Derrida
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Derrida

La justice sans condition

  1. 128 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Derrida

La justice sans condition

À propos de ce livre

Derrida, engagé dès son enfance dans un corps à corps avec la langue et la nationalité françaises, choisit la philosophie pour cette exigence de justesse et découvre en elle l'exigence sans condition de la justice, différenciant en son nom le droit et la force qui l'institue.

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IV
La responsabilité éthique,
politique et juridique

Nous devrions mieux voir maintenant ce que signifie, selon Derrida, répondre à une exigence de justice. La responsabilité limitée par la loi et déterminée par le juge se trouve exprimée dans la langue la plus courante dès que l’on dit que quelqu’un répond de ses paroles et de ses actes, ce qui n’est possible que s’il répond de lui-même. Mais la responsabilité ne s’arrête jamais là, ni dans le droit, ni dans la langue108. Quand on répond « de », on répond aussi « devant » : « devant un autre, une communauté d’autres, une institution, un tribunal, une loi ». La responsabilité est foncièrement en excès vis-à-vis de soi, elle en demande plus, elle dépasse toute autonomie, auto-fondation ou auto-institution, toute clôture, pour ouvrir sur un autre. Cette ouverture, ou cette indétermination de la responsabilité, est exprimée dans la simple formule, « répondre à ». On ne peut répondre de soi et devant un autre (personnel ou institutionnel) que dans la mesure où l’on est déjà apte à répondre à quelqu’un, à tout signe qui exige ou rend possible une réponse.
Comme cette réponse à l’autre n’est pas limitée, proportionnée ou mesurée par cet autre, elle s’écarte à la fois de la vengeance, qui consiste à rendre coup pour coup, et de la justice instituée, qui institutionnalise le calcul même de cette restitution sous la forme d’une juste proportion des peines. Rendre justice, d’une manière responsable, excède toujours le simple devoir de restituer ou de faire droit109 : c’est ne jamais compter sur la symétrie et l’équilibre d’un donné et d’un rendu, car cette logique du même suppose toujours que la même force, la même violence, soit exercée de part et d’autre. Ainsi, l’absence de limite de la responsabilité a pour corrélat une relation asymétrique : répondre, c’est rendre à l’autre infiniment plus que ce que j’attends de lui. Mais s’il y a injustice à ramener l’autre à un accord forcé (à la logique du même), la supériorité infinie de l’autre risque la même injustice, la même violence ; ces deux possibilités convergent dans une « nécessité du pire »110 qu’on ne peut dépasser qu’en ménageant avec autrui un rapport sans identité, une distance sans désaccord, bien proches de ce que Kant nomme respect, pour la loi et pour autrui. La responsabilité est ainsi le devoir de joindre et de disjoindre deux possibilités contraires, et s’avère aussi catégorique qu’impossible. Elle engage une « surenchère hyperbolique dans l’exigence de justice »111, qui demande de la rendre – intacte, et qui est l’impératif même de l’éthique.

1. L’ÉTHIQUE INCONDITIONNELLE

Le sacrifice, au-delà de l’économie ?

Quand la justice se borne à rendre à chacun ce qui lui est dû, elle ne répond pas à sa propre exigence, mais se soumet à un principe d’économie. Certes, une justice interne à l’économie égalise les biens échangeables en fonction d’un équivalent universel, l’argent ; certes, le droit régit l’égalité des échanges et excède cette tâche en proportionnant les bonnes actions et les récompenses, les délits et les peines ; certes la philosophie confirme cette différence entre l’argent et les valeurs en fondant le droit sur l’éthique, non sur l’économie : toute volonté vise alors un bien non-échangeable, non relatif, un souverain bien. Mais celui-ci est indéfinissable, incalculable : il ne règle pas le partage des autres biens. Adam Smith semble avoir résolu cette aporie en ramenant toute valeur à son juste prix : il restreint la philosophie morale en généralisant l’économie, et montre que la valeur monétaire s’excède d’elle-même dans une dynamique de croissance qui rend justice aux efforts de chacun. Cependant cette croissance (introuvable…) reste une exigence hyperbolique, si bien qu’on peut toujours se demander si la justice n’excède pas la distribution des biens.
Cette question est celle de Derrida commentant Georges Bataille112. L’économie politique est encore restreinte, explique Bataille dans La Part maudite, tant que chaque excédent de valeur est ramené dans l’échange sous la forme d’une dépense utile et calculable. Ce n’est alors pas la croissance qui est mystérieuse, mais l’inéluctabilité des crises et des guerres anéantissant les biens produits. Seule une économie vraiment générale montre alors que l’excès de production implique une dépense inutile, sans réserve, une perte radicale de valeur, une consumation ou un sacrifice. Si l’on pense vraiment (économiquement) le devoir religieux de se sacrifier pour son salut, on comprend que c’est la guerre, plus radicalement la mort, et non le souverain bien, qui impose sa nécessité souveraine à l’économie. Ne sort donc de la restriction économique que celui qui est prêt à en mourir, affirmant par là et sans dieu sa souveraineté. Hegel mettait ainsi déjà en scène deux consciences luttant à mort pour leur reconnaissance réciproque : celle qui tremble perd la lutte et devient l’esclave de celle qui a su braver la mort. Cependant, remarque Bataille, la conscience victorieuse survit également : elle passe donc à côté de sa souveraineté, et il est logique qu’elle perde bientôt sa maîtrise, tandis que l’esclave se libère en soumettant sa vie et ses désirs à la nécessité du travail. Cette figure asymétrique marque donc la victoire de l’économie restreinte dans l’événement qui devait l’excéder, ou plutôt dans ce non-événement (il n’y aura pas eu de lutte à mort), ce simulacre comique de sacrifice. La dialectique de la maîtrise garde son sens en s’arrêtant sur le seuil que la vraie souveraineté franchit.
Derrida souligne cependant qu’il ne s’agit pas pour Bataille de s’adonner à la mort. L’expérience de la souveraineté est plutôt celle de l’impossible, c’est-à-dire de la limite de tout sens, de son contact avec le non-sens. Ainsi la souveraineté n’est rien, elle ne se présente pas, elle est plutôt ce qui interdit toute présentation pleine du savoir ; elle réaffirme de haut qu’il n’y a pas d’au-delà de la loi, de la vie ou du sens. C’est pourquoi la perte même du sens (la souveraineté, la mort, le sacrifice) doit être réinscrite dans la langue. C’est bien ce que tente l’écriture chez Bataille, et tout autant celle de Hegel. Chez Hegel en effet les signes sont le tombeau du sens, ranimé par la parole de la famille113 ; mais celle-ci n’accède encore au sens que sous la forme immédiate, naturelle, de la mort, comme le montre le sacrifice d’Antigone. Hegel juge alors essentielle la constitution d’une sphère sociale dépassant la loi de la famille (l’économie, oïkos nomos). Mais cette « société civile » généralisant la nécessité économique ne s’équilibre pas toute seule : l’excès de richesse revient aux riches et les pauvres s’appauvrissent. Cette discordance sociale exige un accord supérieur et donc une sphère proprement politique, celle de l’État. Or l’État, cette figure terrestre du souverain bien, n’excède l’injustice économique qu’en conservant l’esprit de famille, à savoir l’économie de la mort : il règne souverainement sur la société en gardant un droit de vie et de mort sur les citoyens, droit qu’il exerce en cas de guerre en demandant le sacrifice de leurs biens individuels, voire de leur vie.
Il n’y a donc à ce stade, au-delà de l’économie, que la possibilité du sacrifice, que le non-sens, la mort même. Ainsi chez Marx, cette condition de vie qu’est le travail, transformé en salaire, mène au sacrifice du temps des travailleurs au profit des capitalistes, qui eux-mêmes en vivent le moins possible pour le ré­investir comme s’ils spéculaient sur leur vie après la mort. L’économie produit alors tous ces morts-vivants, ces spectres de la juste équivalence que sont l’argent, l’État et la religion : « Geld, Geist, Geiz », argent, esprit, avarice, sont indissociables114. La dé­construction ne peut se borner à montrer que le spectre du communisme plane encore sur une économie mortifère, sacrifiant une partie de l’humanité au profit de l’autre. Il lui faut cerner ce qui excède vraiment le faux équilibre des échanges.

Au-delà du sacrifice : le don

Or l’anthropologie a montré comment cet équilibre s’excédait dans une étonnante logique du don115. La réciprocité du devoir de donner et de restituer dépasse les échanges économiques, se généralise à l’ensemble des relations humaines et explique jusqu’au sacrifice : non seulement « tout est matière à transmission et à reddition »116, mais l’excès même du don dans les cérémonies du potlatch implique un équilibrage de l’excès, une impossible équivalence de la surenchère. Les deux possibilités contraires du don et du sacrifice convergent dans cette logique généralisée et excessive de l’échange et le don lui-même se renverse en son contraire : il devient poison (Gift a les deux sens en anglais), dette et faute (Schuld a les deux sens en allemand) pour celui qui le reçoit. Il l’oblige pour l’avenir, la somme des dettes excédant toujours et depuis toujours les richesses disponibles. Ainsi, tout don est impossible puisqu’il pose comme condition son annulation par un contre-don ; à la limite sa condition est que l’on détruise ce que l’on donne, et que l’on reçoive en retour une autre destruction. L’excès sacrificiel du don touche ici à la folie mais sans pour autant cesser de confirmer la logique de l’échange, du « donnant – donnant ».
Dès lors le don impossible, le plus fou, le plus incalculable, celui qui n’est conditionné par ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Copyright
  4. Titre
  5. Dédicace
  6. Introduction
  7. I. La limite de l’institution
  8. II. Justice, justesse et injustices de la langue
  9. III. De la loi, ou comment la justice excède le droit
  10. IV. La responsabilité éthique, politique et juridique
  11. Conclusion - Justice et démocratie
  12. Bibliographie
  13. Table des matières
  14. Titres parus dans la même collection
  15. Le bien Commun