Bouglé
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Bouglé

Justice et solidarité

  1. 128 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Bouglé

Justice et solidarité

À propos de ce livre

Comment concilier les exigences de la liberté individuelle et de la réforme sociale? Cette question posée au début du XXème siècle est plus actuelle que jamais, et ce n'est pas sans raison que l'on redécouvre aujourd'hui l'oeuvre de Célestin Bouglé (1870-1940). Parmi les maîtres de l'école française de sociologie, il fut aussi un militant pacifiste, dreyfusard et pionnier de l'éducation populaire.

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III

Solidarisme, socialisme
et citoyenneté

À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, la notion de solidarité prit une importance grandissante. L’opinion ne va cependant réellement s’en préoccuper qu’en 1897, date de la parution de Solidarité dont l’auteur, Léon Bourgeois (1851-1925), était alors une personnalité politique de premier plan (président du Conseil de novembre 1895 à avril 1896). L’ouvrage eut un grand retentissement1. Aussi, lors des conférences organisées durant l’hiver 1901-1902 à l’École des Hautes Études Sociales, l’un des auditeurs osa-t-il comparer le bouillonnement intellectuel suscité par la doctrine solidariste avec celui qu’avait engendré le cartésianisme au XVIIe siècle. Sans doute faut-il invoquer pour comprendre cette effervescence la fascination récurrente exercée par le recours aux modèles et aux méthodes des sciences de la nature afin de légitimer les savoirs plus fragiles des sciences sociales. Mais l’observation de la solidarité dans le règne naturel est-elle en mesure de dicter sa conduite à la société ?

Le solidarisme ou le libéralisme authentique

Les nombreux travaux que Bouglé consacrera à la solidarité et au solidarisme ont une véritable originalité au regard des textes de Bourgeois. Et, si l’on excepte les nécessaires références au contexte politique et social de l’époque, il est difficile de ne pas percevoir la résonance contemporaine des engagements de l’auteur. Aucun des combats qui furent les siens n’est définitivement gagné.
De nombreux textes sont des conférences destinées à toutes sortes de publics. Ils illustrent les qualités oratoires d’un homme qui considérait que s’adresser à ceux qui ne sont guère familiers de la fréquentation des livres faisait partie de ses obligations civiques. On découvre ainsi un Bouglé particulièrement préoccupé par le sort des plus démunis et soucieux de leur faciliter la conquête des outils de leur émancipation. À cet égard, « Le socialisme et l’Enseignement populaire », que l’on trouve dans Solidarisme et libéralisme (1904), est tout à fait exemplaire.
La notion de solidarité ne présente pas le caractère d’univocité qu’un survol du dictionnaire pourrait laisser croire. Si nous mettons à part le sens juridique (lien entre débiteur et créancier), la solidarité renvoie, plus ou moins explicitement, à des rapports et des devoirs sociaux. Dans la sociologie durkheimienne, l’étudiant débutant ne peut ignorer la distinction essentielle entre deux grands systèmes de cohésion sociale : celui fondé sur la similitude, auquel correspond la solidarité mécanique, et celui lié au progrès de la division du travail, basé sur la dissemblance auquel est associée la solidarité organique. Mais lorsque Durkheim l’utilise dans sa thèse de 1893, le concept a déjà une assez longue histoire2 et le terme deviendra, peu de temps après De la division du travail social, une sorte de programme politico-philosophique, connu sous le nom de solidarisme et qu’incarnera le Parti Radical depuis sa fondation, le 23 juin 1901.
Il convient, en premier lieu, de bien distinguer solidarité et charité. Pierre Leroux reprochait vivement au christianisme « de n’avoir pas su concilier l’amour de soi et de l’autre3 ». Or, l’amour de soi, ce qu’Adam Smith nommait le self-love, apparaît comme un élément constitutif déterminant de la solidarité. Comment l’intérêt pour autrui pourrait-il être authentique sans cet amour de soi qui n’est, chez Smith, qu’une modalité de la sympathie ? Le sujet smithien a, en effet, comme le note judicieusement Jean-Pierre Dupuy, « désespérément besoin de ses semblables pour se forger une identité4 » : ce besoin d’autrui est à la source même de la solidarité. Aux yeux de Pierre Leroux, l’imperfection de la charité, tient également au caractère totalement abstrait, désincarné de l’amour pour l’humanité. Enfin, n’est-il pas question dans la charité plus de pitié que d’amour ?
Dans son analyse critique des préceptes du christianisme, de Bouglé paraît proche de la pensée de Leroux, bien qu’il ne s’en réclame pas explicitement : « Il ne suffit pas que la libre charité circule à l’intérieur d’un système pour relever et panser les blessés qu’il multiplie en fonctionnant. C’est le système même qu’il faut rectifier, s’il en est besoin. Pour réparer l’injustice sociale, il faut des réformes sociales, des mesures d’ensemble servies par la force des lois ; le sentiment de la solidarité doit nous faire comprendre la nécessité d’incorporer dans la justice même nombre de devoirs sociaux pour l’accomplissement desquels on s’est reposé, trop longtemps, sur l’arbitraire de la charité5 ». Comme Leroux, Bouglé souligne que le christianisme propose au fidèle une sorte de mysticisme individualiste qui ne permet d’aimer l’humanité que « par contrecoup » et qui, loin d’impliquer une dépendance réciproque des personnes, n’admet guère que soi et Dieu. L’âme chrétienne n’est donc pas réellement préparée à accepter les réformes sociales souhaitées par les solidaristes. D’autant que « la vraie patrie du chrétien est dans le ciel », la terre n’étant qu’un « lieu d’exil ». D’où l’interrogation légitime sur la conviction, dans le combat contre la misère, de celui qui « considère la douleur non pas seulement comme un mal nécessaire mais à vrai dire comme un bien précieux ». La commune destinée des hommes n’est donc pas de nature à raffermir l’ardeur réformatrice de ceux qui ont l’éternité pour horizon.
La solidarité réclame, en fait, à la fois plus et moins que la charité : « Elle exige moins peut-être de l’individu isolé, mais plus des individus organisés. Elle abandonne moins à l’initiative privée ; elle attend plus de la contrainte collective ». Mais ne décrivons-nous pas ici un simple processus de laïcisation de la charité ? Si c’était le cas nous n’aurions fait, comme le remarque Tarde, que « substituer un mot juridique et froid à un mot tout imprégné de tendresse humaine ». Mais il n’en est rien, et Bouglé est d’une grande clarté sur ce point : « Si la fraternité religieuse sait soigner les plaies, elle n’ose pas briser l’instrument qui blesse : elle permet au contraire qu’il continue de fonctionner en blessant ». D’où l’affirmation, maintes fois réitérée, selon laquelle la question sociale n’est pas seulement une question morale : « Il n’y a pas question sociale partout où les hommes souffrent, mais là où les hommes croient que le régime qui définit leurs droits réciproques est la cause de leur souffrance et que le remède en serait procuré par un remaniement de ce régime ». Aussi la charité ne saurait-elle suffire. On ne peut se contenter d’un sentiment, là où doit être exigé « un principe scientifique et rationnel de nature à fonder l’intervention de la force publique » (Boutroux, cité par Bouglé).
Il n’est pas excessif de faire de la réflexion de Bouglé une sorte d’idéaltype des conceptions républicaines. Dans cette perspective, le solidarisme apparaît comme une « rectification de l’individualisme », autrement dit du libéralisme. En quoi consiste cette « rectification » ?
Dans L’Idée de l’État (1896), Henry Michel, disciple de Charles Renouvier et maître de Bouglé au lycée Henri IV, rappelle que, du point de vue moral, la doctrine classique de l’individualisme ne reconnaît, dans la filiation de Kant, de volonté bonne que celle qui se plie à une règle généralisable. D’autre part, dans le domaine politique et économique, l’individualisme, celui de Rousseau, de Condorcet ou encore de Montesquieu, n’est pas indifférent aux préoccupations sociales. Aussi n’est-il pas caractérisé par la phobie de l’État à l’instar des libéraux intransigeants du XIXe siècle. Au contraire, informé par l’expérience historique, sa vision de l’État est celle d’un « serviteur des individualités libres6 ». Ni allégeance, ni défiance à son égard, ou si l’on préfère, ni Hegel, ni Nietzsche. Bouglé se méfie tout particulièrement de l’« immoralisme » auquel lui semble aboutir l’individualisme outrancier. Ce terme d’« immoralisme » mérite une précision. En qualifiant ainsi la doctrine nietzschéenne, Bouglé l’oppose à l’universalisme moral qu’il prône : « Immoraliste, en effet, parce qu’elle défend d’attribuer une valeur universelle aux règles qu’elle propose. La recherche de l’universalité, en matière de loi morale, lui paraît être encore une des déviations due à l’illusion de l’égalité entre les hommes. » Notons que nous dirions plutôt aujourd’hui relativisme moral, pour qualifier la position de Nietzsche.
On retrouve ici l’attachement de Bouglé à l’égalité essentielle des hommes. En considérant que l’option inverse, celle de Nietzsche, équivaut à faire l’apologie du régime des castes, Bouglé montre bien que l’individualisme authentique a impérativement besoin du principe d’égalité. Le solidarisme se présente comme une réaction vive contre l’individualisme antiégalitaire et, corrélativement, comme un retour aux sources de l’individualisme véritable, celui qui porte attention à nos devoirs sociaux. Le recours à la sociologie s’inscrit dans cette démarche. Une sociologie, faut-il le préciser, compatible avec les intuitions des moralistes et qui, par conséquent, s’emploiera à expliquer ce que ceux-ci constatent, en premier lieu la revendication individualiste. Les études sociologiques, en dernière analyse, « réclament pour tous les membres des sociétés modernes, ce même droit au libre développement de la personnalité et […] au rebours des anciennes doctrines économiques, les nouvelles doctrines sociologiques se placent au point de vue du groupe et lui proposent comme une tâche nécessaire à sa propre vie de “réaliser” l’égalité des personnes ». Cet individualisme se réclamant à la fois des valeurs de la démocratie et de la raison, c’est l’individualisme classique. Le solidarisme, en se montrant attentif aux enseignements de la sociologie, a ainsi redécouvert le sens profond de celui-ci. Cette redécouverte s’accomplit à l’aide, essentiellement, du concept de quasi-contrat.
Dans la filiation de Rousseau, les solidaristes s’opposent aux adversaires de l’esprit de la Révolution, c’est-à-dire aux apologistes du statut social. Ils sont sensibles au fait que « Rousseau présente le contrat social moins comme une réalité historique que comme une fiction juridique destinée à légitimer l’état de dépendance où se trouvent les personnes7 », situant par conséquent le propos de ce dernier plus dans le registre du droit que dans celui du fait. C’est ce qu’avait clairement perçu Renouvier qui voyait dans le contrat originaire une idée logiquement nécessaire et non l’origine empirique réelle des gouvernements. La théorie rousseauiste indique donc, avant tout, l’idéal à poursuivre.
Les solidaristes, dans cette perspective, prônent l’extension du régime contractuel du droit privé au droit public et, finalement, comme l’avait noté utilement Charles Andler, la disparition de la distinction entre les deux droits. Cette conséquence de la doctrine du quasi-contrat n’est cependant pas d’une totale limpidité puisqu’un analyste aussi avisé que Darlu ne l’avait pas perçue8. Les obligations et les droits des hommes entre eux sont depuis longtemps définis par le droit privé. Aussi, comme le précise Bourgeois, s’agit-il de définir « les droits et les devoirs réciproques que le fait de l’association crée entre les hommes, seuls êtres réels, seuls sujets possibles d’un droit ou d’un devoir9 ». Le droit public se réduira donc à une série de relations de droit privé, l’État n’étant « qu’un quasi-contrat entre tous les individus unis dans leur communauté juridique10 ». La conception de l’État développée par Bourgeois s’inspire du fonctionnement des associations volontaires privées que les besoins du commerce créent de plus en plus fréquemment. Les institutions sociales paraissent donc n’être que les produits des actions et réflexions individuelles.
Cet artificialisme pose cependant un problème délicat. On sait que le solidarisme se développe en même temps que la pensée sociologique et revendique l’utilisation des méthodes de la sociologie durkheimienne. Or, pour celle-ci, la société est première. Et, par conséquent, les associations sont d’abord des choses naturelles. Il ne peut être question d’un contrat qui crée la vie sociale. Cette insertion du social dans la nature implique-t-elle l’abandon de l’hypothèse du contrat ?
La réponse à cette question dessine les contours de la conception solidariste. Pour en rendre compte, nous suivrons la distinction proposée par Taine (et utilisée par Bouglé) entre deux types d’association et, corrélativement, deux états de volonté. Dans le premier état, celle-ci s’exprime par un vote ou une action précise rendant ainsi possibles l...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Titre
  4. Copyright
  5. Dédicace
  6. Introduction
  7. I. Entre sociologie et philosophie
  8. II. Le combat contre les tendances biologiques en sociologie
  9. III. Solidarisme, socialisme et citoyenneté
  10. Conclusion
  11. Bibliographie
  12. Remerciements
  13. Table des matières
  14. « Le bien commun »