PREMIÈRE PARTIE
DANTON, ACTEUR ESSENTIEL DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
CHAPITRE PREMIER
D’ARCIS-SUR-AUBE À PARIS 1759-1789
L’année 1759, celle de la naissance de Georges Danton, le 26 octobre, est une année de défaites de la France face à l’Angleterre dans la guerre de Sept ans (1756-1763). Né plus d’un an après Robespierre, Danton est de la même année que le futur général Rossignol, avec lequel il aura maille à partir en 1793 et que Hérault de Séchelles, exécuté le même jour que lui, le 5 avril 1794. Georges Danton naît à Arcis-sur-Aube, un bourg de la Champagne crayeuse où il rentrera parfois se ressourcer, en pleine tempête révolutionnaire. Son enfance et son adolescence se passent dans un milieu de moyenne bourgeoisie, en quête de reconnaissance et d’ascension sociale, entre Arcis et Troyes. En 1780, il vient habiter un quartier animé de Paris, le district des Cordeliers, comme clerc de procureur. Il est âgé de 21 ans. Neuf ans plus tard, devenu avocat par l’obtention d’un titre à Reims en 1784, puis avocat aux Conseils du roi en mars 1787, marié, père de famille, il va tout naturellement entrer en Révolution lors des premières élections municipales et journées révolutionnaires.
LE (FUTUR) DÉPUTÉ D’ARCIS
Arcis-sur-Aube en 1759 est un bourg de plus de 2 500 habitants (2 800 en 1793), chef-lieu d’un baillage de Champagne, dépendant de la généralité de Châlons-sur-Marne (à une cinquantaine de kilomètres), de l’élection et du baillage de Troyes (à une trentaine de kilomètres). Arcis, mieux connue au siècle suivant par une nouvelle d’Honoré de Balzac, Le député d’Arcis, est un bourg actif, disposant depuis 1751 d’une entreprise de bonneterie florissante, d’une administration pléthorique. L’enracinement des Danton est relativement récent. Le grand-père est considéré comme un laboureur, « paysan », travaillant la « glèbe », alors que le père, Jacques (1727-1762) a d’abord acheté une charge d’huissier en 1750, avant celle de procureur au baillage d’Arcis. Les procureurs, sans diplôme universitaire à la différence des avocats, appartiennent à la petite bourgeoisie de robe. S’ils se situent en bas de la hiérarchie judiciaire, ils peuvent accompagner les plaideurs en justice et jouent un rôle important dans la petite bourgeoisie de province, selon Philippe Tessier. Robespierre, avocat à Arras était de la même condition que son père ; alors que Danton franchira deux échelons dans l’ascension sociale du monde de la justice, celui d’avocat puis d’avocat aux Conseils du roi. Une autre association d’idées est plausible. Robespierre n’a guère connu son père et Danton a perdu le sien à l’âge de 4 ans. Ils seront élevés dans leur plus jeune âge par leurs mères respectives. La famille de Georges est une famille nombreuse. Son grand-père avait eu 8 enfants d’un même lit. Son père, remarié en 1754 à Marie-Madeleine Camut, avait cinq enfants de son premier mariage et en aura quatre de son second. La famille dispose d’une certaine aisance, puisque Marie-Madeleine est fille d’un entrepreneur des Ponts et Chaussées, charpentier. Les oncles de Georges occupent les professions estimées de curé, de maître des postes et de commerçant. L’enfance du jeune Georges est souvent décrite par ses biographes comme heureuse, entre la maison bourgeoise, située près d’un pont et les champs environnants. Lorsqu’il a onze ans, sa mère se remarie avec un filateur de coton, marchand de toile, Jean Recordain. Quatre de leurs enfants ne survivront pas au cours de cette union. La maison, la terre et les environs de la propriété d’Arcis seront évalués à 12 000 livres. On dispose d’un portrait de la mère de Georges, à près de soixante ans, décrite ainsi par Louis Madelin :
« Madeleine Danton-Camut est une aimable vieille qu’on sent ressemblante : sous l’énorme bonnet à commues enrubannées à la mode de 1780, c’est le front de Danton, large et lumineux : c’est, sous la forte arcade sourcilière, un œil vif et ardent — et la bouche dit une certaine causticité. »
Tous les biographes reprennent les anecdotes expliquant l’aspect physique hors normes de Georges Danton, qui a tant frappé ses contemporains :
« ce mufle d’affreux lion qui impressionnera le monde. Un taureau, lorsqu’il avait un an, se jetant sur une vache qui allaitait l’enfant, avait arraché à celui-ci d’un coup de corne la lèvre supérieure : la bouche en garda un ries. L’enfant, instruit plus tard de l’aventure, déclara la guerre aux taureaux : il reçut d’un de ces ennemis provoqué un coup de sabot qui lui écrasa le nez. La petite vérole fit le reste, le laissant couturé. »
On sait peu de choses sur l’enfance de Georges Danton avant qu’il n’entre à 13 ans au séminaire des Lazaristes à Troyes, tout en suivant les cours d’humanités au collège de l’Oratoire de la ville, jusqu’à la classe de rhétorique, à l’été 1775. Ville de près de 30 000 habitants, Troyes est une capitale régionale, une ville connue pour ses établissements ecclésiastiques et pour son activité industrielle et commerciale, fondée sur les étoffes et les draps. Les Oratoriens ont remplacé les Jésuites et donnent une éducation à la fois classique, à base de latin et de culte de héros antiques ; et moderne, dans l’apprentissage des langues, sciences (mathématiques, anatomie), histoire, non sans nourrir des liens spirituels avec les courants jansénistes. Externe, le jeune collégien n’est pas astreint à la discipline de ses compagnons. Il conservera des amis fidèles dans sa carrière révolutionnaire, comme Louis Béon, futur prêtre constitutionnel, qui laissera des Mémoires, et des souvenirs sur Danton sous la Monarchie de juillet. Jules François Paré, plus âgé de quatre ans, le suivra dans toute sa carrière politique, des Cordeliers à la Convention en passant par les bureaux du ministère de la Justice en août 1792, et par le poste de ministre de l’Intérieur au printemps 1793. Edme Bonaventure Courtois, fils de boulanger, âgé de cinq ans de plus que Danton, sera receveur du district d’Arcis, avant d’être élu, avec l’aide de son ami, à l’Assemblée Législative, où il se rapprochera de Marat, et combattra Dumouriez. Ses amis champenois, Paré, comme Courtois, quitteront d’ailleurs la vie politique, au moment de l’arrestation et de l’exécution des Dantonistes, soit par fidélité à la mémoire de Danton, soit pour échapper à la guillotine.
Sans être un élève exceptionnel au point de récolter des prix et récompenses, le jeune Georges est classé parmi les « bons ». Il aurait défendu son condisciple Paré lorsque leur maître, l’abbé Béranger, voulait appliquer la férule sur les doigts de l’ignorant. Faut-il se fier à des Mémoires tardifs pour ancrer la légende dorée de celui qui luttera contre les châtiments corporels et qui découvre certains ouvrages subversifs, dont ceux de Diderot, son auteur préféré, de Jean-Jacques Rousseau, mort comme Voltaire, l’année de ses 20 ans ? La plupart des biographes relatent également une escapade du collégien, âgé de 16 ans, pour assister au sacre du jeune Louis XVI, dans la ville de Reims, proche de 130 kilomètres. Il aurait trompé à cette occasion les autorités du collège et son logeur, monsieur Richard, puis mis les rieurs de son côté, en guise d’excuses ?
À la sortie du collège, se pose la question de l’avenir social de l’adolescent. Son oncle le verrait bien embrasser l’ordre ecclésiastique. Mais la vocation du jeune homme tient à une carrière de juriste, d’avocat, qui l’oblige à quitter Arcis et la vie de province pour Paris avant ses 21 ans. C’est ainsi qu’il voyage, entre Troyes et la grande ville, pour entrer comme clerc dans l’étude d’un notaire, Maître Vinot ; étude située dans l’île Saint-Louis, dans la rue du même nom, en amont de l’île de la Cité. L’île formera sous la Révolution une section de Paris, celle de la Fraternité. C’est un quartier réputé pour ses « palais » et hôtels particuliers, comme l’hôtel Lambert, situé à proximité de l’étude de maître Venot, les ponts, de la Tournelle et Marie, les quais pittoresques.
LA VIE PARISIENNE D’UN JEUNE AVOCAT (1780-1788)
Comme il est coutume chez les provinciaux champenois, le jeune Danton prend un moment pension à Paris, au Cheval noir, une auberge située rue Geoffroy-Lasnier, sur la rive droite, non loin de l’Hôtel de ville, réservée aux Champenois, proche d’hôtels aristocratiques renommés. Pendant 4 ans, il est ensuite logé chez le notaire, en compagnie d’autres clercs, faisant ses universités au Palais et au Chatelet, à l’écoute des grands avocats de la capitale. Dans l’attente de la licence de droit, qui permet d’exercer comme avocat, il doit mener une vie qualifiée d’« austère », de six heures du matin à neuf heures du soir, s’échappant, quand il le peut, au Palais-Royal et au café Parnasse. Il se plonge aussi dans la lecture des philosophes en vogue, essentiellement Montesquieu et De l’esprit des lois ; Diderot, son « grand maître » et toute l’Encyclopédie, qui circule sous le manteau dans le monde de la basoche. Selon Louis Madelin, l’un de ses biographes éminents, au style pittoresque :
« il se dépensait, à ses rares heures de liberté, en exercices violents : paume, escrime et natation, ayant, particulièrement, rep...