Seconde partie
La régulation financiÚre en France
275. DĂšs lâAntiquitĂ© romaine apparaissent les premiĂšres sociĂ©tĂ©s de capitaux aux parts nominatives et cessibles. Des embryons de marchĂ©s financiers sollicitent les Ă©pargnants pour financer les grands travaux de lâEmpire, tel que le Collegium mercatorum oĂč sâĂ©changent des effets de commerce et des devises. Du XIIIe siĂšcle au milieu du XXe siĂšcle, la formalisation des marchĂ©s financiers français se dĂ©veloppe sous lâinfluence des professions. Les procĂ©dĂ©s de contrĂŽle, qui Ă©chappent encore largement aux pouvoirs publics, sont toutefois sommaires. Les professionnels assurent la majeure partie des missions de surveillance sous le regard distant du pouvoir central. Lâencadrement juridique reste faible (chapitre 1). DĂšs la fin des annĂ©es 1960, un premier mouvement de rĂ©gulation publique Ă©merge avec la crĂ©ation de la Commission des opĂ©rations de Bourse (COB), qui sera la premiĂšre dâune sĂ©rie dâautoritĂ©s indĂ©pendantes chargĂ©es progressivement de surveiller les marchĂ©s financiers, les banques et les assurances avec des prĂ©rogatives encore assez disparates (chapitre 2). Au XXIe siĂšcle, lâAutoritĂ© des marchĂ©s financiers (AMF) devient la premiĂšre autoritĂ© publique indĂ©pendante Ă prĂ©rogatives renforcĂ©es, suivie par dâautres rĂ©gulateurs du mĂȘme type (chapitre 3).
Chapitre 1
Les marchés financiers
276. Si la rĂ©flexion autour des missions imparties aux marchĂ©s financiers et le dĂ©veloppement de structures de rĂ©gulation publiques ou privĂ©es sont le rĂ©sultat de contributions internationales, europĂ©ennes ou nationales diverses, la France a longtemps conservĂ© une certaine spĂ©cificitĂ© en ce domaine qui explique encore aujourdâhui certains de ses choix. La prĂ©sentation prĂ©alable des conditions dâapparition des marchĂ©s financiers et de leur pĂ©rennisation (I) est indispensable pour comprendre leur fonctionnement contemporain (II), prendre la mesure du rĂŽle jouĂ© par les acteurs qui sây cĂŽtoient (III) et apprĂ©hender les instruments financiers nĂ©gociĂ©s (IV).
I. Le développement des marchés financiers
277. Le rĂšgne de Philippe IV le Bel (1285-1314) coĂŻncide avec les premiĂšres contraintes aux mouvements des capitaux qui traversaient jusquâalors librement la chrĂ©tientĂ©. Le mĂ©canisme du marchĂ© financier permet Ă la monarchie de sâopposer Ă la puissance financiĂšre supranationale de lâĂglise et devient un outil essentiel de lutte contre les dĂ©ficits budgĂ©taires. LâĂ©bauche du marchĂ© moderne est dĂ©jĂ prĂ©sente. DĂšs lors, les interventions des pouvoirs publics â plutĂŽt timides â et des professionnels â bien plus prĂ©sentes â ne cessent de se multiplier jusquâĂ la fin des annĂ©es 1930.
A. De lâAncien RĂ©gime Ă la Seconde Guerre mondiale
278. AprĂšs quelques expĂ©rimentations dĂšs la fin du Moyen Ăge, la monarchie absolue (XVIe-XVIIIe siĂšcles) se prĂ©occupe dĂ©jĂ des bourses naissantes, mais il faut attendre la fin du XIXe siĂšcle pour quâapparaisse un premier statut officiel de la Bourse de Paris.
1. LâAncien RĂ©gime
279. DĂšs 1250, les citoyens de Toulouse peuvent Ă©changer les parts de la SociĂ©tĂ© des Moulins du Bazacle, dont la valeur suit la conjoncture Ă©conomique et lâefficacitĂ© de la gestion des moulins Ă©tablis sur la Garonne. Un cadre juridique des activitĂ©s de change ne se dessine cependant quâĂ partir dâun Ă©dit de Philippe le Bel qui Ă©tablit les « courratiers de change » et officialise leurs activitĂ©s sur le Pont aux Changes Ă Paris (1304). Les transactions financiĂšres restent nĂ©anmoins largement rĂ©gies par le droit coutumier. En 1572, un Ă©dit de Charles IX Ă©rige la profession de « courratier » en office dans les principales villes du royaume et fixe sa rĂ©glementation. Ses membres ont la charge dâopĂ©rations de courtage sur les marchandises, les effets de commerce et les monnaies ; ils doivent sĂ©parer la gestion de leurs affaires personnelles de celles de leur clientĂšle. Ă partir de 1595, la Bourse de Lyon devient une place financiĂšre importante pour lâescompte et lâĂ©change des effets de commerce. DĂšs lors que le roi, les princes, les comtes et les ducs ont pris lâhabitude depuis longtemps de battre monnaie, les opĂ©rations de change ne cessent de se multiplier. Un arrĂȘt du Conseil du Roi du 2 avril 1639 substitue au titre de « courratier » celui dâ« agent de banque et de change » et assure une situation de monopole Ă ses dĂ©tenteurs rĂ©unis au sein dâune compagnie. Ă la fin du XVIIe siĂšcle, Paris nâa pourtant pas encore une bourse vraiment organisĂ©e malgrĂ© le soutien de Richelieu, puis de Colbert au grand capital dâaffaires, particuliĂšrement aux compagnies coloniales ; situation qui tranche avec la rĂ©ussite de la Bourse dâAnvers (crĂ©Ă©e en 1531) ou de la Bourse de Londres (apparue en 1571).
280. En 1719, lâĂcossais John Law Ă©tablit une institution bancaire Ă Paris qui prĂ©figure les marchĂ©s organisĂ©s contemporains. Elle permet Ă la Compagnie des Indes dâĂ©mettre des actions sous la forme de titres au porteur. Un trĂšs fort courant de spĂ©culation sâensuit car une vĂ©ritable frĂ©nĂ©sie sâempare des prĂȘteurs, emprunteurs, escompteurs et autres spĂ©culateurs, bien que cette compagnie nâait pas vraiment dâactivitĂ©s spĂ©cifiques. Finalement, la « bulle spĂ©culative » Ă©clate ; câest la banqueroute du banquier Ă©cossais et la ruine de nombreux Ă©pargnants. La dĂ©faillance du systĂšme contribue Ă crĂ©er une crise financiĂšre qui rend urgente une intervention Ă©tatique sur les marchĂ©s de valeurs mobiliĂšres : la monarchie proclame â le 11 juin 1720 â quâun certain nombre de sociĂ©tĂ©s sont des « nuisances publiques » et interdit la vente de leurs actions. Quelques annĂ©es plus tard, un arrĂȘt du Conseil du Roi du 24 septembre 1724 crĂ©e pourtant officiellement la Bourse de Paris Ă lâHĂŽtel de Nevers. Les femmes nây ont pas accĂšs (la mesure ne sera rapportĂ©e que bien tardivement, en 1967). Une rĂ©glementation sommaire est mise en place ; elle se limite Ă un statut des agents de ch...