96 heures
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Un commissaire en garde à vue

  1. 288 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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96 heures

Un commissaire en garde à vue

À propos de ce livre

En octobre 2011, des policiers lyonnais et grenoblois, dont le commissaire de police Christophe Gavat, alors chef de la PJ de Grenoble, sont placés en garde à vue pendant 4 jours et mis en examen pour «association de malfaiteurs», «trafic de stupéfiants», «détournement de scellés» et «vol en réunion», dans le cadre de l'affaire Neyret.

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Informations

Année
2013
ISBN de l'eBook
9782368470688

KAMEL

Novembre 2008

Avec « le nain », on a le même âge. On aurait pu se rencontrer à l’école ou sur un terrain de rugby. Je suis sûr qu’on aurait été potes. Croix de bois, croix de fer. Dans les bagarres d’après match, dans les mensonges aux profs, dans nos premières conquêtes amoureuses. Mais on ne s’est jamais prêté ni notre mob, ni nos petites amies.
J’ai auditionné « le nain » en 1995. On venait de serrer une équipe de braqueurs qui écumait les bijouteries de la banlieue lyonnaise. Il a pris huit ans de placard pour recel. Un « Monsieur », comme on dit dans le milieu. Un demi de mêlée d’1m70, chaussettes baissés et col relevé. De la classe et de l’autorité. Lorsqu’il s’est assis face à mon bureau, il n’a pas joué. Il a écouté, répondu aux questions. Il allait passer sa première nuit au dépôt. Il avait perdu la partie, il s’inclinait. « Le nain » m’a demandé un café et la permission de prévenir sa mère. Et puis on s’est mis à parler. Des présidentielles et des pommes de Chirac, des parents, des femmes, des bons vins, de la vie. Le jour se levait, les équipes de nuit s’éclipsaient et le cendrier posé entre nous se remplissait. On a parlé encore, jusqu’à ce que la relève lui repasse les pinces. On s’est salué comme deux personnes qui avaient fait connaissance lors d’un dîner. Avec les contraintes en moins, pas de fausse promesse, pas d’invitation pour le barbecue du dimanche, pas d’échanges de mail. Non, on n’était pas dans les conventions. On s’est juste parlé vrai entre deux actes de procédure. On s’est fait un signe de tête, je lui ai souhaité bonne chance. Il m’a souhaité bonne nuit. Voilà, cela fait un peu plus de treize ans.
Depuis, on se croise, on boit une bouteille de bordeaux, on refait le monde. Avec une sorte de pacte tacite : les affaires restent au vestiaire. On n’est pas dupes, lui comme moi, on commence à bien maîtriser la bio de l’autre. Lui a suivi mes avancements, moi je sais qu’il a un bateau, plutôt grand luxe. Mais on se contente de faire tourner nos verres et nos conversations débutent toujours par l’analyse des larmes de notre breuvage. Je laisse parler le maître : le bordeaux, il l’a dans le sang. Son destin était tout tracé, il aurait dû reprendre le domaine familial, sans vagues, comme l’avait déjà fait son père. Et le père de son père. Oui, mais « le nain » n’était pas taillé pour la vigne et ses coteaux. Il a voulu son indépendance, sa solitude, ses dérapages. Comme moi j’ai désiré suivre mes rêves de gamin. Protéger, attraper les méchants et porter l’étoile de shérif. On a choisi notre couleur sur l’é­chiquier. Mais, à chaque fois, je le titille. J’avance masqué, le nez dans mon verre en quête d’un quelconque arôme. Je tente un énième contrepied. « Le “nain”, quelle serait ta vie aujourd’hui si tu avais repris l’exploitation familiale ? » À chaque fois, il me voit venir. Il croit que je veux jouer à l’éducateur, à l’assistante sociale, que je veux le remettre dans le droit chemin. Il lève son verre, admire sa robe sombre dans la lumière. Fait délicatement tourner le vin à l’intérieur avant de le porter à sa bouche. Et de le boire. Cul sec ! Avant de répondre :
« Ivrogne, je serais devenu un ivrogne. Parce qu’il y a que comme ça que je me serais senti libre. »
La voiture puissante roule à vive allure dans les rues de Lyon. Le joint tourne entre le chauffeur et ses deux passagers. Ça fume, ça parle fort, ça brûle les feux rouges. Rien de grave. À cette heure avancée de la nuit d’octobre, les rues sont désertes. Les Lyonnais n’aiment pas les rues gelées. Entre Rhône et Saône on aime le confort discret des alcôves des vieux appartements bourgeois. Il fait trop froid pour mettre un flic dehors. Le passager arrière prend une puissante bouffée et souffle lentement en s’enfonçant profondément dans la banquette arrière. Il profite. La fumée envahit l’habitacle. Elle se dissout dans son corps. Elle descend dans sa gorge. Il la savoure. C’est chaud, doux et amer en même temps. C’est bon. Il perçoit la discussion entre ses deux potes comme à travers un oreiller ouaté. Il sourit. Il n’entend que des bribes de phrases et des rires. Il est déjà loin. Très loin des quatre murs de la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône. La voiture ronronne sous l’impulsion de l’accélérateur. Le chauffeur est un esthète de la conduite. Un amoureux du volant. Un champion du monde de la conduite en ville. Il a confiance. Il peut somnoler tranquille et rêver. Depuis 15 jours il est en permission de sortie. Il n’a pas réintégré sa cellule 32.
Cinq ans déjà qu’il purge sa peine pour vols à main armée. Sacrés braquages. Quatre banques en deux mois. Il a pris 40 000 francs et sept ans aux « assiettes ». Il en a déjà fait cinq. Pas trop cher payé. ç’aurait pu être pire. D’autant qu’il n’a pas balancé ses potes. Devant les keufs ou le juge, il n’a rien dit. A fermé sa gueule. A protégé ses frangins. A sauvé sa vie surtout. Sont pas du genre rigolo, ses complices. Dieu sait ce qu’ils auraient fait s’il les avait balancés. Mais c’est pas le genre de la maison. On lui a toujours appris à se taire. Un bon braqueur, c’est un braqueur silencieux. Ou mort. Depuis cinq ans, il se tait au fond de sa cellule 32.
Cinq ans, 60 mois. Ça fait combien de jours, ça ? 1 825 ! Il en a un peu marre de la cellule 32. 1 825 jours qu’il vit dedans. Qu’il vit avec. 1 825 jours que cette pièce triste et froide est devenue le centre névralgique de sa vie. Tout tourne autour d’elle. La nuit, le jour, le froid, le chaud, la pisse, la merde, la bouffe, les promenades, les rêves. Le cauchemar. Tout part et tout finit dans sa putain de cellule 32. C’est son avenir, son seul horizon. S’il pouvait, il la dégueulerait, la cellule 32. Il la vomirait par tous les pores de sa peau, la chierait par tous les trous de son corps. 1 825 jours qu’il essaye d’occuper ses journées d’un peu de télé, d’un peu de lecture, d’un peu de musculation, d’un peu d’ennui. Beaucoup de rien dans la cellule 32. Beaucoup trop. Il la connaît par cœur. Il a eu le temps en cinq ans, 1 825 jours. Il l’a vue sous tous les angles. Sous toutes les coutures. L’image le fait sourire, sa cellule cousue dans une toile. Avec des fermetures éclairs et des moustiquaires aux petites fenêtres, comme une tente de camping. Et pourquoi la prison ne serait pas un immense camping où les détenus planteraient chacun leur tente ? Sûr qu’il y aurait moins d’évasions.
« Putain, depuis quinze jours je suis un évadé ! Je la connais la loi. Celui qui ne réintègre pas la maison d’arrêt à la fin de la permission de sortie, c’est un évadé ! Sans échelle, sans lime, sans corde et sans violence, je me suis évadé. Trop classe. Suis trop fort. Merci, la permission de sortie ! J’en pouvais plus de la cellule 32. En tente ou en caravane, entre quatre murs en brique ou en béton, je ne les aurais pas faits, les deux ans qu’il me reste. Deux ans, 24 mois. Ça fait 730 ! Je n’aurai jamais réussi à dormir encore 730 nuits sous la tente de mon emprisonnement. Avec ou sans couture… » Kamel se marre. « Faut que j’arrête la “beuh”, je commence à délirer, moi. »
Il se tait et se laisse conduire par ses chauffeurs. Les deux cousins sont de sa cité. Le copilote est un peu glandeur, un peu rasta. Il prétend descendre de Bob Marley, le con. Un peu menteur, oui ! Mais, c’est lui qui a amené la beuh et fait tourner. Elle est bonne. Ces deux-là ne sont pas vraiment des amis, pas complètement des proches, juste des gars avec qui il aime sortir, boire des verres, fumer de la « beuh » et draguer un peu les gonzesses, quand même. Lui est complètement raide dingue de Salima, une jeune femme de dix ans sa cadette, rencontrée à son avant-dernière permission de sortie. Elle est tellement jolie, fraîche et drôle. Il n’a pas résisté longtemps. Ça tombe bien, elle non plus. Ils se sont embrassés. Ses lèvres ont un goût sucré. Fantastique. Il a encore le goût sur les siennes. Salima s’est laissé séduire par ce type, un peu « tchatteur », un peu baroudeur, un peu plus vieux qu’elle. Il l’a fait rire en lui racontant des histoires à peine croyables de voyous et de flics. Ça la change de tous ces blaireaux de son âge, à peine sortis de l’adolescence, qui se vantent en parlant haut et fort, la casquette de travers, le survêtement et les Nike de couleur, logo de luxe en bandoulière. Pire qu’un uniforme, des clones. Tristes.
Kamel se voit déjà lui passer la bague au doigt quand la porte de la prison se fermera définitivement derrière lui. Retrouver une sérénité, construire sa vie. Et pourquoi pas des enfants ? Salima, elle est différente. Il veut qu’elle soit son avenir. Il ne sait pas qu’elle sera sa chute. C’est à elle qu’il pense, calé au fond du fauteuil arrière de la voiture, conduite un peu trop vite par son pote. Le seigneur de la route. Trop obsédé par la pensée des formes généreuses de la future femme de sa vie, il ne pense même pas à dire au conducteur qu’il faut ralentir, qu’il n’a pas réintégré la maison d’arrêt, que c’est un évadé et qu’au moindre contrôle des flics, il est mort ! Les rires gras fusent dans la voiture. La musique aussi. La « beuh » commence à faire effet. Le conducteur, pris dans l’ambiance et le nuage de fumée, ne voit même pas qu’il vient de franchir un feu rouge. C’est rien. Une broutille. Le dixième de la soirée. Une infraction d’une banalité affligeante. Qui n’a pas échappé à l’équipage de la BAC posté au carrefour, et qui décide de procéder au contrôle.
« Merde, les keufs ! » Le Mozart de la conduite s’arrête, obéissant aux injonctions des policiers. Le rasta a juste le temps de jeter la cigarette artisanale par la fenêtre ouverte. Avec des grands moulinets il tente de transformer ses bras en ventilateur pour évacuer la fumée et l’odeur qui planent dans l’habitacle. Le passager arrière commence à s’inquiéter. En cas de passage de son nom au fichier, il va être immédiatement interpellé et reconduit en maison d’arrêt. Pour terminer sa peine. 730 nuits à se morfondre dans sa solitude. À cet instant, il regrette presque de ne pas être retourné dormir en prison. Il préfère sa cellule 32 à la vue des flics. Il n’aime pas les flics. Leur contrôle au faciès, leur façon d’être, de se la « péter », de se comporter en cow-boys, de bouger, de vivre. S’il peut les éviter, il préfère.
Mais le lit de Salima est tendre, si moelleux, il en a profité jusqu’au bout. Le plus longtemps possible. Elles sont trop courtes, ces permissions de sortie. Et si rares. Maintenant il est trop tard. Il bouge sur son siège, se cale au fond pour se faire discret. En tant que passager arrière, il peut toujours espérer ne pas être contrôlé, ou au moins ne pas être passé au fichier. Il attend. Fébrile, mais calme en apparence.
Les trois policiers en civil porteurs du brassard orange « police » s’approchent de la voiture. Ils respectent les consignes de sécurité. Une procédure rôdée. Les deux premiers contrôlent le chauffeur et le passager avant, pendant que le troisième reste en protection, légèrement en retrait, selon la méthode de la triangulation. D’une main ils tiennent la lampe torche, leur servant à éclairer le visage des occupants et l’intérieur de la voiture et d’une autre les papiers qui leur sont présentés. Le policier légèrement en retrait a sa main sur son arme, surveillant ce qui se passe sur le contrôle et l’environnement extérieur. Calme aujourd’hui. Pour l’instant. Mais on ne sait jamais.
Le contrôle du petit prince du volant et de son passager avant, le roi du « oinj », est terminé. Tout est en règle. Les policiers doivent être enrhumés par le froid régnant ou ils n’ont pas voulu sentir l’odeur du haschich. Un délit si peu poursuivi. Avant de partir, ils jettent un dernier faisceau de lampe dans la voiture. Il s’arrête sur le visage de l’homme assis derrière, silencieux, qui tente un léger sourire un peu crispé. « Et le monsieur, il a ses papiers ? », demande le chef de bord. L’homme sort de sa poche arrière de pantalon une vieille carte d’identité jaunie par le temps, abimée par le frottement irrégulier de la toile de jean. Ce dernier la récupère et commence à la lire. Il épelle à voix haute le nom de l’homme. « Vous vous appelez Kamel… » L’homme acquiesce. Et perd les pédales. D’un coup, il ouvre la portière, se met à courir comme un fou. Une seule obsession, ne pas retourner en cabane ! Il n’a pas attendu de savoir si le policier allait passer son nom au fichier, le simple fait que ce dernier soit prononcé par les « keufs » l’a fait paniquer ! Il s’est vu les fers aux pieds, retour à la case prison, cellule 32 ! Alors il court. Il ne sait pas où, mais il court. Loin des flics qui tiennent entre leurs mains sa carte nationale d’identité. Loin des 730 jours qui lui restent encore à tirer à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône.
Les policiers sont surpris par cette réaction. L’intervention banale change d’intensité. Le contrôle routier devient tendu, agressif. Un homme a pris la fuite. Personne ne sait pourquoi, mais s’il s’échappe, c’est qu’il a quelque chose à se reprocher. Forcément. Les deux premiers policiers intervenants ont réagi vite. Ils ont figé la situation dans la voiture. L’as du volant et le cousin de Bob Marley sont rapidement menottés. Ils râlent. Ils s’en sortaient à si bon compte. Quel con ! Qu’est-ce qu’il lui a pris de se mettre à courir comme ça ?
Le troisième gardien de la paix court derrière Kamel. Moins bon coureur que le flic entraîné qu’il a aux trousses, il se fait rattraper. Il peste. Il aurait dû pratiquer plus la course à pied. Mais dans la cellule 32, le parcours est limité. Il aurait peut-être dû fumer un peu moins de chichon, aussi ! Kamel l’a compris, en longue distance, il n’a aucune chance. épuisé, mais lucide malgré tout ce qu’il a fumé, il se met à l’abri derrière une voiture en stationnement et hurle. Hurle qu’il a « les flics au cul », qu’ils vont le serrer, l’embarquer, le mettre au trou. Dans ce quartier, les habitants ne sont pas des fans inconditionnels de la police, malgré le froid ambiant et l’heure tardive le ré­sultat est immédiat : la foule s’approche. Les gens se massent. Kamel continue d’alerter du monde. Le policier de la BAC ne sait plus quoi faire. Continuer à pratiquer ce jeu stupide, consistant à tourner autour d’une voiture, n’a aucun sens. Quand il part à gauche, Kamel s’enfuit de l’autre côté. Il y a toujours cette caisse entre eux. Trop risqué à escalader. Possibilité de glisser ou de chuter. Il faut faire quelque chose. Il ne peut pas continuer à courir en rond de cette façon. On n’est pas au jeu de la chaise musicale : quand la musique s’arrête tout le monde s’assoit, celui qui reste debout a perdu ! Il ne peut pas non plus sortir son arme, solidement ancrée et enchainée à son étui de ceinture. Personne n’est en danger. Aucune raison de la sortir. Encore moins d’en faire usage.
Il tente de raisonner Kamel. Lui explique l’inutilité de sa démarche. Mais il n’entend rien. Kamel n’écoute pas les flics. Jamais. Encore moins maintenant. Il ne sait qu’une chose, il ne veut pas retourner à la “rate”. Il est plongé dans sa folie de la fuite. Persuadé que sa seule issue est de ne pas se faire arrêter. Il continue de crier, espérant que se soulève la foule en sa faveur. Cinq ans qu’il se tait. Il a de quoi hurler.
Il va débloquer la situation. Il arrête d’utiliser la voiture comme bouclier. Il a repris du souffle. Il se remet à courir. Le policier n’hésite pas, se remet à ses trousses. Les cris de Kamel n’ont pas suffi à convaincre la foule. Personne n’intervient. Le gardien le rattrape rapidement. Les heures passées à la musculation et au footing lui servent. D’un plaquage il le fait tomber. Kamel est habité par l’énergie du désespoir. Il ne se laisse pas faire, se débat. Le jeune flic ne s’attendait pas à une telle réaction. Kamel, physiquement, n’a rien d’un « Golgoth », mais il est animé d’une rage, celle que donne le refus de l’emprisonnement, le goût de la liberté. Au sol, il se bat avec le policier.
Le gardien de la paix maîtrise enfin Kamel. Il sort ses menottes pour l’empêcher de bouger. Il est assis sur lui. Kamel continue de se débattre comme un poisson pris dans un filet. Le collègue lui attrape le poignet droit et tente de lui passer les pinces. La main gauche de Kamel glisse le long de la jambe du policier. Remonte jusqu’à son bassin. Elle se dirige vers la crosse de l’arme enfoncée dans le holster de ceinture du flic. Il l’agrippe. La tient fermement, la retire d’un coup sec de l’étui. En deux secondes, Kamel a renversé la situation. Il tient dans sa main le Manurhin MR 73, chargé de six cartouches 357 Magnum, du policier. Dans l’action, il a arraché la sangle reliant la crosse de l’arme à son étui.
« Ne tire pas, s’il te plaît, ne tire pas… j’ai deux enfants, une petite fille, un petit garçon, ne tire pas ! » Le jeune gardien de la paix est tétanisé, apeuré. Rien dans sa formation ne l’avait préparé à une telle situation. Il est allongé au sol, sur le dos, essayant difficilement de ramper en s’aidant de ses coudes. Il ne va pas mourir maintenant, comme ça, à cause d’un banal contrôle routier ? Pour un feu rouge ? Le jeu n’en vaut pas la chandelle. C’est ridicule. Debout devant lui, Kamel, les yeux enfiévrés, le souffle court, le menace avec sa propre arme de service. Les cris de supplication du policier ? La peur de commettre l’irréparable ? Un éclair de lucidité dans son esprit embrumé par les volutes de cannabis ? Quand Kamel appuie sur la gâchette, le coup frôle le policier. Près de son visage, tout près. Mais ne l’atteint pas.
Kamel hébété regarde la scène. Le flic devant lui ne bouge plus. Abasourdi par la détonation, tremblant de peur. Les deux autres policiers arrivent en courant. Ils ont stoppé net leur course. Une détonation en pleine ville. D’où vient-elle ? Qui a tiré ? Sur qui ? Ce n’est plus un contrôle routier, c’est Beyrouth ! La panique. La foule amassée par Kamel leur désigne l’endroit où s’est déroulée la bagarre. L’histoire n’est plus la même, il y a eu un coup de feu. Ce n’est plus un flic qui essaye d’attraper un petit délinquant, c’est un criminel qui n’a pas hésité à tirer sur un policier. Avant de prendre la fuite. Les deux policiers se penchent sur leur collègue, persuadés qu’il n’est plus en vie. Livide, complètement statique, incapable de prononcer un mot. Il a vu la mort. De si près. Elle est passée à trois centimètres de son visage. Il a senti son souffle chaud lui caresser la joue. Elle lui a tendu la main. Il ne l’a pas saisie. Il en sera marqué toute sa vie. Désormais, plus rien ne sera comme avant. Sa vie a basculé au moment où il s’est fait arracher son arme et tirer dessus par un fuyard sur un banal contrôle.
« Qu’est-ce qu’il a fait ?, articule-t-il péniblement.
– On ne sait pas. On ne comprend pas… Il n’aurait pas réintégré la maison d’arrêt.
– C’est tout ?
– À priori, oui ! »
éberlué, cette peur au ventre qui ne le quittera plus jamais, le gardien murmure : « Tout ça, pour ça ? »
Cette question de Claude Lelouch, nous nous la posons à la brigade criminelle quand nous héritons du dossier. L’infraction principale retenue est : tentative de meurtre sur agent de la force publique. Nous n’avons pas trop le temps de nous interroger, ni même de savoir comment va le collègue de la BAC victime du coup de feu. Un seul objectif : mettre la main sur Kamel H. Nous avons un avantage, nous savons qui il est exactement : il a eu la délicatesse de...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Titre
  4. Copyright
  5. Dédicace
  6. Citation
  7. Gautier
  8. Michel
  9. Martin
  10. Aymeric, Jean-Paul et Gilles
  11. Titou
  12. Renaud
  13. Jacques
  14. Kamel
  15. Henri
  16. Yohan
  17. Bernard
  18. Épilogue – Jef
  19. Postface de Bruno Wolkowitch
  20. Remerciements
  21. Table des matières