La Seine
« […] Si la Seine est incontournable, c’est peut-être parce que la ville est née dans une de ses îles. Peut-être aussi parce que grâce à elle on acheminait le blé, le vin et la pierre des maisons. Aujourd’hui plus touristiques qu’industrieuses, les berges de la Seine n’en ont pas perdu leur charme pour autant. Elles ont été classées “trésor du patrimoine mondial” par l’UNESCO […]. »
Extrait de l’émission française Flâneries diffusée en 1996.
Au nord de Saint-Germain-des-Prés, que nous venons de quitter, se trouve la Seine. Peut-on imaginer Paris sans son célèbre fleuve long de 776 kilomètres et drainant un bassin d’environ 78 000 kilomètres carrés ? Non, évidemment, d’autant plus que Paris est née dans la Seine. L’île de la Cité est habitée d’abord par les Parisii (des mariniers et des pêcheurs celtes) et ensuite par les Romains (après leur conquête en 52 avant J.-C.) qui rebaptisent l’île de la Cité du nom de Lutèce, qui signifie « la boue » en latin.
Pendant très longtemps (jusqu’au XIXe siècle), la Seine est omniprésente dans la vie quotidienne des Parisiens. L’attachement de la population à son fleuve est viscéral, elle ne peut tout simplement pas s’en passer. L’historienne française Arlette Farge estime que « la capitale vit avec la Seine, par elle », que le Parisien « fait couple avec son fleuve ». Sans lui, « Paris est asphyxiée ». L’observation du blason de Paris est une preuve additionnelle que la ville ne peut être dissociée de son fleuve.
Les armes de Paris. Wikimedia Commons. Domaine public.
Selon le Dictionnaire historique de Paris, le navire qui vogue sur la Seine symbolise la puissante corporation des nautes, ces riches armateurs mariniers qui naviguent et font du commerce sur le fleuve. Ils font prospérer Lutèce en favorisant les échanges et le transport fluvial. En outre, la devise de Paris depuis le XVIe siècle est : Il est battu par les flots, mais ne sombre pas.
Les 20 arrondissements et les 80 quartiers de Paris. Création : Hmaglione10. Wikimedia, Licence Creative Commons.
Paris se développe d’abord du côté gauche de la Seine pour ensuite occuper les deux rives. Comme le démontre cette carte des vingt arrondissements actuels, la capitale française est urbaine, puisque c’est tout autour de la Seine que les Parisiens s’installent au fil des siècles.
La moitié de ces vingt arrondissements ont un contact direct avec la Seine (1, 4 à 8, 12 et 13, 15 et 16). Par ailleurs, les bâtiments importants sont tous situés sur ses rives et lui font face : le Louvre, l’Institut, l’Assemblée nationale, l’Hôtel des Invalides, les Grand et Petit Palais, pour ne nommer que ceux-là. Il suffit de naviguer à bord d’un bateau-mouche pour en prendre pleinement conscience.
Pour les besoins de ce chapitre, nous nous intéresserons surtout aux années qui précèdent le déclin de la Seine, plus précisément de 1750 à 1850. L’historienne Isabelle Backouche, dans un ouvrage remarquable qu’elle consacre à cette période d’une centaine d’années, explique pourquoi la Seine occupe alors une place déterminante dans la vie des Parisiens, avant que ces derniers s’en éloignent, symboliquement et géographiquement. Il y a toutefois de l’espoir : le XXIe siècle sera peut-être celui d’un retour à la Seine, puisque la population souhaite de plus en plus se réapproprier son fleuve et reprendre contact avec lui. On peut y voir la réconciliation d’un vieux couple dont les deux parties se sont éloignées petit à petit… pour finalement retomber dans les bras de l’un et de l’autre et ainsi former, à nouveau, un couple fusionnel.
Un fleuve nourricier, malgré son eau polluée
La Seine, si elle pouvait parler, vous dirait qu’elle est aussi importante pour les Parisiens que le cœur l’est pour le corps humain. Pendant très longtemps, elle est la principale et presque unique source d’eau potable de la capitale française. À partir du XVIIe siècle, des pompes sont installées sur les ponts et, dès le siècle suivant, celles-ci alimentent 23 fontaines publiques. Ce sont les porteurs d’eau qui approvisionnent les Parisiens qui, en 1789, consomment individuellement environ dix litres d’eau par jour. En outre, des conduites individuelles desservent des concessionnaires privés et une pompe alimente le Louvre et les jardins royaux.
Le Pont-Neuf et la pompe de la Samaritaine, vus du quai de la Mégisserie (1777). Nicolas Jean-Baptiste Raguenet. Musée Carnavalet, P269. Licence Creative Commons Zero (CCØ).
Le problème, c’est que les porteurs d’eau du XVIIIe siècle s’approvisionnent aux fontaines et dans le fleuve, là où les blanchisseuses lavent leur linge… et où les cuiseurs de tripes lavent les abats après les avoir achetés aux bouchers. Une prise de conscience sanitaire s’opère toutefois à partir de 1763, puisque les cuiseurs de tripes sont expulsés des bords de la Seine, tout comme les autres activités polluantes. Malheureus...