Enfants placés, enfants sacrifiés ça suffit !

Jeanne Landry

• Éditeur: Michalon éditeur
• Année: 2017
• ISBN de l'eBook: 9782347016272

DE GRANDES VACANCES STUDIEUSES

Lisbeth va beaucoup mieux. Apaisée et déterminée à récupérer ses enfants, elle a entrepris de se trouver un nouvel appartement pour le jour où ils lui seront rendus. Histoire de faire table rase du passé, et de montrer ubi et orbi que ses gestes sont ceux d’une bonne maman. Ma fille est bien décidée à tourner la page.

Avec l’ASE, on a l’impression qu’on n’en fait jamais assez pour être cru et pas trop mal jugé. C’est une surenchère sans fin. Dans ce système infernal, l’empathie est singulièrement absente : le langage institutionnalisé, avec des phrases telles que : « C’est encore fragile », « C’est compliqué », « Il faut prendre le temps », « Restez à votre place », etc., revient en boucle comme autant d’obstacles insurmontables. Ce qui m’insupporte, c’est cette fâcheuse tendance qui consiste à nous montrer que les autres savent, mieux que nous, ce qui est bon pour nos enfants !

Ma fille avait besoin d’aide, j’en conviens. Si on m’avait démontré que l’Aide sociale à l’enfance était bienveillante, si on nous avait expliqué les choses au lieu que tout se fasse avec brutalité, si j’avais senti que les enfants allaient être bien accompagnés, qu’on nous tendait la main, nous l’aurions accepté. Mais on nous a écartés, humiliés, maltraités au quotidien, comme de véritables criminels. Et, plus grave, on a malmené les enfants.

Après les vingt jours passés à la maison, Lilou repart pour une semaine aux Jonquilles. Le foyer va fermer ses portes mais avant de partir en vacances, la directrice du foyer tient à régler quelques petites choses avec elle, dont son retour en septembre. N’ayant pas de plan B depuis le départ de chez Mme Blanchard, elle demande à Lilou de signer une sorte de « code de bonne conduite » où elle s’engage jusqu’à fin décembre à se plier aux règles de l’établissement, à ne plus fuguer, ne pas répondre et ranger sa chambre… (Sur ce dernier point, Lisbeth reconnaît elle-même ne pas avoir trouvé de solution pérenne : elle continue à se battre avec sa fille pour que sa chambre ne se transforme pas en un capharnaüm !)

Lilou a signé. À son expression dubitative, j’ai bien senti qu’elle n’y croyait pas trop, mais bon… Sa mère et moi ne sommes pas mécontentes qu’elle reste aux Jonquilles. Il faut dire que la directrice ne lui a pas laissé le choix : elle signe ou elle repart à l’IDEF d’où on l’enverra peut-être dans un autre foyer ou une famille d’accueil. Ce que nous voulons éviter à tout prix. De notre côté, on lui demande de se tenir tranquille pendant trois mois, – on approche de la fin ! – qu’elle reste à distance de Mehdi et, surtout, qu’elle arrête de prendre la défense de ses camarades. Sa bravoure l’honore mais c’est elle qui écope de toutes les punitions !

Ensuite, les vacances arrivent, « les grandes » qui ont, pour les enfants, un parfum d’éternité. Deux mois avec Lilou, juste le mois d’août avec Mathieu qui part d’abord avec son père. Quel bonheur de se dire que pendant deux mois, DEUX MOIS ENTIERS ! on va redevenir une famille normale, sans surveillance, sans angoisses qu’il arrive quelque chose de grave aux enfants, sans larmes… et sans un seul appel du foyer. Pendant toutes les vacances, l’ASE disparaît. Silence radio. Je ne comprendrai jamais cette incohérence de me déclarer « indigne » de confiance et de me confier les petits pendant deux mois, juste parce que le foyer ferme.

Lisbeth qui a fait du cheval quand elle était plus jeune s’est inscrite à un stage d’équitation avec Lilou. Elle connaît les vertus de ce sport et le bien-être qu’apporte la fréquentation d’animaux si ­délicats, si sensibles. Ce sera un joli temps de partage et de retrouvailles entre elles qui retissera les liens d’affection un peu distendus ces derniers mois.

Tandis que mes filles sont au centre équestre, je suis à la maison devant un grand bloc de papier, noircissant des feuilles, relatant tout ce qui s’est passé depuis sept mois, ce que je ressens, ce que je crains, ce que j’espère. J’écris sans lever la main, d’un jet, pour poser les problèmes et ne rien oublier. Ainsi, je me vide de mes peurs, de mon ressentiment. Puis, je retourne à mon dada, moi aussi.

Pendant ces quelques jours de juillet où j’ai du temps pour moi et l’esprit plus libre, parce que moins inquiet, j’ai décidé d’appeler toutes les associations liées d’une manière ou d’une autre aux enfants en souffrance pour les alerter sur notre situation et, plus globalement, sur les dysfonctionnements du système.

Tôt le matin, parfois toute la journée et jusqu’au soir en pyjama, certains jours en nage à cause de la chaleur mais, inlassablement, sans rien lâcher, je cherche les sites, les liens qui m’intéressent sur Internet. Ensuite, je fais des listes, j’envoie des mails, des lettres, j’appelle les associations, je laisse des messages, je coche au fur et à mesure. Et quand la liste est terminée, je relance ceux qui n’ont pas répondu ou rappelé.

Mon discours varie selon l’interlocuteur : parfois, je parle de mes petits-enfants ; mais la plupart du temps, je dénonce la situation de tous les enfants placés dont les droits ne sont pas respectés.

Le premier appel allait de soi : la Ligue des Droits de l’Homme. Répondeur. J’ai laissé un message comme une goutte d’eau dans le désert de l’été. Peut-être sont-ils déjà en vacances… Mais les Droits de l’Homme peuvent-ils prendre des congés ?

À l’Association Voix de l’Enfance, on me répond qu’on ne veut pas échanger sur le sujet de la protection de l’enfance. Ah bon, pourquoi ? Sujet tabou ? La p...

Table des matières

• Couverture
• 4e de couverture
• Titre
• Copyright
• SOMMAIRE
• Exergue
• Dédicace
• PROLOGUE
• LA BOULE AU VENTRE
• UN PETIT MATIN GLACIAL
• PLACÉS !
• LE MONDE ENTIER CONTRE NOUS
• FUGUES EN MINEUR
• QUE SONT MES AMIS DEVENUS…
• CHANGEMENT DE DÉCOR
• GENTIL COMME MATHIEU
• LILOU MALMENÉE
• AU DÉBUT, IL Y A EU ADRIEN
• J’ÉCRIS À MADAME LA MINISTRE
• LILOU EN FAMILLE D’ACCUEIL
• MAINTENANT, JE SAIS
• DE GRANDES VACANCES STUDIEUSES
• « ON SAIT, MAIS ON NE PEUT RIEN FAIRE »
• LIBÉRÉS, DÉLIVRÉS…
• ÉPILOGUE EN MODE VIGILANCE