Entre les mots
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Entre les mots

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Entre les mots

À propos de ce livre

Entre les mots est, comme son titre le suggère, une autobiographie lacunaire. Le lecteur friand de confidences risque d'être quelque peu déçu. Ce texte n'a pas non plus été écrit dans l'idée de fournir un document, encore un, à l'histoire de la Shoah. J'ai souhaité y suivre le parcours affectif et événementiel d'un couple et d'une fillette survivants qui, en apparence, ont eu plus de chance que d'autres. Et pourtant... Pour qui voudra bien y prêter attention, l'essentiel de cette tragédie juive du XXe siècle se cache « entre les mots ».

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Informations

Première partie

Le rabbin de Gur, Avraham Mordechaï Alter.
En 1938 mon arrière-grand-père maternel, Izhak Meir Gutter, rentra à Lodz d’un voyage en Palestine, réunit sa famille, caressa sa barbe fleurie et déclara : « J’ai vendu les terrains que j’avais à Jérusalem, les filles s’y habillent indécemment. » N’ayant pas perdu le sens des affaires pour autant, et se méfiant du sort des actions en Bourse qui perdaient de leur valeur, le patriarche acquit encore quelques immeubles dans la grande ville industrielle de Lodz. Il y vivait depuis toujours, et y possédait une entreprise prospère : les vins kasher Zlote Grono destinés à la Pologne juive orthodoxe. Il me reste le souvenir des capsules aux couleurs vives qui garnissaient les goulots des bouteilles avec lesquelles je jouais enfant.
Lodz comptait alors deux cent cinquante mille juifs, soit 37 % de la population totale. C’était aussi la deuxième ville de Pologne après Varsovie. Grand-père employait une grande partie de la famille dans son affaire – ses décisions par conséquent, engageaient tout le monde. Le 1er septembre 1939, les nazis envahirent la Pologne. Tous les nôtres, à l’exception de mes parents et moi, de quelques cousins qui survécurent aux camps, font partie des six millions de victimes qui périrent dans la boucherie collective.
Mes parents appartenaient à des familles ultra orthodoxes connues et respectées, adhérant à la mouvance hassidique de Gur, la plus puissante en Pologne. Ses membres avaient une réputation d’intelligence et du sens des réalités. Mon père, Avraham Krol, était le sixième d’une tribu de huit fils et filles (vivants) de Mordechaï Nissan Krol et de Sara Chana Rotenberg. Grand-père, le fils aîné des douze enfants de Aharon Krol, était fonctionnaire de l’État polonais. Il avait la charge de grand rabbin et de juge en matière religieuse 1. Ce devait être un bel homme à en croire les témoignages des gens qui l’ont connu, et un portrait de lui que nous avons découvert en Israël.
Je me souviens à travers un brouillard de son allure élancée et de son charme qui agissait déjà sur la petite fille que j’étais avant sa déportation. Papa disait que son père, qu’il aimait et admirait, n’avait pas la fibre paternelle, trop pris par ses activités pour se préoccuper de la vie intérieure de sa progéniture. Il estimait suffisant de subvenir aux besoins de ses enfants et de veiller à sa façon à leur avenir. En revanche, c’était un mari très attentionné et courtois qui a dû éprouver un choc terrible à la mort de sa femme. Au bout d’un an de deuil, contraint par sa fonction de grand rabbin d’avoir une maîtresse de maison, il a fait un mariage de convenance avec une riche veuve de très bonne famille que les enfants détestaient. C’est aussi de cette manière qu’il programmait les partis pour ses enfants – fortune et rang social. De l’avis unanime, Mordechaï N. Krol était d’une intelligence supérieure, très religieux et en même temps très souple et très humain quand il s’agissait de résoudre
Mordechaï Nissan Krol,
le grand-père paternel de Thérèse Malachy-Krol.
les problèmes qu’on lui soumettait. Il était capable, par exemple, de déclarer un poulet kasher lorsque la personne qui le lui présentait n’avait, d’évidence, pas les moyens de s’en offrir un autre. Médiateur hors pair, en matière juridique, il réussissait là où d’autres avaient échoué. Sa grande maison servait souvent de centre de conférences rabbiniques de la Pologne orthodoxe.
Avant sa disparition à Varsovie, il m’a offert une ombrelle rouge à pois blancs, et son image est gravée dans ma mémoire plus clairement que celle de mes autres proches que j’aimais sans doute autant sinon davantage.
Ma grand-mère paternelle était la fille unique d’un couple à qui il avait fallu de longues années pour avoir un enfant. Je ne sais pas grand-chose d’elle sinon qu’elle était probablement morte de chagrin peu de temps après le décès de son fils aîné qui s’était rendu malade pour échapper au service militaire dans l’armée polonaise. Papa avait alors quatorze ans. C’était donc en 1926.
Mon père était né à Lodz vers le milieu de septembre 1912. Il ignorait, disait-il ironiquement, le jour exact de sa naissance car dans sa famille on n’attachait aucune importance aux dates anniversaires.
À travers les récits de mes parents, j’ai deviné qu’après la mort de la mère, il y avait des tensions entre les sœurs aînées de mon père (la dernière Blumcia était en bas âge) Glike, Chaya et Rivka (cette dernière a émigré en Palestine avec sa famille en 1933, survivant ainsi à la Shoah, mais les rapports viciés entre mon père et elle se sont achevés par une rupture définitive). Mal mariées, les trois sœurs faisaient visiblement passer leur frustration sur leur entourage le plus proche car à l’époque, il en fallait davantage pour divorcer.
Les hommes, Shlomo Noach, mon père et son cadet Moshe, s’entendaient bien. Il est vrai qu’ils avaient eu de la chance. Mon oncle et mon père étaient heureux en ménage, Moshe, au moment de la guerre était encore un tout jeune homme fin et délicat. Shlomo Noach, de vingt ans au moins l’aîné de papa, avait fait une grande partie de son éducation intellectuelle. Esprit universel, très savant, grand joueur d’échecs, Shlomo Noach était devenu athée militant à la quarantaine, sans rien changer à ses habitudes. Pour s’assurer, néanmoins, de la reprise du flambeau de l’athéisme par son fils aîné Abram, il l’a expédié à Paris en 1938. Le jeune homme avait dix-neuf ans et avait été auparavant sevré de la culture juive par son père qui ne s’est pas privé pour autant de reprocher son ignorance à son fils. Abram n’a jamais cessé de ruminer cette contradiction paternelle.
À Paris, il devait prendre contact avec l’un de mes grands-oncles Krol qui y était déjà installé comme chirurgien ophtalmologiste. Digne rejeton d’une famille peu ordinaire, ce frère de mon grand-père aurait pu être inventé par Bashevis Singer. Pour pouvoir émigrer en France, il avait séduit une riche divorcée (ou veuve ?) qui l’a suivi à Paris. Grand dandy devant l’Éternel et amateur de belles voitures, cet oncle a fait face aux événements de 1940. Il s’est engagé dans la Résistance, il a été arrêté et fusillé puis décoré après la guerre à titre posthume.
Abram qui avait commencé, sans trop de conviction, des études d’ingénieur s’est engagé dans la Légion étrangère, pour être naturalisé, et stationné en Algérie. Il était maintenant seul au monde. Le contact avec les siens avait été rompu dès l’invasion de la Pologne. La Légion étrangère, où le jeune juif « galutique » avait été recruté avec des voyous polonais a été pour lui une épreuve à la fois insupportable et comique. Il a tenu bon jusqu’au jour où on lui a volé Le Petit Larousse, son seul compagnon d’infortune. Un des légionnaires polonais lui a avoué l’avoir subtilisé pour le troquer contre une bouteille de vodka. À partir de là, Abram a pris la poudre d’escampette, il a rejoint Paris occupé et a survécu tant bien que mal en travaillant ça et là en tant que tourneur et en apprenant la sculpture. C’est ainsi que naquit sa véritable vocation : il sera peintre.
La famille Krol était ce qu’on pourrait appeler, en utilisant un oxymoron, une « bohème hassidique ». La plupart d’entre eux étaient doués d’une vive intelligence et d’un tempérament d’artiste. Ils avaient presque tous une propension à l’anticonformisme. Deux de mes grands-oncles chantaient, une de leurs sœurs était sculpteur. Elle avait achevé ses études à Lausanne, était rentrée à Lodz en 1938, et exterminée avec les autres. Deux de mes tantes auraient pu faire des carrières brillantes, l’une en politique, l’autre au théâtre. Les intellectuels parmi eux, livrés à eux-mêmes, étaient savants en matière juive. Leur rapport à l’argent sortait aussi de l’ordinaire. Quand il y en avait, on le dépensait aussitôt. Grand-père n’avait aucun sens du budget, ni ses enfants.
Papa dès son plus jeune âge était considéré par les siens comme un petit prodige. Il était doué d’une mémoire exceptionnelle et sans doute avait-il accumulé très vite beaucoup de connaissances. En même temps, il était un peu voyou et séchait régulièrement les cours du héder traditionnel qui l’ennuyait. Les punitions ne servaient à rien, et il s’échappait régulièrement pour aller voir son rabbin à Gur. Les filles ne l’intéressaient pas, ni les bonnes manières, mais on l’aimait parce qu’il était beau, il avait bon cœur, et il faisait rire tout le monde. Selon une histoire restée célèbre dans les annales familiales, une première tentative de marier son chenapan de fils a failli coûter sa réputation à grand-père. Comme c’était la coutume, le père de la candidate était venu interroger le futur gendre sur ses connaissances talmudiques. S’étant fait répéter plusieurs fois les réponses instantanées de mon père, il impatienta le gamin de dix-sept ans qu’était alors papa, qui fila sans demander son reste. Pour justifier son geste inconsidéré, il a dit aux siens, plus qu’embarrassés, qu’il ne voulait pas d’un beau-père dur d’oreille. La jeune fille qu’on lui destinait, il n’en avait cure. Papa parlait surtout yiddish comme la plupart des garçons orthodoxes de sa génération, et ses études officielles se sont achevées au héder.
Maman était née à Varsovie le 10 mars 1913 dans un milieu bourgeois très chaleureux. Elle ressemblait à son père, si j’en juge par l’unique photo qu’on nous a offert de lui. Grand-père, lui, ne ressemblait pas particulièrement à son propre père, grand rabbin de la Ville Neuve (Nove Miasto) fortuné et réputé pour son intelligence corrosive. Mon arrière-grand-père Izhak Hersch Lewinzon n’avait, disait-on, aucune commi-sération pour les médiocres, et il les achevait allègrement de ses sarcasmes. Sans être de ses ouailles, c’était néanmoins l’ami intime du rabbin de Gur. Son fils Moshe Shlomo, contrairement à son père, était petit de taille, blond et fin. On m’a raconté qu’il débordait d’esprit et qu’il avait un bagage talmudique considérable. Mais il était gentil et avait beaucoup de tendresse pour les siens et surtout pour ma mère, son aînée.
Grand-père, Moshe Shlomo, était né à Varsovie et s’est installé à Lodz après la naissance de maman, quand il est entré dans les affaires de son beau-père Izhak Meir Gutter. Je sais qu’il avait plusieurs frères et sœurs, mais je garde le souvenir d’une seule sœur, Hanka, qui ressemblait à son frère. Ma mère l’adorait, et elles étaient souvent ensemble. Son mari et elle étaient communistes, et ils ont disparu en Union Soviétique, selon toute probabilité assassinés par Staline. Grand-père est mort de mort naturelle au ghetto de Varsovie à cinquante-deux ans. On m’a dit qu’il était mort de chagrin, et aujourd’hui ça ne me paraît pas impossible. Je ne me souviens que très vaguement de ma grand-mère Es...

Table des matières

  1. La Collection « Témoignages de la Shoah » de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah
  2. Comité de lecture de la collection (2011)
  3. Dans la même collection
  4. Biographie de Thérèse Malachy née Krol
  5. Première partie
  6. Seconde partie
  7. Épilogue
  8. Crédits des illustrations