Première partie
La dissertation philosophique
Qu’est-ce qu’une dissertation philosophique ?
L’exercice de la dissertation
Poser cette question ne revient pas à s’interroger sur la nature seulement ou en général de la dissertation. D’autres disciplines que la philosophie font appel à ce type d’exercice, c’est le cas en histoire ou encore en littérature comme cela est bien précisé dans le petit Robert : « la dissertation est un exercice écrit que doivent rédiger les élèves des grandes classes des lycées et ceux des facultés de lettres, sur des sujets littéraires, philosophiques et historiques ».
De fait la dissertation philosophique fait bien partie, à titre d’espèce, du genre de la dissertation, en tant qu’elle suppose de passer par l’écriture, de façon à ce que soit rédigé un discours intelligible, susceptible d’être lu par un autre que soi.
Ajoutons que cet exercice s’adressant à un public bien particulier composé d’élèves et d’étudiants, sa maîtrise demande de se plier à des règles bien précises qui sont reçues, apprises et on peut l’espérer, acquises.
Par suite il suffirait de connaître ces règles et de les appliquer à la lettre pour produire une dissertation digne de ce nom.
À cet endroit, les choses se compliquent car il n’existe pas, semble-t-il de règles générales de la dissertation, à part celle de distinguer comme cela va de soi, ses trois grands moments, l’introduction, le développement et la conclusion.
Chaque discipline possède en effet ses propres principes relativement à sa forme d’esprit. La philosophie n’échappe pas à cette règle.
Déduisons une idée de ces quelques remarques : il n’est pas simple de répondre à la question, « qu’est-ce qu’une dissertation philosophique ? » en s’interrogeant seulement sur la nature de la dissertation en général.
C’est l’examen du qualificatif « philosophique » qui permet vraiment de déterminer la nature spécifique de la dissertation philosophique.
Mais ne pourrait-on pas affirmer que l’exercice de la dissertation convient tout particulièrement à la nature de la philosophie, au point qu’elle serait l’exercice philosophique par excellence ?
La dissertation est l’exercice philosophique par excellence.
Dire cela paraît de prime abord bien prétentieux car c’est sous-entendre que les autres disciplines que la philosophie, ne pratiquent pas cet exercice finalement.
Loin de nous cette idée !
Par cette proposition, il est seulement entendu que la philosophie, plus que tout autre matière enseignée, ne peut pas du tout se passer d’elle pour être et exister.
Voici pourquoi la définition brute de la dissertation dont nous sommes partis, mérite d’être précisée. Retenons qu’elle est un exercice écrit portant sur un sujet, en l’occurrence philosophique.
Deux questions : qu’est-ce qu’un sujet philosophique ? pourquoi faut-il pratiquer la dissertation (philosophique donc) pour l’aborder ?
Appelons « sujet philosophique », une réalité qui est traitée sous l’angle de l’esprit philosophique. Par exemple, l’homme devient un « sujet philosophique » à partir du moment où sa réalité est prise en charge par les attitudes philosophiques de l’étonnement, de l’analyse, de la division ou encore de l’attention. Cette considération de l’homme doit donner lieu à une interrogation portant sur son essence.
Or il semble que jamais la philosophie ne remplit aussi bien sa mission que lorsqu’elle use du mode de la dissertation.
Il est facile d’imaginer que nous assisterions sans doute à la mort de la philosophie si se trouvait supprimé des programmes, l’exercice de la dissertation, lequel se trouverait remplacé exclusivement par un oral.
D’aucuns objecteront que c’est au contraire à l’oral, au travers de l’usage de la parole individuelle (je dis, je considère), que la pensée se révèle au plus haut point. La pensée au sens individuel peut-être. Mais la pensée philosophique, sans doute pas. Si nous comprenons cette dernière comme l’expression d’une volonté ardente de passer d’un point de vue subjectif à une recherche de l’universel, elle trouve en la pratique de la dissertation, le moyen le plus sûr pour y parvenir. Se mesure ici l’importance de la place à accorder à la dissertation comme exercice écrit sur celui de l’oral.
La parole, à peine prononcée, disparaît pour laisser place à une autre qui la remplace. Les paroles certes peuvent se suivre et s’enchaîner logiquement, être comprises dans leurs grandes lignes mais à moins de posséder une bonne mémoire, il s’avère difficile de saisir dès le départ la construction logique du discours prononcé oralement. La locution latine, « verba volant, scripta manent » dont nous connaissons tous la traduction « les paroles s’envolent mais les écrits restent » n’est pas à négliger si nous voulons comprendre ce qui est attendu de nous quand nous dissertons en philosophie.
La vertu de la dissertation philosophique réside en ceci : du fait qu’elle se définisse comme un écrit organisé de manière rationnelle et visant à déterminer le problème suggéré par la question de l’énoncé, sa pratique maintient l’esprit de son auteur du début de sa préparation à la fin de sa rédaction dans une tension, un étonnement et une attention témoignant qu’il pense en acte ou dit autrement, qu’il dialogue avec lui-même.
Si donc l’exercice de la dissertation philosophique, à l’instar de tout exercice scolaire, exige de se plier à des règles somme toute artificielles, reste que sa pratique offre l’occasion à chacun d’exprimer le naturel philosophe propre à son intelligence.
Nous examinerons les règles de la dissertation philosophique dans les parties consacrées à sa préparation et à sa rédaction. Pour l’heure, voyons quelles opérations de l’esprit sont particulièrement sollicitées par l’exercice exigeant de la dissertation.
Les qualités de l’esprit philosophique
Admettons que la lettre ne tue pas si l’esprit règne sur l’écriture d’une dissertation.
L’obéissance à la lettre aux règles de la dissertation ne produit ses fruits que si l’esprit de son auteur s’étonne, dialogue avec lui-même, pratique la division et reste attentif à la question portant sur un sujet philosophique donné.
Ce sont les philosophes en personne qui nous encouragent encore aujourd’hui à développer en nous ces qualités spirituelles pour disserter et ainsi penser l’essence des choses.
Quelles sont ces qualités ?
Tout d’abord L’étonnement : comme l’affirme avec conviction Platon dans le dialogue du Théétète (155 e) : « car cet état, qui consiste à s’émerveiller, est tout à fait d’un philosophe ; la philosophie en effet ne débute pas autrement » (La pléiade, Gallimard, p. 103 trad. par Joseph Moreau et Léon Robin).
L’étonnement ou l’attitude de l’esprit consistant à ne jamais prendre les choses comme allant de soi ou comme évidentes se vérifie dès le départ par la capacité à interroger la question. Il faut en effet bien distinguer le sujet de l’énoncé et le problème. Le premier est lu (ave...