
- 288 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
À propos de ce livre
Que connaît-on aujourd'hui de la vie quotidienne de ces vingt-quatre millions de Nord-Coréens, du fondement de leur idéologie radicale et de leur adaptation nationaliste du stalinisme? Que connaît-on de ce pays, paradis sur terre pour les propagandistes du régime, et expression du mal absolu pour tant d'autres? Pour répondre à ces question, Arnaud Duval, au cours de ses différents séjours en Corée du Nord, a écouté et recueilli de précieux témoignages.
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Informations
Sujet
Sciences socialesSujet
SociologieQU’ELLE ÉTAIT BELLE CETTE UTOPIE !
CHAPITRE I
ENTRE L’ENFER ET LE PARADIS,
IL N’Y A QU’UN SOUFFLE DE DISTANCE
Pyongyang, les portes du paradis de ce monde inversé.
Nous atteignons l’Olympe de la civilisation nord-coréenne en empruntant des routes de plus en plus larges, de plus en plus droites. La circulation est devenue plus organisée, aérée. Les piétons déambulent à présent sagement le long des voies et abandonnent la chaussée aux rares véhicules qui s’y aventurent. Ici, pas de mobylette ni de charrette, pas de bruit frénétique qui enveloppe invariablement toute grande ville asiatique, les vélos eux-mêmes circulent sur les trottoirs et sillonnent entre les piétons au pied de ces ensembles de bétons qui forment des marques de parcours le long des interminables routes d’accès.
Comme tout étranger à la découverte de Pyongyang, nous sommes d’abord surpris par le calme et l’ordre ambiant. Dans notre véhicule, chacun a maintenant le nez collé à la fenêtre, impatient de découvrir cette ville emblématique, curieux comme des spectateurs qui accèdent enfin à la scène éclairée après s’être perdus dans le dédale et la pénombre de ses coulisses.
Tout autour de nous ce n’est qu’une enfilade d’immeubles imposants, parfaitement alignés, parfaitement semblables, sans originalité particulière. Les bâtiments nous laissent toutefois l’impression d’un décor soigneux, travaillé, étonnamment maîtrisé. Très largement détruite au début des années cinquante sous les feux nourris des attaques militaires, Pyongyang a dû être entièrement repensée puis reconstruite, offrant aux nouveaux dirigeants communistes l’occasion unique de façonner une cité parfaite, mariage consommé de l’imagination surréaliste soviétique de l’époque et de la grandeur retrouvée du mythe coréen.
Nous roulons dans la rue Podumanu, dans le district nord de Taesong. Les bâtiments se font maintenant plus officiels. Sur notre gauche, le palais d’exposition « des Trois Révolutions » salue notre entrée dans la capitale en laissant pavoiser en son sommet d’immenses drapeaux rouges, puis c’est au tour de la rue Taesong, la tour de l’Amitié, l’Arc de Triomphe, une enfilade d’avenues longues comme des discours officiels. Nous voici entrés de plain-pied dans ce musée vivant de la cause révolutionnaire.
Tout semble à sa place, solidement ancré dans des socles de béton qui servent de fondations à ces monuments conçus pour l’éternité, à l’image du pouvoir en place. Ce qui est fait ici ne peut être défait. On est bien loin des emplacements bombardés et poussiéreux d’où émergeaient les « sordides colonies d’habitacles en bois semblables à des cabanes à lapins » que George Orwell nous prédisait pour demain dans son chef-d’œuvre de la dystopie totalitaire 1984.
Cette vision d’un monde bâti pour l’éternité a de quoi surprendre celui qui vient de Chine. Hormis la grande muraille et les remparts des principales villes impériales, érigés en leur temps pour des raisons évidentes de défense territoriale, peu d’édifices historiques ont été conçus dans un souci d’immortalité. La Chine n’a pas connu son temps des cathédrales et des châteaux médiévaux, le temps obéit à des cycles historiques et chaque pouvoir se réinvente un nouvel univers. Ce n’est que très récemment que le béton armé a envahi l’espace urbain chinois.
Nous arrivons à l’hôtel Koryo, l’un des deux seuls centres d’hébergement pour visiteurs étrangers de la capitale. Au comptoir d’enregistrement, les formalités ont déjà été préparées. À notre surprise, nos accompagnateurs nord-coréens reçoivent eux aussi leurs clés et semblent consignés jusqu’au bout à nos côtés, « pour assurer notre sécurité ».
*
Au commencement, il y a celui qui sait.
*
Sur les murs du couloir vide et austère qui mène à notre salle de restaurant, sont accrochées les photos de Kim Jong-il en visite d’inspection que l’on retrouve un peu partout dans les lieux publics de la capitale. Que ce soit dans les restaurants, à l’entrée des salles de réunion ou à la une des journaux officiels, ces comptes-rendus officiels imagés servent moins de distraction pour les étrangers de passage que de directives de propagande pour la population locale. L’expression « on-the-spot-guidance » qui y est continuellement associée désigne les visites « sur le tas » du Cher Leader, méthode archaïque de gouvernance destinée à conduire les masses vers de nouveaux mots d’ordre révolutionnaires. Elle figure même dans le très officiel Dictionnaire de la Langue Sogun que les organes idéologiques du régime ont publié en 1992.
L’actualité officielle est continuellement truffée de ces apparitions occasionnelles qui illustrent le rôle omniprésent et la nature paternaliste du pouvoir. On suit ainsi les sorties du Cher Dirigeant comme autant d’indications pour déchiffrer les préoccupations actuelles du régime. À l’évidence, ces inspections font des forces armées le principal pilier de la nation. 60 % d’entre elles lui sont consacrées, perpétuant ainsi la politique military-first poursuivie par le Nord de la Corée depuis son indépendance.
Cette forme de management par le discours idéologique et les slogans révolutionnaires s’est progressivement développée dans le pays au cours des dernières décennies. Ce fut d’abord le mouvement changsan-ni : déclenché en 1960 dans le milieu agricole pour mobiliser les masses paysannes, il vint s’ajouter au mouvement Chollima lancé dans le milieu industriel lors du cinquième plan quinquennal pour forcer l’édification d’une industrie nationale indépendante. Dans toutes les usines de Corée du Nord, des programmes sont lancés à cette époque pour augmenter la production et faire des économies. Avec le recours de toutes les forces vives, l’engagement doit en effet être total : « Le programme du feu de bois pour économiser le fuel », « le programme de la poudre de plomb qui vole dans la cheminée », « le programme d’une seconde de moins par mouvement », etc., autant de campagnes mobilisatrices déclinées à tous les étages du dispositif industriel. Les groupes les plus zélés se voient ainsi décerner le titre d’« équipe d’ouvriers de Chollima ».
C’est à cette époque que l’on doit notamment le développement industriel du vinalon, une fibre synthétique à succès créée par le savant local Ri Seung-Gi et qui habillera très largement les générations futures, une réussite technique qui prend rapidement valeur d’exemple. Des distinctions « vitesse de vinalon » sont décernées à ceux qui atteignent 3 500 % des objectifs journaliers initiaux… Chollima est devenu le symbole de l’esprit nord-coréen, le symbole de cette époque où le socialisme était bien vivace et prometteur. Il sera d’ailleurs remis à contribution lors des grandes crises alimentaires des années quatre-vingt-dix quand le pouvoir décida de lancer le deuxième mouvement Chollima.
Les tournées « on-the-spot », connues en Corée du Nord sous le nom de « système de travail Taean », font leur apparition en 1961 lors d’une inspection de la centrale électrique de Taean par le leader Kim Il-sung. Ces visites « sur le tas », présentées au départ comme des visites d’inspection, ont rapidement été désignées par le terme officiel de « tournées d’orientation ». Petit à petit, c’est bien tout le pouvoir opérationnel au sein des unités de travail qui passe ainsi des chefs d’entreprise au comité interne du Parti, toute décision devant dorénavant obtenir l’aval des instances internes du Parti et, par extension, de son chef suprême, le dirigeant Bien-aimé.
Celui-ci garde ainsi un contrôle absolu de l’organisation de la société et des méthodes de production, jusqu’à friser l’absurdité. D’un panneau à l’autre, on suit les visites de Kim Jong-il à travers tout le pays, ici dans une ferme agricole de la campagne nord-coréenne, là-bas à l’inauguration d’un fast food dans le centre de Pyongyang. Ce déballage de comptes-rendus, évalués par l’agence de presse officielle à plus de huit mille pour le seul Kim Jong-il et dont les seuls points communs restent la houppette bouffante à la mode Cure, l’anorak défraîchi de couleur kaki et les lunettes de soleil façon festival de Cannes du Fils Suprême, illustre avant tout le niveau de micro management exercé par le pouvoir central et la paralysie générale qui condamne encore davantage le développement économique du pays.
« Dieu est dans tous les détails » aurait dit également le Général De Gaulle. Et le diable alors ?
*
Nous sommes maintenant aux pieds du prophète, face au mythe, écrasés par la statue phénoménale en bronze Mansudae qui nous surplombe. Pour atteindre cet autel majestueux perché au sommet de la colline Mansu, il nous a fallu grimper une armée de marches, garder le silence, ralentir enfin nos pas pour laisser aux précédents visiteurs le temps de se recueillir. Jean-Pierre porte avec lui le bouquet de fleurs qui sert d’offrande, comme le veut ici la tradition. Lui-même semble recueilli, concentré, à moins qu’il ne soit attentif à nos possibles écarts.
Du pied de cette impressionnante esplanade, il faut lever bien haut les yeux pour apercevoir enfin, vingt mètres plus haut, le regard inspiré du prophète, un rien soucieux, qui flotte au loin, au-delà du fleuve Taedong, en direction de la tour du Juché. Le voici au-dessus des hommes, bien au-dessus même, preuve physique supplémentaire de sa qualité d’être supérieur. Cette statue du père fondateur de la Corée du Nord est l’une des trois mille cinq cents qui seraient installées dans tout le pays. Selon la revue Daily North Korea, soixante-dix statues monumentales de bronze identiques à celle du Manson Hill seraient en place dans toute la Corée du Nord, qui en a d’ailleurs fait un vrai savoir-faire tout à fait exportable, trouvant auprès de certaines dictatures de l’Afrique de l’ouest un terrain fertile pour développer ces représentations mégalomaniaques.
Celle-ci a été édifiée du vivant de Kim Il-sung, « par le peuple lui-même » selon la version officielle, pour commémorer en 1972 son soixantième anniversaire. Pour Kim Il-sung, il s’agit sans doute là d’imiter l’exemple historique de Staline, proclamé à l’époque « le plus grand homme de tous les temps et de tous les peuples » et qui reçut sans doute en décembre 1949, à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, la plus extraordinaire manifestation d’adoration qu’un être humain ait suscitée au XXe siècle. Car la Corée du Nord est bel et bien passée en peu d’années de la colonisation japonaise à la dictature d’un chef, sans s’épargner pour autant des années de guerre et de privations qui laissaient pourtant espérer à la population d’alors une lutte finale pour son émancipation.
De ce modèle soviétique qui l’a porté au pouvoir mais dont il se sera méfié toute sa vie, Kim Il-sung aura avant tout retenu le culte très stalinien de la personnalité, une fascination évidente qui le poussera dans la même trajectoire, jusqu’à s’approprier les mêmes titres de gloire. Nommé tout d’abord « Commandant Suprême des forces armées », puis élevé en 1953, à la mort du camarade Staline, au rang de « Maréchal », Kim Il-sung prendra en 1992, soit deux années avant sa mort, le titre de « Généralissime » (taewnsu), un titre jusque-là réservé uniquement au Grand Leader soviétique57. Cette assimilation atteindra également la place publique. Ainsi, la principale esplanade de Pyongyang, où se déroulent défilés militaires et processions patriotiques, aujourd’hui appelée place Kim Il-sung, fut jadis connue sous le nom de place Staline. Son fils Kim Jong-il, qui lui a succédé dans les honneurs et les titres de gloire, ne connaîtra pas de son vivant la même consécration. Il meurt subitement d’un arrêt cardiaque moins de deux mois avant ce soixante-dixième anniversaire qui allait définitivement le placer au même rang que son père et ne recevra ce suprême honneur de « Généralissime » qu’à titre posthume. Le 16 avril 2012 deviendra le « jour de l’étoile brillante » en référence, selon les médias officiels nord-coréens, à l’astre qui serait apparu le jour de sa naissance.
À la différence du maître du Kremlin, la passion à la fois messianique et révolutionnaire dont il fut l’objet ne dépassa que de façon très anecdotique les frontières de son pays. Car si l’adoration portée à Staline et Kim Il-sung était réservée aux « croyants » communistes de chaque pays, l’admiration pour le dirigeant soviétique, avant tout le vainqueur de Stalingrad, fut largement partagée à l’époque par les non-communistes, bien au-delà des limites de la sphère d’influence soviétique.
Le Grand Leader coréen aura tout de même ajouté une dimension supplémentaire à sa propre légende en imposant dès 1980 une connotation dynastique à son régime, avec la désignation de son fils comme héritier du pouvoir. Une première pour un pays d’inspiration communiste. Les communistes n’admettent pas la filiation héréditaire du pouvoir, le très officiel Dictionnaire des Terminologies Politiques de Pyongyang mentionne même, dans son édition de 1970, qu’il s’agit d’« un archaïsme issu des sociétés féodales où les seigneurs transmettaient leur trône à leurs descendants ». Cette mention sera finalement supprimée par l’Académie des Sciences Sociales nord-coréenne dans les années soixante-dix. Les valeurs traditionnelles furent de toutes façons moins éradiquées qu’en Chine populaire à la même époque et le noyau familial biologique, dans la pure tradition coréenne, ne fut pas remis en cause.
Passée la traditionnelle période de deuil de trois ans, le nouveau leader commencera son exercice du pouvoir en renforçant encore davantage le mythe du père disparu. Il imposera, dans un pari insensé de réinventer le temps, un nouveau calendrier. Pour le Cher Dirigeant, il s’agit là de montrer que le modèle dominant est maintenant installé pour toujours, le balancier de l’histoire s’est animé une fois de plus avant de s’arrêter définitivement. Un temps nouveau pour fêter une « humanité nouvelle ».
Le Père défunt sera parallèlement élevé par le nouveau maître des lieux au titre de « Président Éternel ». Cet acte très confucianiste de piété filiale (hyo) vise à figer de façon définitive l’ordre établi et à renforcer le culte du Père fondateur. Celui-ci, mort, continuerait ainsi à diriger le pays de sa tombe et son fils ne serait en quelque sorte que le porte-parole de l’âme du défunt, son exécuteur testamentaire. Il faudra attendre la disparition de Kim Jong-il en décembre 2011 pour qu’apparaisse dans le paysage nord-coréen la première représentation statuaire du désormais « irremplaçable patriote ». Pour commémorer « la plus grande perte que le peuple nord-coréen a subie au cours de ses 5 000 ans d’histoire », une inscription, longue de cent vingt mètres, a été sculptée à même le Mont Skoda et l’agence officielle KCNA est fière d’annoncer à cette occasion que « le patronyme Kim fait 5,5 m...
Table des matières
- Couverture
- 4e de couverture
- Titre
- Copyright
- Citation
- Avant-propos
- De l’autre côté des vivants
- Qu’elle était belle cette utopie !
- Postface
- Annexes
- Bibliographie
- Remerciements
- Table des matières