
- 128 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
À propos de ce livre
Depuis longtemps déjà, la satire d'un droit encombré de procédures paperassières avait placé les personnages de Rabelais sur le chemin d'une loi plus maigre et d'un juge d'équité. Plus de nerf et moins de chair, pourraient dire ces nostalgiques de l'âge d'or, dont l'économie normative semble faire écho à notre libéralisme politique.
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Informations
Sujet
PhilosophyII
L’institution de la liberté
Description de Thélème
Comment concilier l’esprit d’émancipation avec l’exigence de rationalisation du monde ? Comment conjuguer liberté subjective et obligation morale ? En fait, dans le cadre de la loi évangélique, la demande de liberté n’est pas une demande de non-droit : il faut concevoir la règle comme une garantie d’exercice optimal de la dignité humaine ; autrement dit, passer d’un principe d’interdiction à un principe d’autorisation. Dès lors, la loi n’intervient plus comme un instrument destiné à produire de l’obéissance, mais comme l’outil d’une régulation des rapports entre des volontés libres.
Le paradoxe est qu’à Thélème, ce sont les sujets eux-mêmes qui produisent cette régulation, de leur propre initiative. La volonté est la clé de voûte de tout l’épisode. Dans le grec du Nouveau Testament, elle se disait aussi thélema, le plus souvent pour désigner le vouloir de Dieu. Le mot apparaît notamment dans le Notre-Père : « Que ta volonté [thélema] soit faite ». Prière qui, dans la traduction latine qu’en donna Érasme (« Fiat quod vis »), n’est pas sans rappeler le « Fais ce que tu voudras » des Thélémites, bien que celui-ci soit encore plus proche de la formule de saint Augustin : « Dilige et fac quod vis » (« Aime et fais ce que tu veux »)1. En fait, on ne comprend rien à ces chapitres si on ne les appréhende d’abord du point de vue de la liberté chrétienne conçue, non comme un pur libre-arbitre orientant l’action indifféremment vers le bien ou le mal, mais comme la régénération d’une disposition primitive à la beauté et à la bonté.
Il faut cependant remonter aux sources de l’épisode pour en percevoir tous les enjeux. En fondant la célèbre abbaye, Gargantua et son moine frère Jean, entendent d’abord instituer un ordre « contrairement à tous les autres ». La fondation procède, par un principe polémique évident, à rebours de l’expérience monastique, tout en conservant le style d’un texte de loi (notamment par ses Item2). Ainsi des trois vœux réguliers, il ne subsiste rien :
Item, parce que d’habitude les religieux faisaient trois vœux, à savoir de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, on institua cette règle que là, on pourrait en tout bien tout honneur être marié, que tout le monde pourrait être riche et vivre en liberté3.
À la pauvreté, les Thélémites opposent leurs richesses, leur goût des ornements luxueux et tous les raffinements de l’art. Point de mépris du monde en ces lieux : l’estime de soi s’épanouit dans l’élégance des costumes et le triomphe de la culture sur les nécessités liées à la nature. Témoignage de cet ordre retrouvé : l’omniprésence de la beauté. Thélème marque un point d’accomplissement esthétique, à l’image de son architecture équilibrée, fondée sur les principes de symétrie d’un hexagone régulier. Le lieu de la volonté libre est aussi le lieu de l’ordre le plus achevé : pour le dire en termes platoniciens – nullement déplacés ici – le logos s’y montre partout dans l’évidence esthétique d’un environnement où domine le génie de l’homo faber et, à travers lui, la marque du divin dont il est porteur. Toutefois, on n’y méprise point la chair ; le platonisme de Rabelais reste attaché à l’imaginaire de l’incarnation : il veut voir se réaliser le verbe et les idées4.
Le vœu de chasteté n’est pas mieux observé si on l’étend, comme le voulait la doctrine de l’Église, au célibat (condition sine qua non d’une vie bonne aux yeux des théologiens traditionnels). On sait que les humanistes, après Érasme, ont fait beaucoup pour revaloriser l’état de mariage et démontrer que l’on peut être un bon chrétien sans se retirer du monde. Si l’on se souvient de la leçon administrée par Grand-gousier aux pèlerins du Gargantua, c’est même en s’occupant de sa famille, en travaillant chacun selon sa vocation, et en élevant ses enfants dans l’esprit de l’Évangile que l’on a une chance d’obtenir la protection de Dieu. Pour des raisons analogues, Thélème sera mixte ou ne sera pas :
Item, parce que dans les couvents de femmes, les hommes n’entraient qu’à la dérobée, clandestinement, on décréta qu’il n’y aurait pas de femme si les hommes n’y étaient, ni d’hommes si les femmes n’y étaient5.
Mais c’est le vœu d’obéissance qui est le plus vivement contesté. Il n’est pas inutile de reprendre dans le détail l’un des plus fameux passages de cet épisode pour éclairer les ressorts singuliers de cette liberté retrouvée :
Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et leur règlement se limitait à cette clause :
FAIS CE QUE TU VOUDRAS,
parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, conversant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu’ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice. Quand ils sont affaiblis et asservis par une vile sujétion ou une contrainte, ils utilisent ce noble penchant, par lequel ils aspiraient librement à la vertu, pour se défaire du joug de la servitude et pour lui échapper, car nous entreprenons toujours ce qui est défendu et convoitons ce qu’on nous refuse.
Grâce à cette liberté, ils rivalisèrent d’efforts pour faire tout ce qu’ils voyaient plaire à un seul. Si l’un ou l’une d’entre eux disait : « buvons », tous buvaient ; si on disait : « jouons », tous jouaient ; si on disait : « allons nous ébattre aux champs », tous y allaient6.
Paradoxale liberté que cette disposition à suivre immédiatement le désir d’autrui : l’exercice social des nouvelles franchises se situe bien au-delà du principe de réciprocité et d’une limitation mutuelle des volontés singulières. Qui aurait dit que l’émancipation conduirait à un conformisme aussi massif ? Il ne s’agit pourtant pas d’obéir docilement au caprice de quelques-uns : si l’on s’y conforme aussi aisément, c’est du fait de sa propre volonté et parce que celle-ci tend personnellement à un bien qui n’est pas d’essence personnelle. En réalité, l’idée maîtresse de cet extrait réside dans la notion d’honneur qui, dans ce contexte, est bien proche de la syndérèse chrétienne7. Le sujet chrétien retrouve cette « conscience morale naturelle » qui le lie au divin et le dispose à recevoir la grâce, dès lors qu’il est libéré des entraves contre nature qui ligotaient sa volonté. Et tant qu’il n’en est pas délivré, cette même conscience, pourtant affaiblie par le péché, l’incite à résister à la discipline et à ses règles illégitimes.
De fait, en levant l’hypothèque de la contrainte, Gargantua et frère Jean ont libéré l’énergie bienfaitrice des origines de la création. Désormais, les Thélémites font corps par leur volonté personnelle bienveillante. On comprend avec eux pourquoi l’anthropologie chrétienne peut être considérée comme la source majeure de l’individualisme moderne. Les chrétiens apparaissent bel et bien comme ces hommes qui se reconnaissent collectivement par leur capacité à communiquer intérieurement et personnellement avec le divin. C’est pourquoi ils peuvent prétendre à l’autonomie sans rompre le lien social ni sacrifier au holisme primitif, sans être obligé de choisir entre la radicalité du renoncement ou la soumission inconditionnelle à l’ordre prosaïque du monde : « L’émancipation de l’individu par une transcendance personnelle, et l’union d’individus hors-du-monde en une communauté qui marche sur la terre mais qui a son cœur dans le ciel, voilà peut-être une formule passable du christianisme8. » Sauf qu’ici, comme souvent dans les utopies de la Renaissance, le paradoxe est porté à son comble et que le lien social vire à la communion fusionnelle des comportements.
Reste qu’il faut ajouter un bémol à ce bel enthousiasme. Même si elle n’est pas cernée de ces hauts murs qui signalent d’ordinaire les abbayes dans le paysage9, Thélème n’est pas ouverte à tous. Le précédent extrait en réserve l’accès à des êtres libres (par opposition à ceux qui sont prisonniers de la nécessité matérielle, les « mechaniques » comme on disait alors), de haute extracte et intellectuellement capables (c’est le double sens de l’expression « bien nés »), et enfin dotés d’une bonne instruction (probablement comparable à celle de Ponocrates). Dernière caractéristique de cette population – mais pas la moindre : ses dispositions à la conversation, au dialogue.
Voilà qui suffit à exclure la plus grande partie de l’humanité, y compris dans les rangs de la noblesse où l’instruction n’était pas toujours la chose la mieux partagée. En somme, si les interdits sont bannis d’un monde où, par la combinaison de la nature, de la naissance et de l’éducation, les hommes ont renoué avec une transcendance personnelle et intériorisé les notions d’ordre et de bien, il n’en va pas de même de ses frontières où la sélection est drastique. Témoin la liste d’indésirables figurant au-dessus du portail de l’abbaye. À l’impeccable santé physique et morale des Thélémites répondent les vices et les maladies du dehors : hypocrites, bigots, boursouflés, badauds, cagots, cafards empantouflés, juristes mâchefoins, juges d’officialité, scribes et pharisiens, usuriers avares, Grippeminauds, cerbères crétins, vieux chagrins et jaloux, querelleurs, mutins, ectoplasmes, lutins, vérolés… Mais, au fond, il s’agit moins de fustiger le monde extérieur qui apporte aussi à Thélème l’essentiel de ses brillantes richesses, que de protéger un monde intérieur assiégé par le mal10. Car il est clair que, dehors, ces hommes et ces femmes qui « interprètent l’Évangile en sens agile », seraient persécutés.
Au fond, Thélème n’est presque plus une abbaye, mais le refuge des idées nouvelles, la « bastille contre l’erreur hostile ». Par sa fondation, s’accomplit une part de la promesse biblique : la restitution d’une volonté bonne et spontanée, d’un appétit naturel et innocent débarrassé des contraintes arbitraires de la vie régulière et des diverses corruptions de l’histoire. Dans cet état de pureté primitive, les hommes sont à nouveau en état de recevoir la grâce. Par là même, il ne leur est plus nécessaire de s’astreindre au respect des lois puisqu’ils en ont intériorisé le sens. Cette coïncidence de la norme et de la volonté libre pourrait s’énoncer d’une autre manière : les Thélémites sont les justes, les élus à qui il est offert de sortir des conséquences de la Chute. À Thélème, on est déjà un peu au-delà de l’histoire.
Le prince, son moine et les Papimanes
Reste que le prince, lui, doit gouverner pour tous et qu’il ne saurait couper en deux le corps de ses sujets. On peut même dire que c’est à Thélème qu’il se montre apparemment le moins. La belle abbaye a-t-elle seulement besoin d’un guide, elle dont le centre n’est pas occupé par un symbole du pouvoir, mais par une fontaine représentant les trois Grâces ? Dans un monde sans loi – et en cela bien proche de l’âge d’or –, le législateur est ipso facto réduit au chômage et toute domination privée de sens. Si Thélème incarne la fin de l’histoire et le triomphe de la culture sur la contrainte, alors le droit et la souveraineté semblent voués à un commun suicide. On peut même considérer que tous leurs efforts n’auront eu pour fin dernière que de rendre possible leur démantèlement.
Mais il n’est pas aussi évident que le prince se soit absenté de Thélème. Non seulement la réalisation de l’abbaye n’est possible qu’avec son consentement, non seulement la liberté qui y règne est le fait de sa volonté (« Ainsi en avait décidé Gargantua »), mais il prend une part considérable à sa conception. Il convient de souligner le volontarisme politique nécessaire pour rendre aux hommes leur disposition naturelle au bien. Il faut rappeler à cet égard que Thélème était primitivement le projet de frère Jean, et non celui de Gargantua. Au prince, qui souhaitait le récompenser de ses prouesses guerrières (car la fondation de Thélème prend place dans l’administration de la justice distributive la plus exemplaire), le moine avait demandé : « Octroyez-moi de fonder une abbaye à mon idée. »
Mais l’octroi du prince se transforme vite en collaboration, puis en décret. Le moine disparaît finalement des chapitres suivants pour ne revenir qu’à la toute fin du livre. Entre-temps, c’est bien Gargantua qui s’accapare la création de l’abbaye. Le moine propose et le prince dispose. Ce qui devait être une antiabbaye à l’image d’un anti-moine se double bientôt d’un Eldorado d’inspiration platonicienne à l’image d’un roi-philosophe. Et en dépit des sérieux arguments d’une interprétation libé...
Table des matières
- Couverture
- 4e de couverture
- Titre
- Copyright
- Dédicace
- Exergue
- Introduction
- I. Le désordre du monde
- II. L’institution de la liberté
- Conclusion
- Bibliographie
- Table des matières
- Titres parus dans la même collection