La Syncope dans la performance et les arts visuels

Syncope in Performing and Visual Arts

Fred Dalmasso, Véronique Dalmasso

• Éditeur: Éditions Le Manuscrit
• Année: 2017
• Imprimer l'ISBN: 9782304046243
• ISBN de l'eBook: 9782304046250
• Sujet: Art
• Sujet: Art General

La présente publication s'attache à saisir la diversité de la syncope dans les arts contemporains. Elle assemble des écrits, en langue française et anglaise, de théoriciens et d'artistes venant rythmer et élargir la réflexion lancée lors de la journée d'études, La Syncope, expériences du ravissement qui s'est tenue à l'Université d'Amiens le 17 mars 2016. Cette dernière était associée à une exposition éponyme au fracpicardie composée également d'œuvres de la fondation Francès de Senlis.Outre l'équivalence de son et de sens en français et en anglais, la syncope, du grec sún « avec » et de koptô « je coupe », contient une tension antithétique qui a retenu notre attention. Ses trois expressions, physiologique, linguistique et rythmique se superposent et se mêlent parfois au sein d'une même œuvre. Nous avons pensé l'articulation de la publication comme une confrontation entre expériences et allégories de la syncope.Déplacée en dehors du simple acte de sa représentation vers d'autres enjeux esthétiques et politiques, la syncope devient méthode qui interroge le hors-soi, hors-lieu, hors-temps. Echappées et volte-face qu'il est possible d'interpréter en termes de dé-production et d'utopie, de basculement vers une syncopolitique.

Syncopes visuelles et photomontages improbables avant Dada et le surréalisme

Carole Boulbès

Avant toute chose, il semble essentiel de préciser que nous prendrons les termes de syncope, syncopé au sens figuré, au sens de « surprendre vivement », comme le fait une nouvelle inattendue qui provoque une syncope. En musique, syncopé a pu signifier « coupé, interrompu94 ». Dans le champ des arts visuels, nous aimerions émettre l’hypothèse que le caractère composite et très souvent analogique des photomontages du début du vingtième siècle a engendré de sidérants effets « coupés, interrompus », qui furent à l’origine de profonds bouleversements perceptifs. De nombreux exemples de syncopes visuelles viennent à l’esprit, que cela soit les photocollages dadaïstes ou surréalistes, les photomontages propagandistes, mais aussi, souvent laissés pour compte par l’histoire de l’art, les clichés sériels des cartes postales populaires précédant toutes ces expériences.

C’est pourquoi, j’aimerais interroger la notion d’oubli et poser une question simple : comment expliquer que les dadaïstes allemands aient cru réinventer le photomontage ou plus exactement le photocollage95 alors que des milliers, pour ne pas dire, des millions de montages photographiques (obtenus soit en combinant des films, soit en découpant puis collant des épreuves sur un fond peint) furent diffusés sous la forme de cartes postales, non seulement en Europe, mais aussi aux États-Unis dès 1905 ? Je prolongerai cette réflexion sur la perception de ces clichés composites populaires, en rendant compte de l’approche de deux grands collectionneurs, Paul Éluard et Walter Benjamin.

Machines et chaos

Dans le contexte difficile de l’après-guerre, avec leurs collages chaotiques qui révèlent leur désir de créer des vertiges tant linguistiques que visuels, les dadaïstes sont allés très loin dans l’art de la syncope. Tout en bouleversant les codes de la représentation et du langage, ces novateurs ont instauré un rapport différent – qu’ils souhaitaient moins bourgeois – à la création artistique, ils se sont fantasmés en monteurs ou en ingénieurs :

« Je commençais à réaliser cette vision nouvelle en me servant de photos de presse et de cinéma. Pris d’un zèle rénovateur, il me fallait aussi un nom pour cette technique, et d’un commun accord avec George Grosz, John Heartfield, Johannes Baader et Hannah Höch, nous décidâmes d’appeler ces travaux “photomontages”. Ce terme traduisait notre aversion à jouer à l’artiste, et nous considérant comme des ingénieurs (de là venait notre préférence pour des habits de travail, les “over-alls”), nous prétendîmes construire, “monter nos travaux”96 ».

Même si les futuristes italiens ont été à l’origine des Mots en liberté, même s’ils ont réalisé quelques collages sur toile, on aurait tort d’assimiler leurs attitudes belliqueuses et nationalistes aux provocations internationalistes et pacifistes des dadaïstes. Tandis que les futuristes exaltaient la guerre, le galop de l’émotion et la vitesse automobile, les dadaïstes développaient une attitude beaucoup plus ambivalente vis-à-vis des machines. Le parti pris d’associer des clichés photographiques à des dessins d’ingénieurs, des réclames, coupures de presse et petits objets plats (dentelle, carte de visite…) était primordial pour renforcer l’aspect composite et foncièrement hétérogène des photocollages dadaïstes. L’engouement de Raoul Hausmann, John Heartfield et Hannah Höch pour les techniques de reproduction photographiques induisait une attitude très ambiguë, un mélange d’attraction et de répulsion envers les objets sérialisés.

En 1920, le Tatlin at Home de Raoul Hausmann (Fig. 10) témoigne de cette ambivalence. Le premier plan est occupé par une énorme tête ouverte dont le cerveau a été remplacé par des rouages et diverses machineries. L’artiste s’est expliqué sur ce choix en 1967 : plutôt qu’un portrait du constructiviste russe Vladimir Tatline, il voulait « rendre l’image de l’homme qui n’avait dans le cerveau que des machines, des cylindres, des moteurs, des freins, des volants de voiture97. » Réalisé en 1919, le grand photocollage d’Hannah Höch Coupe au couteau de cuisine dans la dernière époque culturelle de l’Allemagne, celle de la grosse bedaine weimarienne (Fig. 11) est plus directement politique. Outre divers engrenages de machines et coupures de journaux, toute une galerie de personnalités a été savamment découpée et entremêlée, dont le portrait du dernier empereur allemand, Guillaume II – coiffé d’un ridicule petit chapeau haut-de-forme – l’imposante tête d’Einstein songeur et un petit portrait de Marx placé au-dessus du visage vociférant de Raoul Hausmann… Exposés à Berlin, lors de la première foire internationale Dada en 1920...

Table des matières

• Dans la collection Via Artis
• Avant-propos
• Où sommes-nous ?
• Expériences de la syncope
• L’extase en son retour
• Slow veins
• Le dessin syncopé
• De mémoire de corps : syncope et état de grâce dans la sculpture de Robert Morris et Richard Serra
• Too Much of the Self
• Caesura
• An Inventory of Syncopal Objects
• Toying With Whiteness
• Cahier iconographique
• Allégories de la syncope
• Syncopes visuelles et photomontages improbables avant Dada et le surréalisme
• Laisse la lumière à mes yeux sinon je m’endors dans la mort : La syncope dans l’œuvre d’Agnès Geoffray
• Télégrammes, 2016
• Les syncopes de Douglas Gordon, vertige des temps. Vers une dé-production
• The Radical as Syncope: An Interruptive History of the Paris Commune in 14 ½ Beats
• Retrait de l’image et syncopolitique
• Comité scientifique
• Contributions
• Crédits photographiques