Murmures d'enfants dans la nuit
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Murmures d'enfants dans la nuit

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  3. Disponible sur iOS et Android
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Murmures d'enfants dans la nuit

À propos de ce livre

Nous étions des enfants sages. Nous allions à l'école. Les rues et les jardins publics accueillaient nos jeux. Nous nous croyions comme les autres. Puis la nuit s'est abattue sur nous, une nuit remplie de cauchemars et de frayeurs, d'arrachements et de vides. Nos existences n'étaient plus balisées mais jetées aux quatre vents. Que se passait-il? Des trains porteurs de mort sillonnaient les pays, des hommes furieux et cruels nous pourchassaient, des inconnus nous prenaient par la main et nous cachaient toujours plus loin de nos foyers déserts. Nos noms changeaient, l'oubli de notre identité, le renoncement et les refuges secrets s'imposaient.

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Informations

V

Marcel va vers la porte. Il rase les murs en avançant péniblement dans le couloir désert. Chaque pas lui fait mal. Il faut qu’il arrive jusqu’en bas et qu’il rejoigne ses frères. Il se tient des deux mains à la rampe et descend quelques marches. Marienka apparaît soudain, une pile de draps propres dans les bras. Marcel s’assoit et la regarde monter à l’étage en sautillant. « Que fais-tu là, toi ? », lui demande-t-elle, « si tu veux, tu peux aller dans le parc ! » Marienka parle de l’heure du goûter, puis elle s’éloigne en faisant danser sa jupe bleue et en fredonnant un air de son pays.
Marienka ! Marienka ! Il veut crier, aucun son ne sort de sa bouche. Pourquoi ne voit-elle pas qu’il veut la retenir ? Elle l’aurait serré contre elle, lui aurait couvert le visage de baisers. A boire ! Il descend encore. Tout vacille autour de lui, ses jambes tremblent. Il y est presque. Dehors le soleil brille, son éclat lui brûle les yeux. Il rejoint ses petits compagnons de route collés en grappe, à l’écart des autres enfants. Il se laisse tomber à terre à côté de ses frères. Son regard a d’étranges absences. Ils ont tous les yeux levés vers le sommet des montagnes. Qu’y a-t-il là-haut ? Il faut le leur demander, mais il est trop fatigué pour parler. Il y a aussi la forêt, les fleurs qui sentent si bon, la Casa Bianca, les voix calmes, l’odeur de la polenta. C’est la fin du voyage. A présent, il peut fermer les yeux pour toujours.
Il s’étend sur la terre chauffée par le soleil d’été. Est-ce vraiment l’été ou une simple journée claire ? Il aimait les fleurs et le bruissement du vent dans les branches. Avec grand-mère, il marchait lentement dans les jardins, à tout petits pas pour ne pas la fatiguer. Il aimait se cacher derrière les arbres et la surprendre en lui criant : « Coucou, je suis là ! »
Ici, c’est Ascona. Il y a un lac immense. Sur le lac passent des cygnes, ils fendent l’eau, ils sont beaux. Ascona. Demain, il ira voir les cygnes. Il faudra retourner à l’école pour rattraper le temps perdu.
Marcel délire.
– Le matin, je me lève, je me lave, je m’habille, je mange en vitesse, je prends mes livres, mes cahiers et mes crayons. Il faut que j’apprenne à lire. Je sors de la maison. Je suis une personne. « Je ».
– L’oiseau est rouge, murmure Rachel.
– Ma maison craque de partout. Des bruits terribles éclatent. Des gens méchants entrent. Je n’ai pas bien fermé la porte. Ils sont armés, ils veulent nous tuer. Ce n’est pas ma faute si la porte est restée ouverte ! Ici, c’est Ascona. Les villages sont blottis au creux des montagnes. Ils ont leurs secrets et leurs mystères. Les gens qui y vivent finissent par se tasser comme leurs maisons. Ils barrent la route aux étrangers. Avec mes frères, je franchis le barrage. Les gens nous regardent et se taisent. Maurice lève les yeux vers le ciel et pousse un long cri de désespoir. Les gens disent : « C’est l’enfant fou ! Vous savez, celui qui vient de si loin, du camp du bout du monde, comme ils l’appellent ! Surtout, ne l’approchez pas. Il peut être dangereux. » Ils ne veulent plus le voir, ils l’enferment dans une tour. Marienka est ma lumière, elle attrape mes mains, me serre contre elle. Je me blottis dans ses bras, je suis tout petit. Elle murmure des mots d’amour et de vie à mes oreilles. Le ciel bleu vacille, et les montagnes et les maisons. Tout tourne dans ma tête. Je meurs au milieu de la beauté du monde. Quand Elie sera grand, il se lèvera et ira par les chemins, il parlera aux hommes. Il leur dira que moi aussi, j’étais une personne.
– L’oiseau est mort, murmure Rachel.
– Je ne peux plus bouger. J’entends mes frères m’appeler. Pourquoi leurs voix sont-elles si angoissées ? Ils me secouent. Je sens bien leurs mains sur moi, mais je ne peux plus parler. Je dois leur dire de me laisser tranquille. Je veux partir très loin, là où je n’aurai plus mal. Marienka ! Ne m’abandonne pas dans le noir ! Marienka, j’ai peur !
Je cours sur la pelouse en portant Marcel dans mes bras. Maurice ne cesse de répéter : « Il est brûlant ! Il va mourir ! » Quand ils arrivent à l’infirmerie, la doctoresse, une Allemande réfugiée en Suisse, les regarde d’un air irrité. Elle fait observer que les gens civilisés frappent avant d’entrer dans une pièce. Je me mets à crier que mon frère est en train de mourir. D’un ton plein de sarcasmes, elle répond : « Je vais commencer par te donner un calmant, tu es bien trop nerveux, mon petit. Voyons cet enfant. Je suis sûre que ce n’est rien, une simple fièvre sans doute ». Elle continue à ausculter Marcel d’un air détaché. Nous nous regardons inquiets, elle ne semble pas comprendre la gravité de son état.
Maurice court chercher Lilly qui téléphone aussitôt à l’hôpital, non sans lancer un regard lourd de reproches à la doctoresse. Lilly tente de nous rassurer, elle dit qu’il sera bien soigné, qu’il va se remettre très vite. Comme si on pouvait encore croire les grandes personnes ! L’ambulance arrive enfin. Marcel est allongé sur un brancard. Il est très pâle, on dirait vraiment qu’il est mort. Je ne veux pas y penser, Maman serait trop fâchée contre moi. L’ambulance s’éloigne. Je la suis du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse à un tournant. Longtemps après, je suis encore au bord de la route à fixer un point qui n’existe plus. Je me sens bizarre, comme une maman qui a perdu son enfant. J’avais pris l’habitude de nous compter à tout bout de champ.
Lilly vient nous parler. Elle dit que nous sommes des garçons courageux, et qu’à présent nous pouvons nous reposer un peu. Les grandes personnes vont veiller sur Marcel et Rachel. Nous ne devons plus nous faire de soucis pour eux. Elle nous promet qu’ils ne manqueront plus ni de soins ni de nourriture. Elle a de la bonté dans les yeux. J’ai envie de pleurer, pourtant je me retiens. Rachel doit aller au Kinderheim avec les petits. Nous pourrons aller la voir tous les jours et Marcel la rejoindra quand il sera guéri. Ici, ce n’est ni une prison ni un camp. Elle veut aussi nous présenter au Baron. Elle dit que c’est un homme vraiment bon qui la soutient dans sa tâche d’aide aux enfants juifs réfugiés. Elle est sûre que nous allons nous entendre avec lui.
Rachel a beaucoup pleuré au moment de la séparation. Elle s’est accrochée à nous, il a fallu l’arracher de nos bras et lui promettre de ne pas l’oublier. Nous sommes tous dans la même chambre. Les lits sont superposés. Marcella nous apporte du linge propre, un cahier et un crayon noir. Devant nos mines surprises, elle explique :
– Oui, vous avez bien compris. Demain, vous allez à l’école du village. Enfin, disons que vous allez faire un essai. Les autres fois, ça n’a pas trop bien marché. Les gens d’ici sont très renfermés. Ils n’aiment pas les étrangers, surtout…
Elle ne finit pas sa phrase.
– Surtout les Juifs, conclut Eva.
Marcella baisse la tête, elle n’est pas une réfugiée. Elle travaillait déjà dans l’hôtel de Lilly Volkart avant la guerre. Elle explique que les clients étaient des gens très riches et très difficiles et qu’ils lui laissaient des gros pourboires.
– Avec vous, ça ne risque pas d’arriver, ajoute-t-elle en riant.
Nous la regardons en silence s’affairer dans la chambre. Elle nettoie la douche et nous prévient de ne pas faire de saletés, sinon elle nous renvoie d’où nous venons. Elle trouve sa remarque très drôle et se met à rire encore plus fort. Comme nous restons figés à la regarder, elle dit que c’est une plaisanterie et décide de nous apprendre à sourire.
– Il faut ouvrir un petit peu la bouche et montrer ses dents, comme ça le visage est plus joli et il fait moins peur. Vous comprenez ?
C’est très clair. Mais qui a envie de sourire ? Sûrement pas Suzanne qui, sortant de sa torpeur, lui crie de nous laisser en paix. Elle sort de la chambre en chantant.
Lilly nous explique comment nous rendre à l’école. Elle ne veut pas nous accompagner de crainte que les enfants du village ne se moquent de nous. Le directeur est prévenu. Si les enfants nous maltraitent, nous ne devons pas nous battre avec eux mais rentrer aussitôt à la maison. Elle répète « la maison » plusieurs fois de suite pour bien nous faire comprendre que nous sommes chez nous avec elle. Nous nous mettons en route. L’air matinal est frais, une brume enveloppe le sommet de la montagne. Je ferme les yeux. Je me demande si je suis dans la réalité. Un jour, il faudra que je grimpe au sommet de la montagne pour user mon corps. Après cela, je saurai si je vis ou si je suis mort. Pour se sentir vivre, il faut crier très fort, se battre avec les autres, cogner. Quand je suis trop longtemps sans parler, j’ai l’impression que je ne pourrai plus jamais sortir des sons de ma gorge.
De gros bidons de lait sont déposés devant les portes. En chemin, nous croisons des enfants isolés qui se mettent à courir dès qu’ils nous voient. Lorsque nous arrivons à l’école, ils sont déjà rassemblés devant la porte pour nous barrer le passage. Le directeur les disperse et nous fait entrer dans une classe. Les cours se donnent en italien. Mario est le seul à comprendre ce qui se dit. Il écoute avec un plaisir évident jusqu’au moment où un garçon le fait tomber de son banc en brandissant le poing. Il est clair que nous ne sommes pas les bienvenus. Les choses se gâtent plus sérieusement à la récréation. Les garçons nous entourent, ils rient entre eux et nous montrent du doigt. Certains nous donnent des coups de pieds, d’autres tirent les cheveux des filles. Nous ne sommes pourtant plus si différents. Lilly nous a donné des vêtements propres et des chaussures à notre taille, et nos cheveux ont repoussé. Nous sommes certes encore très maigres, quoique moins effrayants que lors de notre arrivée.
Après la récréation, la voix aux accents chantants du maître s’élève. C’est comme l’écho d’une autre voix lointaine, au-delà des montagnes, des villages, à une distance infinie parcourue en train, à pied, en voiture. Une voix qui résonne en moi se mêle aux cris et me transperce la tête. La panique s’empare de moi et aussi des autres enfants. Je le vois sur leurs visages, bien qu’ils demeurent immobiles, fermés, inaccessibles à ceux qui ne peuvent pas comprendre.
Cette classe est un décor de carton, le maître est une marionnette et les élèves des poupées de cire. Ils font des gestes, ils disent des mots mais ils ne sont pas vrais. Nous seuls sommes réels. Nous connaissons le monde des grands, leur cruauté. Nous sommes descendus au fond de leurs yeux et nous y avons vu une interminable nuit noire et son cortège de cauchemars. Qui sont les vivants ? Et qui sont les morts ? Je ferme les yeux, je ne vois plus rien. Ni ma vie d’autrefois, ni celle d’aujourd’hui, et demain n’existe plus. Les visages aimés ont disparu des mémoires. Toucher, sentir, caresser, rire, sont des gestes de vie. Pourquoi nous ont-ils sauvés ? Pourquoi veulent-ils que nous vivions ? Pour faire quoi ? Le temps s’écoule avec lenteur, je ne m’y habitue pas, j’ai envie d’aller courir dehors et de crier. Maur...

Table des matières

  1. Avant-propos
  2. I
  3. II
  4. III
  5. IV
  6. V
  7. Enfants réfugiés 1942-1947