
- 128 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
À propos de ce livre
En affirmant que la vie est exploitation et injustice, Nietzsche ne justifie-t-il-pas des systèmes sociaux d'oppression et d'inégalités.Comment fonder sur de tels postulats une conception de la justice, du droit et de l'ordre social qui ait quelque cohérence ou ne soit pas la justification de pratiques foncièrement inacceptables?
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Informations
II
Justice et loi
Puisque Nietzsche affirme avec tant d’insistance que la vie est exploitation et injustice, ne faudrait-il pas en conclure qu’il justifie des systèmes sociaux d’oppression et d’inégalité, et que sa pensée incline donc dangereusement vers des options politiques suspectes ? Comment, sur de tels postulats, fonder une conception de la justice, du droit et de l’ordre social qui ait quelque cohérence et ne soit pas la justification de pratiques foncièrement inacceptables, ou tout simplement non viables ?
Bien des textes, il est inutile de le nier, prêtent le flanc à ces soupçons ; nombre de passages sur l’homme supérieur, sur la sélection d’une élite dominante, sur l’esclavage nécessaire à toute société vivante, voire sur « la grande politique », ont de quoi susciter les réserves les plus expresses. Mais, répétons-le, Nietzsche cherche aussi à sélectionner d’abord son lecteur, il veut écarter par toute une série de provocations, de propos à double ou triple entente, par des contradictions dûment construites, celui qui, étant imbu de la vérité de sa position (ou de sa croyance, selon le vocabulaire nietzschéen), se trouve incapable d’entendre une pensée autre qu’il assimilera d’emblée à l’erreur ou au mal, et donc de se laisser ouvrir aux possibles dangers de sa propre position libérale, égalitaire, démocrate, chrétienne… C’est bien pourquoi la lecture de l’œuvre suppose rumination, non pas jugement précipité à partir de quelques formules tentatrices et inquiétantes, conçues précisément pour inquiéter et pour écarter le « faible » de chemins où il se perdrait. Seule la rumination, donc la fréquentation patiente et prolongée de l’œuvre en découvre le fil d’Ariane et permet de se repérer dans ce qui est, en toute hypothèse, un labyrinthe. Ce qui signifie que d’autres chemins (d’autres interprétations) pourraient être empruntés et que leur critère de vérité seraient qu’ils soient capables de rendre compte de leur itinéraire en faisant parcourir la totalité du labyrinthe, ou à tout le moins de proposer un parcours cohérent.
Nécessaire justice
1. Microcosme et macrocosme
Pour aborder la pensée nietzschéenne de la justice et du droit, il convient de revenir à un postulat déjà rencontré ci-dessus, essentiel pour situer la problématique à partir de laquelle Nietzsche traite de ces problèmes. Tout philosophe parle de lui-même et de ses propres maladies, lors même qu’il prétend traiter de la réalité objective ou de la chose même : telle est la thèse forte et étonnante de l’avant-propos du Gai Savoir. L’entremêlement de forces contradictoires et instables, qui est le foyer mouvant de la volonté, se retrouve au cœur de toute réalité vivante dans l’histoire, et donc, quand bien même le philosophe croit ne parler qu’abstraitement du corps ou du sensible, c’est encore des forces qui le structurent qu’il parle, sans le savoir ou sans l’avouer.
D’où ce qu’on pourrait appeler une thèse très générale : il y a continuité entre « microcosme » et « macrocosme », pour citer le titre d’un aphorisme de Humain, trop humain (I, § 276) qui illustre parfaitement cette problématique. Quiconque, est-il dit dans ce texte, a éprouvé en lui-même la contradiction insurmontable entre sa passion pour les arts et son amour pour les sciences sait bien que ne pouvant renoncer ni à l’une ni à l’autre, « il ne lui restera plus qu’à faire de lui-même un monument de culture assez vaste pour que ces deux puissances puissent y habiter, ne serait-ce qu’à des extrémités opposées, cependant que seront logées entre elles d’autres puissances médianes conciliatrices, disposant d’une force prépondérante pour aplanir en cas de nécessité le conflit venu à éclater. Or, un tel édifice de culture chez un individu singulier aura la plus grande ressemblance avec la construction d’une civilisation dans des périodes entières et fournira un enseignement analogique continu à ce sujet ». C’est sur cette analogie qu’on peut en effet s’appuyer, puisqu’il n’en va pas autrement dans le microcosme individuel et dans ce vaste macrocosme que constitue une civilisation : celle-ci aussi est tissée de forces ou de poussées contradictoires qu’il serait vain de vouloir atténuer, mais qu’il convient, comme dans une sorte de mécanique sociale, de faire jouer pour aboutir à un équilibre toujours en tension.
Cette citation apporte une première réponse à la question posée au début de ce chapitre. Que la vie soit exploitation et violence continue de forces contradictoires tentant de se surmonter en permanence ne signifie pas pour autant que l’homme puisse s’abandonner à une telle puissance : s’il veut subsister, tant sur le plan individuel que sur le plan collectif, il doit construire « l’édifice d’une civilisation », il se doit de faire jouer ces forces, sans les méconnaître et sans prétendre les supprimer, mais pour permettre la construction d’un ensemble social viable et créateur ; en ce cas, le déploiement des forces opposées ne les anéantira pas, mais servira à l’édifice de manière positive et dynamique. Il n’en va pas autrement d’une civilisation ou d’un individu tiraillé par les passions opposées de l’art et de la science qui doit chercher une permanente conciliation entre les deux, sans les étouffer et sans céder à l’une plutôt qu’à l’autre, mais en tablant sur elles pour créer.
2. Loi et humanisation
Il faut joindre à cette affirmation une autre thèse non moins fondamentale, et sans doute encore plus essentielle à notre sujet. Nietzsche affirme à maintes reprises que l’être humain, tel que nous le voyons aujourd’hui, est le produit d’une longue évolution, et notamment le résultat d’une éducation séculaire. Laissé à lui-même, ce qu’il appelle volontiers l’animal humain ne subsisterait pas ; il serait livré à l’instant aux jeux de ses affects, il ne connaîtrait aucune durée et se trouverait ainsi soumis à tous les aléas de la nature. En réalité, il n’accède à son humanité que par un dressage rigoureux et cruel que toute société traditionnelle a su mettre en place (en quoi d’ailleurs Nietzsche marque du recul à l’égard d’un évolutionnisme darwinien qui opterait pour une évolution « naturelle »). Et si nous avons quelque peine à comprendre ce type de société, ou si nous nous indignons des « siècles de barbarie » qui, dit-on, nous ont précédés, c’est que, plus ou moins rousseauistes, nous sommes convaincus de ce que l’homme est spontanément ou naturellement ce qu’il doit être. Or il n’en est rien, et l’on ne comprendrait pas, entre autre, pourquoi l’homme est un être de souffrance, une espèce non achevée, marquée par tant d’expériences de violences, pourquoi il est l’héritier de tant de complexes et a intériorisé tant de souhaits de cruauté envers soi-même et envers les autres, sans cette préhistoire ténébreuse.
Tel est l’horizon des analyses de la Généalogie de la morale, tout particulièrement de la seconde Dissertation : pourquoi l’homme souffre-t-il ? pourquoi éprouve-t-il envers lui-même des rapports si tourmentés qui ont nom « mauvaise conscience », « culpabilité », torture de soi, désir d’ascétisme, jouissance dans la souffrance ? pourquoi la justice s’identifie-t-elle si souvent à un appareil de vengeance, à un système de tortures, à une volonté de faire souffrir ? pourquoi la religion elle-même, du moins dans ses formes modernes, apporte-t-elle sa caution à ce tourment de soi, quand elle ne le crée pas de toutes pièces ? Qu’y a-t-il en l’homme même qui puisse rendre compte de ces complicités avec le mal et la violence ? On ne peut certes plonger le regard dans cet abîme d’horreur (non résoudre ou expliquer causalement, pièges que la méthode généalogique écarte) qu’en se mettant devant les conditions d’avènement de l’homme à lui-même : elles présupposent toutes la rencontre d’une loi cruelle, torturante et inflexible qui apporte perturbation aux affects et les réordonne en fonction d’une volonté sociale extérieure sur laquelle l’individu n’a pas prise, mais à laquelle il doit se soumettre.
Nietzsche donne plusieurs versions de cette loi ou de cet interdit fondateur, condition du passage de l’animal humain à son humanité jamais achevée, et donc jamais assumée comme une essence parfaitement honorée. On en trouverait une lecture relativement sobre dans Aurore (§ 9), où il est question d’une « moralité des mœurs » qui s’impose en toute société ancienne, et qui se définit par « l’obéissance aux mœurs, quel que soit le genre de celles-ci ; or les mœurs, c’est la façon traditionnelle d’agir et d’évaluer ». Là où les coutumes ne commandent pas, ou ne tiennent pas lieu de loi, il n’y a pas de moralité, car l’accès à la moralité passe par l’acceptation et l’intériorisation des mœurs traditionnelles. « Qu’est-ce que la tradition ? Une autorité supérieure à laquelle on obéit, non parce qu’elle commande l’utile, mais parce qu’elle commande », et – pourrait-on ajouter – quoi que ce soit qu’elle commande. Dans un tel contexte, « quel est l’homme le plus moral ? Tout d’abord, celui qui accomplit la loi le plus souvent : qui donc comme le brahmane porte la conscience de la loi partout et dans la plus petite division du temps, de sorte que son esprit s’ingénie sans cesse à trouver des occasions pour accomplir la loi. Ensuite, celui qui accomplit aussi la loi dans les cas les plus difficiles. Le plus moral est celui qui sacrifie le plus souvent aux mœurs ». La communauté commande absolument par son passé et ses traditions sur l’individu, et les peines infligées, qui peuvent aller jusqu’à l’élimination du contrevenant, supposent qu’on a violé « avant tout la communauté elle-même ». Ce type d’obéissance rigoureuse aux règles traditionnelles est le « premier principe de la civilisation » (Aurore, § 16), celui par lequel « la civilisation commence », et il s’énonce ainsi : « N’importe quelle coutume vaut mieux que pas de coutume. »
Mais ces principes valables en toute société traditionnelle, et qu’une société moderne (qui se croit) émancipée des traditions a tant de peine à comprendre, en reste à un niveau historique ou ethnographique. Les analyses de la Généalogie de la morale, qui prolongent explicitement les propos d’Aurore, évoquées au début du § 2, veulent pénétrer dans ce « laboratoire secret et ténébreux où se fabrique l’idéal ascétique de la souffrance humaine » ; elles prétendent donc remonter à une préhistoire qui est d’avant le temps historique proprement dit et comme sa condition, mais qui par là même se trouve contemporaine de tous les temps de l’histoire, comme la condition permanente du dressage de l’animal humain. Car la « moralité des mœurs » ne laisse pas l’individu qui s’y soumet indemne ou neutre, par rapport à la tyrannie de la loi, elle le soumet à un dressage violent par lequel elle lui inculque le respect de la loi, et par là brime les affects opposés, perturbe l’économie psychique de l’animal humain, l’enferme dans un corset d’obligations autoritairement imposées. Elle doit en effet lui apprendre essentiellement à tenir ses promesses, selon une tâche et une exigence qui ne sont pas seulement « primitives », mais conditionnent toute éducation correcte façonnant un individu.
3. Créancier-débiteur : la promesse
Car « l’animal humain » à socialiser se trouve par rapport à la moralité des mœurs, donc par rapport à la société qui l’accueille, dans une relation de créancier à débiteur, et c’est cette relation qui fournit le chiffre de toute formation à l’humanité. Relation inégalitaire, on le voit, où l’un reçoit sans pouvoir poser de condition, où l’autre donne selon ses propres exigences, et notamment selon celles qui requièrent que le débiteur réponde aux attentes, donc tienne ses promesses. Comment inculquer à un être encore animal et livré à l’instantanéité l’obéissance à la loi et à la promesse, sinon en lui faisant sentir physiquement et psychologiquement la rigueur, voire l’arbitraire de la loi ? Et comment la rigueur de la loi serait-elle imposée sans une volonté, celle du créancier, qui fasse sentir sa force supérieure et toute-puissante au débiteur ? Cette loi se rencontre nécessairement dans une relation humaine inégalitaire, marquée par un rapport de forces, puisqu’elle doit construire l’individu en lui imposant une maîtrise de soi et de l’instant dont il est d’abord incapable. Cette relation n’est pas seulement un rapport d’homme à homme, mais une relation de dette, lourde d’une temporalité à venir ; « l’animal humain » (se) reçoit d’une société par rapport à laquelle il est en situation de dette ; tel est le contexte concret de toute rencontre humanisante de la loi.
Faute d’une telle relation inégalitaire et autoritaire, comment l’individu parviendrait-il à entrer dans la durée sans laquelle il n’y a pas de relations sociales assurées, durée dont Machiavel, nous dit un aphorisme de Humain, trop humain (I, § 224), avait bien vu qu’elle est plus essentielle au politique que la forme du gouvernement ? Impossible de créer une mémoire sans faire mal, car « seul ce qui ne cesse de faire mal est conservé dans la mémoire » : « On grave quelque chose au fer rouge pour le fixer dans la mémoire. – Voilà la loi fondamentale de la plus ancienne psychologie sur terre » dont nous gardons encore trace (malheureusement, ajoute Nietzsche). Très concrètement, et pour illustrer ce propos (Généalogie de la morale, II, § 3 et suivants), Nietzsche ne recule pas devant la peinture des pratiques de tortures, de châtiments, de lacérations qui sont censées avoir été les façons d’agir habituelles pour inculquer une mémoire à l’animal humain, et le contraindre ainsi à tenir ses promesses, à obéir à la loi ou à la moralité des mœurs, à devenir moral et à se construire libre ; car « l’individu souverain », dont nous sommes si fiers, ne serait jamais advenu à lui-même sans cet apprentissage brutal et sanglant. Il en est l’héritier inconscient, et en un sens toujours le débiteur. L’accès à la liberté se paie du prix de la cruauté subie et formatrice d’une volonté capable de promettre.
La cruauté, et donc l’injustice des traitements de moralisation par un nécessaire dressage, formeraient le fondement des vertus les plus hautes. Notre justice elle-même est née (et ne cesse de naître) dans ce berceau ensanglanté, mais le sens de la responsabilité, le jugement concernant la discrimination du bien et du mal, la liberté elle-même présupposent aussi cette préhistoire tragique, qui est moins derrière nous en des temps obscurs qu’elle n’est encore présente en toute tâche éducatrice authentique. « Vous vous imaginez que tout cela est devenu autre et que, par le fait, l’humanité a ch...
Table des matières
- Couverture
- 4e de couverture
- Titre
- Copyright
- Introduction
- I. Préjugés démocratiques et plébéisme
- II. Justice et loi
- III. Faute, responsabilité, innocence
- Bibliographie
- Table des matières