elle. C’est le saut risqué dans la vie qui fait jaillir du sens, et non un sens dépourvu de tout risque et de tout engagement qui a du sens. C’est donc la vie vécue de l’intérieur qui fait jaillir du sens et non un sens donné en soi de l’extérieur qui crée sa direction propre. En veut-on une preuve ? L’amour nous en donne une. Car qu’est-ce qu’aimer en effet ? Attendre prudemment de savoir où on va mettre les pieds avant d’aimer, en ayant toutes les assurances pour cela ? Ou prendre le risque d’aimer sans forcément savoir où l’on va aller ? Aussi paradoxal que cela puisse paraître, savoir aimer, c’est savoir aimer aveuglément, alors que ne pas savoir aimer, c’est vouloir aimer en sachant. Car il faut être clair : l’amour ne souffre pas de demi-mesure : ou il est premier et il est ; ou bien il n’est rien. Entre aimer et savoir, il faut donc choisir : mettre le savoir au-dessus de l’amour, ou l’amour au-dessus du savoir. Le risque, la générosité, l’amour vécu placent toujours l’amour avant le savoir. Et c’est pour cela qu’ils savent aimer. Et que sachant aimer, ils transforment l’amour en succès. La peur, la bassesse veulent toujours savoir avant d’aimer. C’est pour cela qu’elles ne savent jamais aimer et transforment immanquablement l’amour en échec. D’où la force de la vie, de l’engagement, de la pratique, par rapport à la pulsion théorique. On pourrait en dire autant de la foi. Croire en Dieu parce que l’on a des preuves scientifiquement établies de son existence, est-ce croire ? Nullement. C’est ne pas croire, la foi n’a pas besoin de preuves. Elle n’attend pas de preuves pour croire. Et en croyant ainsi, elle devient un signe sous la forme d’un témoignage de générosité et d’engagement. On cherchait une preuve de Dieu dans une raison. Cette preuve, l’homme nous la donne en vivant soudain, sans raison, divinement. On attendait une idée de Dieu. La foi nous met en présence d’une vie divine. Ce qui, on en conviendra, tout en étant divin, est mieux qu’une idée. D’où cette fameuse conclusion énoncée par Kant disant dans sa préface de la Critique de la Raison pure : « J’ai donc dû supprimer le savoir pour lui substituer la croyance »1, phrase ouvrant non pas sur le mutisme de la pensée, mais sur une logique autre, celle, en l’occurrence, de la liberté. Osons vivre, osons vouloir et tout aura du sens. Du fait d’une confiance première n’attendant pas de savoir pour aimer ni de recevoir pour donner.
On l’aperçoit aisément, en opérant une telle critique de la raison théorique, Kant n’a pas détruit la métaphysique, mais plutôt déplacé son centre de gravité vers la liberté. S’il est vrai qu’il a fermé l’accès à l’absolu par la théorie, en revanche, il l’a ouvert par la pratique et la volonté. Aussi se trompe-t-on à son sujet quand on parle de lui comme d’un penseur de la limite et de la finitude qui aurait évacué tout souci métaphysique. Cette vision négative est erronée s’agissant de la métaphysique, mais surtout de la limite et de la finitude. Certes, Kant est un penseur de la limite et de la finitude. Mais que veulent dire ces termes ? Que Kant a placé des bornes ? Qu’il s’est contenté de refouler les prétentions illégitimes de l’entendement en agissant en gardien sourcilleux et répressif ? Nullement. Kant n’a pas été un « chien de garde », mais bien plutôt celui qui, à travers la limite et la finitude, a fait une découverte originale. Suivant en cela Hegel, Heidegger le rappelle : une borne n’est pas une limite ni une limite une borne. Car une borne renvoie au fait d’être arrêté sans que l’on sache pourquoi on est ainsi arrêté, alors qu’une limite signifie le fait que l’on est arrêté en sachant pourquoi on l’est. Entre une borne et une limite, il y a donc toute la différence que l’on peut trouver entre l’inconscient et le conscient. Ce que le langage traduit bien. Un esprit borné n’est-il pas, par définition, un esprit arrêté et figé, incapable de limiter sa propre bêtise ? Et un esprit libre n’est-il pas, au contraire, un esprit qui, ayant trouvé sa limite, est ouvert et dépourvu d’œillères ? Tout esprit libre l’est effectivement parce que, ayant fait un retour sur lui-même et trouvé ainsi sa limite, il a ainsi pratiqué une ouverture en lui-même et sur lui-même. Une limite n’étant pas une borne, il convient, de ce fait, d’apprécier la notion de finitude à sa juste valeur. Fini ne veut pas dire borné, mais bien plutôt achevé. À l’image de ce qui, étant revenu en soi, est achevé et donc libre. Une œuvre d’art est dite finie quand elle forme un tout autonome. Comment mieux dire la finitude ? D’où le sens qu’il convient de donner à ce que, depuis Kant, on appelle la métaphysique de la finitude. Celle-ci ne veut nullement dire que l’on pense désormais l’homme comme étant un être borné, mais plutôt comme un être accompli dans son domaine. Au-delà de l’homme, elle signifie non pas une borne assignée à la philosophie, mais plutôt un tournant de celle-ci du fait d’un achèvement dans l’un de ses moments. Ainsi, avant Kant, la métaphysique mettait en avant l’absolu comme une donnée s’imposant à l’homme. Le sens faisait la vie. Après Kant, la métaphysique va poser l’absolu comme étant ce que l’homme constitue en le voulant. C’est la vie qui, désormais, fait le sens. Importante pour la métaphysique, cette révolution l’est pour la connaissance en dévoilant un nouveau sens de ce que connaître veut dire.
La connaissance n’a cessé de se diviser, souligne Kant, en opposant soit l’expérience sensible au concept, soit le concept à l’expérience sensible. Que, pour connaître, il faille passer par l’entendement et ses concepts, comme l’ont montré Platon et Descartes, comment le nier ? Ne connaît-on pas quelque chose parce que l’on est à même de reconnaître celle-ci ? Et n’est-on pas à même de reconnaître celle-ci parce que l’on est à même de pouvoir en dégager l’idée sous la forme d’une signification générale et non particulière ? N’est-ce pas, en outre, parce que l’on fait la preuve d’un esprit critique capable de juger les choses en discernant ce qu’elles peuvent être que l’on peut distinguer celles-ci et donc les connaître ? Il paraît difficile de connaître sans savoir ce que l’on connaît grâce aux concepts de l’entendement nous aidant à concevoir les choses. Mais, à l’inverse, pour savoir ce que l’on sait, suffit-il de concevoir ? A-t-on la connaissance d’une chose parce qu’on en a l’idée ? Ne connaît-on pas une chose quand, justement, on n’en a pas simplement l’idée mais l’expérience ? L’idée d’un grand bordeaux lue dans une encyclopédie des vins décrivant sa saveur remplacera-t-elle jamais le fait d’avoir goûté une fois ce bordeaux ? En aucun cas. Il est donc vain de vouloir nier l’expérience. Comme il est vain de vouloir nier le concept. Car une intuition sensible est aveugle quand elle est sans concept. Et un concept est vide quand ne lui correspond pas une intuition sensible2 Pour connaître, il faut les deux, l’expérience et le concept. Et non l’expérience ou le concept. Ce qui change tout, car si connaître, c’est savoir ce que l’on sent et vivre ce que l’on pense, cela ne signifie-t-il pas que connaître renvoie à bien autre chose que ce que l’on avait cru penser ou sentir ? Effectivement, répondra Kant. La connaissance véritable n’est pas ce que l’on imagine. Car elle est plus que le simple fait de penser, et plus que le simple fait d’éprouver des expériences, parce qu’elle est imagination.
Kant et l’imagination
Connaître, est-ce imaginer ? Oui, connaître, c’est imaginer. Car connaître, c’est avoir l’idée et l’expérience des choses au point de les faire revivre. Ainsi, l’historien a compris l’époque qu’il étudie quand il est capable de la faire revivre. Ce qui demande d’avoir une idée de celle-ci si vivante qu’elle en devient quasiment réelle. Et une pratique si profonde de celle-ci, également, qu’elle en devient significative. En quoi l’historien n’est guère différent du savant qui est dit avoir la connaissance d’un phénomène lorsqu’il est capable de reproduire celui-ci en laboratoire – autre façon de le faire revivre. C’est par l’imagination capable de faire revivre les choses que, soudain, le réel devient plein de sens et le sens plein de réalité et de vie. On comprend donc que Kant ait conféré à l’imagination ce rôle médiateur d’être le moyen terme entre le concept et l’intuition. Pour être capable de rejouer les choses afin de les faire vivre, ne faut-il pas autant d’intelligence que de sensibilité afin de rendre la sensibilité intelligente ? Et autant de sensibilité que d’intelligence afin de rendre l’intelligence sensible ? Ne faut-il pas, autrement dit, un geste créateur comme le soulignera Kant sous la plume de qui on peut lire : « Ce schématisme de l’entendement relatif aux phénomènes et à leur simple forme est un art caché dans les profondeurs de l’âme humaine dont il est difficile de dévoiler le secret caché dans la nature3. »
L’imagination est un art ! N’hésitons pas, dès lors, à prendre pleinement au sérieux le terme de représentation. Celui-ci est à cheval sur la psychologie et le théâtre – parce que les deux sont liés. On se représente les choses du point de vue de la conscience parce que l’on est à même de les jouer dans la vie. Et on les joue dans la vie parce qu’on est capable de se les représenter. Diderot (1713-1784) a appelé ce double aspect de la représentation le paradoxe du comédien qui peut jouer la comédie parce qu’il est dans la comédie tout en n’y étant pas et qu’il n’y est pas tout en y étant. Le comédien ne se confond pas avec son personnage, sans quoi il serait fou. Comme il ne se confond pas avec ce qu’il est dans la vie quotidienne, sans quoi il ne serait pas comédien. Cet entre-deux qui le constitue et qui fait toute la réussite de la comédie donne toute la profondeur de l’imagination. Car on n’y pense guère, on l’oublie même toujours ! On croit que l’intelligence est affaire d’intelligence et de sensibilité. En fait, connaître consiste à faire vivre en faisant revivre, ce qui implique de savoir faire sentir, comme de faire penser. Ce qui était obscur s’éclaire dès lors. L’imagination, nous rappelle Kant, est une schématisation du temps. En quoi, a-t-on envie de demander, imagination et temps sont-ils liés ? En ce que, précisément, faire revivre implique du temps. Rendre présent ce qui était déjà présent en le représentant, n’est-ce pas dérouler à nouveau le temps qui s’était déroulé ? Rendre à nouveau « prés...
Table des matières
- Couverture
- 4e de couverture
- Titre
- Copyright
- I. Introduction
- II. Les enjeux du symbole
- III. Les dangers du mythe
- IV. La politique des sens
- Conclusion
- Bibliographie
- Table des matières
- Titres parus dans la même collection