
- 128 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
À propos de ce livre
Grande figure de la philosophie française de la deuxième partie du XXème siècle, Jean-François Lyoard (1924-1998) a beaucoup réfléchi autour de la condition post-moderne (terme qui acquiert avec son livre éponyme une notoriété internationale) et de la notion de différend. Lyotard est l'un des fondateurs du Collège international de philosophie avec Jacques Derrida, avec lequel il partage une grande notoriété aux Etats-Unis.
Foire aux questions
Oui, vous pouvez résilier à tout moment à partir de l'onglet Abonnement dans les paramètres de votre compte sur le site Web de Perlego. Votre abonnement restera actif jusqu'à la fin de votre période de facturation actuelle. Découvrez comment résilier votre abonnement.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptés aux mobiles peuvent être téléchargés via l'application. La plupart de nos PDF sont également disponibles en téléchargement et les autres seront téléchargeables très prochainement. Découvrez-en plus ici.
Perlego propose deux forfaits: Essentiel et Intégral
- Essentiel est idéal pour les apprenants et professionnels qui aiment explorer un large éventail de sujets. Accédez à la Bibliothèque Essentielle avec plus de 800 000 titres fiables et best-sellers en business, développement personnel et sciences humaines. Comprend un temps de lecture illimité et une voix standard pour la fonction Écouter.
- Intégral: Parfait pour les apprenants avancés et les chercheurs qui ont besoin d’un accès complet et sans restriction. Débloquez plus de 1,4 million de livres dans des centaines de sujets, y compris des titres académiques et spécialisés. Le forfait Intégral inclut également des fonctionnalités avancées comme la fonctionnalité Écouter Premium et Research Assistant.
Nous sommes un service d'abonnement à des ouvrages universitaires en ligne, où vous pouvez accéder à toute une bibliothèque pour un prix inférieur à celui d'un seul livre par mois. Avec plus d'un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu'il vous faut ! Découvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l'écouter. L'outil Écouter lit le texte à haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l'accélérer ou le ralentir. Découvrez-en plus ici.
Oui ! Vous pouvez utiliser l’application Perlego sur appareils iOS et Android pour lire à tout moment, n’importe où — même hors ligne. Parfait pour les trajets ou quand vous êtes en déplacement.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Veuillez noter que nous ne pouvons pas prendre en charge les appareils fonctionnant sous iOS 13 ou Android 7 ou versions antérieures. En savoir plus sur l’utilisation de l’application.
Oui, vous pouvez accéder à Lyotard par Gérard Sfez en format PDF et/ou ePUB ainsi qu'à d'autres livres populaires dans Philosophie et Histoire et théorie de la philosophie. Nous disposons de plus d'un million d'ouvrages à découvrir dans notre catalogue.
Informations
II
Le tort
L’universalité de condition
Le différend relève, pour Lyotard, d’une condition universelle. Non parce que l’exception serait la règle, mais parce que l’Être n’est pas un et relève plutôt de la pulsation d’événements, de ce qui arrive, de tout ce qui tombe. Il est de l’ordre, suivant la terminologie de Lyotard, du Arrive-t-il ?, de l’occurrence et donc de la multiplicité. Aussi ne peut-il y avoir, pour approcher ces singularités d’être, qu’une casuistique de l’Être.
Lyotard ancre la question du tort dans une ontologie de la phrase. Pour la saisir, il faut revenir au fait de la phrase. Chaque phrase arrive avec son univers et ses valences : le destinateur (celui qui s’adresse) ; le destinataire (celui a qui la phrase est adressée ou s’adresse) ; le référent (ce dont on parle) ; le sens (ce qu’on en dit) – démultipliées et corrélées entre elles de sorte qu’elles ne sont pas toujours toutes présentes, ni identiques : « Une phrase présente ce dont il s’agit, le cas, ta pragmata, qui est son référent ; ce qui est signifié du cas, le sens, der Sinn ; ce à quoi ou à l’adresse de quoi cela est signifié du cas, le destinataire ; ce “par” quoi ou au nom de quoi cela est signifié du cas, le destinateur. La disposition d’un univers de phrase consiste dans la situation de ces instances les unes par rapport aux autres. Une phrase peut comporter plusieurs référents, plusieurs sens, plusieurs destinataires, plusieurs destinateurs. Chacune de ces quatre instances peut être ou ne pas être marquée dans la phrase1. » Il ne saurait y avoir de définition de la phrase puisque la définition relève précisément d’un genre de phrase : on peut seulement dire qu’en son indétermination, elle est l’il y a. L’Être n’est jamais au sens propre comme l’Un : il arrive, à chaque fois, comme une occurrence, comme une phrase. Toute occurrence apparaît comme la seule réalité indubitable dans l’élément du phraser. La phrase est le lieu d’élection de l’évidence du il y a, l’équivalent d’un cogito non réflexif et qui n’est pas référé à un sujet quelconque, extérieur à la phrase émise.
Puisque la phrase est entendue comme l’apparition d’être, toute phrase qui arrive est, pour Lyotard, source de différend et provoque un certain tort. À chaque fois, en effet, l’incontestable il y de la phrase, sa faculté – entendue comme un atome indéniable d’être et non comme une puissance qui s’actualiserait ni comme une réceptivité – empêche telle autre occurrence d’arriver. Lyotard nomme cela un tort, dans la mesure où il ne peut y avoir de témoignage de cette néantisation. On ne peut témoigner de ce qui n’a pu arriver. Un tort se profile, immanent à la concurrence des phrases, inévitable parce qu’une seule phrase peut effectivement arriver sur le champ, niant par là même les autres. C’est un tort universel, incontournable, causé non au réel mais au possible ; il tient à la liberté même des phrases. Ainsi, déjà dans la libre concurrence des phrases entre elles, il y a tort. Ce tort est le fait de la tyrannie des genres de discours qui préoccupent l’Être. Contre ces torts, aucune plainte ne peut être portée en propre, non seulement devant le tribunal, ni même dans son esprit. L’inéluctabilité de ce tort donne seulement lieu à la persévérance d’une exigence du juste enchaînement et de l’apparition peut-être ailleurs de ce qui a été étouffé. Ce tort ontologique est accusé par l’interruption du rien entre les phrases.
Ce tort généralisé relève d’une affirmation spéculative qui excède le cadre de la présente enquête. Bien que ce tort tombe, en son caractère universel et ontologique, sous le coup de la définition de ce dont on ne peut témoigner, il revêt un caractère critique dans les cas où le tort présente un relief moral2. Ces cas sont multiples : c’est, par exemple, le cas du plaignant algérien qui ne peut faire entendre sa revendication d’identité nationale et la faire reconnaître de la République française qu’à la condition expresse de négocier dans la langue française, ce qui le contraint à dénier par là l’identité qu’il revendique ; ou celui, tout autre, du différend entre juifs et chrétiens que le trait d’union du judéo-christianisme tente d’étouffer en commettant un tort. Ce trait efface la différence respective des deux idiomes : « Il y a un différend entre les juifs et les chrétiens et qu’on ne vienne pas nous parler de judéo-christianisme3. » « Le texte des Évangiles, des Actes, des Épîtres et de l’Apocalypse n’est pas sous le même régime littéral, “littéraire”, donc ontologique, que celui du Pentateuque. En dépit du trait d’union tracé entre les deux textes par les Correspondances. Ou bien : en raison de ce trait d’union4. » Le trait d’union confond pour accorder un ascendant asymétrique au christianisme de sorte que ce conflit n’est pas ici jugé équitablement. La traduction de l’idiome juif dans le chrétien fait du premier le précurseur du second ; il se prévaut du nom juif pour l’enrôler au service du nom chrétien. « Le trait tiré par Paul entre Abraham et Jésus est aussi tiré sur la tradition issue du premier, mais en son nom. C’est un trait de dialectique5. » La dialectisation de cette hétérogénéité est l’arbitrage qui acte le différend en tort, en faisant de la loi le prélude à la foi : « Le trait d’union se tire non sur une relation neutre mais sur un différend. Il est promis à l’un qu’il sera entendu s’il écoute, à l’autre qu’il verra (ce que dit Augustin) s’il aime. Paul dialectise le différend : Aufhebung [dépassement] de la loi en foi6. » Par ce biais, « la vérité du juif est dans le chrétien »7, et la mortification du premier s’opère par la dialectique du second. Le trait inscrit, en effet, la loi comme moment pédagogique jusqu’à la venue du Christ qui libère de la chair et de la tutelle de la loi qui lui serait liée et relève l’humanité de leur commune malédiction. En inscrivant la phrase juive comme moment qui doit être surmonté, la phrase chrétienne unifie les deux régimes de phrases sous celui de la phrase chrétienne. Telle est la fausse synthèse que représente le trait d’union.
Deux types de violation constituent les pôles essentiels de la pensée de Lyotard et représentent les modes fondamentaux du tort : le cas de la domination, d’un côté, et, de l’autre, celui de l’anéantissement, bord opaque et préoccupation majeure de Lyotard. C’est depuis la mise en rapport entre le cas lisible et le cas illisible de différend que les deux situations s’éclairent et que la philosophie du différend donne toute sa mesure.
La domination
Le renvoi, tout aléatoire, de la scène de la preuve à celle du témoignage présente le terrain lisible du différend, à travers le cas de l’exploitation sociale.
L’accès au statut de plaignant n’est possible, dans les rapports d’achat et de vente de la force de travail, qu’à la condition de consentir mutuellement à cette règle fondamentalement inique. C’est par là que le travailleur voit sa plainte recevable (à propos, par exemple, de l’amélioration de ces conditions) et entrevoit une réparation possible. Il y a là un gain : « À défaut d’y recourir, le travailleur n’existerait pas dans le champ auquel se réfère cet idiome, il serait un esclave. En l’employant, il devient un plaignant8. » Le passage de l’esclavage au travail salarié représente une forme de reconnaissance partielle du tort converti en dommage. C’est ce que peut plaider le travailleur en tant que partie civile auprès du magistrat prud’homal, conformément à un droit qui ne le reconnaît que comme détenteur d’un bien à vendre : sa force de travail, dont il est tenu pour le propriétaire. S’il n’a rien à vendre, ce tribunal n’est pas compétent. S’il veut, en effet, plaider que sa force de travail ne définit pas sa propriété mais son essence, il ne peut être entendu. Il quitte alors derechef son statut de plaignant. Il va porter sa requête sur une autre scène qui n’est plus juridique, et, du reste, est-ce encore une requête ? Tout le dispositif du différend repose sur le dédoublement de la même personne qui est entendue pour le dommage encouru et débouté pour le tort subi : « Celui qui porte plainte est écouté, mais celui qui est victime, et qui est peut-être le même, est réduit au silence9. » Si le plaignant peut se constituer partie civile, c’est à la condition de consentir à une civilité dont la légitimité est à la fois réelle et restreinte, la scène du consensus possible. La victime peut témoigner ailleurs de ce qui a été méconnu, du lieu du différend. Les deux côtés de la question : « il y va de la civilité que la preuve soit requise (avec toutes les qualités et les défauts qu’elle comporte) » ; « il y va du tort de ne pouvoir se formuler dans l’ordre de la preuve », ne rivalisent pas entre eux. L’entrée dans le jeu du droit contractuel et marchand, qui ne règle rien de l’injustice fondamentale, n’interdit pas de contester ce principe en d’autres lieux, ailleurs. Le dispositif du différend tient à la traduction du tort en dommage, sans qu’il y ait jamais entre les deux registres d’interaction dialectique.
La force de travail comme essence de l’individu, doit se faire reconnaître sur une autre scène. Or, cette scène n’est plus celle de la preuve. Si le plaignant plaidait sur la scène du droit, que sa force de travail n’est pas un avoir et qu’il ne peut en disposer, sa demande deviendrait sans objet puisque, dans cet univers, l’attribution seule vaut être. Il ne peut faire la preuve de quelque chose qui, selon ce régime, n’est pas. Sur quelle scène doit-il donc se porter ? Celle où le tort absolu peut se faire entendre. Au § 236 du Différend, Lyotard rappelle la formulation de Marx de ce tort : « Une classe avec des chaînes radicales, une classe de la société bourgeoise qui ne soit pas une classe de la société bourgeoise, une sphère qui ait un caractère universel par ses souffrances universelles et ne revendique pas de droit particulier, parce qu’on ne lui a pas fait de tort particulier mais un tort tout court10. » Lyotard reprend à son compte l’idée d’un tort absolu et universel, qu’il soit partagé dans la réalité (tous les enchaînements de phrases seraient subordonnés à la seule finalité du capital) ou qu’il représente l’universel concret de toute l’humanité, la conscience universellement partagée de ce tort. Lyotard opère néanmoins un double déplacement. D’une part, il ne s’agit pas de faire du prolétariat la figure suprême de la victime, à laquelle viendraient s’identifier toutes les autres victimes ; d’autre part, l’universalité du tort ne se situerait pas sur le plan d’une réalité effective (situation partagée ou devenir concret de l’universel) mais sur celui du caractère régulateur d’une Idée au sens kantien, controversée sur le plan des faits et contestable sur le plan des preuves. C’est pourquoi Lyotard ajoute : « même si le tort n’est pas universel (comment le prouver ? C’est une Idée) »11. Tout en prenant ses distances à l’égard de l’idéologie victimaire, Lyotard considère le marxisme comme le sentiment de ce tort absolu, fondé sur une différence incommensurable entre des « mondes » – ce tort tout court qui ne peut ni ne doit néanmoins trouver de relève par une révolution. Sous cet angle, « le marxisme n’a pas fini, comme sentiment du différend »12.
Le plaignant ne dispose d’aucun moyen de montrer qu’il subit un tort, non pas du fait des conditions injustes du travail salarié, mais du fait du salariat lui-même. Ce tort-là est intransitif, absolu, précisément parce qu’il ne peut être prouvé, il n’est pas, à proprement parler...
Table des matières
- Couverture
- 4e de couverture
- Titre
- Copyright
- Introduction : Une critique du droit
- I. Le différend
- II. Le tort
- III. La civilité
- Conclusion : La philosophie des ordres
- Table des abréviations
- Table des matières