Pour un monde plus humain

UP for Humanness

• Éditeur: Éditions Le Manuscrit
• Année: 2020
• Imprimer l'ISBN: 9782304048483
• ISBN de l'eBook: 9782304048469
• Sujet: Littérature
• Sujet: Collections littéraires

L'association UP for Humanness lance sa nouvelle revue de recherche-action trimestrielle aux éditions Le Manuscrit. Grâce aux contributions de chercheurs et d'acteurs de terrain concernés par différents enjeux essentiels, nous voulons participer à la construction d'un monde qui inclut, qui remet l'humain au centre des priorités, en aidant chacun à comprendre et vivre ses responsabilités dans la société de demain.

— UN MONDE PLUS HUMAIN —

Humaniser le monde,
la tâche de chacun

Par éric Fiat

Parler est facile, et tracer des mots sur la page,

en règle générale, est risquer peu de choses :

un ouvrage de dentellière, calfeutré,

tous les mots sont écrits de la même encre,

« fleur » et « peur » par exemple sont presque pareils,

et j’aurai beau répéter « sang » du haut en bas

de la page, elle n’en sera pas tachée,

ni moi blessé.

Aussi arrive-t-il qu’on prenne ce jeu en horreur,

qu’on ne comprenne plus ce qu’on a voulu faire

en y jouant, au lieu de se risquer dehors

et de faire meilleur usage de ses mains.

Parler alors semble mensonge, ou pire : lâche

insulte à la douleur, et gaspillage

du peu de temps et de forces qui nous reste.

Philippe Jaccottet, Leçons

Au moment de prendre la plume pour essayer de rendre hommage à l’incroyable période que nous vivons ces temps-ci, le scrupule me prend, que la récitation d’une page bouleversante du poète Philippe Jaccottet rend encore plus aigu. S’y murmure qu’actes valent mieux que paroles, et qu’en ladite période les mains qui humanisèrent vraiment le monde – ou empêchèrent qu’il ne se trop déshumanisât – furent plus sûrement celles du soignant que celles de « l’écrivant », comme disait Barthes. Et Jaccottet de confirmer :

Lorsque l’autre

si vite est emmené si loin,

je cherche ce qui peut le suivre :

ni la plus pure des images ;

ni la plus belle des pensées,

plutôt le linge et l’eau changés,

la main qui veille,

et le cœur endurant.

Aussi pendant ce confinement nos mains qui ne sont celles de soignants furent souvent paralysées par le scrupule, retrouvant seulement quelque vigueur pour les applaudir, lors du rendez-vous vespéral sur le balcon.

Un autre scrupule pourtant souvent me tînt au cœur, prenant même la forme de deux craintes : d’une part celle que dans ces applaudissements fût présente certaine sanctification ou héroïsation des soignants, façon pas forcément appropriée de leur rendre l’hommage qu’ils méritent, d’autre part celle d’une coupable catégorisation du monde.

Développons ces deux points.

On ne saurait confondre le saint et le héros : la gloire du saint est aussi douteuse et discrète que celle du héros est certaine et publique. La première est posthume, la seconde contemporaine, l’une est régulière et l’autre séculière, l’une est aussi mate que l’autre est brillante. La sainteté suppose un martyre qui s’annulerait d’être recherché et proclamé ; l’héroïsme ne va pas sans souffrance, mais la surmonte de manière aussi triomphante qu’éclatante. La sainteté s’ignore quand l’héroïsme se sait ; le saint refuse les applaudissements, le héros ne saurait s’en passer ; le saint témoigne de Dieu quand le héros témoigne pour lui. Mais malgré leurs différences ces deux figures ont quelque chose d’inhumain, qui ne connaissent ni la peur, ni la fatigue, ni la haine, ni le chagrin – ou les ont toujours magiquement dépassées. Comme il serait étrange qu’à elles seules revînt la tâche d’humaniser le monde !

Non, cette tâche est celle de chacun – et proposons plutôt que nombre de soignants furent des justes, c’est-à-dire des humains qui firent ce qu’ils pouvaient grâce à leur professionnalisme et leurs compétences d’avant-crise – et c’est déjà tant !

Et proposons aussi qu’il pût y avoir parmi les confinés des hommes humanisant le monde : comme le dit Arendt, la parole est aussi une action – et celle qui parvient à un peu de justesse y participe. Les médiévaux inventèrent la belle idée de litterae humaniores, l’idée selon laquelle l’étude des lettres peut rendre plus humain : cela s’appelait les humanités.

Ainsi ne séparons pas selon un cadastre trop bien découpé les confinés désœuvrés et les non-confinés affairés : pendant cette incroyable période la plupart des hommes – je veux dire les hommes scrupuleux – firent ce qu’ils purent – et c’est déjà tant ! Ceux qui confinés chez eux e...

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