L'aviation et son impact sur le temps et l'espace

Faria Dominique

• Éditeur: Éditions Le Manuscrit
• Année: 2019
• Imprimer l'ISBN: 9782304047561
• ISBN de l'eBook: 9782304047578
• Sujet: Sciences sociales
• Sujet: Sociologie

Des aventures des pionniers, en passant par les premières compagnies aériennes, jusqu'à l'âge du jet et, de nos jours, les opérateurs à bas prix, l'aviation a connu d'importantes avances qui ont profondément modifié notre rapport au temps et à l'espace. Dans cet ouvrage, historiens, politologues, géographes, littéraires, spécialistes en urbanisme et en sciences de la communication offrent des approches variées sur ce phénomène aux conséquences multiples.

Kessel, Dahl, Saint-Exupéry :

aviation, grandeur et dépassement de soi

Thierry Ozwald
Université de Limoges – Laboratoire EHIC
(Espaces Humains et Interactions Culturelles)

La littérature de l’avion

Le critique Henri Clouard (1947) a écrit que Kessel a fondé la littérature de l’avion. Sans doute dit-il vrai si l’on songe qu’il abandonne très tôt le journalisme – provisoirement – pour s’engager dans l’aviation durant la Première Guerre mondiale, à l’époque où celle-ci balbutie156. Il en sortira, en 1923, L’Équipage, petit récit remanié sous forme de petit roman en 1969. Suivront en 1929 (1966) Vent de sable, chroniques sur les débuts de l’Aéropostale qu’il suit avec passion, en 1938 son chef d’œuvre Mermoz, puis Le Bataillon du ciel (1947) qui relate l’épopée du bataillon de parachutistes français entraîné en Écosse qui intervint en 1944 en Normandie. Kessel, rappelons-le, a terminé la Deuxième Guerre mondiale comme aviateur157 de la France Libre.

D’autres écrivains ont depuis, et après lui, illustré ce nouveau genre – ou plutôt cette nouvelle littérature et ce nouvel ethos épique – ou apporté leur contribution, avec plus ou moins de bonheur d’ailleurs. On citera entre autres (et en France) : L’Espoir de Malraux (1937), La Vallée heureuse de Jules Roy (1946), Le Grand Cirque de Pierre Clostermann (1948), les œuvres phares de Saint-Exupéry bien sûr (Vol de nuit, 1931, Courrier Sud, 1929, Terre des hommes, 1939, et Pilote de guerre, 1942), mais aussi l’admirable Promesse de l’aube de Romain Gary (1960)158.

Ce qui, d’évidence, caractérise cette littérature est d’une part sa nature fondamentalement testimoniale : que l’on opte pour le reportage, ou le roman, que l’on privilégie le compte rendu objectif ou la restitution littéraire et retravaillée, que l’on s’en tienne à des faits ou que l’on y brode un récit, il y va toujours d’une destinée individuelle étroitement inscrite dans un destin collectif, d’une histoire participant de l’Histoire. Qu’il s’agisse de se mettre en valeur personnellement en usant de ce contrepoint avantageux et prestigieux, ou bien, par le récit de son itinéraire, d’éclairer, expliquer des phénomènes plus vastes et généraux, l’enjeu est toujours de faire témoignage159, de relater et remémorer des événements décisifs, tragiques parfois, de scruter un moment hautement signifiant pour tout un monde, toute une société, tout un modèle anthropologique, l’Europe en l’occurrence.

Cette littérature, d’autre part, un peu analogue en cela à une grande partie de la littérature médiévale, se définit par sa disposition jamais infirmée à fabriquer du mythe, ou à forger un mythe, charismatique et fortement plébiscité : le mythe de l’Aviateur, réincarnation moderne du Chevalier de jadis. À des degrés et titres divers, ces ouvrages perpétuent, chacun à leur manière, ce mythe, bâtissant des légendes, exhaussant de hautes figures, distinguant une humanité d’exception de l’ordinaire humanité160.

Nous nous en tiendrons, dans le cadre de cette étude et pour mieux servir notre propos (qui est d’interroger, analyser et tenter de comprendre la portée et la puissance de ce mythe moderne), à trois œuvres fort dissemblables, représentatives en cela de la diversité de formes de cette « littérature d’aviation », et du processus poétique avec lequel le mythe s’est peu à peu constitué et imposé au xxe siècle et en Europe. Ce sont : Pilote de guerre de Saint-Exupéry (1942)161, œuvre inclassable publiée durant la Deuxième Guerre mondiale, à la fois récit autobiographique d’une mission de reconnaissance au-dessus d’Arras et essai philosophique – ou méditation spirituelle sur le devenir de la France. Mermoz162, biographie romancée, investie, lyrique, fraternelle même de cet aviateur exceptionnel par Joseph Kessel (1938), à moins que ce ne soit une hagiographie163. Enfin Escadrille 80164 de Roald Dahl (1986), récit autobiographique tardif de l’ex-aviateur de la RAF (de 1939 à 1942) en même temps célèbre écrivain pour la jeunesse anglais, récit qui fait suite à Moi, Boy (1984)165.

On voit bien tout le parti qu’un littéraire et exégète de la littérature peut tirer d’un tel examen : déterminer les contours de ce mythe lui permet de poursuivre son travail d’observation (et de célébration) du fait littéraire, de saisir comment le poète fantasme le réel ou transfigure une réalité historique donnée. Quant aux pilotes d’aujourd’hui cependant, aux personnels et techniciens de la navigation aérienne, à ceux et celles qui volent et fréquentent régulièrement les aéronefs, ils auront peut-être une légère moue de dédain ou d’incompréhension pour les rêveurs : l’action est tout – la gestion technicienne de la contingence, et rien d’autre –, le reste n’est que littérature… Certes, mais notons que Kessel et Saint-Exupéry eux-mêmes se méfient de la tentation lyrique et mettent à maintes reprises en garde leur lecteur166 contre un danger dont ils sont conscients, celui de se faire valoir au détriment de la vérité. Et pour être navigant, n’en est-on pas moins homme, n’en est-on pas moins porteur des vieux rêves archaïques de l’humanité ? Un pilote au fond peut-il se défendre de s’être construit aussi au regard de ces légendes, d’avoir été façonné intimement et peut-être inconsciemment par ce mythe moderne ? Et plus généralement, pouvons-nous vivre en ce monde, vivons-nous sans représentations du monde ?

Aspects du mythe

Quel est donc ce mythe, ce schème mythique...

Table des matières

• « Exotopies »
• Comité scientifique
• Introduction
• Introduction
• A History of International Civil Aviation
• Santa Maria Island and the Aviation in the Azores:
• Aéroports de Guerre froide.
• The Policies for Domestic Commercial Aviation in Argentina:
• Quand des îles rapprochent des continents.
• Lesser Developed Nations, Modernity, Aviation, and the Cold War:
• Representations of the first South Atlantic air crossing
• SATA: Açorianidade e Aeridade
• De « la science aéronautique » à la fiction positive :
• Machines à voler, machines à voir :
• « Nous visons toujours plus haut »
• The beginnings of air boy-scouts in Portugal (1935)
• Des échos du 11/09/2001 dans le monde intellectuel et littéraire en Belgique.
• The fourth dimension of warfare:
• Kessel, Dahl, Saint-Exupéry :
• Accidents aériens, tourisme de masse et catastrophes nucléaires :
• Sous l’emprise de l’anodin.
• Aviation and time : speed, direction, night
• Les territoires de l’air. Une culture moderne ?