Se reconstruire après la Shoah

La sortie de guerre des femmes et des hommes juifs secourus par le COJASOR, 1945-1950

Ethel Albert

• Éditeur: Éditions Le Manuscrit
• Année: 2021
• Imprimer l'ISBN: 9782304052459
• ISBN de l'eBook: 9782304052466
• Sujet: Histoire
• Sujet: Théorie et critique de l'histoire

Au lendemain de la Shoah, ils sont des milliers de Juifs survivants à s'adresser au Comité juif d'action sociale et de reconstruction (COJASOR) pour obtenir un secours et se reconstruire en France. Créé en mars 1945 sous l'égide de l'American Jewish Joint Distribution (Joint), ce nouvel organisme vise alors à rationaliser une action sociale juive pléthorique et morcelée alors que les demandes d'aide se font de plus en plus nombreuses. Face à la multiplicité des trajectoires de ses usagers, il étend son action sur toute la France, diversifie son secours, spécialise ses services et travaille en partenariat avec d'autres œuvres. Dans le même temps, les individus qu'il prend en charge sont pleinement mobilisés dans un processus de reconstruction complexe qui concilie une approche importée de la philanthropie américaine, des représentations héritées de l'histoire de l'action sociale française et une adaptation aux conséquences de la Shoah.

Chapitre 1
Le COJASOR, entre héritage de l’action sociale juive et patronage américain

Le COJASOR émerge dans une France partiellement libérée et où la confusion règne au sein d’une action sociale juive qu’il faut organiser. Après un travail de sauvetage dans la clandestinité pour soustraire les Juifs à la rafle et à la déportation, les œuvres philanthropiques doivent désormais assister et reconstruire des individus, des familles et une vie juive dans un pays exsangue69, toujours en proie aux difficultés. La Libération ne crée pas de rupture dans l’assistance : les Juifs continuent de s’adresser aux mêmes organisations qui les secouraient pendant la guerre70. L’organisme créé en mars 1945 s’inscrit ainsi dans un paysage social qui tire ses racines dans l’entre-deux-guerres et la clandestinité. Il naît aussi pour rationaliser l’assistance juive et mettre fin à son caractère pléthorique qui nuit à l’efficacité de son action71. Financé par le Joint, le COJASOR n’en connaît pas moins des relations tumultueuses avec cet organisme philanthropique juif américain de premier plan72.

Avec l’ouverture de ses archives en 2008, cette organisation fait depuis peu l’objet d’études sur ses pratiques d’action sociale à la fois dans l’assistance matérielle apportée73 et dans un contexte social, national et transnational spécifique74. La place accordée ici au COJASOR répond à un double objectif : comprendre comment l’action sociale juive et l’intervention du Joint influencent ses représentations et ses pratiques, et comment sa participation au renouveau de l’assistance juive en France lui permet d’œuvrer à la reconstruction des personnes.

Face à l’urgence : rationaliser et centraliser pour gagner en efficacité

Au sortir de la clandestinité : une myriade d’œuvres d’action sociale juives

Après la Libération, le nombre d’associations juives ne cesse d’augmenter. À Paris même, ce sont près de deux cents associations, tous domaines confondus (religieux, politique, culturel et social) qui coexistent75. Mais cette « atomisation76 » se retrouve aussi à l’échelle des pratiques sociales elles-mêmes. Les différents organismes ne coordonnent pas toujours leurs activités entre eux, alors même que celles-ci tendent à se recouper, ce qui s’avère rapidement contre-productif et inquiète. Dans une lettre datée de novembre 1944 et adressée à son ami Nahum Goldman*, Marc Jarblum*, représentant français du Congrès juif mondial (CJM)* et président de la FSJF, fait ainsi remarquer :

« La pagaille ici est complète, un désordre à ne pas comprendre. Les organisations et les œuvres poussent comme des champignons. Ces concurrences font double et triple emploi et le résultat de leur activité est assez stérile77. »

Par exemple, plusieurs œuvres s’occupent de l’enfance, parmi lesquelles l’Œuvre de secours aux enfants (OSE)*, les Éclaireurs israélites de France (EIF)*, la Women’s International Zionist Organization (WIZO)* et l’Œuvre de protection des enfants juifs (OPEJ)* Elles continuent à veiller sur eux dans des homes d’enfants tout en cherchant leurs familles. Entre août et octobre 1944, un millier d’enfants juifs r...

Table des matières

• Introduction
• Première partie Œuvrer à la réinsertion des Juifs dans une France en reconstruction
• Chapitre 1 Le COJASOR, entre héritage de l’action sociale juive et patronage américain
• Chapitre 2 Dans l’intérêt des individus : s’organiser, accompagner, réinsérer
• Chapitre 3 Diversité des trajectoires individuelles, diversification de l’aide sociale
• Deuxième partie La parenté : présents et absents au cœur de la reconstruction individuelle
• Chapitre 4 Aide sociale et reconstruction à travers le prisme de la parenté
• Chapitre 5 Retrouver et reconstituer le foyer
• Chapitre 6 Faire le choix de l’émigration
• Troisième partie La précarité a-t-elle un genre ?
• Chapitre 7 Travailler pour (sur)vivre : entre déclassement et émancipation
• Chapitre 8 Après la Shoah : la figure de la cheffe de famille
• Chapitre 9 En marge de la société : combattre l’isolement et la solitude
• Conclusion
• Annexes
• Glossaire
• Sources et bibliographie
• Remerciements