…et là-bas ils se rassemblèrent jusqu’à ce que ce sadique de Palitzsch arrive avec son bâton et son chien et emmène tous ces gens dans des camions. Je travaillais précisément à cette époque dans le Lagerreinigung et j’avais été réquisitionné pour aider à charger les gens [sur les camions]. Il y en avait qui ne pouvaient plus marcher et il fallait les soulever pour les déposer dans le camion, mais tout cela se faisait à un rythme accéléré. À un moment donné, ce sadique s’exclame : « Langsam mit den Leuten ! Parce que ces personnes sont faibles, apportez vite des bancs pour ces gens-là ! Et doucement ! » Nous sommes tous restés abasourdis, nous ne comprenions pas ce que cela signifiait. Mais ce n’était qu’une façade, un stratagème de ce sadique, car vingt minutes plus tard, ces gens étaient achevés de sa propre main.
Un travail macabre : Kommando de nivellement
Mon cœur pleurait en moi quand je travaillais.
Une fois, mais pas longtemps, je travaillais dans un Kommando qui était dénommé Planierung 2, et qui était très redoutable. Il y avait là-bas un Kapo, un Allemand du Reich, un sadique, un assassin. Si on parvenait à lui résister deux semaines, c’est qu’on était plus dur que l’acier. Je n’ai pas travaillé longtemps là-bas, mais mon cœur pleurait tous les jours. J’étais pourtant plus dur que l’acier. J’avais été affecté à un travail exceptionnel. Nous devions tamiser la cendre des crématoires et, avec l’espèce de sable qui en résultait, on refaisait les routes. C’était très dangereux pour nous, car notre cœur saignait en nous pendant ce travail, mais nous n’avions pas le choix, nous savions que, de toute manière, nous avions tous perdu la partie. Mais j’ai toujours gardé le moral et je ne me suis jamais laissé gagner par un espoir fallacieux .
La violence permanente
Quand c’était [pour choisir] un Kommando de travail, nous courions comme des fous pour en trouver un bon, c’est-à-dire une équipe où on ne rentrait pas le soir à moitié morts, et où on ne recevait pas trop de coups de bâton. Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, le bâton fonctionnait et les chiens nous mordaient sans pitié. Et ces bandits étaient impitoyables, eux qui portaient des manteaux imperméables et fourrés, et nous, nous tombions comme des mouches. S’il m’arrivait de jeter un regard de travers, c’était 25 coups [de bâton sur le postérieur], et 50 pour un soupçon. Oh, nous avions les cœurs bien endoloris, et il fallait se fortifier le cœur. Moi, lorsque je suis entré dans le Kommando que je voulais, j’étais heureux et…
Une désinfection au Block 9 doublé d’un appel qui tourne au massacre
Je me souviens qu’une fois il y avait une désinfection de groupe dans mon Block. C’était le Block 9.
Le Blockältester s’appelait Ludwig, il mesurait deux mètres de haut. Un bel homme, en meilleure santé qu’en temps de paix. C’était un condamné politique et aussi un criminel invétéré. Au camp, il avait la réputation d’être le meilleur et cette réputation n’était pas usurpée. Il aimait bien la propreté et il veillait à ce que les détenus soient propres, qu’ils aient chaud dans leur Block et qu’ils reçoivent normalement leur ration, ce qui est juste. Sous ce rapport, on ne peut rien dire, il était normal. Mais si la discipline n’était pas respectée comme il l’entendait, il vous battait à mort.
[Donc] un jour, il y eut un incident inhabituel. C’était au cours d’une désinfection contre les poux, qui devait avoir lieu de toute façon, qu’il fasse chaud ou froid était indifférent. On était en octobre et il faisait déjà bien froid, qui plus est, venteux. Là-bas, [en raison du climat continental] c’est une région très froide en hiver. La désinfection des poux a donc commencé et le Blockältester restait toujours présent pendant l’opération. Tout le Block dut se déshabiller, mais le local de désinfection était à 300 mètres du Block. En plus, il fallait passer tout nu devant le Blockältester pour montrer qu’on n’avait pas caché de chiffon. Puis, tout nu, il fallait passer la porte et courir dans le froid, courir le plus vite possible et entrer dans le Block [de la désinfection] ; il faisait si froid que de nombreux détenus se retrouvèrent après la désinfection au Krankenbau, pour finir gazés. Mon tour de passer devant le Blockältester allait arriver, mais je ne passai pas si facilement, parce que je reçus d’abord une jolie volée de coups à cause du fait que je n’avais pas un vrai pull-over , mais un pull-over de papier-ciment, ce qui était très rare, mais je me l’étais « organisé » en échange de mes rations de pain, et j’avais bien chaud, si on peut dire… Dès que le Blockältester a remarqué cela, il m’a allongé deux gifles qui m’ont privé d’audition pendant deux heures. J’ai dû immédiatement détruire mon « vêtement » sous ses yeux, puis courir le plus vite possible jusqu’à l’autre Block. Et précisément, il tombait à ce moment une pluie épouvantable.
J’ai résisté à cela aussi, mais entre-temps c’était l’heure du déjeuner et il y eut l’appel. Alors le Blockältester a négocié avec le Blockführer , qui était un SS : comme c’était la désinfection et que les hommes étaient tout nus, il valait mieux faire l’appel à l’intérieur du Block, et ce fut accordé. Nous voilà donc allongés dans nos Buxes , sortant nos têtes à l’extérieur. On se mit à nous compter. Si quelque chose clochait, alors on recomptait. S’il en manquait un, alors on recomptait encore. Pendant ce temps, tout le reste du camp était dehors à l’appel, debout sous une pluie battante. Quant aux SS, cela ne les dérangeait pas, ils étaient revêtus de très bonnes capes de caoutchouc.
Ensuite, tous ces sadiques, le Rapportführer, le Lagerführer, tous sont entrés dans notre Block, et aussi le Blockführer. À l’intérieur du Block, il y avait donc 900 hommes nus, et il régnait un silence impressionnant pendant le comptage. Ils comptaient et comptaient, et chaque fois il en manquait un. Nous étions sûrs qu’il faudrait ressortir sur la place devant le Block pour faire l’appel. Cela ne tarda pas ; nous entendîmes un ordre : « Tout le monde dehors, et plus vite que ça ! », et les bâtons de voler. En cinq minutes, nous étions tous dehors, horriblement recroquevillés, malades, brisés, desséchés, épuisés. L’un de nous gît sur le sol et dit : « Ils peuvent me tuer, cela m’est égal ; de toute façon, on est foutus. » Il y eut plus de 200 morts.
Ce moment-là est indescriptible. Non, vous ne pouvez pas vous imaginer la panique qui régnait alors. Précisément tous les sadiques se trouvaient là. Eux-mêmes ont cassé je ne sais combien de bâtons, c’est inimaginable, jusqu’à ce que tout le Block se trouve debout en rangs, comme un régiment de leurs sadiques de soldats. Pendant que le Lagerkommandant et le Rapportführer comptaient eux-mêmes, le Blockältester tremblait comme une feuille : en effet, il était rarissime que le Lagerkommandant et le Rapportführer soient eux-mêmes obligés de compter. Ils s’y reprirent à trois ou quatre fois, et pourtant il en manquait toujours un. Tout le personnel et tous les Blockälteste du camp aidèrent à chercher dans le Block l’individu manquant. Dehors, il continuait à pleuvoir terriblement, c’était épouvantable. Alors le Lagerkommandant a ordonné que les Blockälteste cherchent seuls à l’intérieur du Block. Ils y ont trouvé un homme dissimulé dans un sac de paille. Représentez-vous les coups que ce malheureux a reçus. Il aurait de loin préféré la mort. Chacun de ces bandits voulait faire sa Bonne Action et cassait son bâton sur cet homme-là. Ce détenu était un rabbin hollandais, un homme distingué, mais cela ne changeait rien : ils l’ont tué sur place.
Cette scène, telle qu’elle s’est déroulée ce jour-là, avec cet homme qui suppliait qu’on lui pardonne [est restée dans ma mémoire]. Plus il suppliait et plus ils le torturaient, et ils s’amusèrent avec lui jusqu’à ce qu’il rende l’âme, comme une bougie qui s’éteint.
Ce jour-là, il y eut certainement 1 000 morts dans le camp. Ce fut un des jours les plus tragiques. Moi-même j’ai contracté, comme pour me rappeler, une maladie chronique, un rhumatisme, et je lui associe ce souvenir.
Un autre criminel sadique : le SS Moll
Je me souviens encore des faits suivants, particulièrement terribles.
Il y avait un sadique qui s’appelait Moll, un des plus grands assassins que la terre ait porté. Ce meurtrier avait des plaisirs particuliers : il passait son temps libre à se promener avec son grand molosse tueur parmi les Kommandos et à lâcher son chien sur les personnes faibles et malingres pendant qu’ils travaillaient dur. Le chien renversait les détenus à terre, déchirait leurs habits. Et ce type restait debout à côté en ricanant de manière sadique avec son gros cigare dans la gueule. Mais comme les détenus n’avaient plus leur tenue, aussitôt Moll réclamait le Kapo et lui faisait renvoyer ces hommes au camp.
En réalité, seulement jusqu’à la porte du camp, que l’on ne franchissait que le soir en revenant du travail. Les gens restaient debout à la porte toute la journée, pour le plus grand amusement des SS. Il y avait des femmes et des hommes, nus toute la journée devant la porte, jusqu’à ce que tout l’effectif du camp soit rentré et que les 10 000 femmes soient passées. Les SS exultaient lorsque les esclaves défilaient, de même que leurs sadiques soldats, et par derrière, à la suite de chaque Kommando, on portait les 15 à 20 cadavres de détenus qui étaient morts au travail.
Et la musique à la porte jouait bien fort, matin et soir. C’étaient les meilleurs musiciens recrutés parmi les détenus, une quarantaine environ. C’était épouvantablement triste, nos cœurs baignaient dans l’amertume. Le matin, chaque Kommando sortait, avec ses hommes reposés et en forme ; le soir, chaque Kommando rapportait ses 15 ou 20 morts, et nous-mêmes revenions épuisés, brisés de fatigue, sales, nous éreintant à porter les cadavres.
Quant à ce sadique de Moll, il faisait de telles facéties que, uniquement pour cela, il faudrait officiellement le coincer, le découper en morceaux et les jeter à ses chiens, pour qu’ils le bouffent. C’était lui le dirigeant en chef des crématoires .
Un jour, je l’ai vu moi-même saisir un enfant par les jambes et le fracasser contre un mur, avant de l’achever d’une balle. Une autre fois, je l’ai vu avec un enfant de 6 ans. Il l’a pris sur son bras, jouait avec lui. En riant avec l’enfant, il lui donnait du chocolat. Mais soudain, sans rien [dire], mû par ses pensées sadiques, il le précipita par terre, et le tua d’une balle. Il se campa ensuite avec son cigare dans la gueule et s’esclaffa de manière sadique....