Jacques Rancière
eBook - ePub

Jacques Rancière

Pratiquer l'égalité

  1. 128 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Jacques Rancière

Pratiquer l'égalité

À propos de ce livre

Se démarquant des projets d'émancipation des Lumières, du marxisme et de la sociologie critique, le philosophe français Jacques Rancière affirme que nous n'avons pas à devenir égaux. Nous devons nous présupposer égaux hic et nunc et créer et explorer les conséquences de cette présupposition. Ainsi, plutôt que de fournir le principe d'un ordre meilleur à construire, la présupposition de l'égalité suspend l'ordre institué et ouvre, ce faisant, d'autres « paysages du possible »: des espaces d'expérimentation des savoirs, des perceptions et des capacités qui constituent nos communs. Jacques Rancière, pratiquer l'égalité entend reconstituer les moments forts du cheminement intellectuel multiple menant à ces idées: sa rupture avec le marxisme althussérien et son exploration des archives ouvrières du 19e siècle; sa fascination pour le projet de l'émancipation intellectuelle du « maître ignorant » Joseph Jacotot; la constitution de sa pensée politique centrée sur l'égalité et la démocratie; et, finalement, l'élaboration de sa pensée esthétique. Ce cheminement n'aboutit pas à un seul concept d'égalité, mais oscille entre trois conceptions de l'égalité – égalités intellectuelle, politique et sensible –, lesquelles impliquent de réévaluer la pensée ranciérienne de la démocratie moderne, ouvrant sur de nouveaux potentiels conceptuels.

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Informations

CHAPITRE 1

UN SENTIMENT D’ÉGALITÉ

Deux premières interventions critiques marquent le cheminement intellectuel de Rancière : La leçon d’Althusser (1974) et La nuit des prolétaires (1981). Si elles sont encore tâtonnantes, elles se distinguent par leur tempérament, leur style et leurs registres de pensée : la première, en 1974, se lance dans une critique philosophique virulente du discours marxiste de Louis Althusser, dénonçant sa prétention scientiste pour rendre compte de l’émancipation des sujets politiques. En 1981, Rancière se propose une historiographie des expériences littéraires et communautaires d’ouvriers français du XIXe siècle dans un style libre, s’abstenant de tout regard savant mais cherchant au contraire une « relation d’égalité » avec ces inconnus ­déterrés de l’archive. Un point commun néanmoins relie ces deux textes : la volonté de bousculer les savoirs institués qui prétendent représenter les autres : les dominés qui sont aveugles sur les mécanismes de leur domination, les rebelles spontanéistes incapables d’élucider les véritables conditions d’émancipation, les prolétaires peinant à accéder à la pleine conscience révolutionnaire, les « masses populaires » réduites à être les simples témoins de leurs conditions historiques. En critiquant l’opposition entre savoir scientifique surplombant le champ social et ignorance populaire prise dans l’immédiateté des rapports sociaux, Rancière cherche un autre rapport entre savoir et classes opprimées, entre discours théorique et pratique politique. Cela le conduit à repenser aussi bien les méthodes que les formes d’écriture pour définir les espoirs d’émancipation et de transformation sociale, et pour les offrir aux sujets à même de les porter.
Ces deux textes ne sont pas des œuvres achevées mais un bouquet d’explorations, d’intuitions et de pistes qui restent en suspens. Ils vont néanmoins jeter les fondements – surtout à partir du Maître ignorant (1989) – de la « méthode de l’égalité » de Rancière. Il faut s’y arrêter pour trois raisons : tout d’abord parce qu’on y trouve le fil qui, du début à la fin, va guider la pensée de Rancière ; ensuite parce qu’on peut voir dans ce vagabondage militant et intellectuel le creuset de ses principales thèses ; enfin parce qu’ils arment une évaluation critique de sa pensée d’aujourd’hui en montrant ce qui y reste encore irrésolu.

Contre la scientificité d’Althusser

Dans les années 1960, à l’École normale supérieure, Rancière participe au séminaire de Louis Althusser dédié à une relecture structuraliste du marxisme qui débouchera sur la publication, en 1965, de Lire le Capital, auquel il contribue avec Étienne Balibar, Roger Éstablet et Pierre Macherey. Althusser veut écarter l’anthropologie humaniste du jeune Marx pour rendre au matérialisme historique toute sa scientificité4. Averti par les échecs historiques du marxisme étatique et soucieux de reconfigurer les rapports entre le Parti communiste et les « masses », il cherche à repenser les mécanismes de domination qui ont détourné le projet marxiste d’émancipation. Ce faisant, Althusser introduit deux innovations majeures dans le corpus marxiste : premièrement, il remobilise la catégorie de l’idéologie, complexifiant ainsi les fonctions structurantes de la « superstructure » sociale et politique (souvent entendue, dans le marxisme orthodoxe, comme un simple épiphénomène de l’infrastructure économique)5 ; deuxièmement, il affine la logique dialectique en opposant à l’idée de la « simple » contradiction hégélienne – laquelle aurait soutenu les vulgarisations du marxisme qui n’y voient que téléologie mécaniciste ou eschatologie aveuglante – celle de la contradiction surdéterminée6. Suite à mai 1968 et à sa militance au sein de l’organisation maoïste la Gauche prolétarienne, Rancière publie La leçon d’Althusser en 1974 qui rompt avec le « marxisme althussérien ». Il s’insurge non pas tant contre la réinterprétation théorique qu’opère Althusser de l’œuvre de Marx, mais contre les conséquences politiques de son discours des années 1960-1973. Il dénonce la manière dont, pendant ces temps politiquement très mouvementés, le discours althussérien favorisait l’autorité de « l’intelligentsia marxiste » sur les actions concrètes des « masses », les mouvements « spontanés » des étudiants et des ouvriers, accusés, eux, de sombrer dans l’idéologie bourgeoise. La leçon d’Althusser, dira Rancière, « part d’une expérience que beaucoup d’intellectuels de ma génération ont pu faire en 1968 : le marxisme que nous avions appris à l’école althussérienne, c’était une philosophie de l’ordre, dont tous les principes nous écartaient du mouvement de révolte qui ébranlait l’ordre bourgeois »7.
Pourquoi une « philosophie de l’ordre » ? Toute la pensée d’Althusser ne déchiffre-t-elle pas les possibilités d’émancipation des classes populaires, en recherchant les points d’ébranlement de la société capitaliste, les réinvestissements libérateurs des « appareils idéologiques d’État » et les moments conjoncturels de l’action politique ? Rancière partage avec Althusser le souci de l’émancipation des classes opprimées mais rejette violemment la scientificité que celui-ci revendique pour les penser. Il s’insurge contre le projet de déterminer scientifiquement ce qu’est l’émancipation, en y voyant une ­tentative ­d’appropriation de l’émancipation par les spécialistes qui relèguent les classes populaires à l’immédiateté de la domination et, ce faisant, les condamnent à l’aveuglement idéologique : « Althusser a besoin de l’opposition entre la simplicité de la nature et la complexité de l’histoire : si la production est affaire des ouvriers, l’histoire est pour eux chose trop complexe et il leur faut s’en remettre aux spécialistes : du Parti et de la Théorie8. »
Rancière problématise donc cette prétention théorique à lire les véritables possibilités d’émancipation, comme si elles étaient inscrites objectivement dans le champ social. Cette prétention de l’« althussérisme », même si elle prétend poursuivre l’émancipation des classes populaires, trahit sa propre aspiration à devenir une « philosophie de l’ordre » : tout ce qui ne se conforme pas au programme révolutionnaire de la lecture scientiste ne serait que déviation. Il s’agit d’un « modèle de prévision » qui se croit capable d’anticiper les effets des contestations politiques en déterminant les possibilités de transformation réelle de l’ordre social9. Comme le dit Rancière : « La conception althussérienne de l’idéologie comme système de représentations assujettissant automatiquement les individus à l’ordre dominant a soutenu alors chez certains l’idée d’une révolution culturelle radicale. Mais elle a bien davantage nourri, dans la classe intellectuelle, la condamnation du mouvement de révolte étudiant, vu comme un mouvement de petits-bourgeois victimes d’une idéologie qu’ils respiraient sans le savoir, et qui devaient être rééduqués par l’autorité de la Science et du Parti10. »
Le problème de la scientificité althussérienne se concentre dans son présupposé d’un double niveau du champ social. D’abord, elle présuppose que les actions « empiriques » des acteurs politiques font partie d’une scène immédiate, apparente, parcourue d’idéologie. Ces scènes empiriques de surface, ou « méperceptions » premières, sont alors rapportées à des scènes véritables, à un niveau souterrain d’analyse où se localisent les contradictions structurantes. « C’est donc un principe hiérarchique. Il y a un monde des causes et un monde des effets. Ce qui se passe dans cette dramaturgie des causes et des effets, c’est que plus on monte vers la surface, vers ce que les gens font et disent, plus on s’éloigne de la cause originale, et moins cela fait sens11. » La scientificité est ainsi soutenue par ce que Rancière va appeler un savoir symptomatologique et métapolitique. Selon ce savoir, les sujets, les actions et les institutions du champ social vacillent entre les scènes manifestes (les symptômes) et ce qu’il y a de vrai en elles : les traces de ses causes souterraines. Le principe de ce savoir est que « pour comprendre la loi d’un monde, il ne faut pas seulement le chercher dans les choses banales : il faut rendre à ces choses banales leur aspect suprasensible, fantasmagorique, pour y voir apparaître l’écriture chiffrée du fonctionnement social12. » Pour résumer, dans l’analyse d’Althusser, le champ social est ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4ème de couverture
  3. Titre
  4. Copyright
  5. INTRODUCTION
  6. CHAPITRE 1 : UN SENTIMENT D’ÉGALITÉ
  7. CHAPITRE 2 : DE L’ÉMANCIPATION INTELLECTUELLEÀ L’INTERRUPTION POLITIQUE
  8. CHAPITRE 3 : L’ÉGALITÉ SENSIBLE DU RÉGIME ESTHÉTIQUE DE L’ART
  9. CONCLUSION
  10. TABLE DES MATIÈRES