Prisonniers du dernier convoi
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Prisonniers du dernier convoi

Récit romancé

  1. 138 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Prisonniers du dernier convoi

Récit romancé

À propos de ce livre

Ce récit romancé, issu de faits réels, relate l'arrestation d'Ignace Kozminski, grand-père de l'auteure, actif dans la Résistance française et fait prisonnier par les Allemands en 1944. Placé de force le 15 août dans l'ultime convoi de prisonniers en route vers un camp de concentration nazi, Ignace Kozminski n'a plus jamais donné signe de vie jusqu'à ce qu'un jour, près de quarante ans plus tard, un appel téléphonique insolite relance auprès de ses proches l'espoir de le retrouver.Ce récit nous fait revivre le parcours de sa famille entre la France, l'Allemagne et le Québec depuis ce jour symbolique du dernier convoi avant la Libération de Paris.

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Informations

Chapitre 1

Elka

Septembre 1940, « Les Anges », Selles-Saint-Denis (France)
Après avoir fui leur terre natale, la Pologne, en raison de la révolution bolchévique de 19171, André Gablowski, Anne et leur quatre enfants, Elka, Edwige, Jean, Joseph, n’ont qu’une idée en tête : trouver un nouveau pays, une nouvelle demeure, où ils pourront tous vivre libres, sans avoir peur de mourir en raison de leurs idéaux. C’est en France que ces exilés trouvèrent refuge et repartirent à zéro. Menant une vie simple, plutôt misérable, ils entretenaient comme ils le pouvaient leur humble lopin de terre situé à Selles-Saint-Denis, petit village campagnard au cœur d’une France occupée depuis peu par les nazis. La vie à la ferme, surnommée « Les Anges », leur offrait juste assez de quoi vivre : légumes, fruits, volailles, vache, blé, etc. Après avoir tout perdu après leur fuite de la Pologne, André, ingénieur de formation, avait misé sur l’éducation de ses enfants, en se disant que ce legs serait probablement le seul qu’il serait en mesure de leur laisser après sa mort. Il n’y avait donc pas de place pour la médiocrité, la paresse ou l’oisiveté. À la ferme d’André, personne n’était en vacances. C’était la survie au quotidien, surtout en cette période de guerre que l’on tentait d’oublier, chacun vaquant à ses tâches et se concentrant sur le présent.
Elka, l’aînée des filles, qui deviendrait des années plus tard ma grand-mère, n’en pouvait plus de subir l’attitude parfois tyrannique de son père. Celui-ci, au fond, ne voulait que protéger ce qu’il avait de plus cher : sa femme et ses enfants. Maintenant âgée de 22 ans, Elka n’avait qu’une idée en tête : fuir et quitter la ferme de ses parents. Il lui fallait se marier et vite, mais avec qui ? Son père n’avait jamais accepté qu’un homme l’approche sauf, bien sûr, ses deux frères, Joseph et Jean, qui se plaisaient à faire la loi auprès de leurs deux sœurs. Le seul homme peut-être serait… Elle n’eut pas le temps de mener à terme ses pensées que son père arriva, les bras chargés de foin à donner aux bestiaux. Dans un polonais qu’elle feignait d’ignorer (elle avait appris le français à l’école), il lui faisait la leçon, comme à son habitude.
– Alors Elka ! Toujours en train de rêvasser quand nous avons tant de travail. Ici, il n’y a pas de place pour la lenteur et tu devrais le savoir. Ton tas de foin n’a même pas diminué et tu as tout le tas de fumier à pelleter avant la nuit ! Tu ne rentres pas tant que ton travail n’est pas terminé.
– …
– C’est bien. Surtout ne me réponds pas. Fais semblant que tu ne comprends pas quand je te parle. Tu apprendras, ma fille, que c’est en polonais que tu as été élevée et que c’est en polonais que tu élèveras tes enfants. Le français, c’est à l’école, pas à la ferme. Quand je pense que notre culture et notre langue sont notre unique héritage et que mes enfants se plaisent à les ignorer après tous les sacrifices que votre mère et moi avons faits pour vous. Allez ! Mets-toi au travail avant que je ne perde encore plus patience.
Une fois son père sorti de la grange, Elka éclata en sanglots. Edwige, qui n’avait rien manqué de la scène, essaya en vain d’apporter un peu de réconfort à sa sœur. À peine mit-elle sa main sur l’épaule de sa sœur que celle-ci la rejeta avec violence.
– Arrête avec ta compassion… Ne fais pas celle qui comprend. Laisse-moi ! Comme tu le sais, dit-elle sur un ton sarcastique, nous avons beaucoup de travail si nous voulons dormir dans notre lit ce soir et ne pas tenir compagnie aux cochons.
Elka poussa sa sœur, prit sa fourche et se mit à répandre avec force la paille dans les stalles pendant que les énormes chevaux de trait, Rafale, Boule et Timoré, attentifs à ses gestes, tentaient d’attraper quelques brins au passage. Elle s’avança vers Boule, son préféré, et lui enlaça le cou un court instant, le regard perdu au loin. Boule lui apportait calme et réconfort. Il poussa la tête d’Elka affectueusement de son museau, puis brouta calmement tout en observant celle-ci avec son regard doux. La jeune femme se dit que son cheval allait lui manquer quand elle partirait et, elle le savait, elle partirait très bientôt. Il ne restait qu’à convaincre Ignace, enfin s’il était intéressé, de l’épouser. Pourtant, cette pensée ne la soulageait pas autant qu’elle l’aurait souhaité. Ses yeux verts, légèrement bridés, laissaient transparaître une inquiétude. Qu’allait devenir sa mère sans elle ? Sa sœur Edwige allait se marier au printemps avec Bernard, un jeune Français, que d’ailleurs son père n’aimait pas. Il n’y aurait plus alors que Joseph et Jean à la maison, qui ne tarderaient pas eux aussi à se marier et à trouver une terre sur laquelle s’établir. Elka se sentait coupable, très coupable, de penser à fuir, mais c’en était trop. Elle reviendrait aider sa mère de temps en temps, sa mère au regard éteint et triste, nostalgique d’une Pologne quittée prématurément. Ses mains avaient été usées par le travail ardu et incessant. Édentée, elle souriait en prenant bien soin de serrer ses lèvres l’une contre l’autre, non pas par coquetterie, mais parce qu’elle avait honte d’être celle qu’elle était devenue à cause de son entêté de mari et de son obsession pour le travail. Autrefois ingénieur, il ne supportait pas d’être tombé si bas et en faisait payer le prix à ceux qu’il aimait le plus. Anne s’activait aux côtés de ses enfants dans les champs, sans se plaindre, du matin au soir, ne s’esquivant que pour préparer les repas ou faire la lessive.
Dès que la lumière du jour cédait sa place à la Grande Ourse, la ferme redevenait alors paisible, calme et silencieuse. Le feu s’éteignait lentement dans le poêle à bois et le froid emplissait la vieille maison de pierre, saisissant chacun d’un frisson glacial. Il était bon alors de pouvoir se blottir dans les chaudes couettes qu’Anne avait bourrées avec les plumes des oies de la ferme et cousues à la main pour chacun. Elka et Edwidge partageaient le même lit, faute d’en avoir un deuxième. Petites, elles y voyaient un avantage extraordinaire : elles se racontaient des histoires, riaient en silence et se disaient des secrets que nul ne devait jamais connaître. C’était les meilleures amies du monde jusqu’au jour où un sentiment de jalousie empoisonna le cœur d’Elka. D’abord, elle eut l’impression qu’Edwige était la préférée de leur père, qui fermait les yeux sur sa lenteur à exécuter les tâches de la ferme, puis ce fut Bernard, le plus beau garçon du coin, qui devint follement amoureux de sa jeune sœur. Pourtant, elles se ressemblaient à un point tel qu’on pouvait les confondre lorsqu’elles se trouvaient l’une à côté de l’autre. Elles avaient toutes deux les cheveux châtain clair, frisottés, tombant lourdement sur leurs épaules carrées. Leurs yeux verts, à travers lesquels émanait une lumière dorée comme du miel, étaient légèrement bridés, tout comme ceux de leurs parents. Bien que de petite taille, les deux sœurs étaient robustes, à force de travailler longuement dans les champs. La seule différence qui permettait de les distinguer provenait de la profondeur de leur regard et de l’expression de leur visage. Edwige paraissait plus épanouie et souriait peu importe ce qui arrivait. Elle avait des pommettes saillantes, parsemées de taches de rousseur, qui semblaient briller lorsqu’elle éclatait de rire. Elka, quant à elle, avait un regard perçant, qu’on ne pouvait toutefois pas voir facilement, car elle marchait toujours la tête baissée. Elle souriait rarement et avait l’air morose. Elka faisait partie de ces êtres habités par un vide existentiel que rien ne pouvait combler, comme si elle se sentait prédestinée au malheur. Ce sentiment était si violent qu’elle avait parfois l’impression de cesser de respirer et d’étouffer dans un gouffre intérieur. Est-ce en raison de ce côté plutôt mélancolique et taciturne que Bernard ne s’était pas intéressé à elle ? Elle ne voulait même pas le savoir parce que, de toute façon, ce grand garçon plutôt maladroit ne l’intéressait pas du tout. Cependant, elle enviait sa sœur d’avoir l’air si heureuse, de faire semblant du moins, ou peut-être l’était-elle vraiment, après tout, heureuse ?
Bernard avait fait sa demande auprès d’André deux mois avant la moisson afin que les préparatifs du mariage puissent avoir lieu une fois les récoltes et les vendanges terminées. André avait accepté même si, au fond de lui, il avait toujours rêvé que sa fille épouse un Polonais. Toutefois, comme ce futur gendre avait une bonne situation sociale – il était maître-cordonnier et possédait sa propre boutique à Angoulême, en Charente –, il savait l’avenir de sa fille cadette assuré. Lors de sa grande demande, du haut de son 1,80 mètre, Bernard Leblanc avait serré la main d’André, beaucoup moins grand que lui, et avait offert à Edwige une petite bague en or ornée d’une perle qui lui venait de son arrière-grand-mère paternelle. André avait été touché par ce geste, alors que Anne, en son for intérieur, trouvait qu’il aurait pu trouver mieux pour être à la hauteur de sa fille chérie.
Elka avait observé du coin de l’œil ce cérémonial, qu’elle trouvait complètement farfelu, assise aux côtés de ses frères et de ses parents, tradition oblige. En réalité, elle était verte de jalousie et mourait d’envie d’être à cet instant dans la peau d’Edwige, qui allait enfin pouvoir quitter l’enfer des Anges d’ici à quelques mois à peine. En fait, elle allait se marier le 4 octobre 1941. C’est à la lumière d’une lampe à l’huile qu’Anne travaillait parfois tard le soir aux dernières retouches de la robe de mariée que porterait sa fille cadette. Anne ne voulait pas que sa fille porte sa propre robe de mariée, comme c’était la tradition, car elle croyait qu’elle lui porterait malheur. Son mariage avec André ne lui avait apporté que misère et tristesse, bien qu’ils n’eurent jamais manqué de rien. Elle envisageait des jours meilleurs pour sa fille, malgré la guerre qui continuait de faire des ravages.
Dans la noirceur la plus profonde, Elka tentait de percer du regard l’opacité de la nuit, cherchant du même coup à entrevoir quelque ombre dans la pénombre. Plus qu’un mois et elle dormirait seule, enfin ! Plus qu’un mois et elle serait seule, terriblement seule, au comble du désespoir. En dépit de l’ambivalence de ses sentiments envers sa sœur, celle-ci allait lui manquer. Sa jalousie ne l’empêchait pas de l’aimer. Elles avaient partagé tant d’événements ensemble, parcouru tant de chemin, du Danemark à la France, souffert de la faim tant de fois. Mais tout cela était derrière elles, du moins elle essayait de s’en convaincre, car la guerre, celle qui avait chassé sa famille de leur chère Pologne, faisait toujours rage. Cette guerre née de la haine d’un homme d’origine autrichienne nommé Hitler. Bien que la France fût occupée par l’ennemi depuis la fin juin 1940, la vie à la ferme n’avait pas beaucoup changé, malgré le rationnement imposé aux citoyens français. La venue fréquente d’officiers allemands à la ferme mettait la famille sur le qui-vive. André faisait tout pour leur plaire et n’hésitait jamais à leur offrir des produits de la ferme, ce qui l’horripilait intérieurement, mais avait-il le choix dans ce contexte ? Il savait que les Allemands entretenaient une certaine aversion pour les Slaves2. Aussi, il prenait soin de s’adresser à eux dans un allemand parfaitement fluide. Cette forme de politesse leur plaisait, bien évidemment, et ils en venaient d’ailleurs presque à oublier les origines polonaises de la famille Gablowski, voire à concevoir une certaine sympathie pour ces travailleurs de la terre.
En entendant son estomac crier et briser le silence de la nuit, Elka se dit qu’elle ne trouverait jamais le sommeil. Et pourtant, au chant du coq, Edwige la poussa doucement hors du lit pour qu’elle se lève et aille prendre rapidement son petit-déjeuner avant d’aller rejoindre les autres dans les champs. Le soleil tentait de percer à travers les volets de la chambre. Elka les ouvrit dans un geste machinal et une lumière bienfaisante inonda la petite chambre des deux sœurs. En voyant ce spectacle, comme chaque matin, Elka éprouva un sentiment d’espoir parce que, pensait-elle, derrière tant de misère se cachait aussi de la beauté. Elle se dit qu’après tout il y avait une solution pour chaque problème, comme son père le lui avait enseigné.
En effet, rien n’était impossible pour lui. Il suffisait de le vouloir vraiment, parole d’immigrant. Donc, c’était décidé : elle parlerait à Ignace, leur voisin, ce matin même ! Tiens… Pendant qu’il s’affairerait à réparer la clôture de l’enclos, elle lui apporterait le petit goûter qu’Anne lui préparait chaque jour et lui parlerait à ce moment, en espérant que son père ne la surprendrait pas.
Les yeux bouffis par le manque de sommeil, Elka voulait tout de même paraître à son avantage devant Ignace. Elle lava son visage à l’eau glacée, puis fit une queue de cheval avec ses longs cheveux et y attacha un ruban en prenant bien soin de le laisser pendre afin d’égayer et d’enjoliver sa tenue. Après tout, c’était dimanche et sa mère serait satisfaite de la voir bien mise en ce jour de soi-disant repos, sauf pour les fermiers. Elle mit sa robe de travail bleu marine, qui lui donnait toujours un air rigide avec ses grosses bottines brunes, et frotta quelques taches ici et là, qui ne tardèrent pas à disparaître. Elle passa encore une fois son visage à l’eau glacée pour faire rosir ses joues et aviver son teint invariablement pâle malgré des heures passées sous le soleil. Sa mère ne savait d’ailleurs pas d’où provenait cette singulière carnation blanche puisque, dans la famille, tous avaient le teint cuivré depuis des générations. Elka descendit donc la dernière à la cuisine et réussit de justesse à s’approprier le dernier bout de pain qui restait. Elle l’avala rapidement avec du beurre frais et de la confiture de groseilles préparée par sa mère. Un énorme bol encore fumant de lait de chèvre l’attendait à sa place habituelle. Anne, arborant une mine inquiète et découragée, lui dit de se dépêcher avant que son père ne découvrît son absence dans l’étable. Pour une fois affichant un air fier et taquin, Elka plongea son regard dans les tristes yeux bleu-gris de sa mère et lui sourit simplement en guise de remerciement. Pourrait-elle un jour lui dire combien elle l’aimait ?

1  « La révolution russe de 1917 ». Larousse. Page consultée le 30 octobre 2017.
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/r %C3 %A9volution_russe_ de_1917/140738.
2  Peuple d’Europe centrale et orientale parlant une langue de la même famille (Polonais, Biélorusses, Tchèques, Slovaques, etc.).

Chapitre 2

Ignace

La famille d’Ignace Kozminski habitait la ferme voisine. Ils avaient dû, eux aussi, quitter leur pays natal, la Pologne, après la Première Guerre mondiale, à cause du communisme qui faisait des ravages et affamait de plus en plus de familles. Ses parents avaient donc décidé de tout laisser derrière eux et de partir vers des cieux plus cléments, qu’ils espéraient trouver en France. Ignace est né en 1919, à Dobrowice, en Pologne, et sa sœur, Geneviève, est née en 1917, à Kiev. Ignace et Geneviève ont grandi dans une famille où chacun respectait ce que la nature avait à donner. La ferme des Kozminski était petite et offrait une variété restreinte de produits, ce qui obligea Ignace à trouver du travail dans une autre ferme des alentours pour aider à subvenir aux besoins de sa famille. C’est de cette manière qu’André avait bien voulu offrir un peu de travail au jeune homme, étant donné la lenteur de sa « main-d’œuvre », comme il l’appelait, en parlant de ses enfants, bien sûr.
Quand on voyait Ignace, on ne pouvait pas le manquer. Il était vif et agile, ne s’arrêtant jamais, sauf pour reprendre son souffle, passant alors la main dans sa chevelure, dorée comme le blé fraîchement récolté. Il n’était pas très grand, comme beaucoup de Polonais de sa génération, mais il possédait une très grande force. Une force telle qu’on l’avait même déjà vu rattraper un cheval de trait qui avait décidé d’en finir lui aussi avec la vie des Anges et de partir à la découverte de prés plus verts. Personne ne venait à bout d’attraper ce fougueux animal, pas même André qui, du haut de sa charrette, fouettait ses bœufs, de plus en plus haletants, pour tenter de rejoindre le cheval en fuite. Tandis que l’attention était tournée vers cette scène loufoque, personne n’avait remarqué ce petit bout d’homme de 23 ans courir vers le fugitif, arriver à sa hauteur et l’arrêter en lui mettant le mors aux dents dans un geste que l’énorme bête, soudain prise au piège, n’avait pas vu venir. Les prés tant rêvés devraient attendre. André, froissé dans son orgueil, avait remercié poliment Ignace, pendant que ses bœufs épuisés par un tel exercice s’affalaient sur le sol tentant de récupérer leur souffle. Toute la famille Gablowski avait suivi avec beaucoup d’intérêt cette course folle et, depuis ce jour, Ignace inspirait le respect.
Une fois le soleil à son zénith en cette magnifique journée d’automne, malgré le vent qui soufflait annonçant des jours de pluie, Elka prit le panier d’osier préparé comme à l’habitude par sa mère et se dirigea vers Ignace. Le jeune homme avait les traits tirés à cause d’une mauvaise nuit passée à se tracasser au sujet de la guerre et de l’incertitude qui régnait en France. Sa jeune voisine s’avança lentement, le vent faisant tournoyer doucement ses cheveux et le ruban qui y était noué. Ignace ne leva même pas la tête, trop affairé à soulever des planches de bois et à les clouer sur l’enclos endommagé. Déçue de l’échec de cette première tentative de séduction, Elka passa au plan B. Elle s’adressa à lui en français, même si elle lui avait toujours parlé en polonais. Elle changeait de langue selon ses humeurs ou les sujets de conversation. Cette fois, elle jouait sa vie et c’est le français qui prit le dessus.
– Bonjour Ignace ! Tu dois mourir de faim ! dit-elle nerveusement, redoutant à tout instant la présence d’André.
– Ah ! Elka ! Merci, tu remercieras ta mère de ma part. Elle est toujours aussi attentionnée envers moi.
– Oui… Ignace… Je dois te parler, sérieusement. Ce soir peut-être ?
Elka devint soudain très nerveuse et son regard plongea dans celui d’Ignace, ce qui ne s’était pas produit depuis longtemps. Il pensa alors qu’elle devait être malade ou que quelque chose n’allait pas dans la famille. Mais ce soir… Il avait donné rendez-vous à des amis dans ...

Table des matières

  1. Couverture
  2. 4e de couverture
  3. Copyright
  4. Titre
  5. Dédicace
  6. Remerciements
  7. Avant-propos
  8. Introduction
  9. Prologue
  10. Chapitre 1 : Elka
  11. Chapitre 2 : Ignace
  12. Chapitre 3 : Les premiers résistants de l’Affiche rouge
  13. Chapitre 4 : Un mariage
  14. Chapitre 5 : Le colis
  15. Chapitre 6 : La fuite
  16. Chapitre 7 : Rafale
  17. Chapitre 8 : Étrangers dans leur pays
  18. Chapitre 9 : Pour le meilleur et pour le pire
  19. Chapitre 10 : Garçon de laboratoire
  20. Chapitre 11 : Le pont
  21. Chapitre 12 : Bébé Jean-Paul
  22. Chapitre 13 : Septembre 1944
  23. Chapitre 14 : Éric, le prisonnier allemand
  24. Chapitre 15 : Les fantômes du passé
  25. Chapitre 16 : Matricule 77404
  26. Chapitre 17 : Madame, vous êtes nazie ? »
  27. Chapitre 18 : Lâcher prise
  28. Chapitre 19 : Le retour
  29. Chapitre 20 : (L’entre)-temps
  30. Épilogue
  31. Mot de la fin
  32. Webographie
  33. Table des matières